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Évaluation de l’efficacité des pansements biologiques

Chapitre 1 Introduction générale

4.2 Évaluation de l’efficacité des pansements biologiques

Plusieurs études ont été réalisées dans le présent projet afin de vérifier l’effet des pansements biologiques faits de CSTA ou de tissu adipeux. La vérification de l’hypothèse de travail par l’évaluation de la réépithélialisation et par la quantification des molécules bioactives sécrétées selon le type de pansement utilisé a été le fil conducteur tel que décrit au cours du Chapitre 3. Différentes méthodes ont été utilisées afin de vérifier l’efficacité, dont la comparaison à des pansements de fibroblastes au cours de la deuxième étude. Ce type cellulaire a servi de comparatif puisque les pansements biologiques actuellement disponibles sur le marché sont constitués de fibroblastes. Il s’agit d’ailleurs du contrôle se rapprochant le plus de l’utilisation actuelle de thérapies cellulaires selon plusieurs auteurs (Steinberg et al., 2012, Nie et al., 2011).

C’est la deuxième étude présentée ici qui constitue la meilleure évaluation de l’efficacité des pansements sur la réépithélialisation. Quoique incomplète par rapport au devis expérimental prévu initialement (le groupe évaluant les pansements de CSTA a été perdu), cette étude a permis de comparer les pansements adipeux à des pansements de fibroblastes de même qu’à des plaies sans pansement. Un groupe expérimental additionnel dans lequel les pansements adipeux étaient changés en cours de guérison a également permis de vérifier s’ils subissaient une dégradation et possiblement une perte d’efficacité dans le temps. Ce changement de pansement a été appliqué seulement aux pansements adipeux tel qu’expliqué au Chapitre 3 (section 3.2), ce qui limite la portée des conclusions qui peuvent en être tirées.

Les pansements adipeux et les pansements de fibroblastes maintenus en place pendant les six jours de guérison semblent avoir eu un effet comparable sur le phénomène de réépithélialisation puisqu’aucun écart significatif n’a été détecté (Fig 3.8). Il n’y a que les pansements adipeux changés en cours de guérison qui sont parvenus à accélérer la vitesse de fermeture des plaies de manière significative par rapport à ces deux derniers, de l’ordre de 10% d’aire recouverte supplémentaire après quatre jours de guérison. Cet écart modeste numériquement est toutefois une constatation intéressante dans le contexte d’étude actuel.

D’abord, il est important de reconnaitre les limites du modèle à exposer les écarts. Premièrement, la petite taille de la plaie et le court temps de guérison nécessaire à sa fermeture rendent la mise en évidence de différences numériques ardue. Un effet important du pansement est nécessaire pour être en mesure de montrer un écart statistique en peu de temps comparativement à des modèles d’étude où les plaies chroniques produites tardent à guérir. En effet, au moment où les courbes graphiques se distinguent et se séparent les unes des autres, le centre de la plaie est pratiquement atteint (Fig 3.8). Dans la plupart des études de guérison in vivo de plaies chroniques disponibles dans la littérature, le délai pour l’atteinte d’une guérison complète, même dans un modèle non pathologique, se situe entre 10 et 21 jours. Un tel délai entre le début de l’intervention et la fermeture de la plaie facilite la mise en évidence d’un effet même minime puisqu’un faible avantage appliqué quotidiennement à la vitesse de réépithélialisation s’accumule au fil des jours et devient notable. Le délai de guérison alloué est donc un facteur déterminant pour permettre la mise en évidence de différences qui existent réellement. L’agrandissement de la taille des plaies

in vitro à 10 ou 12 mm de diamètre pourrait être envisagé.

Deuxièmement, le milieu de culture utilisé après la création des plaies est relativement riche en facteurs de croissance et en éléments nutritifs. Malgré que la quantité de sérum bovin qu’il contient ait été limitée à 2%, ce milieu de culture « pour kératinocytes » contenant des additifs tels que de l’insuline et de l’hydrocortisone est optimal à la croissance de ceux-ci. Il est possible que les molécules bioactives produites par les pansements aient eu un impact limité dans ce contexte puisque les kératinocytes étaient déjà dans un environnement favorable à leur croissance. Il est difficile de déterminer avec certitude la quantité minimale de sérum avec laquelle il est possible de maintenir des conditions de croissance acceptables tout en permettant l’expression des effets biologiques des pansements. Une réduction de la quantité de sérum bovin à 1% ou même à 0,5% pourrait être une alternative dans des expérimentations de guérison des plaies in vitro futures. Une autre alternative pourrait être l’utilisation d’un milieu de culture défini avec lequel un contrôle des variables est facilité.

