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Cette section vise à compléter la présentation du contexte général dans lequel se déroule cette recherche, à travers quelques chiffres qui dressent un état des lieux non exhaustif des comportements inappropriés des élèves en France.

L’analyse des notes d’information37 sur les résultats des différentes enquêtes (l’enquête Cadre de Vie et Sécurité [CVS] de l’INSEE ; l’enquête nationale de victimation et climat scolaire en collège mise en place conjointement par la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance [DEPP], l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales [ONDRP] et

34 http://www.cariforef-reunion.net/index.php?option=com_tags&view=tag&id=89-illettrisme

35 http://www.insee.fr/fr/regions/reunion/default.asp?page=faitsetchiffres/presentation/presentation.htm

36 http://eduscol.education.fr/cid52346/agir-contre-illettrisme.html

37 http://www.education.gouv.fr/cid80976/personnels-de-l-education-nationale-des-metiers-exposes-aux-menaces-et-aux-insultes.html ; http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/24/8/DEPP_NI_2014_25_Personnels_education_nationale_metiers_exposes_menaces_insulte s_336248.pdf ;

http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/30/7/DEPP_NI_2013_32_actes_violence_fortement_concentres_minorite_etablissements_289 307.pdf

l’Observatoire International de la Violence à l’École au printemps 2011 ; les résultats du Système d’Information et de Vigilance sur la Sécurité Scolaire [SIVIS]) fournissent des renseignements riches pour la période 2008-2014. Les principaux constats issus de l’analyse de ces informations révèlent :

1- une évolution, depuis l’année scolaire 2008-2009, du nombre d’incidents graves pour 1000 élèves pour les collèges français (France+DOM) : 2008-2009 : 12,0 ; 2009-2010 : 12,2 ; 2010-2011 : 14,1 ; 2011-2012 : 15.0 ; 2012-2013 : 15,3 ; 2012-2013-2014 : 13,6.

2- que l’immense majorité des faits (96 % des cas de violence verbale et 98 % des cas de violence physique) est constituée d’actes commis dans les établissements, par des élèves de l’établissement.

3- que les violences paroxystiques sont extrêmement rares : 0,9 % des élèves ont été blessés par un objet coupant, 0,5 % par un objet pour frapper, 0,1 % par arme à feu et 0,6 % par un autre type d’arme. Les violences concernant le racket et l’extorsion concernent entre 5,5 et 6,1 % des élèves.

4- que la violence à l’école relève moins d’agressions « spectaculaires » que d’actes de violence verbale. Les atteintes les plus souvent répertoriées sont : l’insulte envers la personne (52 % des élèves), le vol de fourniture scolaire (46 %), l’attribution d’un surnom méchant (39 %) et la bousculade intentionnelle (36 %).

Les blessures avec arme et le happy slapping (pratique qui consiste à filmer l’agression physique d’une personne à l’aide d’un téléphone portable) sont peu répandus (moins de 3 %). Les violences à caractère sexuel (5 % à 7 %). Les brimades (moquerie due à la bonne conduite de l’élève, humiliations, mises à l’écart) et les bagarres touchent entre 10 et 30 % des élèves.

5- que si les violences physiques contre les professeurs, les personnels de direction et les personnels d’éducation y sont relativement rares, les menaces et les insultes envers les enseignants dans l’exercice du métier font quant à elles deux fois plus de victimes parmi les personnels de l’éducation nationale que parmi

l’ensemble des personnes qui occupent un emploi38. Selon CVS, c’est bel et bien leur profession d’enseignant qui les expose à ces violences. Si selon certaines sources 12 % des personnels de l’éducation nationale déclarent avoir fait l’objet de menaces ou d’insultes au collège de la part des élèves dans trois cas sur quatre39, selon d’autres, 42.5 % des personnels déclarent avoir été insultés dont 13 % plusieurs fois40.

6- qu’un tiers des collégiens (32 %) jugent le système punitif injuste. Le bien-être au collège diminue avec l’ancienneté de l’élève : 13 % des élèves de troisième trouvent qu’il y a beaucoup ou plutôt beaucoup d’agressivité entre eux et les enseignants, soit près de deux fois plus que les élèves de sixième.

Les six constats précédents issus de l’analyse des données disponibles en France sur le sujet confirment le fait que l’école française va mal, qu’elle « n’est pas sereine, ni pour les professeurs ni pour les élèves » (Merle, 2012, p. V).

D’ailleurs, lors d’un point d’étape sur les travaux de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, Éric Debarbieux constate effectivement un climat de tension dans les établissements41 et les données chiffrées disponibles sur les nombreux comportements inappropriés qui s’expriment dans l’enceinte des établissements scolaires français en attestent.

Toutefois, un autre phénomène qui se manifeste par des actes plus discrets que les gestes de violence grave, mais tout de même perceptible en filigrane à travers certains des constats évoqués ci-dessus, montre encore plus fortement que les violences paroxystiques ou physiques, le climat de tension qui règne dans les établissements scolaires. Il s’agit de l’indiscipline des élèves en classe. En effet, « c’est évidemment la discipline ou plutôt l’indiscipline qui

38 http://www.education.gouv.fr/cid80976/personnels-de-l-education-nationale-des-metiers-exposes-aux-menaces-et-aux-insultes.html

39 http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/24/8/DEPP_NI_2014_25_Personnels_education_nationale_metiers_exposes_menaces_insu ltes_336248.pdf

40 http://www.education.gouv.fr/cid68983/prevention-et-lutte-contre-les-violences-en-milieu-scolaire%C2%A0-%C2%A0point-d-etape.html

