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Altérations métaboliques et micro-environnement

PARTIE 2 : Métabolisme tumoral et régulation du stress oxydatif

1. Métabolisme des cellules tumorales

1.2. Régulation du métabolisme cellulaire

1.2.1. Altérations métaboliques et micro-environnement

L’environnement tumoral est caractérisé par une fluctuation du niveau d’oxygène et un apport variable en nutriments selon la région tumorigène, influençant le métabolisme

cellulaire alors hétérogène au sein d’une tumeur. Un défaut d’angiogénèse est souvent à l’origine d’une telle fluctuation en O2262.

1.2.1.1. Modulation métabolique des cellules stromales

Le statut métabolique d’une cellule affecte ses fonctions ainsi que le phénotype des autres cellules de son micro-environnement. Différents types cellulaires génétiquement stables sont connus pour subir des changements phénotypiques en raison de leur résidence au voisinage d’une tumeur croissante. Parmi ces cellules, on retrouve les fibroblastes associés aux tumeurs, les cellules endothéliales et les cellules du système immunitaire inné et adaptatif 281.

Cette reprogrammation micro-environnementale, essentielle à la croissance et à la dissémination de la tumeur, est permise par les cellules cancéreuses après la mise en place de multiples stratégies (Figure 13) 262 : la sécrétion de facteurs de croissance, mais aussi les altérations de la matrice extracellulaire (MEC), des interactions cellule-cellule et de la composition métabolique du milieu. D’autre part, des fortes consommations en glucose et glutamine par les cellules tumorales conduisent à l’accumulation de lactate extracellulaire. Cela affecte un grand nombre de types cellulaires et promeut l’angiogénèse, l’invasion tumorale ainsi que l’émergence d’un micro-environnement immuno-permissif. La promotion de l’angiogénèse par le lactate est due à la sécrétion du facteur pro-angiogénique VEGF par les macrophages et à la stabilisation du facteur de transcription HIF-1α par les cellules endothéliales 2,269,22,23. De plus, la sécrétion de lactate dans le milieu extracellulaire par le transporteur MCT1 (Monocarboxylate transporter 1) est couplée au co-transport d’ions H+ et cause l’acidification du milieu. Cette acidité provoque l’activité protéolytique des enzymes métalloprotéases matricielles MMPs et des cathepsines, engendrant la dégradation des composants de la MEC, ce qui facilite l’invasion tumorale 284,285. Celle-ci est également favorisée après la production d’acide hyaluronique par les fibroblastes, en réponse aux taux importants de lactate par les cellules malignes 286. Enfin, l’environnement immuno-permissif engendré par le lactate extracellulaire est dû à l’atténuation de l’activation des cellules dendritiques et lymphocytes T, ainsi qu’à la migration des monocytes 287–289. A l’inverse, il stimule la polarisation des macrophages résidents en un phénotype M2 immuno-suppresseur 290.

Aussi, l’immuno-échappement est permis après captation de tryptophane par les cellules tumorales, ensuite transformé en kynurénine par les enzymes IDO et Tryptophane-2,3-dioxygénase (TDO2) 99,100. Une déplétion du milieu extracellulaire en cet acide aminé essentiel déclenche l’apoptose des cellules T effectrices, alors que la kynurénine sécrétée

par les cellules cancéreuses promeut le phénotype T regulateur. La kynurénine aurait également un rôle dans la dégradation de la matrice extracellulaire et l’invasion 99,100.

Figure 13: Modulation métabolique des cellules stromales par le micro-environnement tumoral.

De fortes consommations en glucose, glutamine et tryptophane par cellules tumorales engendrent une accumulation de lactate extracellulaire. Cela promeut 1) l’angiogénèse par la sécrétion du facteur VEGF par les macrophages et la stabilisation de HIF-1α par cellules endothéliales ; 2) l’invasion tumorale suite à l’activation des enzymes métalloprotéases matricielles (MMPs), des cathepsines et la production d’acide hyaluronique ; 3) un micro-environnement immuno-permissif en atténuant l’activité des cellules dendritiques et des lymphocytes T, la migration des monocytes ainsi qu’en stimulant la polarisation des macrophages en un phénotype M2. De même, une déplétion du milieu en tryptophane provoque l’apoptose des CTL.

1.2.1.2. Modulation métabolique des cellules cancéreuses

En plus d’affecter la fonctionnalité des cellules stromales, les conditions du micro-environnement tumoral influent fortement sur le métabolisme des cellules malignes. Celles-ci étant souvent confrontées à des environnements pauvres en nutriments et oxygène, elles développent diverses stratégies afin de contourner ces limites (Figure 14) 262.

