• Aucun résultat trouvé

Pour rappel, cette thèse a pour objectif de répondre à la problématique générale suivante : en quoi la mémoire du développement constitue-t-elle un capital et une ressource pour les acteurs non professionnels de l’aide ? Cette recherche est structurée autour de trois grands axes de réflexion qui constituent les étapes nécessaires pour répondre à la problématique générale. Il s’agit de la fabrique, du contenu et de l’utilisation de la mémoire du développement.

Ce travail est divisé en trois grandes parties, chacune d’elle structurée par deux chapitres. Les développements méthodologiques, que nous considérons comme un résultat en soi de notre recherche, ainsi que les discussions des cadres théoriques et des littératures mobilisées, sont insérés directement dans le corps des chapitres.

La première partie de la thèse consiste à poser les jalons historiques et conceptuels de cette étude qui constituent des points de repères essentiels dans l’analyse.

Le premier chapitre décline une macro-histoire comparée de l’action publique et des interventions de développement au Maroc et à Madagascar. L’écriture, et de fait la lecture, de cette histoire du développement, constituées à partir d’un travail d’archives et de recherches bibliographiques, demeurent un préalable essentiel permettant de naviguer dans les mémoires individuelles et socialement partagées. C’est aussi une étape clé pour comprendre les traces laissées par les interventions de développement. Ce chapitre montre la diversité et l’évolution au cours du temps des modes d’intervention, des secteurs, des acteurs et des paradigmes de l’aide et la façon avec laquelle ils émergent et circulent sur les deux territoires. Notre objectif dans ce chapitre est d’analyser plusieurs temporalités et différentes échelles, depuis les débats internationaux jusqu’à la mise en œuvre de projets et programmes

en Itasy et dans le Souss Massa Drâa, depuis les indépendances des deux pays. Pour ce faire, une grille de lecture en sociologie de l’action publique est adoptée dans une perspective synchronique (à un moment précis, en lien avec les politiques publiques) et diachronique (sur les temps longs).

Le deuxième chapitre sera l’occasion de proposer un état des débats et des controverses relatifs à l’utilisation du concept de mémoire en confrontant ses usages à l’objet de cette recherche qu’est le développement. Cet état de l’art apporte des éléments de réponse et de cadrage à la question de savoir si la mémoire peut être un outil pour relire les processus de développement. Il donnera des réponses théoriques à partir des débats sur la mémoire dans différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Le chapitre est organisé autour de la discussion d’une affirmation qui nous a été à plusieurs reprises exprimée par des professionnels de l’aide : « la mémoire du développement, ça n’existe pas ». La discussion de cette affirmation permet de définir notre positionnement dans la littérature mais aussi les limites intrinsèques au couple conceptuel que forment mémoire et développement.

La deuxième partie de cette étude entend répondre à la question : de quoi se souvient-on ? L’objectif est alors d’analyser dans les différentes communes malgaches et marocaines où nous avons enquêté aussi bien le processus par lequel sont reconstruits les souvenirs des expériences de développement que leur contenu. La partie est organisée en deux chapitres (chapitre 3 et 4) au cours desquels seront notamment présentées notre approche méthodologique et l’utilisation d’une méthode mixte de recherche. La discussion sur la méthode constitue d’ailleurs un résultat fondamental de notre étude. A partir du matériau empirique collecté, cette partie sera ainsi l’occasion de mettre en lumière les biais et les risques attachés à l’utilisation de la mémoire pour relire les processus de développement.

Le chapitre 3 de la partie 2 démontre que le processus de reconstruction des souvenirs liés aux interventions de développement s’effectue dans une forme

de dialectique entre le passé et le présent et par un processus d’hybridation. Ce dernier fait appel aux représentations individuelles et collectives du développement, aux souvenirs partagés des évènements politiques, sociaux ou économiques ainsi qu’aux trajectoires personnelles. Pour ce faire, trois éléments thématiques des mémoires individuelles et socialement partagées sont analysés successivement : la distribution spatiale des souvenirs, la perception des temporalités du développement et enfin les catégories d’acteurs des mondes de l’aide.

