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3.3 Rapports sémantiques entre le nom et l’adjectif

3.3.2 Adjectifs de «relation»

Les questions sur les adjectifs dénominaux, qui sont définis par leurs propriétés mor- phologiques, ont été souvent reliées aux problèmes concernant les adjectifs relationnels, délimités sémantico-syntaxiquement, et en particulier à des tentatives de décrire leur va- leur sémantique (Bartning, 1980, Bosredon, 1988, Mélis-Puchulu, 1991, McNally et Boleda, 2004, Nowakowska, 2004, Roché, 2006, Fradin, 2007, 2008, 2009b, Bisetto, 2010).

Plusieurs auteurs ont montré (Mélis-Puchulu, 1991, Goes, 1999, Fradin, 2008, Rainer, 2013) que les adjectifs relationnels, définis par des propriétés distributionnelles, ne consti- tuent pas une classe aux frontières nettes. Nous allons d’abord revoir les propriétés qui sont censées définir les adjectifs relationnels pour illustrer le fait que cette classe dis- tributionnelle n’est pas cohérente et n’apporte pas grand-chose à l’étude des adjectifs dénominaux. Nous nous intéresserons ensuite aux différents rapports qu’un adjectif dé- nominal peut dénoter.

3.3.2.1 Les propriétés distributionnelles

Les adjectifs de «relation» ou relationnels sont traditionnellement définis de ma- nière négative par rapport aux adjectifs qualificatifs. La dichotomie est fondée sur les propriétés distributionnelles de l’adjectif, à savoir en particulier l’antéposition de l’ad- jectif en fonction épithète, la gradabilité de l’adjectif et l’absence de l’emploi attribut. L’absence de ces propriétés considérées comme typiques d’adjectifs avait mené certains à parler d’une classe de «pseudo-adjectifs», terme dû à Postal (1969), qui a été repris par Bartning (1980), ou de «nominal adjectives», terme introduit par Levi (1978).

On peut illustrer les propriétés distributionnelles sur lesquelles est fondée la dicho- tomie entre les adjectifs qualificatifs et les adjectifs relationnels sur les adjectifs court et papal.

L’adjectif court peut être antéposé ou postposé au nom quand il est épithète (42a), il peut être modifié par un adverbe de degré (42b) et est donc gradable et il peut être employé comme attribut (42c). Ces propriétés caractérisent les adjectifs dits qualificatifs qui relèvent de ce que Goes (1999) appelle «adjectifs prototypiques».

(42) a. un court séjour / une jupe courte

c. Notre séjour à Tahiti était court.

Quant à l’adjectif papal, lui, il ne peut pas être antéposé (43a) et il n’est ni gradable (43b) ni prédicatif (43c) et devrait donc appartenir à la classe des adjectifs dits relation- nels7.

(43) a. une voiture papale / *une papale voiture b. *une voiture très papale

c. *La dernière voiture était papale.

On remarquera que court est un lexème simple (44a), tandis que papal est un lexème dérivé à partir d’un nom (44b). Étant donné que la plupart des adjectifs ayant le même comportement que papal sont des adjectif dénominaux, le caractère dénominal est sou- vent compté parmi les propriétés des adjectifs relationnels.

(44) a. court

b. pape → papal

Les adjectifs relationnels sont également considérés comme équivalents à un syn- tagme prépositionnel (Bosredon, 1988, Bartning et Noailly, 1993, Noailly, 1999, Nowakowska, 2004), le plus souvent introduit par la préposition de (57), qui est dite «sémantiquement vide». Pour cette raison, la sémantique des adjectifs relationnels est également considé- rée par certains comme identique à la sémantique du nom base.

(45) a. la voiture papale b. la voiture du pape

Nous proposons de séparer la question de l’équivalence entre adjectif et nom des autres propriétés distributionnelles et de discuter d’abord uniquement de ces dernières. On reviendra à la question de l’équivalence de l’adjectif avec le nom base en 3.3.3 et de celle de l’adjectif avec un syntagme prépositionnel en 3.4.