A ce titre, des substrats carbonés et des voies métaboliques adaptatives sont utilisés par ces cellules. Effectivement, la captation de glucose par les cellules tumorales est augmentée par rapport à leurs homologues normaux. Ce glucose est métabolisé en pyruvate par la voie de la glycolyse et transformé en lactate. Cependant, ces cellules peuvent utiliser des sources d’énergie additionnelles ou alternatives en métabolisant par la voie mitochondriale d’autres substrats, tels que les acides gras ou la glutamine, comme cela a été décrit respectivement dans les cas de leucémies et de cancers du sein 267. Ainsi, selon les déprivations du micro-environnement tumoral, les cellules adaptent leur métabolisme en consommant d’autres substrats ; on parle de flexibilité du métabolisme énergétique, essentiel à la survie de ces cellules. Par exemple, des cellules cancéreuses HeLa privées de glucose s’adaptent en consommant préférentiellement de la glutamine 291. De même, l’invalidation génique de la glutaminase pour des cellules de gliome glutamine-dépendantes engendre l’utilisation du glucose, transformé en pyruvate puis en oxaloacétate par la pyruvate carboxylase 292. Dans le cas de cellules de mélanome, une privation en glucose provoque la consommation d’acétate, nécessaire à leur croissance. L’acétate est un substrat carboné, transformé par les acétyl-CoA-synthétases (ASCC) mitochondriale (ASCC1) et cytoplasmique/nucléaire (ASCC2) en acétyl-CoA, ensuite utilisé par les mitochondries 293. Le lactate, produit de dégradation issu de la glycolyse et présent dans le micro-environnement, peut être utilisé par les cellules tumorales afin de produire du pyruvate et permettre la phosphorylation oxydative 294.

Par ailleurs, l’environnement tumoral est souvent caractérisé comme étant hypoxique ; l’instabilité et la désorganisation de la néovasculature tumorale sont à l’origine d’un niveau d’oxygénation variable au sein d’une tumeur, avec des fluctuations régionales et temporelles 55. Ces zones d’oxygénation distinctes présentent des statuts métaboliques ainsi que des phénotypes cellulaires différents. En effet, la présence de cellules cancéreuses avec un phénotype invasif et migratoire suite à la promotion du processus EMT, caractérise les régions hypoxiques 55,262,269. En entravant la phosphorylation oxydative et d’autres réactions métaboliques nécessitant de l’oxygène, l’hypoxie perturbe l’équilibre d’oxydo-réduction et affecte la signalisation cellulaire et les programmes transcriptionnels 262. Le facteur de transcription HIF-1α, stabilisé dans les cellules retrouvées au niveau de régions hypoxiques,

favorise un métabolisme glycolytique en augmentant l’expression des transporteurs de glucose et enzymes métaboliques. Les zones oxygénées sont quant-à-elles caractérisées par un métabolisme mitochondrial 55. Il est intéressant de noter qu’en conditions hypoxiques, les lipides sériques sont essentiels à la survie des cellules tumorales en empêchant leur apoptose due à un stress réticulaire 295. Les cellules hypoxiques peuvent également importer des acides gras insaturés du micro-environnement, sous forme de lysophospholipides à chaîne unique acylée, pour supplémenter la privation de certains acides gras 296.

Figure 14: Voies métaboliques des cellules cancéreuses selon les conditions environnementales.

La proximité du système vasculaire régule l’accessibilité des cellules malignes aux nutriments. Les cellules se situant à proximité utilisent ces nutriments et l’oxygène pour alimenter les voies anaboliques favorisant la prolifération tumorale. A l’inverse, les cellules plus éloignées des vaisseaux ont une accessibilité aux nutriments réduite et s’engagent ainsi dans des voies alternatives métaboliques telles que la β-oxydation des acides gras, l’oxydation des acides aminés branchés (BCAA), ainsi que la dégradation macromoléculaire par autophagie et macropinocytose pour soutenir la viabilité cellulaire (inspiré de Debardinis et al., 2016 297).

D’autre part, l’hétérogénéité métabolique au sein d’une tumeur contribue à son développement en favorisant la coopération des cellules malignes avec les cellules

environnantes, cancéreuses ou stromales. On parle de symbiose cellulaire. Les cellules cancéreuses des régions oxygénées captent le lactate relargué par les cellules transformées glycolytiques environnantes et le transforment en pyruvate, métabolite utilisé pour la production d’ATP par le mécanisme de phosphorylation oxydative mitochondriale 294.