Les conditions de culture favorables dans lesquelles évoluent les plaies de tous les groupes favorisent donc la guérison sans intervention. Il devient alors encore plus difficile

de montrer un effet des pansements dans ce contexte. Les plaies sans pansement se sont d’ailleurs refermées à une vitesse comparable aux plaies pour lesquelles le pansement adipeux a été changé tous les deux jours. Si le milieu de culture utilisé dans le modèle in

vitro n’avait pas été suffisamment riche en facteurs de croissance et en éléments nutritifs,

les plaies sans pansement ne se seraient pas refermées aussi rapidement. De plus, tel que mentionné dans le Chapitre 3, la force mécanique qu’exerce probablement le pansement sur les kératinocytes en migration donne une longueur d’avance aux plaies sans recouvrement. Il est donc compréhensible que ces plaies ont connu une progression avantageuse dans la deuxième étude et cette observation supporte l’explication selon laquelle le modèle rend la mise en évidence d’écarts statistiques difficiles. Notons également que l’absence de pansement n’est pas souvent une option en clinique puisqu’un recouvrement est nécessaire pour protéger la plaie contre le frottement et l’infection. Les plaies sans pansement constituent donc un comparatif intéressant dans le projet actuel, mais il ne reflète pas exactement la réalité clinique.

Le but de cet argumentaire est de remettre en contexte les résultats obtenus et non de discréditer le modèle. Tel que décrit plus tôt, le modèle in vitro adapté permet d’évaluer de manière isolée le phénomène de réépithélialisation et présente la force majeure d’offrir des conditions d’étude similaires pour chaque plaie. Le fait que des différences entre les pansements adipeux maintenus en place pendant six jours et ceux changés tous les deux jours aient pu être mises en évidence mérite donc une attention particulière. De plus, le fait que les pansements adipeux se soient comportés de manière similaire aux pansements de fibroblastes confirme l’intérêt de ces cellules. Elles pourraient devenir une alternative ou un complément intéressant dans la conception et la production de pansements biologiques. Les CSTA et par extension le tissu adipeux constituent, rappelons-le, une source accessible et abondante de cellules pouvant servir de matériel de construction pour des pansements. Le projet actuel confirme ainsi la pertinence d’évaluer le potentiel du tissu adipeux pour le traitement des plaies. Le potentiel des CSTA seules, quoique bien décrit dans la littérature comme étant favorable à la guérison des plaies sous forme d’injection ou en application locale (Cherubino et al., 2011), devra être exploré davantage sous forme de pansement avant de pouvoir conclure.

L’altération possible des pansements au fil du temps est un élément important à considérer dans l’utilisation des pansements biologiques faits de tissu adipeux, mais aussi dans l’utilisation de pansements biologiques en général. Il est très probable que l’exposition à l’air rende les pansements moins efficaces au fil du temps, comme en témoigne l’avantage qu’ont eu les plaies où le pansement adipeux a été changé tous les deux jours. L’analyse histologique des pansements adipeux supporte cette hypothèse. En effet, les pansements adipeux maintenus en place durant six jours semblent avoir perdu une part importante de leur volume (Fig 3.13).Implicitement, cette perte de volume pourrait se traduire par une baisse d’efficacité de ces pansements. La protection du contact direct avec l’air est donc un déterminant important dans l’amélioration de la durée de vie et de l’efficacité des pansements. Il serait également pertinent de procéder à des tests de viabilité cellulaire sur les pansements par une technique d’identification des cellules mortes par fluorescence. Ceci permettrait de vérifier la survie globale des cellules selon le temps d’utilisation.

Afin de protéger les pansements, l’application d’une pellicule plastifiée de type Tegaderm® pourrait être bénéfique. Appliquée sur le dos d’un animal par exemple, elle servirait à la fois à maintenir le pansement en place et à le protéger de l’air ambiant. Une autre méthode qui pourrait être efficace serait l’ajout de kératinocytes à la surface externe du pansement. Une telle mesure complexifierait la production des pansements en y ajoutant une étape supplémentaire, mais pourrait en même temps offrir un pouvoir sécrétoire additionnel puisque les kératinocytes produisent des facteurs de croissance favorables à la réépithélialisation (Martin, 1997, Stadelmann et al., 1998). Cette avenue a déjà été explorée lors de travaux précédents au laboratoire et mérite d’être réenvisagée.

La quantification des molécules bioactives produites par les pansements a été une étape importante de ce projet. L’étude pilote, en plus de permettre de vérifier la faisabilité du projet et d’optimiser la méthode d’évaluation, a permis de vérifier pour une première fois le potentiel sécrétoire des pansements au moment précédant leur mise en place sur les plaies. La Figure 3.4 rapporte que la leptine, tel qu’attendu, est quasi exclusivement produite par les pansements adipeux (46,6 ± 6,7 ng/mL comparativement à 1,9 ± 0,4 et 1,5 ± 0,3 ng/mL par les pansements de fibroblastes ou de CSTA respectivement). Ce résultat

corrobore la littérature à l’effet que la production de leptine est une fonction spécialisée des adipocytes (Friedman et al., 1998) et concorde avec les résultats précédemment obtenus au sein de l’équipe. Une production plus abondante d’angiopoïétine-1 par les pansements adipeux est également observée telle que précédemment décrite (Dallabrida et al., 2003). Elle est deux fois plus abondante dans les surnageants des pansements adipeux que dans ceux de fibroblastes ou de CSTA. Le VEGF est quant à lui produit davantage par les pansements de CSTA que par les pansements adipeux. Il est également intéressant de constater que les pansements adipeux et les pansements de fibroblastes ont produit une quantité comparable de VEGF.

