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a Une éthique de la conversation : l’exemple paradigmatique du banquet

En un siècle où les règles de la conversations dominent les rapports sociaux, où l’apparence prime sur l’essence, le problème que décèle La Bruyère dans l’attitude de ses contemporains en société est qu’ils peuvent tout à fait les appliquer et paraître ainsi courtois, polis et bienséants sans l’être véritablement :

La politesse n’inspire pas toujours la bonté, l’équité, la complaisance, la gratitude ; elle en donne du moins les apparences, et fait paraître l’homme au dehors comme il devrait être intérieurement43.

À l’inverse, le problème du sage tel qu’Érasme le formule consiste en ce que sa fidélité envers son « intériorité » le conduit à négliger les principes de la civilité. Dans une autre remarque tirée du même chapitre (dont le titre est « De la société et de la conversation » et qui est particulièrement riche pour nourrir notre propos), La Bruyère dépeint le caractère de l’inconvenant :

J’entends Théodecte de l’antichambre ; il grossit sa voix à mesure qu’il s’approche, le voilà entré ; il rit, il crie, il éclate, on bouche ses oreilles, c’est un tonnerre ; il n’est pas moins redoutable par les choses qu’il dit que par le ton dont il parle ; il ne s’apaise et il ne revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanités et des sottises : il a si peu d’égard au temps, aux personnes, aux bienséances, que chacun a son fait sans qu’il ait eu intention de le lui donner ; il n’est pas encore assis, qu’il a à son insu désobligé toute l’assemblée. A-t-on servi, il se met le premier à table et dans la première place ; les femmes sont à sa droite et à gauche ; il mange, il boit, il conte, il plaisante, il interrompt tout à la fois : il n’a nul discernement des personnes, ni du Maître, ni des conviés, il abuse de la folle déférence qu’on a pour lui, est-ce lui, est-ce Euthydème qui donne le repas ? il rappelle à soi toute l’autorité de la table, et il y a un moindre inconvénient à la lui laisser entière qu’à la lui disputer : le vin et les viandes n’ajoutent rien à son caractère. Si l’on joue, il gagne au jeu ; il veut railler celui qui perd, et il l’offense, les rieurs sont pour lui, il n’y a sorte de fatuités qu’on ne lui passe. Je cède enfin et je disparais, incapable de souffrir plus longtemps Théodecte, et ceux qui le souffrent44.

Théodecte est celui qui n’observe aucune règle de bienséance, qu’il s’agisse de celles qui régissent la conversation (sa voix irrite, ses railleries offensent) ou de celles qui

43 LA BRUYÈRE, op. cit., « De la société et de la conversation », 32, p. 257. 44 Ibid., « De la société et de la conversation », 12, p. 248-249.

régissent le comportement (il n’a aucun « égard au temps et aux personnes »). Se trouve épinglé dans cette description le repoussoir absolu de l’honnête-homme. Or, une longue partie de la remarque présente la conduite de cet inconvenant à table, comme si cette circonstance de la vie sociale constituait le contexte privilégié pour apprécier le degré de bienséance d’un individu. C’est en tout cas ce que Carlos Lévy atteste en analysant la définition du sermo, de la conversation que donne Cicéron dans Les Devoirs : « [la conversation] a pour un Romain des lieux et des moments privilégiés. Nombre de textes cicéroniens évoquent le repas du soir, la cena, comme le moment le plus opportun pour converser avec des amis, mais il y a aussi la promenade »45.

- « Sent[ir] si [l’on] convient, ou si [l’on] ennuie » :

Il est en effet très fréquent que des exemples de la tenue d’un philosophe au banquet soient mobilisés pour illustrer sa capacité à faire transparaître sa sagesse ‒ ou au contraire sa maladresse comme chez Érasme ‒ dans ses agissements. On le voit particulièrement clairement chez Épictète, pour qui la véritable pratique philosophique se reconnaît à la façon dont les hommes se comportent dans ce type de situation :

Mange comme un homme [φάγε ὡς ἄνθρωπος], bois comme un homme [πίε ὡς ἄνθρωπος], habille-toi, marie-toi, aie des enfants, exerce tes droits et tes devoirs de citoyen, sache endurer les injures, supporte un frère déraisonnable, supporte un père, un fils, un voisin, un compagnon de route46.