41 http://www.education.gouv.fr/cid68983/prevention-et-lutte-contre-les-violences-en-milieu-scolaire%C2%A0-%C2%A0point-d-etape.html

révèlent le plus clairement les conflits potentiels sous-jacents à l’univers scolaire » (De Queiroz et Ziotkowski 1997, p. 115). Ce phénomène est d’ailleurs très tôt placé par certains au rang des problèmes prioritaires, que ce soit par les directeurs, les enseignants ou les élèves, aux côtés des troubles du comportement et de l’absentéisme (Duke, 1978 ; Goodlad, 1984). D’ailleurs, selon des sondages régulièrement effectués sur les « principaux problèmes auxquels les écoles publiques ont à faire face […] c’est la discipline qui arrive en tête des préoccupations exprimées par les personnes interrogées, suivie de la violence et des gangs, puis du manque de crédits et l’usage de drogues » (Charles, 1997, p. 3). L’indiscipline scolaire est même considérée comme le problème le plus grave auquel l’école se trouve confrontée dans tous les pays industrialisés (Estrella, 1996) et touche la quasi-totalité des établissements scolaires, y compris les écoles élémentaires. De plus, la proportion de comportements d’indiscipline à l’école ne cesse d’augmenter, au point de devenir une priorité éducative nationale aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne (Estrela, 1992 ; 1996). Ainsi, l’indiscipline scolaire, qui constitue pour certains la première étape de l’escalade vers des actes de délinquance et de violence graves42, est incontestablement

« devenue un élément de définition du quotidien enseignant » (Prairat, 2013, p. 10). D’ailleurs, de nombreux enseignants se plaignent des comportements inappropriés de leurs élèves en classe (Dubet et al., 1999).

En effet, « d’une manière générale, dans tous les collèges, les professeurs disent assister à des changements par rapport à ce qu’ils ont connu eux comme élèves en termes de rapport plus distendu des élèves aux normes scolaires. Même les professeurs d’établissements favorisés se plaignent de manifestations plus importantes et bruyantes de bavardage, d’agitation, d’insolence et d’absentéisme » (Gasparini, 2013, p. 20). Les résultats de l’enquête de 2009 du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA,

42 La spirale du conflit ouvert décrite par Colvin dans Prairat, 2013 p. 80 et Estrela, 1996, p.79

2009) mené par l’OCDE, confirment même que le climat de discipline au sein des classes s’est dégradé en France entre 2000 et 2009, nettement plus que dans les autres pays de l’OCDE43. Le phénomène a d’ailleurs pris tant d’ampleur qu’il a largement été question de discipline et de climat scolaire dans la concertation nationale sur l’école « refondons l’école de la République » le 5 juillet 2012 (Prairat, 2013, p. 9).

Pourtant, en France, l’indiscipline des élèves en classe est rarement au centre de l’attention médiatique, politique ou scientifique, et ce en dépit des nombreux constats déjà évoqués, notamment sur l’ampleur et la gravité de ce phénomène et de la concertation nationale sur l’école du 5 juillet 2012. En effet, l’indiscipline des élèves en classe reste, à notre connaissance, un phénomène qui n’est pas spécifiquement mesuré par le ministère de l’Éducation nationale, malgré son caractère hautement problématique. D’ailleurs, le manque de données officielles disponibles sur le sujet dans les résultats des différentes enquêtes d’envergure précédemment évoquées semble en attester. De plus, le manque de données offielles sur l’indiscipline des élèves en classe n’aide pas à comprendre ce phénomène.

Jusqu’à présent, en France, à notre connaissance, aucune disposition spécifique adaptée au problème et basée sur des données scientifiques probantes n’a été mise en place collégialement pour lutter efficacement contre l’envolée de ce phénomène. Selon Prairat (2013), même si plusieurs enquêtes françaises montrent que la discipline est un problème majeur pour les enseignants, « on a le sentiment qu’il y a quelque chose d’incongru et d’inactuel à parler de discipline comme si ce terme n’appartenait pas à la modernité pédagogique. Toute méditation sur la discipline serait, à en croire certains, une méditation anachronique » (Prairat, 2013, p.21). Cela explique peut-être en partie la raison

43 http://educationdechiffree.blog.lemonde.fr/2013/09/30/en-france-le-climat-de-discipline-dans-les-ecoles-sest-degrade-ces-10-dernieres-annees/

pour laquelle l’indiscipline scolaire n’accède pas au rang de priorité nationale en France.

Par ailleurs, si certains auteurs sont d’avis que les dispositions mises en œuvre par le ministère de l’Éducation nationale pour lutter contre les violences scolaires, notamment le renforcement des procédures disciplinaires, peuvent aussi avoir une influence positive sur les comportements d’indiscipline se manifestant en classe, d’autres soutiennent que la résolution des problèmes de discipline est indissociable de l’acte d’enseigner et que transférer cette responsabilié au personnel de la « vie scolaire » ne changera rien à l’indiscipline qui se manifeste dans la classe mais risque au contraire d’aggraver le phénomène en classe (Rey, 2013).

En somme, l’indiscipline scolaire est manifestement observée dans les institutions scolaires de nombreux pays, dont la France. Le phénomène est tantôt hissé au rang de priorité nationale par certains pays, tantôt ignoré par d’autres.

Que se cache-t-il précisément derrière ce phénomène si peu médiatique, d’apparence anodine et pourtant à la fois persistant et lourd de conséquences ? Au regard des éléments précédemment évoqués, la section suivante présente plus en détail le concept traditionnel d’indiscipline scolaire dont il est question tout au long de la présente recherche.