Dans les études subséquentes (première et deuxième étude), les différences quantitatives notées dans les sécrétions des pansements se sont maintenues. La Figure 3.7 qui compare des pansements doubles de CSTA à des pansements adipeux lors de la première étude confirme les tendances observées à l’étude pilote. La deuxième étude évaluant des pansements triples montre également (Fig 3.9) les mêmes tendances, quoique l’ampleur des valeurs quantitatives diverge. Notons que les dosages protéiques de cette étude ont été faits dans des conditions différentes puisque le milieu prélevé était du milieu adipogénique plutôt que du milieu sans sérum et sans phénol comme dans les deux analyses précédentes. Tous les pansements ont été conservés dans ce milieu pendant 48 heures, mais seulement les pansements adipeux y avaient été préalablement exposés. Cette étape a donc possiblement surestimé la détection dans les surnageants des pansements de fibroblastes et de CSTA, pour la leptine tout au moins.

Des résultats précédemment obtenus par l’équipe tendaient à montrer que les tissus contenant des adipocytes produisaient une quantité significativement plus élevée de VEGF que les CSTA, observation qui diffère dans l’analyse actuelle. Cette divergence notable s’explique probablement par l’utilisation de milieux de culture différents au cours de ces deux analyses. En effet, le milieu de culture à base d’EGM2 utilisé précédemment par l’équipe pourrait avoir favorisé une production plus importante de VEGF par les adipocytes que le milieu adipogénique actuel. Dans une moindre mesure, le moment choisi pour induire la différenciation adipocytaire pourrait aussi avoir modifié la production de VEGF. L’induction était habituellement effectuée au septième jour de culture tandis qu’elle est

réalisée au dixième jour dans la conception actuelle des pansements. Cette induction plus tardive pourrait avoir réduit le nombre d’adipocytes retrouvés dans les feuillets cellulaires produits et ainsi avoir affecté à la baisse la production de VEGF. De plus, des différences dans les populations cellulaires utilisées pourraient expliquer en partie la variation de détection du VEGF.

Il serait également pertinent de procéder à la détection quantitative de molécules autres que la leptine, le VEGF et l’angiopoïétine-1. Le PDGF serait une molécule d’intérêt puisque son effet favorable à la guérison des plaies, plus précisément sur la croissance de l’épithélium, est bien décrite (Singer et al., 1999). Cette molécule serait retrouvée en quantité appréciable dans le tissu adipeux (Pallua et al., 2009). Le PAI-1, une molécule produite par les CSTA ainsi que les adipocytes (Bastelica et al., 2002, Crandall et al., 2000), est reconnue comme étant entre autres impliquée dans l’angiogenèse et serait également une cible pertinente.

L’effet des différents pansements a finalement été qualifié par des analyses histologiques et immunohistochimiques. Des coupes transversales de plaies complètes colorées au trichrome de Masson ont permis de constater que la migration des kératinocytes se déroule de manière organisée, peu importe le type de pansement utilisé (Fig 3.11). Les fronts de migration des plaies recouvertes d’un pansement ont d'ailleurs une apparence comparable à ceux d’une plaie sans pansement. De plus, les analyses immunohistochimiques de marqueurs spécifiques suggèrent que la différenciation des kératinocytes (K10), la formation d’une jonction dermo-épidermique (Collagène de type IV) et la présence de cellules prolifératives de l’épiderme (Ki-67) sont qualitativement comparables en présence ou non d’un pansement (Fig 3.12). Un décompte des cellules exprimant Ki-67 pourrait permettre de comparer quantitativement l’expression selon le type de pansement utilisé et ainsi valider l’observation qualitative.

Ces résultats confirment que la présence d’un pansement sur une plaie n’est pas nuisible à la réépithélialisation lorsque la cohésion du pansement avec le feuillet migratoire est prévenue. La pression exercée sur les kératinocytes par le pansement aurait pu favoriser la formation de langues de migration plus minces ou nuire à l’organisation et la différenciation d’un nouvel épiderme, ce qui n’est pas le cas dans les analyses effectuées.

Les coupes histologiques indiquent que les kératinocytes ont été en mesure de migrer et de former un nouvel épiderme possédant les caractéristiques morphologiques d’une peau normale malgré cette pression. De même, les marqueurs immunohistochimiques supportent cette affirmation puisque leur localisation et leur organisation se comparent à celle d’une peau humaine normale.