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Les étrangers en situation irrégulière

PREMIÈRE PARTIE MISE EN CONTEXTE

QUI SONT LES IMMIGRANTS ? ETUDE DÉMOGRAPHIQUE

2.4 Les étrangers en situation irrégulière

La nature même de l’immigration clandestine fait qu’il n’existe pas de moyen de chiffrer précisément le nombre de personnes concernées. Les estimations citées dans différents rapports varient entre 15 000 et 50 000379. Cependant, selon une source du ministère de la Justice, le gouvernement estime en règle générale que le nombre d’immigrants en situation irrégulière correspond à environ 10 % du nombre en Grande-Bretagne, qui se situait en 2006, selon les estimations, entre 350 000 et 500 000380. Le chiffre souvent cité pour l’Irlande est donc celui d’environ 50 000381.

Étant donné la géographie du pays, le nombre d’étrangers entrant en Irlande de manière clandestine est probablement assez peu élevé. La majorité des personnes arrivant sans permis ni visa demandent l’asile, rentrant ainsi dans les statistiques officielles, au moins pendant la période de l’examen de leur dossier. Certains demandeurs d’asile disparaissent dès leur arrivée ou au moment où, s’ils ont été déboutés, ils doivent être expulsés, soit en partant pour la Grande-Bretagne, soit en entrant dans la clandestinité en Irlande. Il en est de même pour certains travailleurs étrangers, étudiants ou touristes dont les visas arrivent à échéance et qui ne quittent pas le pays comme convenu.

Aucune donnée statistique concrète n’existe sur ces personnes entrant dans la catégorie de l’immigration irrégulière après une période en situation régulière. Cependant, deux rapports sur les immigrants en situation irrégulière estiment que la grande majorité d’entre eux rentrèrent dans le pays avec des permis de travail et se retrouvèrent ensuite en situation irrégulière pour des raisons hors de leur contrôle : exploitation par une agence de recrutement ou par l’employeur, licenciement, omission de la part de l’employeur de faire une demande de renouvellement de permis pour son employé (le problème le plus courant), retards administratifs ou tout simplement manque d’information sur le système

379

International Organisation for Migration/National Economic and Social Council op.cit., p.20.

380

Shaun Connolly, « Ahern accused of hypocrisy on immigrants », Irish Examiner, 15 avril 2006.

381

À titre d’exemple, un sondage d’opinion, effectué en 2007 par l’institut de sondages RedC cita ce chiffre dans une question sur la politique gouvernementale à l’égard des immigrants en situation irrégulière.

d’immigration382. Dès que ces personnes sont en situation irrégulière, ils n’ont plus accès aux aides sociales ni aux soins, bien que certains d’entre eux aient payé des impôts et des contributions sociales pendant des années. La fédération syndicale ICTU383, l’organisation réunissant la grande majorité des syndicats en Irlande, fait campagne depuis quelques années pour une régularisation des travailleurs en situation irrégulière, qui sont souvent, selon lui, exploités par des employeurs peu scrupuleux et n’osent pas se plaindre auprès des autorités. Ces travailleurs sans papiers « ne peuvent pas sortir de l’ombre et vivre leur vie sans crainte. Une forme de régularisation est inévitable si l’on ne veut pas voir se créer une sous-classe de plus en plus importante de travailleurs en situation irrégulière, susceptibles d’être exploités »384. Le Centre irlandais des droits des immigrants (MRCI)385, soutenu par d’autres ONG telles que le Projet pour les migrants Crosscare386 et par ICTU, lança une campagne en novembre 2007 pour la mise en place d’un visa spécial (Bridging Visa) qui permettrait à tous ceux pouvant démontrer qu’ils furent exploités ou qu’ils se trouvent en situation irrégulière malgré eux de bénéficier d’une période de six mois pour régulariser leur situation et de trouver un autre emploi déclaré387. Le gouvernement au pouvoir entre 1997 et 2008388 fut toujours contre l’idée d’une régularisation en masse des personnes en situation irrégulière, sous prétexte qu’une telle mesure encouragerait l’illégalité et pourrait contribuer à l’immigration clandestine en attirant d’autres personnes qui espèrent voir d’autres mesures similaires dans l’avenir389. Néanmoins, le gouvernement déclara en septembre 2008 qu’il allait mettre en place des mesures pour régulariser au cas par cas les personnes titulaires d’un permis de travail dans le passé et « qui se retrouvent malgré elles en situation irrégulière » 390. Cette déclaration, qui représentait un revirement du gouvernement de l’époque, fut accueillie

382

Migrant Rights Centre Ireland, Life in the Shadows : An Exploration of Irregular Migration in Ireland,

Dublin, MRCI, décembre 2007 ; Crosscare Migrant Project, Invisible Pathways: A Critique of the Irish Immigration System and How It Can Contribute to People Becoming Undocumented, Dublin, CMP, 2009.