Les critiques de cette dichotomie sont nombreuses (Bosredon, 1988, Mélis-Puchulu, 1991, Goes, 1999, McNally et Boleda, 2004) et peuvent être résumées en trois points :

Premièrement, une forme peut avoir les deux emplois, comme pour musical (46), cité par Fradin (2008, p. 75), romanesqe (47), cité par Nowakowska (2004), ou tropical (48), le fameux exemple de Bally (1944). Ces oscillations d’un type à l’autre, qui sont dues essentiellement au nom recteur, sont assez fréquentes8, et ont mené certains à ne

7. On retrouve parfois d’autres propriétés, telles que la coordination avec un adjectif qualificatif (*une voiture rouge et papale) ou l’ordre strict entre un adjectif relationnel et un adjectif qualificatif par rapport au nom modifié (une voiture papale rouge / *une voiture rouge papale), mais ces propriétés impliquent la distinction entre les deux classes et sont donc moins appropriées pour ce qui est de distinguer les deux classes de manière indépendante.

8. Bartning et Noailly (1993) notent les différentes acceptions relationnelles et qualificatives de cer- tains adjectifs (populaire, civil, enfantin, maternel, sympathiqe) et leur évolution dans le temps. Elles considèrent que cette situation résulte d’une polysémie riche et l’appellent une « fluctuation».

pas considérer ces types comme des classes lexicales, mais plutôt comme des classes d’emploi.

(46) a. une notation musicale b. Le son de sa voix est musical (47) a. production romanesque

b. esprit romanesque (48) a. végétation tropicale

b. chaleur tropicale

Deuxièmement, les caractéristiques distributionnelles des deux types ne sont pas ab- solues. Par exemple, l’emploi prédicatif d’un adjectif dit relationnel est parfaitement pos- sible moyennant certaines conditions. McNally et Boleda (2004) ont montré que si le nom recteur désigne une espèce, l’adjectif peut être employé comme attribut. Elles défendent à ce titre l’hypothèse que les adjectifs dit relationnels sont des adjectifs comme les autres, à savoir intersectifs, et que, par leur caractère dénominal, ils peuvent avoir seulement des propriétés en plus. En ce qui concerne la place de l’adjectif, en français, elle est ten- dancielle et non pas catégorique (Thuilier, 2012). Les adjectifs relationnels étant dérivés de noms, ils sont comparativement plus longs et à ce titre plus souvent postposés. Sui- vant Thuilier (2012, p. 150), les adjectifs construits, toute catégorie comprise, favorisent la postposition (93.7% des occurrences), contrairement aux adjectifs simples, qui sont plus souvent antéposés (50.7% des occurrences).

Troisièmement, les propriétés se combinent de diverses manières et donnent lieu à beaucoup plus de classes que les deux mentionnées traditionnellement dans la littérature. Fradin (2008, p. 73) compare plusieurs adjectifs en fonction de leurs caractéristiques dans le tableau présenté ici en 3.18.

cadet présidentiel borgne mensuel pansu courageux

Attr. – – + + + +

A N – – – – – +

N A + + + + + +

Grad. – – – – – +

Dénom. – + - + + +

Tab. 3.18 – Sous-classes d’adjectifs délimitées par Fradin (2008)

Si on regarde du côté des propriétés, on observe que par exemple l’adjectif cadet a les mêmes propriétés distributionnelles que l’adjectif présidentiel qui est considéré d’habitude comme exemple type d’un adjectif relationnel. La seule différence concerne le caractère dénominal de l’adjectif. En revanche, courageux, qui est un adjectif dénomi- nal, a toutes les propriétés d’un adjectif qualificatif. Enfin, les adjectifs mensuel et pansu

sont dénominaux, ils sont prédicables, mais ils ne sont pas gradables. À quelle classe les attribuer ? On peut se rapporter également à Goes (1999, p. 239-260) pour une descrip- tion détaillée des différentes combinaisons de propriétés distributionnelles au sein de la classe des adjectifs dénominaux.

En conclusion, on peut dire que les adjectifs de relation sont loin de constituer une classe homogène ou une catégorie à part. La distinction traditionnelle entre adjectifs qualificatifs et adjectifs relationnels semble peu opératoire pour l’étude des adjectifs dé- nominaux. De plus, les dénominations mêmes de ces classes prêtent à confusion. Le terme «relationnel», qui est attribué à une classe délimitée par des propriétés distribu- tionnelles, renvoie à la relation instaurée entre le sens du nom base et le sens du nom recteur. Or, par définition, tout adjectif dénominal met en jeu le sens de son nom base, tout comme toute autre construction morphologique qui met en jeu le sens de sa base, qu’il s’agisse d’un adjectif dont le sens peut être paraphrasé par ‘qui concerne le Nb’ ou que l’adjectif corresponde à la paraphrase ‘qui a beaucoup de N’. Il est donc difficile de désigner par «relationnel» uniquement une partie des adjectifs dénominaux.