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Les ambiguïtés de la loi de 2004

Dans le document ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT N° 2718 N° 652 (Page 150-155)

C. Jusqu’où le régime du contrôle de l’ABM doit-il s’exercer ?

1. Les ambiguïtés de la loi de 2004

Selon M. Jean-Claude Ameisen 107, la loi actuelle comporte une ambiguïté majeure, liée au fait qu’elle ne distingue pas entre les recherches sur l’embryon vivant et celles sur des cellules provenant d’un embryon détruit. Or, les deux ne sont pas de même nature. « Cette interdiction, sauf dérogation, de la recherche sur des cellules issues d’embryons humains détruits pour des raisons sans rapport avec l’éventualité d’une recherche a un caractère tout à fait exceptionnel : à titre de comparaison, la recherche sur des cellules issues d’embryons ou de fœtus détruits après interruption médicale ou volontaire de grossesse fait l’objet non pas d’une interdiction sauf dérogation, mais d’une autorisation. Et cette autorisation est sous condition non pas d’un consentement libre et informé du couple, mais d’une simple absence d’opposition de la mère ».

Selon lui tout se passe comme si le législateur avait confondu une entité vivante et les éléments qui la composent en rangeant dans la même catégorie les recherches sur l’embryon avant sa destruction et celles qui sont conduites sur des cellules isolées lors de sa destruction.

Il ajoute « Les avancées des recherches sur les cellules souches du corps adulte ont été présentées, de manière probablement un peu naïve, comme une réponse de nature scientifique aux problèmes éthiques posés par les recherches sur les cellules souches embryonnaires. En rendant l’impossible possible, les avancées de la science peuvent apporter des réponses à des problèmes éthiques, mais elles créent souvent aussi de nouveaux problèmes éthiques ».

Rappelant que la révolution récente des recherches sur les cellules iPS (ou cellules souches pluripotentes induites) permet la transformation de cellules du corps adultes, en cellules aux propriétés semblables à celles des cellules souches embryonnaires pluripotentes, il considère qu’à l’avenir elles poseront des problèmes éthiques que l’on gagnerait à évoquer dès maintenant.

« Un autre problème éthique est posé par des travaux récents qui suggèrent que l’on pourrait dériver des spermatozoïdes, et probablement des ovocytes, à partir de cellules iPS dérivées de cellules de la peau. Le seul moyen de savoir s’il s’agit vraiment d’un spermatozoïde ou d’un ovocyte serait de déterminer si ces cellules sont capables de fécondation, c’est-à-dire de participer à la création d’un embryon in vitro. Peut-on envisager de faire de telles recherches ? ».

La législation britannique n’impose aucune autorisation pour les recherches sur les lignées de cellules souches. La législation allemande interdit les recherches sur l’embryon et les recherches sur les cellules souches embryonnaires dérivées, mais paradoxalement autorise les recherches sur les lignées de cellules souches importées. Aux États-Unis cela dépend des États, toutefois une fois les

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consentements obtenus, les lignées appartiennent aux universités ou laboratoires et les financements dépendent de la nature de la recherche.

2. Les suggestions de l’ABM108 et les recommandations de l’OPECST

a) Les recherches impliquant la destruction d’embryon

Pour l’Agence de la biomédecine, on pourrait considérer que

« l’interrogation éthique semble d’une autre nature » dans le cas des recherches conduites sur des lignées de cellules souches déjà établies. Il ne s’agit pas de recherche entraînant la destruction d’embryon. Les lignées de cellules souches

« ne disposent pas des propriétés organisatrices qui leur permettraient de reproduire un nouvel organisme » Certaines lignées importées sont utilisées en routine depuis plusieurs années par des laboratoires renommés (les plus anciennes lignées datent de 1998). L’ABM souligne elle aussi, l’existence d’une ambiguïté de la loi, qui utilise tantôt les termes de « cellules embryonnaires », tantôt ceux de

« cellules souches embryonnaires ».

Elle estime qu’une cellule différenciée à partir d’une cellule souche embryonnaire est une cellule embryonnaire, mais n’est plus une cellule souche embryonnaire. Selon l’ABM, il convient de revoir les termes utilisés dans la loi, et de n’encadrer que les recherches portant sur les cellules souches embryonnaires.

Pour le Conseil d’État, toutes les activités de recherche impliquant une atteinte à l’embryon sont à considérer de manière identique, et doivent relever du même régime. La Mission d’information de l’Assemblée nationale109 se range de cet avis. « Si l’on peut comprendre la demande des chercheurs, il n’en reste pas moins qu’exclure les recherches faites sur les lignées de cellules souches embryonnaires du régime de contrôle auxquelles sont soumises les recherches sur les embryons reviendrait à introduire des degrés variables d’exigence éthique peu compatibles avec la nature même de l’éthique. À partir de quand, par exemple, estimera-t-on qu’une lignée de cellules souches est « bien établie » ? La démarche de contrôle fixée dans la loi de 2004 doit conserver sa cohérence. Il ne paraît par conséquent pas opportun de procéder aux distinctions suggérées sur ce point par l’ABM.»

On comprend le souci de cohérence du Conseil d’État et de la Mission d’information de l’Assemblée nationale. Cependant le législateur doit trancher.