Le quatrième chapitre de cette étude poursuit la caractérisation des éléments qui participent à la reconstruction des mémoires et se focalise sur l’analyse des récits collectés. Dans ce chapitre, comme dans l’ensemble de l’étude, notre approche de la mémoire et des souvenirs des interventions de développement se fait « par le bas », c’est-à-dire par les individus et les représentations populaires. L’objectif est de s’éloigner de la narration contenue dans les documents de projets ou véhiculée par les acteurs professionnels de l’aide et qui peut paraître comme plus légitime. Il s’agit alors d’identifier les éléments qui structurent les récits sur les expériences passées du développement mais aussi de montrer en quoi ils révèlent une lecture critique des processus de développement. Sont notamment analysés les cadres sociaux de la mémoire ainsi que le poids de la matérialité et des traces tangibles des projets dans celle-ci. Nous montrerons d’ailleurs que cette dimension matérielle des processus de développement demeure un élément structurant des représentations sociales individuelles et collectives du passé du développement. Nous révélons également ce qui constitue des contre-récits du développement et les analysons comme des modes d’intervention dans le champ politique. Ils témoignent des décalages entre les projections de la configuration développementiste d’une part et les représentations populaires d’autre part.

La troisième partie de cette étude interroge la transformation de la mémoire en connaissances et les ressources dont disposent celles et ceux qui ont une

mémoire plus épaisse des interventions de développement. Bien que le terme d’épaisseur et l’adjectif épais ne s’appliquent pas directement à la mémoire, métaphoriquement, ils font, tous deux, référence au fait que certains individus ont plus de souvenirs que les autres et sont capables de les restituer de manière plus facile. L’objectif de cette dernière partie est d’analyser l’utilisation, différente d’un individu à l’autre, de la mémoire comme un capital dans l’action au quotidien, que ce soit dans les configurations développementistes (lorsque de nouveaux projets sont mis en œuvre par exemple) ou en dehors, dans le cadre de l’action publique. À la différence des chapitres précédents, la mémoire n’est plus considérée sous le seul angle de l’expérience passée mais constitue dans cette partie une façon de décrire la compétence des individus107 puisque ces derniers, à chaque fois que c’est nécessaire, font appel à leurs souvenirs et aux informations stockées dans l’action.

Le premier chapitre de cette partie (chapitre 5) se concentre sur les formes capitalisées de la mémoire du développement ainsi que sur leurs usages au quotidien. Nous démontrons que les modes et les référentiels de l’aide sont non seulement incorporés aux pratiques et aux discours des habitants mais qu’ils sont surtout projetés dans le futur. Pour ce faire, une grille de lecture qui articule plusieurs outils et concepts de la sociologie constructiviste et structuraliste (habitus, conscience pratique et discursive) est utilisée et permet de caractériser les formes de ces apprentissages issus de la mémoire. L’objectif de ce chapitre est aussi de mettre en évidence le fait que tout le monde ne se souvient pas autant des mêmes choses et n’utilise pas de la même manière ce capital mémoire. Les variations de ce capital d’un individu à l’autre peuvent alors offrir à certains individus des positions de pouvoir ou des légitimités plus fortes dans l’espace social.

Après avoir caractérisé les différences de mémoires pour l’ensemble des individus interrogés, le chapitre 6 (2ème chapitre de la 3ème partie) propose de resserrer l’analyse sur celles et ceux qui sont considérés comme en sachant le plus, ou comme ayant une plus grande mémoire du développement. Nous les appelons dans cette étude des gardiens de la mémoire et nous nous attachons à les identifier à partir de leur réputation, « par le bas ». Ce chapitre explore donc la démarche théorique et méthodologique qui a permis de définir une typologie des réseaux de réputation des gardiens de la mémoire du développement. Ces configurations relationnelles offrent également l’opportunité d’interroger les fondements sociopolitiques et/ou socioéconomiques (statut social, réussite économique etc.) de la réputation de ces gardiens de la mémoire et de mettre en lumière de nouvelles formes d’élites et de leadership local. L’objectif de ce chapitre est, par conséquent, d’identifier les ressources dont disposent les gardiens de la mémoire du développement et la manière dont ils les utilisent pour renforcer leur position de pouvoir et de leadership, tout en participant aux processus de production et de mise en œuvre des politiques publiques.

1

ère

Partie : Le développement comme