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1. Appartenance au domaine public

L’appartenance au domaine public selon l’art. 2 let. a LPM joue un rôle central pour les marques non traditionnelles. Dans son arrêt «Smar-ties/M&M’s» de 2004, le Tribunal fédéral a précisé cette notion: les si-gnes qui relèvent du domaine public se caractérisent par le fait qu’ils sont a priori dépourvus de caractère distinctif ou assujettis au besoin de libre disposition25. Cette distinction du domaine public en deux composantes est importante, car l’examen s’effectue selon des critères différents. Le besoin de laisser un signe à la libre disposition du marché s’apprécie au regard des intérêts des concurrents. Pour examiner l’existence du carac-tère distinctif, il faut en revanche se fonder sur la compréhension de l’a-cheteur moyen auquel s’adressent les produits ou les services concernés:

celui-ci doit percevoir le signe comme un renvoi à une entreprise détermi-née26. Selon le Tribunal fédéral, les signes nécessaires indispensables à tous les concurrents sont soumis à un besoin de libre disposition absolu;

autrement dit, ils ne peuvent pas être enregistrés même s’ils se sont impo-sés comme marques en raison de leur utilisation27. S’agissant du caractère distinctif, le Tribunal fédéral a relevé dans plusieurs arrêts que la percep-tion du public visé est en principe différente pour les marques verbales ou figuratives que pour les signes qui se confondent avec l’aspect extérieur des produits. Pour ces derniers, le public n’a en effet pas l’habitude de pré-sumer l’origine commerciale des produits. Par conséquent, leur caractère

25 ATF 131 III 121, c. 4.1, sic! 2005, p. 369Smarties (3D)/M&M’s (3D). Avant cet arrêt, la jurisprudence n’avait pas clairement distingué ces deux notions; lire à cet égard, ERICMEIER, Motifs absolus d’exclusion: La notion du domaine public dans une per-spective comparative, sic! numéro spécial 125 ans de dépôts de marques, 2005, p. 67 ss. L’auteur précise que le but de l’art. 2 let. a LPM est de protéger l’intérêt gé-néral à ce que des droits exclusifs d’utilisation et de disposition sur certains signes ne soient pas octroyés de manière injustifiée. En excluant de la protection les signes re-levant du domaine public, la loi veut éviter leur monopolisation sans limitation dans le temps au profit d’une entreprise qui bénéficierait ainsi d’un avantage commercial sur ses concurrents de nature à fausser la libre concurrence.Voir aussi TAF, arrêt du 13.11.2017, B-7547/2015, c. 6.1.1Bouteille (3D).

26 Lire MEIER,supran. 25, p. 69.

27 ATF 131 III 121, c. 4.1 et 4.4, sic! 2005, p. 369Smarties (3D)/M&M’s (3D).

distinctif est plus difficile à établir. Les critères d’examen sont les mêmes pour tous les types de marques, mais il faut les interpréter et les concré-tiser pour tenir compte des particularités des différents types de marque28. Nous verrons qu’un signe constitué d’une couleur abstraite ou de la forme du produit ou de l’emballage doit se distinguer clairement des couleurs et formes usuelles sur le marché concerné pour être doté de caractère distinctif29.

2. Marque imposée

La jurisprudence a eu l’occasion de s’exprimer plusieurs fois sur les conditions à remplir pour admettre l’enregistrement comme marque im-posée d’une couleur ou de la forme tridimensionnelle du produit ou de l’emballage. Dans deux arrêts de principe, le Tribunal fédéral a relevé que la preuve indirecte (volume d’affaires très important réalisé avec le signe en question, efforts publicitaires intenses) ne permet en principe pas d’établir l’imposition d’un signe qui se confond avec l’aspect exté-rieur du produit. Cette jurisprudence, qui a confirmé la pratique de l’IPI, s’explique par deux raisons. Premièrement, les couleurs et les formes de produits ou d’emballages sont souvent utilisées avec des éléments en deux dimensions distinctifs, qui seront, eux, identifiés par le public visé comme marques. Deuxièmement, les couleurs et les formes de produits ou d’emballages ne sont en règle générale pas perçues comme un renvoi à une entreprise déterminée, même après un usage prolongé, mais comme un renvoi aux caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles du produit.

Pour le Tribunal fédéral, un sondage d’opinion correctement conçu et exécuté (preuve directe) constitue donc le moyen le plus sûr pour élucider la perception d’un tel signe auprès du public visé30. Les indices classiques à déduire du volume d’affaires et de la publicité réalisés avec le signe concerné peuvent être pris en considération lorsque le sondage d’opinion n’a pas été correctement conçu et effectué. C’est ce qu’a fait le TAF dans l’arrêt «Chaise Panton»31. Par contre, la preuve indirecte ne saurait compenser un sondage d’opinion dont les résultats montrent que le signe

28 Lire MATTHIASSTÄDELI/SIMONEBRAUCHBARBIRKHÄUSERin: Lucas David/Markus Frick (éd.), Markenschutzgesetz, Basler Kommentar, Helbing Lichtenhahn, Bâle 2017,adart. 2 LPM, p. 87, N° 10 et la jurisprudence citée.

29 Voirinfra, ch. V. D.2, p. 41 et ch. III.D.2.h), p. 18.

30 ATF 131 III 121, c. 8, sic! 2005, p. 369Smarties (3D)/M&M’s (3D).

31 TAF, arrêt du 3.12.2010, B-5614/2008, c. 4.2, sic! 2010, p. 312Chaise Panton (3D).

Malheureusement, il ne ressort pas de cet arrêt pour quelles raisons les nouveaux

ne s’est pas imposé comme marque auprès d’une part importante du pu-blic visé32.