L’encadrement doit à notre sens être limité aux seules recherches sur les cellules souches embryonnaires, et non aux cellules souches qui ont perdu cette caractéristique.

108 Audition publique du 27 janvier 2010

109 Rapport d’information n°2235 AN

RECOMMANDATION N° 13 :

Il convient de limiter l’encadrement des recherches aux seules cellules souches embryonnaires et d’exclure de cet encadrement les lignées de cellules souches déjà différenciées.

b) Les projets de recherche à caractère technologique

L’ABM reçoit de plus en plus de demandes d’autorisation pour des manipulations à caractère technologique dont la pertinence scientifique, condition de l’autorisation, est difficile à établir. Elle estime que la nouvelle loi devrait faire une place à de tels projets de manipulation de cellules. Certains ont un caractère essentiellement technologique, comme la sécurité virale des lignées ou de leur milieu de culture.

Cette tendance ira en s’accentuant, car les évolutions que nous avons observées tant en France que lors de nos missions à l’étranger ont montré combien les procédés de tri, de culture, et de purification des cellules avaient un retentissement sur la qualité des recherches, leur reproductibilité et leur impact futur. Lors de nos visites aux génopoles d’Évry et de Toulouse, comme au centre de recherche de l’Université de Stanford, les méthodes de manipulations et de tri à large échelle nous ont largement fait pressentir cette évolution.

RECOMMANDATION N° 14 :

Il convient de déterminer le régime juridique et les conditions d’autorisation des projets technologiques impliquant des manipulations de cellules souches embryonnaires.

c) Le consentement au don d’embryon à des fins de recherche

L’ABM110 rappelle que « la loi dispose que ce consentement peut être révoqué « à tout moment », ce qui n’apparaît guère réaliste : imaginez qu’il le soit au moment où l’on s’apprête à utiliser ces cellules en thérapeutique ! ». Elle propose de limiter cette révocabilité, d’être chargée d’émettre et de faire évoluer des recommandations sur ce sujet, en tenant compte de la pratique nationale et internationale.

Fort justement la Mission d’information de l’Assemblée nationale a proposé de s’assurer du caractère éclairé du consentement du couple en l’informant de la nature des recherches projetées, et de préciser les conditions dans lesquelles son consentement peut être retiré, lorsque le couple accepte de donner à la recherche des embryons surnuméraires.

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Pour l’Académie nationale de médecine (rapport précité), les couples devraient pouvoir donner leur consentement pour une ou plusieurs des grandes catégories de recherche auxquelles les embryons qu’ils donnent seraient destinés : à savoir les recherches pour lutter contre la stérilité et améliorer les méthodes d’AMP, ou celles pour améliorer les connaissances sur le développement embryonnaire, ou celles sur les cellules souches embryonnaires et leurs dérivés.

L’information préalable au recueil du consentement doit être précise, car il s’agit de détruire un embryon surnuméraire ; la nature des recherches envisagées doit être clairement et simplement définie sans que la loi énumère des catégories de recherche.

En revanche, les conditions et les possibilités de révocabilité du consentement doivent être mieux précisées et être limitées dans le temps. La proposition de l’ABM qui vise à faire évoluer des recommandations sur ce point en s’inspirant des standards internationaux est à retenir.

RECOMMANDATION N° 15 :

À l’occasion de la demande de consentement des couples au don d’embryons surnuméraires, il convient :

– de les éclairer sur la finalité des recherches ;

– de limiter ainsi les conditions de révocation de ce consentement.

3. L’exportation et l’importation des lignées

L’ABM considère qu’il faut faciliter l’échange des lignées de cellules souches embryonnaires entre les équipes françaises et les équipes étrangères. C’est une question de réciprocité. S’agissant de l’importation de cellules, elle suggère que ne soit soumise à autorisation que celles des lignées qui n’ont jamais été importées en France, car pour les autres, le Conseil d’orientation de l’ABM a procédé à toutes les vérifications nécessaires quant aux conditions de leur obtention ; les exigences éthiques ayant déjà été vérifiées, une simple déclaration suffit.

Pour l’exportation, l’article L.2151-6 du code de la santé publique dispose qu’elle est « subordonnée en outre à la condition de la participation d’un organisme de recherche français au programme de recherche international».

Cette disposition peu claire ignore totalement la pratique scientifique et peut conduire à limiter de façon significative la diffusion des travaux de recherche français (distribution de lignées, mais aussi publication). En 2004, quand la France

a dû importer des lignées de cellules souches embryonnaires, les instituts de recherche étrangers qui les lui ont procurées n’ont pas demandé une collaboration avec les laboratoires français, ni le partage des résultats des recherches.

L’ABM estime que dès qu’elle est publiée, une lignée doit être à la disposition de la communauté scientifique internationale, et toute demande de communication venant d’une équipe étrangère doit recevoir satisfaction.

Après plusieurs missions à l’étranger, nous avons pu mesurer l’importance des coopérations internationales dans ce domaine. Nous pouvons que souscrire à cette exigence.

RECOMMANDATION N°16 : Il convient :

– de faciliter les échanges de lignées de cellules souches embryonnaires entre les équipes françaises et étrangères ;

– de permettre l’exportation à l’étranger de cellules souches embryonnaires sans conditions de réciprocité.

Dans le document ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT N° 2718 N° 652 (Page 150-155)