Celui qui fait effectivement « profession de maître en philosophie » ‒ pour reprendre le titre de l’entretien dont est issu cet extrait ‒ se doit d’observer une certaine éthique, de se tenir à certaines règles comportementales qui font de lui un exemple de vie pour son entourage. Cependant, dans un autre entretien, Épictète précise le contenu de cette éthique en lui traçant des limites claires :

45 C. LÉVY, « La Conversation à Rome à la fin de la République », op. cit., p. 405.

46 ÉPICTÈTE, Entretiens, t. III, op. cit., chap. 21, « À ceux qui font aisément profession de maître en

philosophie », § 4-6, p. 66. Plutarque témoigne lui aussi de cette idée en l’illustrant par la figure de Socrate : « [Socrate] ne faisait pas disposer des bancs, ne s’installait pas dans une chaire, n’avait pas d’heure pour travailler ou se promener avec ses disciples, mais c’est lorsqu’il se divertissait avec eux à l’occasion, buvait en leur compagnie, c’est à la guerre et sur l’Agora avec certains d’entre eux, et, pour finir, c’est dans sa prison et en buvant le poison qu’il montrait sa philosophie. Le premier il a révélé que la vie accueille la philosophie dans toutes ses parties, à tout moment, dans toutes les situations et dans toutes les activités sans exception » (PLUTARQUE, Oeuvres morales, t. XI-1 (traités 49-51), trad. fr. M. Cuvigny, Paris, Les Belles Lettres, 1984, Traité 51 : Si la politique est l’affaire des vieillards, § 26, 796 d - e, p. 113-114).

Par ta façon de manger, rends service à tes commensaux, par ta façon de boire, à ceux qui boivent, en cédant à tous, en t’effaçant devant les autres, en les supportant... Rends-leur service de cette façon, au lieu de déverser sur eux ton humeur47.

On comprend ici que la bienséance et la courtoisie sont des exigences majeures de l’éthique du philosophe-honnête homme, et la description de son contre-modèle rappelle en bien des points le comportement du cynique. On voit mal en effet Diogène, plus familier de la tension oratoire, du contentio, que du sermo en termes rhétoriques, se plier à de telles règles éthiques. D’ailleurs, lorsque Lucien met en scène un « banquet cynique », ces codes sont loin d’être suivis : bien au contraire, les convives sont insolents, irrespectueux, ivres et finissent même par se battre. Alcidamas le cynique fait irruption dans le banquet sans y avoir été invité et instaure par là même une ambiance tendue. L’auteur insiste d’ailleurs sur le « monde à l’envers » que révèlent ces comportements :

Bref, c’était le monde à l’envers. Les gens ordinaires dînaient fort décemment sans se montrer ivres ni grossiers : ils se contentaient de rire et, je crois, de condamner ces hommes qu’auparavant ils admiraient et jugeaient supérieurs en se fondant sur leur maintien. Les sages au contraire étaient grossiers et maniaient l’injure [ἠσέλγαινον καὶ ἐλοιδοροῦντο], se gavaient sans mesure, vociféraient et en venaient aux mains48.

La satire que formule Lucien à l’endroit des philosophes en général trouve sa cible la plus probante dans l’attitude du cynique, qui pousse à l’excès les travers que l’on observe chez chaque convive49. L’auteur reconduit ainsi l’image de « Socrate outré » qui a

été attribuée à leur chef de file. Par ailleurs, Françoise Frazier déclare que « cette tonalité générale du texte ressort avec netteté lorsqu’on place en arrière-fond le modèle de civilité, de courtoisie et de cordialité qu’est le banquet chez Plutarque »50. Or, comme nous y

sommes habitués à présent et comme nous aurons l’occasion d’y revenir, c’est à la figure de Socrate que l’auteur des Propos de table recourt pour contrecarrer le modèle offert par les cyniques. De nombreuses sources nous dépeignent en effet un Socrate attentif « au

47 ÉPICTÈTE, Entretiens, t. III, op. cit., chap. 13, « Qu’est-ce que l’isolement et quelle sorte d’homme est

isolé », § 22-23, p. 49. On peut illustrer cette idée en citant une réplique que Socrate adresse à Antisthène : « Au nom des dieux, Antisthène, dit Socrate, veuille seulement ne pas me battre [µόνον µὴ συγκόψῃς µε]. Pour le reste, ton humeur difficile [χαλεπότητα], je la supporte et continuerai à la supporter en ami » (XÉNOPHON, Le Banquet, op. cit., chap. VIII, § 6, p. 71).