Les modalités à respecter pour assurer la validité d’un sondage figurent dans les Directives de l’IPI et dans la doctrine33. Le nombre de sondages d’opinion présentés à l’IPI par année peut se compter sur les doigts d’une main. Il n’est dès lors pas étonnant que le TAF n’ait pas eu souvent à se prononcer sur ces questions. Récemment, il a confirmé le point de vue de l’IPI s’agissant des conditions dans lesquelles un sondage d’opinion doit être mené afin de rendre vraisemblable le caractère de marque impo-sée de la forme d’un élément de prothèse rose34. Dans cette affaire, le son-dage a été effectué uniquement auprès de professionnels dans le cadre d’un congrès international d’orthopédie, à Berlin. Pour les juges adminis-tratifs fédéraux, il n’est pas représentatif du cercle des destinataires déter-minants: quand bien même neuf spécialistes suisses ont donné leur avis, le sondage ne permettait pas de renseigner sur la perception du signe sur le marché suisse. De plus, il n’a pas été réalisé dans un environnement neutre.

La jurisprudence s’est également prononcée à quelques reprises sur le taux de reconnaissance nécessaire pour admettre que le signe se soit im-posé comme marque. Dans son arrêt «Smarties/M&M’s», le Tribunal fé-déral a estimé que le caractère de marque imposée est établi lorsque plus de 60% des personnes interrogées reconnaissent d’elles-mêmes l’embal-lage dans la forme neutre qui leur était présentée, ceci nonobstant la ba-nalité du signe concerné (forme cylindrique étroite d’un emballage pour des produits chocolatés)35. Les juges de Mon-Repos n’ont toutefois pas indiqué quel pourcentage minimal de personnes doit attribuer le signe concerné par le sondage à une entreprise déterminée (degré du caractère

moyens de preuve remis par la recourante ont permis d’admettre la vraisemblance de l’imposition; voir la note de EUGENMARBACH, sic! 2010, p. 313.

32 ADRIAN P. WYSS, Die Verkehrsdurchsetzung im schweizerischen Markenrecht, Stämpfli, Berne 2013, p. 242; TAF, arrêt du 1.2.2017, B-5182/2015, c. 6.3.1Élément de prothèse (3D).

33 Directives IPI,supran. 6, Partie 5, ch. 12.3; WYSS,supran. 32, p. 204 ss; MARKUS

KAISER/DAVIDRÜETSCHIin: Michael Noth/Gregor Bühler/Florent Thouvenin (éd.), Markenschutzgesetz Handkommentar, Stämpfli, Berne 2017, ad Beweisrecht, p. 1547 ss, N° 37 ss et la doctrine citée.

34 TAF, arrêt du 1.2.2017, B-5182/2015, c. 6.2.5Élément de prothèse (3D).Voir aussi le sondage mentionné dans l’arrêt du 6.6.2017, B-5183/2015, c. 6.2.2Rose (Pantone 677) (marque de couleur).

35 ATF 131 III 121, c. 7.4, sic! 2005, p. 369Smarties (3D)/M&M’s (3D).

distinctif ). Il ne ressort en outre pas clairement de cet arrêt si ce pourcen-tage dépend du degré de banalité du signe ou de l’importance du besoin de libre disposition. Le TAF n’a pas non plus pris explicitement position sur ces deux questions, qui ne font pas l’unanimité dans la doctrine. Dans un arrêt relatif à la forme des boules «Lindor», il a toutefois estimé en 2007 qu’un pourcentage de 64% (boule rouge) et de 59% (boule bleue) n’était pas suffisant pour admettre que les deux signes tridimensionnels en cause s’étaient imposés comme marques, les formes concernées étant plus banales que l’emballage cylindrique «Smarties»36. Enfin, il n’existe pas de jurisprudence relative aux sondages d’opinion effectués sur Inter-net. Ces sondages, qui sont moins onéreux que les sondages classiques, sont acceptés par l’IPI, pour autant qu’ils respectent des conditions par-ticulières37.

3. Autres motifs absolus d’exclusion

Bien qu’ils jouent un rôle mineur dans la pratique, les motifs mentionnés à l’art. 2 let. c et d LPM peuvent également s’appliquer aux marques non traditionnelles. En effet, une marque non traditionnelle peut posséder, à l’instar d’un mot, un contenu sémantique. Selon la nature de ce contenu, la marque pourra être propre à induire en erreur ou contraire aux bonnes mœurs, à l’ordre public ou au droit en vigueur38.

36 TAF, arrêt du 27.3.2007, B-7418/2006, c. 17Boule Lindor (3D): «Die in BGE 131 III 135 E. 7.4 Smarties gezogene Grenze von 60% genügt im vorliegenden Fall nicht, ist doch der Banalitätsgrad der hinterlegten Formen bedeutend höher als jener der Zy-linderform»; pour une analyse détaillée de ces questions et les différents avis expri-més dans la doctrine, lire WYSS,supran. 32, p. 85 ss.

37 Directives IPI,supran. 6, Partie 5, ch. 12.3.6. Les directives mentionnent notamment qu’il est nécessaire de garantir la représentativité au niveau de la structure d’âge des personnes interrogées. Comme pour un sondage écrit, il faut également s’assurer de la spontanéité des réponses et exclure l’aide de tiers. La personne interrogée ne doit pas pouvoir revenir sur une question antérieure et modifier la réponse donnée.

38 Voirinfra, ch. V.E, p. 42 et ch. VI.F, p. 48.

III. Marques tridimensionnelles