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Adaptation du modèle d’étude in vitro et conception des pansements biologiques

Chapitre 1 Introduction générale

4.1 Adaptation du modèle d’étude in vitro et conception des pansements biologiques

4.1.1 Modèle d’étude de la guérison des plaies in vitro

La présente recherche a permis de mettre au point un modèle de guérison des plaies adapté à l’étude de pansements biologiques. Ce modèle conçu à partir des travaux réalisés par l’équipe de Dre Véronique Moulin au LOEX (Laplante et al., 2001) a permis de mesurer le phénomène de réépithélialisation en présence de pansements dans un environnement in vitro. Les peaux conçues par auto-assemblage possèdent un épithélium uniformément différencié et permettent de créer des plaies circulaires aux marges bien définies assurant une standardisation de l’aire à réépithélialiser (Fig 3.1).

Plusieurs défis techniques ont rendu difficile la conception de ce modèle adapté et demeurent des considérations importantes pour son utilisation future dans l’évaluation de pansements biologiques ou d’autres technologies. D’abord, l’étude pilote montre clairement que la cohésion inattendue entre les pansements et les plaies peut altérer de manière considérable le processus de réépithélialisation. Toutes les plaies de cette étude n’ont d’ailleurs pu reformer en entier leur épiderme malgré un temps de culture suffisant (Fig 3.3). Cette cohésion s’explique principalement par la présence d’acide ascorbique dans le milieu dans lequel les plaies ont été cultivées. L’acide ascorbique est un cofacteur important de la formation de la matrice extracellulaire et constitue la pierre angulaire de l’auto-assemblage (L'Heureux et al., 1998). Les pansements, eux-mêmes constitués de cellules mésenchymateuses capables de produire de la matrice extracellulaire rappelons-le, ont été stimulés autant que les cellules des plaies à renouveler et à produire davantage de matrice, entrainant ainsi de la cohésion. De plus, l’orientation du pansement peut avoir eu une influence sur la formation de cohésion et a possiblement favorisé l’adhésion cellulaire (tel que décrit plus loin).

Il est incertain si la présence d’acide ascorbique a été salutaire dans l’ensemble des études réalisées. La raison de procéder à l’ajout de 50 µg/ml d’acide ascorbique était

toutefois très claire : le feuillet migratoire ajouté au jour 0 de guérison doit adhérer à la plaie afin d’agir comme surface migratoire pour les kératinocytes. Cet ajout permet aussi d’assurer l’intégrité des plaies pendant le processus de guérison de six jours. Le retrait quotidien des pansements pour la prise de photo (Méthode 2) a permis d’empêcher la cohésion avec le feuillet migratoire en plus de favoriser une prise de photos plus fiable et définie de la migration des kératinocytes. Elle a permis de comparer l’effet réel de chaque type de pansement sur la réépithélialisation sans endommager les kératinocytes (Fig 3.5).

Il demeure probable que même en absence d’acide ascorbique ajouté, il y aurait eu un certain degré de cohésion entre le pansement et le fond de la plaie in vitro. La capacité des cellules à produire de la matrice n’est pas complètement dépendante de l’acide ascorbique (Kim et al., 2011). Notons que la cohésion est d’ailleurs loin d’être un phénomène unique aux pansements biologiques et au modèle d’étude actuel. En clinique par exemple, les pansements secs forment de l’adhérence notable au fond d’une plaie en moins de 24 heures! In vivo, l’agrégation plaquettaire et la production rapide de fibrine créent une adhérence en quelques heures seulement (Singer et al., 1999). L’utilisation d’une mince couche d’un lubrifiant entre le pansement et la plaie pourrait être une piste de solution si l’utilisation de pansements biologiques adipeux ou faits de CSTA devient une réalité en clinique. Certains pansements commerciaux contiennent d’ailleurs des lubrifiants à même leur matériel synthétique (Adaptic® ou Mepitel®) afin de réduire la cohésion (Terrill et al., 2000). Il faudrait toutefois s’assurer de la perméabilité d’une telle substance aux molécules produites par le pansement afin de ne pas nuire à son effet.

