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L'ANALYSE DES PROCESSUS DE FORMULATION DES PROBLEMES STRATEGIQUES.

Hervé LAROCHE

5. L'ANALYSE DES PROCESSUS DE FORMULATION DES PROBLEMES STRATEGIQUES.

Les deux cas invitent à proposer quelques notions utiles pour l'étude des processus de formulation des problèmes stratégiques, processus assez obscurs par nature. Ces notions constituent un cadre d'analyse que l'on peut résumer de la manière suivante. Des problèmes, constructions complexes et subjectives, se forment et viennent (ou non) s'inscrire sur l'agenda décisionnel de l'organisation. Il existe différentes modalités d'inscription, ou si l'on veut, différentes rubriques de l'agenda, ou si l'on veut encore, différentes "natures" des problèmes sur l'agenda. Ces modalités d'inscription ne sont pas définies une fois pour toute: non seulement les problèmes entrent et sortent de l'agenda, mais entretemps, leur vie dans l'agenda peut être assez mouvementée. La composition de l'agenda, et le destin d'un problème donné, sont conditionnés par des caractéristiques structurelles: la structure d'accès, qui définit la possibilité pratique, pour tel problème, d'accéder à l'agenda; et la structure de participation, qui définit la possibilité pratique, pour tel individu, de participer aux processus relatifs à tel problème. Les participants évoluent dans le contexte ainsi créé (mais ils peuvent également chercher à faire évoluer ce contexte), en fonction d'une stratégie décisionnelle particulière, qui traduit leur insertion dans les processus. Les stratégies décisionnelles des participants, qui peuvent être évolutives, se rencontrent, créant des situations de décision, lesquelles définissent les conditions d'interaction des participants sur un problème donné. La figure 1 tente de symboliser ce processus.

Nous allons maintenant reprendre de manière plus détaillée les éléments de ce cadre d'analyse.

5.1. LES PROBLEMES.

Premièrement, la notion de problème doit s'écarter de la notion classique d'écart entre des faits constatés et des normes ou objectifs préexistants. L'idée de "molécule", proposée par STARBUCK(1983) capte mieux la "nature" des problèmes: constructions d'éléments plus ou moins hétéroclites, comprenant des "faits" (ce qui est considéré comme des faits objectifs), des interprétations, des causes attribuées, des valeurs ou croyances évoquées, des mots chargés de connotations, des analogies, métaphores, antécédents, et des actions engagées, envisageables, souhaitables... Lorsqu'un problème est partagé, c'est-à-dire lorsque des individus sont d'accord sur son existence ou sur l'existence que certains lui reconnaissent, la molécule comprend aussi les différentes interprétations, les personnes ou groupes impliqués, les intérêts concernés, les évolutions possibles ... Cette molécule n'est pas donnée: elle se construit, elle acquiert une certaine solidité qui provient, d'une part de la qualité des liens entre les différents éléments qui la composent, et d'autre part, de la convergence des participants sur ces différents éléments. Lorsque cette convergence butte sur des oppositions assez claires, le problème prend le caractère de "question" ou "controverse" ("issue") décrit par DUTTON. Ce processus de cristallisation n'a rien d'inéluctable. Les cas rapportés montrent qu'il peut être bloqué, laissant le problème dans un stade de latence prolongé, comme il peut être accéléré, lorsque se révèle un consensus latent, par exemple.

EN DA

L'hypothèse formulée par NUTT (1984), selon laque11e les processus de décision sont largement "solution-driven", mus par les solutions, est ici vérifiée.

figure 1 - le processus de formulation des problèmes stratégiques -

La seconde dimension de l'agenda est une dimension courante en Science Politique. On distinguera l'agenda routinier et l'agenda contingent. Les problèmes considérés comme routiniers sont plutôt répétitifs, ordinaires, habituels; les problèmes contingents constituent des exceptions, des anomalies, des événements. L'organisation traite les problèmes routiniers

à

l'aide de procédures, de systèmes, de programmes habituels. Les problèmes exceptionnels requièrent un traitement ad hoc, le recours au chef ou

à

l'expert, ouàdes procédures spéciales.