383

Irish Congress of Trade Unions, également connu sous le nom Congress.

384

« [Undocumented workers are] without the opportunity to bring their lives out of the shadows and live their lives without fear. Some form of regularisation is unavoidable if a growing underclass of workers in an irregular situation, who are vulnerable to exploitation, is not to be created ». ICTU, A Fair ‘Way In’: Congress Proposals for a Fair Regularisation Process for Undocumented Workers in Ireland, Dublin, ICTU, 2007, p. 1.

385

Migrant Rights Centre Ireland.

386

Crosscare Migrant Project.

387

Voir notamment « MRCI Bridging Visa campaign », sur le site du MRCI sur : www.mrci.ie/policy_work/IrregMigrant_UndocuMigrant.htm (consulté le 10 avril 2009). Voir aussi Martin Wall, « ICTU head calls for fair way to treat illegals », Irish Times, 3 septembre 2007.

388

Le parti Fianna Fáil fut au pouvoir de manière continue entre 1997 et février 2011, soit pendant presque toute la période de notre étude, en coalition avec le parti Progressive Democrats (1997-2002 ; 2002-2007 ; 2007-2008) et le parti des Verts (2007-2008 ; 2008-2011).

389

Ruadhán Mac Cormaic, « Lenihan opposes migrant amnesty », Irish Times, 6 octobre 2007.

390

« [who become undocumented] through no fault of their own ». Carl O’Brien, Martin Wall & Ruadhán Mac Cormaic, « Plan to regularise status of migrant workers », Irish Times, 22 septembre 2008.

positivement par le MRCI qui considérait qu’elle mettrait fin à l’hypocrisie d’un gouvernement qui plaidait depuis de nombreuses années pour la régularisation des Irlandais se trouvant en situation irrégulière aux États-Unis, tout en refusant d’envisager une mesure similaire en Irlande :

Le gouvernement irlandais soutient activement une campagne pour la régularisation des travailleurs irlandais se trouvant sans papiers aux États-Unis. La situation des travailleurs sans-papiers aux États-Unis et en Irlande est pratiquement la même. Il n’y a aucune raison que le gouvernement irlandais ne fasse pas des efforts similaires pour résoudre la situation des sans-papiers ici en Irlande. Faire autrement est une contradiction criante et une hypocrisie391.

Aucune mesure de régularisation n’est envisagée pour ceux qui arrivent en Irlande par le biais des trafics et qui sont dans l’illégalité dès leur arrivée dans le pays. Bien qu’ils représentent très certainement une minorité des personnes en situation irrégulière, certaines organisations, dont l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), constatent qu’il existe effectivement des trafics d’êtres humains vers l’Irlande et que le nombre de personnes concernées est en augmentation depuis quelques années392. En 1999 déjà, une publication de l’OIM déclarait que des réseaux de trafiquants opéraient vers l’Irlande et la Grande-Bretagne. Il s’agissait de groupes bien organisés, souvent les mêmes que ceux impliqués dans le trafic de drogue ou d’armes, notamment la mafia russe et des groupes criminels chinois, colombiens et nigérians393. Certaines personnes choisissent en connaissance de cause de passer par ces groupes et de payer des sommes souvent exorbitantes à des passeurs afin de rentrer clandestinement dans le pays et de travailler dans l’économie parallèle, d’autres sont les victimes de la traite d’être humains. Selon la définition retenue au niveau international, la traite d’êtres humains consiste :

à recruter des personnes, à offrir leurs services, à les transférer, à les entremettre par le biais d’intermédiaires, à les héberger ou à les accueillir en vue de leur exploitation.

391

« The Irish government is actively supporting a campaign to legalise and assist undocumented Irish workers in the US. The situation of undocumented workers in the US and Ireland is virtually the same. There is no reason why the Irish government should not extend the same level of understanding and effort to resolve the situation of the undocumented here in Ireland. To do otherwise is a gross contradiction and hypocritical. » MRCI, MRCI Bridging Visa Campaign Leaflet, disponible sur : www.mrci.ie/policy_work/documents/BridgingVisaCampaignLeaflet_000.doc (consulté le10 avril 2009).