Tel que décrit plus tôt, l’objectif principal d’ajouter de l’acide ascorbique était de favoriser l’adhésion du feuillet migratoire à la plaie pour permettre la migration des kératinocytes. La forte cohésion entre le pansement et la plaie a été un problème pour l’étude de la réépithélialisation. Ironiquement, la principale faiblesse du modèle actuel est un manque de cohésion, puisque l’adhésion du feuillet migratoire avec la plaie ne se produit pas toujours comme souhaité. En effet, lors de la deuxième étude, toutes les plaies qui étaient prévues pour l’évaluation des pansements de CSTA n’ont pu être utilisées à cause d’une cohésion incomplète ou nulle du feuillet migratoire à la plaie, tel que le suggère la Figure 3.14. La présence d’un espace entre le feuillet migratoire et la peau lésée

semble avoir empêché la migration normale des kératinocytes vers le centre de la plaie. La réépithélialisation n’a donc pas débuté de façon uniforme et il a été impossible d’extraire la moindre donnée de ce groupe. Ce déficit de cohésion du feuillet migratoire a également provoqué l’échec de l’ensemble de la troisième étude puisqu’aucune des plaies n’a été en mesure de débuter la réépithélialisation. Ce problème ne s’était pourtant pas produit lors de l’étude pilote ni à la première étude. Durant celles-ci, tous les montages ont pu être utilisés.

Les conditions expérimentales ont pourtant peu ou pas changé entre les différentes études réalisées; il est donc difficile d’expliquer avec certitude ce qui aurait pu nuire ou améliorer la cohésion du feuillet migratoire d’une étude à l’autre. L’un des seuls changements importants réalisés entre la première et la deuxième étude est le nombre de feuillets contenus dans chaque pansement. En effet, tel que décrit au Chapitre 3, afin de maximiser l’effet possible des pansements biologiques, les pansements ont été conçus à partir de trois feuillets cellulaires plutôt que deux lors de la deuxième et la troisième étude. Ce changement a certainement augmenté le poids de chaque pansement et ceci pourrait avoir empêché la cohésion des feuillets migratoires.

Le jour du montage, le feuillet migratoire est placé sous la plaie et le pansement est ajouté par-dessus. Le montage est ensuite placé sur une petite table trouée en plastique assurant que la plaie soit à la fois en contact avec le milieu de culture et l’interface air- liquide. Cette table bien conçue offre toutefois un soutien limité au feuillet migratoire qui, sous le poids d’un pansement plus pesant, pourrait s’être décollé suffisamment de la surface inférieure de la plaie pour empêcher sa cohésion avec le derme reconstruit. Puisque les populations cellulaires ayant servi à la fabrication des plaies et des pansements sont demeurées les mêmes, que les temps de culture sont demeurés constants d’une étude à l’autre et que les milieux de culture de la deuxième et de la troisième étude étaient les mêmes que lors de la première, il y a peu de place pour une explication biochimique à ce déficit de cohésion.

Une solution envisageable à ce problème serait l’inversion du feuillet migratoire avant de l’apposer sous la plaie. Lors de la culture des feuillets en plaque, les cellules ensemencées adhèrent au plastique et se multiplient. Elles produisent également de la matrice extracellulaire, stimulées par la présence d’acide ascorbique. Cette production

s’effectue surtout par-dessus les cellules, et non entre les cellules et la surface de plastique à laquelle ils adhèrent (Fradette, J., observations personnelles). Ceci fait en sorte que les cellules d’un feuillet se retrouvent davantage dans la partie inférieure du feuillet et la matrice dans la partie supérieure. Si l’on plaçait la surface « riche en cellules » plus près de la base du derme reconstruit où se trouve la plaie, peut-être que les molécules d’adhésion telles que les intégrines disponibles à la surface de la membrane cellulaire serait plus promptes à se lier. Cette explication a d’ailleurs justifié l’inversion du pansement au moment de l’appliquer à la plaie afin de réduire sa cohésion, telle que réalisée à la suite de l’étude pilote. Ce changement simple à exécuter au moment de l’application du feuillet migratoire mériterait d’être tenté lors d’études in vitro futures.

