• Aucun résultat trouvé

Aperçu historique sur le concept de dialogisme et d’intertextualité :

La notion d’intertextualité au sens propre du terme, est apparue vers la fin des années 60 sous l’initiative du groupe « Tel Quel ». Julia Kristeva considère l’intertextualité comme une « interaction textuelle » dans la mesure où le texte littéraire se construit par la transformation et la combinaison de différents textes antérieurs.

Le Petit Robert définit le phénomène intertextuel comme suit :

1

193

« L’ensemble des relations existant entre un texte (notamment littéraire) et un ou plusieurs autres avec lesquels le lecteur établit des rapprochements. »1

Selon le Dictionnaire Littéraire du XXème siècle, l’intertextualité est une théorie qui conçoit le fait littéraire comme l’espace privilégié d’une intégration / installation d’autres textes, ce qui fonde la polyphonie de l’œuvre en raison même de cette pluralité de voix qui s’y enchevêtrent. Comme dit plus haut, c’est J. Kristeva qui forge et introduit officiellement le terme d’intertextualité dans deux articles parus dans la revue « Tel Quel », et repris ensuite dans son ouvrage « Séméiotiké : recherches pour une sémanalyse» où elle le définit comme : « Le croisement dans un texte d’énoncés pris à d’autres textes. »2

Mais c’est à partir de l’étude des travaux du théoricien russe Mikhaïl Bakhtine que Kristeva produit la notion et en précise la signification :

« Tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte. »3

Association, processus, transfert, reprise, transposition, le mot « intertextualité » se charge de multiples significations représentatives du mouvement dynamique de la langue. De plus, dans tout texte, le mot installe un dialogue avec d’autres textes d’où l’apparition de la notion de dialogisme. M. Bakhtine a été le premier à avancer le concept de dialogisme pour théoriser l’idée qu’un énoncé est une réponse à d’autres énoncés, qui recèle en lui les empreintes d’un dialogue entre deux individus, entre deux interlocuteurs. D’après les travaux de Bakhtine traduits par Tzvetan Todorov :

« Il n’est pas, et c’est essentiel, d’énoncé sans relation aux autres énoncés… ; au niveau le plus élémentaire, est intertextuel tout rapport entre deux énoncés. Deux œuvres verbales, deux énoncés, juxtaposés l’un à l’autre, entrent dans une espèce particulière de relations sémantiques, que nous appellerons dialogiques. » 4

Selon la théorie de Bakhtine, le dialogisme permet de démontrer d’une part, que le texte littéraire s’édifie sur la base d’un dialogue entre différents niveaux de langue, et d’autre part, qu’il n’est pas porteur d’un message unique, mais développe au contraire une multitude de points

1 Le Nouveau Petit Robert, 1994, p. 1200.

2 Kristeva, Julia, « Séméiotiké : recherches pour une sémanalyse», Seuil, 1969, p. 115.

3 Ibid, p. 145.

4

194

de vue. Les productions littéraires instaurent généralement un échange constant entre la littérature et sa propre mémoire.

Plus tard, R. Barthes et M. Riffaterre s’intéressent de près au concept d’intertextualité perçu comme une résultante pertinente de l’activité de lecture littéraire. Barthes relie le phénomène en question aux usages de la lecture en ce sens où la mémoire du lecteur se met en marche une fois éclairée par un mot, une formule, une phrase déjà lue quelque part :

« L’intertexte n’est pas une " autorité ʺ ; simplement un souvenir circulaire ; l’impossibilité de vivre hors du texte infini… Le livre fait le sens, le sens fait la vie. »1 Avec la réflexion théorique de Riffaterre, l’intertextualité se place principalement du côté de la réception critique. Elle est vue comme un effet de lecture où l’intertexte devient l’objet à détecter dans l’absolu et non un simple souvenir de lecture. En effet, l’intertexte est considéré comme le « phénomène qui oriente la lecture du texte, qui en gouverne éventuellement l’interprétation, et qui est le contraire de la lecture linéaire. »2

L’objet intertextuel oriente donc l’interprétation du texte et s’avère un élément pertinent quant à l’accès au sens profond de l’œuvre. L’intertexte désigne donc toute indication, toute empreinte perçue par le récepteur. C’est dans cette perspective que le critique aborde l’entreprise intertextuelle dans son champ d’application littéraire :

« L’intertextualité est la perception par le lecteur de rapports entre une œuvre et d’autres, qui l’ont précédée ou suivie. Ces autres œuvres constituent l’intertexte de la première. »3 Bref, le lecteur est sommé de continuer l’œuvre produite et de repérer via son savoir mnésique les rapports qu’elle entretient implicitement ou explicitement avec d’autres écrits. La mémoire joue un rôle majeur dans cette opération de décryptage ou la simple réminiscence ou l’allusion plus ou moins intelligible deviennent des paramètres dignes d’intérêt lors de toute lecture. C’est dans une optique quelque peu différente que Genette élabore sa conception de la notion. Pour le théoricien, l’intertextualité est un phénomène qui intervient dans un réseau fort large de relations transtextuelles. La transtextualité4 regroupe cinq sortes de relations : l’architextualité qui renvoie à la catégorisation générique du texte. La paratextualité détermine le rapport étroit

1

Barthes, Roland, « Le Plaisir du texte », Seuil, 1973, p. 59.