392

Jane Pillinger, « The Illegal Employment of Foreign Nationals in Ireland », in Marek Kupiszewski & Heikki Mattila (éds), Addressing the irregular employment of immigrants in the European Union: between sanctions and rights, Budapest, OIM, 2008, p. 134.

393

OIM, « Trafficking in Migrants », Bulletin trimestriel de l’OIM, No. 19, juillet 1999, p. 3. Disponible sur le

Les victimes peuvent faire l’objet d’exploitation sexuelle, d’exploitation de leur force de travail ou de trafics d’organes394.

Du fait de la nature même du trafic d'êtres humains, il est difficile de connaître ou d’estimer le nombre de personnes concernées en Irlande.

Selon l’Organisation internationale du travail395, l’exploitation sexuelle représente la majorité des cas de trafic d’êtres humains dans le monde, alors qu’entre un tiers et 40 % sont des personnes trafiquées pour le travail forcé396. Ruhama, association irlandaise d’aide aux prostituées, estime que des centaines de femmes font l’objet d’un trafic à destination de l’Irlande pour alimenter les réseaux de la prostitution. L’association constata une augmentation importante de femmes étrangères travaillant dans la prostitution et estimait en 2006 qu’elles constituaient environ 90 % des prostituées du pays397. Selon une étude publiée en avril 2009, ce chiffre pourrait s’élever à 97 %398. Ruhama rencontra la première victime en 2000, travailla entre 2000 et 2007 avec plus de 200 femmes et fut en contact avec beaucoup d’autres se trouvant dans des situations similaires. En 2007, les femmes rencontrées par l’association étaient principalement originaires d’Afrique (85 %, dont la moitié du Nigéria), 9 % de l’Europe de l’Est, 3 % d’Amérique du Sud et 3 % d’Asie. La majorité (67 %) d’entre elles se trouvait hors de Dublin, dans différentes villes. Certaines étaient déplacées régulièrement, rendant d’autant plus difficile leur suivi et leur soutien399. Les femmes rencontrées par l’association ne représentent, selon elle, que la partie visible de l’iceberg400.

Concernant le trafic des êtres humains pour le travail forcé, un rapport sur le sujet, publié en 2006, se déclara dans l’impossibilité de donner des estimations sur le nombre de personnes dans cette situation, mais constata qu’elles travaillaient dans un grand nombre de

394

SCOTT, « La traite d’êtres humains – une forme moderne d’esclavage : un fact sheet du Service de coordination contre la traite d’êtres humains et le trafic de migrants (SCOTT) », Office fédéral de la police suisse, mai 2005, p. 1. Disponible sur : http://internet.bap.admin.ch/f/themen/ksmm/factsheets/Fact_Sheet%20Menschenhandel_f05.pdf (consulté le 8 octobre 2005).

395

L’OIT est une agence de l’ONU dont la mission est de « promouvoir le travail décent à travers le monde ». www.ilo.org.

396

Roger Plant, directeur du projet de l’OIT pour la lutte contre le travail force, dans son introduction au rapport du MRCI, No Way Forward, No Going Back: Identifying the problem of trafficking for forced labour in Ireland,

Dublin, MRCI, 2006, p. 1.

397

« Ruhama reports rise in trafficking of women », RTE News, le 5 mai 2006. Disponible sur: www.rte.ie/news/2006/0505/trafficking.html (consulté le 24 mai 2007).

398

Immigrant Council of Ireland, Globalisation, Sex Trafficking and Prostitution: The Experiences of Migrant Women in Ireland, Dublin, ICI, 2009, p. 23.

399

Ruhama, communiqué de presse du 30 juin 2008, « Notes for Editor : Analysis of Ruama’s Trafficking figures 2007 ». Disponible sur : www.ruhama.ie/easyedit/files/30%20June%2008%20-Trafficking%20Figures%20notes.doc (consulté le 10 avril 2009).

400

Déposition de Ruhama devant un comité parlementaire, Joint Committee on European Affairs, le 5 octobre 2005. Disponible sur http://debates.oireachtas.ie/EUJ/2005/10/05/00003.asp (consulté le 15 mars 2008).

secteurs de l’économie, citant notamment l’agriculture, la restauration, le travail domestique, la construction, l’industrie du nettoyage, l’industrie agroalimentaire, la sécurité et le secteur de la santé401.