Les cellules du stroma tumoral fournissent également des substrats carbonés aux cellules cancéreuses 298. Dans certains contextes, les cellules transformées sécrètent de l’IL-6 et du TGF-β dans le milieu, ce qui conduit à la transformation des fibroblastes en CAFs glycolytiques, fournissant du lactate aux cellules tumorales proches des vaisseaux sanguins. Cet effet est permis grâce à une expression différentielle des transporteurs de lactate 294,298. Ce métabolite est excrété par les fibroblastes par le transporteur MCT4, puis capté par les cellules cancéreuses à l’aide de MCT1 298. Le lactate est donc considéré comme un substrat énergétique à part entière et non pas uniquement comme un déchet. On parle de « Reverse

Warburg Effect ». En 2015, Tardito et al. ont montré que dans le cas du glioblastome, les

astrocytes environnants fournissent de la glutamine aux cellules cancéreuses en conditions de privation, ce qui permet leur survie ; les cellules de gliome étant dépourvues de glutamine synthase, les astrocytes utilisent le glutamate de l’environnement afin de néosynthétiser de la glutamine 299.

1.2.1.3. Acquisition des nutriments par différents moyens

Malgré l'avidité des cellules tumorales pour le glucose et les acides aminés, ces cellules rencontrent souvent in vivo des conditions de pénurie en nutriments, en raison de l'augmentation des taux de consommation de ces éléments nutritifs ainsi que des insuffisances de l'apport vasculaire tumoral 262,300,301. En l’absence de nutriments disponibles, les cellules malignes utilisent des voies métaboliques adaptées afin de maintenir leur viabilité 262.

Le plasma et le fluide interstitiel sont des tissus riches en proteines solubles. En conditions physiologiques, ces protéines extracellulaires ne sont pas utilisées comme sources d’acides aminés. En revanche, les mutations acquises par les cellules tumorales, telles que RAS et c-SRC, permettent leur utilisation. Contrairement à l'absorption de nutriments de faible poids moléculaire qui entrent dans la cellule par des transporteurs dédiés, la capture de macromolécules extracellulaires est possible par macro-pinocytose, processus lors duquel le liquide extracellulaire est absorbé par des vésicules géantes. Ces vésicules fusionnent avec des lysosomes à l’intérieur de la cellules et les protéines solubles sont soumises à une dégradation protéolytique, libérant ainsi des acides aminés libres 262,300. Ceux-ci peuvent également être obtenus suite à l’absorption et la digestion de cellules vivantes entières par entose (cannibalisme cellulaire), ou par phagocytose de corps apoptotiques des cellules environnantes. Les cellules digérées fusionnent également avec

des lysosomes et libèrent des acides aminés nécessaires à la survie et la prolifération des cellules transformées, notamment en conditions de pénurie nutritive 262,300.

En outre, lors de longues périodes de privation en nutriments ou facteurs de croissance, les cellules tumorales activent le processus auto-catabolique de macro-autophagie. Ce processus permet de récupérer des substrats importants pour la synthèse de macromolécules et le fonctionnement cellulaire, après dégradation d’organites. En condition normale, seuls les organites endommagés ou les protéines aberrantes sont recyclées. Toutefois, les cellules cancéreuses utilisent ce mécanisme comme une adaptation métabolique aux conditions de stress 55. Les macromolécules intracellulaires et organites entiers sont enveloppés par des structures à double membrane qui fusionnent avec les lysosomes, puis subissent une dégradation protéolytique afin de libérer les acides aminés et acides gras libres. Par exemple, les cellules HeLa activent la voie PI3K/AKT qui induit l’autophagie et favorise la survie cellulaire vis-à-vis des différents stress, dont la privation en nutriments 302. Par exemple, ce processus permet l’apport en glutamine dans le cas du cancer du poumon 303.

Les cellules tumorales utilisent donc des modes d'acquisition de nutriments opportunistes, engendrant leur survie et prolifération malgré des conditions environnementales métaboliquement défavorables. Ces adaptations impliquent une capacité à accéder à des sources de nutriments normalement inaccessibles, et récupérer des molécules pré-maturées lorsque leur synthèse dans la cellule est compromise. Pour conclure, les interactions réciproques entre les cellules cancéreuses et leur micro-environnement imposent une pression sélective qui modifie davantage le métabolisme des cellules malignes et contribue activement à l'émergence d'un état plus agressif 262. Enfin, des études préliminaires suggèrent que les métabolites produits par le microbiote, “organe oublié” de l’organisme, contribuent à l’initiation et à la progression d’une tumeur 301.