5.2. L'AGENDA

La seconde notion est cel1e d'agenda. L'observation suggère de l'approfondir en distinguant différentes dimensions, et tout spécialement, d'étudier la vie des problèmes dans l'agenda. Les problèmes entrent et sortent de l'agenda, et entretemps, ils le parcourent; en d'autres termes, ils y subissent des transformations.

L'intérêt de la notion d'agenda est de servir d'intermédiaire entre d'une part les problèmes, constructions intellectuelles auxquelles l'organisation attribue une existence et une nature, accorde de l'attention, déclenche oujustifie l'action en fonction d'eux, etc., et d'autre part l'organisation elle-même, ensemble concret d'individus, de groupes, de structures, de procédures, de systèmes. Les problèmes appellent un traitement par l'organisation: ils sont "saisis" par des individus, des structures, des systèmes, etc. ; et réciproquement, l'activité organisationnelle produit les problèmes: ils n'existent que parce qu'ils sont saisis par l'organisation. Les dimensions de l'agenda doivent rendre compte de cette création réciproque.

Ces deux dimensions, les plus évidentes, peuvent être croisées. On peut envisager alors différents trajets d'un problème donné sur l'agenda décisionnel. Dans ces trajets, un problème peut gagner ou perdre en "énergie". L'énergie d'un problème peut être définie comme sa capacité à attirer l'attention et à évoquer l'action. L'énergie est d'autant plus grande que le problème est placé sur l'agenda stratégique plutôt qu'opérationnel, et sur l'agenda contingent plutôt que routinier.

Quatre dimensions caractérisent l'agenda. EI1es s'assemblent par paires. Elles sont continues, mais pour la commodité de l'exposé, on ne mentionnera que les termes extrêmes.

La première dimension oppose l'agenda operationnel et l'agenda strategique. C'est une distinction classique en management, bien que donnant lieu à débat. Le trait attribué par l'organisation aux problèmes correspondant à cette distinction recouvre l'importance des enjeux pour l'organisation, dans le sens de "conséquentialité". Il.n'est bien sûr pas nécessaire que l'organisation utilise explicitement ces categories "opérationnel/stratégique". En principe, l'organisation traite les problèmes stratégiques au plus haut niveau hiérarchique (Direction Générale). Le niveau hiérarchique implique est donc le critère principal, côté organisation, pour distinguer l'agenda stratégique de l'agenda opérationnel - et au sein de ce critère, le niveau d'attention que lui accordent les plus hauts responsables. D'autres critères peuvent intervenir également, tel que l'introduction du problème dans un système de planification stratégique, par exemple. o :z :z [Tl [Tl DE DEC /Slm·l STRUCTURE S DE C/PATI

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Un problème peut s'analyser utilement en trois ensembles: les symptômes, les causes attribuées, et les besoins d'action qui lui sont associés. Ce dernier point semble essentiel: les actions sont souvent très largement présentes dans les problèmes. L'absence d'action acceptable bloque le processus de formulation, ainsi que le montre le cas du problème "gestion du personnel". Le caractère évident des actions nécessaires accélère considérablement ce même processus, comme le suggère la rapidité du traitement final de la crise à GEOSYSTEMS. Les processus cognitifs producteurs des interprétations des acteurs sont très sensibles à ces actions potentielles, probablement parce que ces interprétations servent de justifications aux actions lorsque ces dernières se réalisent.

La figure suivante montre les trajets simples possibles.

AGENDA OPERAT IONNEL - STRATEGI QUE

Un problème peut connaître des phases d'activité très contrastées, sans toutefois disparaître complètement. Pensons aux processus "sporadiques", marqués par un parcours heurté, identifiés par HICKSON et alii (986). L'agenda compte une troisième dimension qui rend compte de la nature passive ou active d'un problème. L'agenda contient des problèmes qui sont plus ou moins actifs, c'est-à-dire plus ou moins présents à l'attention directe, plus ou moins "au premier plan". Un problème passif voit son traitement par l'organisation ralenti ou suspendu, sans être oublié pour autant. Les raisons peuvent en être extrêmement variées: l'attente d'une autorisation administrative nécessaire à une opération, l'attente de l'avis du PDG, la réalisation d'une étude, les priorités de l'action immédiate, l'absence du "porteur" du problème, etc.

figure 2 - deux premières dimensions de l'agenda ROUTI NI ER