2 Riffaterre, Michael, « L’Intertexte inconnu », Littérature n° 41, 1981, p. 5.

3 Riffaterre, Michael, « La Trace de l’intertexte », La Pensée n°215, Octobre 1980, p. 57.

4 La transtextualité est « tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète avec d’autres textes. », dans « Palimpsestes : La Littérature au second degré », Gérard Genette, Seuil, Paris, 1982, p. 6.

195

entre un texte et son appareil paratextuel (titre, sous-titre, illustration, couverture, etc.). La métatextualité s’affiche comme la relation de commentaire critique qui associe un texte à un autre dont il parle. L’hypertextualité donne à voir un rapport de dérivation unissant un texte B (l’hypertexte) à un texte A (l’hypotexte). Quant à l’intertextualité, elle est vue comme :

« Une relation de coprésence entre deux textes ou plusieurs textes, c’est-à-dire par la présence effective d’un texte dans un autre. » 1

L’identification de l’intertexte témoigne du processus « écriture / lecture », puisqu’il tisse un lien étroit entre ces deux volets de la littérature. Au point de vue de l’élaboration, le destinateur peut se réapproprier l’intertexte en le citant tel quel ou en l’intégrant à son dire avec quelques modifications de rigueur.

Compte tenu de tous ces préliminaires théoriques, nous tentons à présent de décrypter l’œuvre de Daoud via l’identification des divers intertextes, leur agencement et les effets produits par la dynamique intertextuelle. Avant d’entamer la lecture de l’intertexte de l’oralité dans le corpus, il nous faut répondre à quelques questions fondamentales pour la suite de l’étude :

Quels sont les marques spécifiques du discours de l’oralité ? Quels rapports entretient l’oralité avec l’écrit ?

1. L’intertexte de l’oralité : une entorse à la norme.

Il s’agit de décoder, à ce niveau de l’analyse, la manière dont l’œuvre traitée inscrit l’oralité en filigrane de sa composante scripturaire, en provoquant un éclectisme important du point de vue des formes discursives convoquées.

1.1 La spécificité de la littérature orale :

La littérature orale2 est une catégorie qui suggère dés le départ quelques contradictions : écrit / oral, ou culture savante / culture profane. Ces oppositions ont amené Paul Sébillot à forger, le premier, cette formule en 1881, « littérature orale » pour désigner l’ensemble de tout ce qui a été dit, transmis oralement, doté d’une dimension esthétique et ayant pour objet la société sous toutes ses facettes.

1 Genette. Ibid. p. 8.

2Pour P. Zumthor, la littérature orale renvoie à « toute espèce d’énoncés métaphoriques ou fictionnels, dépassant la

196

Geneviève Calame-Griaule la définit comme suit : « La littérature orale est la partie de la tradition qui est mise en forme selon un code propre à chaque société et à chaque langue, en référence à un fonds culturel. »1

Le patrimoine oral représente ainsi une source inépuisable de savoir concernant les valeurs sociales et culturelles d’un peuple et les comportements individuels. Pour E. Belinga :

«On peut définir la littérature orale comme, d’une part, l’usage esthétique du langage non écrit et d’autre part, l’ensemble des connaissances et les activités qui s’y rapportent. »2

Ces définitions ont l’avantage de démontrer que le champ de la littérature orale recouvre des productions diverses et variées, anonymes, transmises verbalement, qui divergent au niveau de la forme mais concordent plus ou moins au niveau du fond. En effet, mythe, épopée, fable, légende, conte, parabole, proverbes et dictons, devinettes et énigmes, etc., représentent autant de formes qui se ressemblent fortement dans leur contenu. Les frontières entre ces genres sont poreuses puisqu’ils s’interpénètrent souvent, s’entremêlent les uns aux autres du fait même qu’ils s’alimentent à partir d’une même source thématique.

De plus, dans « La violence du texte », Marc Gontard affirme que l’importance accordée par la littérature maghrébine d’expression française au référent oral, tient du projet scripturaire visant la désaliénation et la défense du patrimoine culturel. Le recours à l’oralité devient donc une stratégie dont le dessein est de conférer un cachet d’authenticité et de spécificité aux créations littéraires maghrébines. Convoquer l’oralité dans sa fiction n’est autre qu’une manière de se recentrer sur son imaginaire et son terroir culturel tout en exploitant des techniques d’ailleurs et des codes étrangers.

C’est en ce sens que s’élabore l’œuvre de Daoud, c’est-à-dire dans l’enchevêtrement des discours où se détecte la présence d’une parole multiple agencée comme le creuset d’histoires individuelles et collectives.

Mais, quelle interprétation pouvons-nous faire de l’infiltration du discours oral dans le contexte fictionnel ? L’inscription du référent oral fonctionne-t-elle comme un procédé esthétique

1Calame-Griaule, Geneviève, « Littérature Orale », art, In « Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie », Pierre Bonte et Michel Izard, Paris : P.U.F, 1991, P. 425.

2

197

créatif ? Ou, à contrario, marque-t-elle une transgression de la norme car chargée d’estamper la construction textuelle ?

Notre démarche consiste à interroger les fonctionnalités du code oral qui submerge l’espace scripturaire chez Daoud.