48 LUCIEN, Le Banquet ou Les Lapithes, in Portraits de philosophes, op. cit., § 35, p. 75.

49 La présentation d’un cynique tout à fait inconvenant lors d’un banquet est également effectuée lorsque

Lucien décrit le banquet qui anime l’île des Bienheureux : « [Diogène] avait épousé Laïs, la courtisane, et souvent se levait sous l’effet de l’ivresse pour danser et se livrer à des inconvenances d’ivrogne » (LUCIEN, Histoires vraies, op. cit., § 18, p. 105).

50 Françoise FRAZIER, « Deux images des banquets de lettrés : les Propos de table de Plutarque et le Banquet de Lucien », in A. Billault (éd.), Lucien de Samosate (actes du colloque international, Lyon sept-oct. 1993), Lyon, Université Jean-Moulin, 1994, p. 125-130, 130.

temps, aux personnes et aux bienséances », et notamment fournissant de notables efforts pour soigner son apparence à l’occasion du banquet :

APOLLODORE ‒ « Je tombai en effet », me dit [Aristodème], « sur Socrate qui venait du

bain et qui portait des sandales, ce qu’il ne faisait que rarement, et je lui demandai où il allait pour s’être fait si beau ».

Pourtant quelquefois, pour s’accorder aux circonstances, [Socrate] s’habillait aussi élégamment : comme il le fait justement dans le Banquet de Platon, quand il va chez Agathon51.

Le contraste produit par la mise en parallèle de l’attitude cynique et de celle de Socrate nous conduit à penser que, sur le plan éthique, les idéaux des penseurs du XVIIe

siècle tels que La Bruyère ne peuvent plus se réclamer de la figure de Diogène, pas même en se masquant52. En effet, alors que Diogène est véritablement l’emblème de celui qui ne

s’astreint à aucun code social, Socrate, lui, incarne celui du sage qui a su adapter sa philosophie aux circonstances de la vie de tous les jours.

Cette idée a été remarquablement représentée par Xénophon dans son Banquet. Pendant qu’Antisthène y joue le rôle du « chien de garde », aboyant après quiconque approcherait de trop près ou importunerait son maître, Socrate, lui, manifeste à plusieurs reprises une attention soutenue à la bienséance et s’applique à ne jamais faire aucune action qui pourrait être jugée déplacée :

Au reste ce sont là des questions qui s’accordent mal, elles aussi, avec le vin d’un banquet.

Je vous parais parler plus sérieusement qu’il ne convient lorsqu’on est en train de boire ? Puisqu’il y a contestation sur ce point, remettons-en l’examen à une autre fois53.

Ainsi, Socrate s’impose comme la figure emblématique d’un philosophe dont la sagesse n’est pas inconvenante, qui sait se montrer agréable et renoncer aux propos

51 PLATON, Le Banquet, op. cit., 174 a, p. 88-89 et DIOGÈNE LAËRCE, op. cit., livre II, § 28, p. 236.

52 Ce n’était pas encore tout à fait le cas au siècle précédent. Nous avons vu en effet que Montaigne

recommande d’adopter les préceptes de vie cynique dans la sphère privée, dans « l’arrière-boutique » et de nombreux passages théoriques des Essais rappellent les conceptions cyniques (notamment dans « L’Apologie de Raymond Sebond » sur la nature et l’animalité). Auparavant, Rabelais avait encore plus ouvertement adopté et intégré ces positions dans ses écrits, ce qui lui a d’ailleurs valu les reproches de La Bruyère, dans une remarque citée précédemment.

53 XÉNOPHON, Le Banquet, op. cit., chap. VII, § 4, p. 70 ; chap. VIII, § 41, p. 78 et chap. II, § 7, p. 43. On

trouve d’autres emplois de la figure de Socrate visant à faire du philosophe athénien le modèle d’une conversation polie et d’une conduite bienséante chez Pline le Jeune, qui accepte une invitation en avertissant « Je viendrai à ton dîner, mais dès maintenant je pose la condition qu’il soit simple, qu’il soit peu coûteux, que sa seule abondance soit dans les entretiens socratiques [Socraticis tantum sermonibus abundet] et que même là il ne dépasse pas la mesure » (PLINE LE JEUNE, Lettres, t. I (livres I-III), trad. fr. H. Zehnacker, Paris, Les Belles Lettres, 2009, livre III, lettre 12, à Catilius Severus) ; ou encore chez F. Charpentier : « Tout cela témoigne [...] une grande prudence, de s’être si parfaitement accommodé aux temps & aux lieux, & d’avoir pu conserver le personnage d’un Sage en toutes sortes de rencontres » (F. CHARPENTIER, op. cit., p. 82).

théoriques dans une situation qui ne s’y prête pas. Aux yeux de La Bruyère, qui affirme que « c’est le rôle d’un sot d’être importun », le philosophe athénien répond donc tout à fait à la description qu’il propose d’un « homme habile », qui « sent s’il convient, ou s’il ennuie : [qui] sait disparaître le moment qui précède celui où il serait de trop quelque part »54.