Malgré cette faiblesse importante du modèle in vitro, il présente plusieurs avantages notables, dont le principal est le contrôle précis des variables à l’étude. En effet, le modèle permet entre autres d’utiliser un échantillon de plaies ayant des propriétés biologiques similaires puisqu’elles sont toutes produites à partir des mêmes populations cellulaires. Certes, les pansements devront un jour être évalués sur des échantillons moins homogènes afin de prouver leur efficacité à plus grande échelle, mais le contrôle optimal des variabilités interpersonnelles que pourrait entrainer l’utilisation de populations provenant de multiples donneurs pour créer les plaies permet de réduire les biais possibles et renforce les conclusions tirées.

Le modèle permet également de vérifier précisément l’effet des pansements sur la réépithélialisation. Contrairement à un modèle animal où une guérison plus rapide de l’épiderme pourrait être médiée par plusieurs mécanismes à la fois, les plaies in vitro conçues par auto-assemblage permettent d’isoler l’action de réépithélialisation. Cette force du modèle est toutefois à double tranchant dans la recherche actuelle puisque l’hypothèse de travail et la littérature proposent que les CSTA et le tissu adipeux pourraient être bénéfiques à la guérison de manière substantielle par leurs effets sur l’angiogenèse. Cet aspect de la guérison n’est pas évalué étant donné l’absence de cellules endothéliales dans le modèle. Il est quand même possible d’évaluer l’effet direct des molécules proangiogéniques sur la réépithélialisation, puisque cet effet a déjà été décrit (Man et al., 2006).

4.1.2 Conception des pansements biologiques

Ce projet de recherche a également permis de concevoir et de tester des pansements biologiques conçus à partir de cellules souches extraites du tissu adipeux par la méthode d’auto-assemblage. Les méthodes de culture bien établies de l’équipe de Dre Fradette ont permis de créer des feuillets cellulaires de CSTA et de tissu adipeux facilement manipulables et robustes (Fig 3.2) (Vermette et al., 2007).

Le temps de production des pansements demeure une considération importante afin de faciliter la translation de cette technologie vers une utilisation clinique pratique. Actuellement, 35 jours sont nécessaires à la création des pansements adipeux ou de CSTA. Les feuillets nécessitent une culture en présence d’acide ascorbique de 28 jours avant d’être empilés et mis en culture pour sept jours supplémentaires. Ce temps de culture pourrait être réduit grandement par l’utilisation d’un système de culture dynamique. Tel que décrit par Marceau-Fortier, le temps de culture des feuillets de CSTA lorsqu’exposés à des conditions dynamiques peut être réduit de moitié (de 28 à 14 jours) et tout de même permettre de produire des feuillets manipulables (Fortier et al., 2011). Le temps de production total d’un pansement de CSTA qui utiliserait cette technique serait alors de 21 jours plutôt que 35, ce qui constituerait une nette amélioration. D’autres optimisations telles que l’ajustement des densités d’ensemencement cellulaires sont actuellement en cours dans le laboratoire afin de réduire le temps de production des pansements.

Une autre alternative future serait l’ajout de kératinocytes à la surface des pansements, tel qu’utilisé dans la majorité des recouvrements actuellement disponibles sur le marché. La présence de kératinocytes pourrait conférer une protection accrue tout en contribuant à la sécrétion de molécules bioactives (Rochon et al., 2010). Le traitement se rapprocherait alors d’une greffe autologue. Il serait intéressant de vérifier si ce type de recouvrement, qui est plus long à produire, procurerait un avantage substantiel par rapport à la conception actuelle des pansements.