- Ne jamais se fâcher et apaiser les conflits naissants

L’une des raisons principales pour lesquelles un homme peut se rendre inconvenant aux yeux de ses commensaux est de céder à la colère et de s’emporter. Plutarque le dit très clairement : la colère a des effets négatifs pour les relations sociales et nécessite d’être réprimée :

Assurément, si la colère persiste et que ses éclats soient fréquents, cela crée en l’âme une disposition mauvaise qu’on appelle irritabilité [ὀργιλότητα] et qui finit par l’emportement [ἀκραχολίαν], l’aigreur [πικρίαν], la morosité [δυσκολίαν], quand l’humeur est ulcérée, susceptible, querelleuse, pour des futilités, comme un fer faible et mince qui est rayé ; mais le jugement qui s’oppose sur le champ à la colère et la réprime, ne guérit pas seulement la colère présente, il rend encore l’âme ferme et impassible désormais55.

Les termes grecs employés pour qualifier l’attitude de celui qui s’emporte font fortement penser à l’attitude du cynique, et notamment πικρίαν, qui qualifiait l’amertume de ses propos et δυσκολίαν que Timon appliquait à sa propre mauvaise humeur. Par ailleurs, le texte insiste bien sur le caractère durable d’une telle capacité à contenir une colère naissante, renvoyant ainsi davantage à une manière d’être constante, à une éthique, qu’à un comportement ponctuel. C’est un trait spécifique qui doit caractériser essentiellement le sage, et Épictète, en s’appuyant sur le témoignage de Xénophon, indique que l’on en trouve un exemple paradigmatique en la figure de Socrate :

La première qualité de Socrate et sa caractéristique essentielle était de ne jamais s’emporter dans la discussion [µηδέποτε παροξυν ἐν λόγῳ], de ne jamais proférer d’injure [µηδέποτε λοίδορον] en aucune manière, de ne jamais se montrer insolent [µηδέποθʹ ὑβριστικόν], mais de supporter les injures des autres [τῶν λοιδορούντων ἀνέχεσθαι] et de mettre fin à la dispute [παύειν µάχην]. Si vous voulez savoir combien grande était sa

54 LA BRUYÈRE, op. cit., « De la société et de la conversation », 2, p. 243. 55 PLUTARQUE, Du contrôle de la colère, op. cit., § 3, 61 b – c , p. 61.

force dans ce domaine, lisez le Banquet de Xénophon et vous verrez combien de disputes il a fait cesser56.

Nous avons vu que les stoïciens avaient fait de Socrate un modèle d’impassibilité, dont le visage ne paraissait jamais affecté par aucune passion et dont l’âme n’était jamais ébranlée. Épictète lie ici cette idée à un second lieu commun de la figure socratique : son indifférence face à l’injure. Ce lieu commun s’articule autour de deux thématiques distinctes mais visant à illustrer le même état de fait : le topos de Xanthippe, la femme acariâtre, et celui d’Aristophane, le comique arrogant.

Tout d’abord, Xanthippe est présentée par de nombreux auteurs comme le cas limite, l’individu dont le caractère intraitable est le plus exacerbé sur lequel Socrate a pu exercer sa fermeté d’âme et son impassibilité, comme on le voit déjà chez Xénophon :

Les gens qui veulent devenir d’habiles cavaliers se procurent, non pas les chevaux les plus dociles, mais des chevaux rétifs. Ils estiment, en effet, que s’ils sont capables de maîtriser de telles montures, il leur sera facile de manier les autres chevaux. C’est de la même façon que dans mon désir d’avoir commerce avec les êtres humains et de les fréquenter, j’ai pris cette épouse, sachant bien que si je parvenais à la supporter, mes relations seraient faciles avec tout le reste de l’humanité57.

Mais l’épreuve que constitue la vie commune avec une femme telle que Xanthippe est également l’occasion pour un véritable sage de montrer que les insultes, les railleries ou encore les mauvais caractères, sont « plus propre à émouvoir la rate que la bile

56 ÉPICTÈTE, Entretiens, t. II, op. cit., chap. 12, « Sur l’art de la dialectique », § 14-15, p. 46-47. Ici,

Épictète s’autorise du Banquet de Xénophon pour alléguer la bienséance et la politesse de Socrate. Or, si la postérité semble en avoir fait globalement de même concernant ce point, il convient de noter en revanche que, chez Platon, Socrate est parfois présenté comme hubristès (voir Jérôme LAURENT, « Sur l’hubris de Socrate », Kentron, n° 20, 2004, p. 83-92).

57 XÉNOPHON, Le Banquet, op. cit., chap. II, § 10, p. 44. Voir également : « Même le caractère acariâtre de

sa femme, il le supportait, lui, avec douceur, et quand celle-ci criait, il ne s’en souciait pas [...] » (TÉLÈS, Diatribes, trad. fr. P. P. Fuentes González in Les Diatribes de Télès, Paris, Vrin, 1998, Fragment II, « Sur l’autarcie », § 18 et sqq., p. 143) ; « Si tu as pris l’habitude de supporter en silence les injures d’un ennemi, tu supporteras avec la plus grande facilité les assauts de ta femme qui vitupère, et devant les paroles pleines d’amertume d’un ami ou d’un frère, tu demeureras impassible [...]. Socrate supportait Xanthippe, qui était irascible et acariâtre, dans la pensée qu’il serait sociable avec autrui, une fois habitué à endurer sa femme ; cependant il est bien préférable que ce soit auprès d’ennemis ou d’étrangers qu’on s’entraîne à subir insolences, colères, sarcasmes, injures, afin d’accoutumer notre humeur à demeurer tranquille et à ne pas s’impatienter sous les injures » (PLUTARQUE, Oeuvres morales, t. I-2, op. cit., Traité 6 : Comment on peut tirer profit de ses ennemis, § 8, 90 d - e, p. 206) ; « Socrate vivait chez lui, patient à l'égard de sa femme acariâtre et de son fils sans coeur » (ÉPICTÈTE, Entretiens, t. IV, op. cit., chap. 5, « Contre les gens disputeurs et brutaux », § 33, p. 50) ; « Xanthippe, femme du philosophe Socrate, était, dit-on, tout à fait acariâtre et querelleuse ; elle retentissait jour et nuit de colères et mauvaises humeurs féminines. Alcibiade, s'étonnant de ses accès contre son mari, demanda à Socrate quelle était la raison pour laquelle il ne chassait pas de chez lui une femme si désagréable. “Parce que, dit Socrate, en endurant chez moi cette femme comme elle est, je m'habitue et m'exerce à supporter plus facilement dehors l'insolence et l'injustice des autres” » (AULU-GELLE,

Les Nuits attiques, t. I, op. cit., livre I, chap. 17, § 1-3, p. 59-60) ; « À Alcibiade, qui disait que Xanthippe, quand elle l’injuriait, n’était pas supportable, “Pourtant moi, dit-il, j’y suis habitué, exactement comme si j’entendais continuellement des poulies” » (DIOGÈNE LAËRCE, op. cit., livre II, § 36, p. 241-242) ; « Il avait commerce, disait-il, avec une femme acariâtre, tout comme les cavaliers avec des chevaux fougueux. “Eh bien, dit-il, tout comme eux, une fois qu’ils les ont domptés, maîtrisent facilement les autres, moi, de même, qui ai affaire à Xanthippe, je saurai m’adapter aux autres humains” » (Ibid., livre II, § 37, p. 242).

d’un honnête homme », selon la formule de La Mothe Le Vayer58. De ce point de vue, ce

topos appelle celui de l’indifférence vis-à-vis des comiques :

Regardons les hommes exemplaires dont nous louons la patience : Socrate, qui, se voyant représenter dans des comédies où il était ridiculisé, loin de se fâcher, rit tout autant que lorsque sa femme, Xanthippe, l’arrosait d’eau sale ; ou bien Antisthène, qui, lorsqu’on lui reprocha d’avoir une mère barbare, de Thrace, répondit que la mère des dieux était aussi du Mont Ida59.

Derrière l’allusion aux « comédies » qui ridiculisent Socrate, c’est évidemment les Nuées d’Aristophane qui sont particulièrement visées. La pièce, qui présente Socrate comme un habile rhéteur se faisant l’avocat des pires causes et comme un philosophe

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