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6. Solutions possibles

6.2. Équipes et outils adaptés

6.2.1. Les équipes de traduction internes

Comme nous l’avons montré précédemment (2.2.2.), la communication est l’une des clés pour obtenir une traduction de qualité sur un jeu vidéo. Or, il devient évident que plus il y aura de personnes impliquées sur un projet, plus la communication sera compliquée et plus

la cohérence sera difficile à maintenir. En effet, comme la localisation des jeux n’est pas linéaire, de nombreux traducteurs et relecteurs peuvent travailler en même temps sur un même jeu, tandis que plus tard, une mise à jour ou une extension pourra être donnée à une autre société ou à d’autres traducteurs. Cette abondance de traducteurs sur un même projet peut entraîner de nombreuses erreurs et incohérences (O'Hagan & Mangiron, 2013).

Il faut ajouter à cela le fait que la plupart des communications de nos jours se font en ligne, ce qui ne garantit pas toujours une bonne compréhension de tous les partis impliqués, surtout si la langue de communication n’est pas maîtrisée par tous. Pourtant, comme Kingscott (1998) l’avait prédit, la traduction est devenue un service en ligne. Nous devons donc nous adapter à cette nouvelle forme de travail et à cet environnement. Pour cela, plusieurs solutions sont possibles. La première idée serait tout simplement de réduire le nombre de traducteurs travaillant sur un jeu, et assurer un suivi par ces mêmes traducteurs. Bien que cela soit possible dans certains cas, nous avons bien vu plus tôt (2.2.4.) que les délais imposés dans le monde des jeux vidéo, notamment par le modèle

« SimShip », n’étaient tout simplement pas soutenables sans une armée de traducteurs et relecteurs.

Heureusement, il existe une option qui permet de remédier à la majorité de ces problèmes : la traduction interne. Il s’agit donc de constituer des équipes de traduction au sein même des sociétés de développement de jeux vidéo. C’est le choix qu’a fait la société Square-Enix, et l’un de ses représentants l’a expliqué en mettant en avant les bénéfices que cela apportait au cours de la conférence The Square-Enix approach to localization (Honeywood, 2007).

Cette présentation explique qu’en travaillant principalement avec des traducteurs internes, les jeux gagnent en cohérence, la terminologie d’un opus à l’autre est respectée et les traducteurs ont plus facilement accès au jeu et peuvent suivre les étapes de développement.

Cela leur offre une meilleure vue d’ensemble des personnages, du style et de l’environnement qu’ils doivent rendre aux joueurs et joueuses de leur locale. De plus, certains experts proposent depuis plusieurs années d’impliquer les traducteurs plus tôt dans le processus de développement des jeux, afin d’éviter certaines complications plus tard (Bernal-Merino, 2013). Avoir une équipe de localisation sur place permet donc d’assurer un suivi tout au long du développement.

Bien sûr, cette option n’est pas possible pour toutes les sociétés. Les développeurs indépendants n’ont parfois pas le budget nécessaire pour la localisation de leur jeu, une équipe de traduction semble donc inconcevable. On leur conseillera toutefois d’essayer de confier leurs traductions à la même société ou à un même traducteur, afin de limiter le plus possible les transferts de mémoires de traduction et de glossaires.

6.2.2. La prédominance du sous-titrage

Dans cette section, nous allons aborder un sujet qui traverse toute la littérature que nous avons étudiée pour réaliser ce travail, bien qu’il ne soit que très rarement le sujet principal de ces recherches. En effet, bien souvent la traduction des jeux vidéo est présentée comme étant à mi-chemin entre la traduction littéraire, pour l’aspect créatif et narratif des textes, et la traduction audiovisuelle pour ses aspects plus techniques. Ce que décrit parfaitement Dietz (2007) quand il écrit « Game localization is unique in the sense that it may require both the skills of a technical and a literary translator ». Il n’est pas le seul, car Mangiron et O’Hagan (2006) expliquaient déjà que ces domaines possédaient de nombreuses caractéristiques en commun, puisque la majorité des jeux publiés et localisés étaient soit sous-titrés, doublés, ou les deux. Cela peut concerner des scènes de cinématique, dans lesquelles les joueurs et joueuses ne sont pas impliqués, mais aussi des dialogues à choisir, ils sont donc souvent d’une grande importance pour le développement des histoires.

Malgré cette similarité, il existe d’importantes différences entre le sous-titrage fait pour le cinéma, et celui fait pour les jeux vidéo. Mangiron et O’Hagan (2006) en donnent quelques exemples, comme le fait que les sous-titres dans les jeux sont souvent plus rapides, ou bien affichent le nom des personnages, des lieux ou des objets importants en couleur pour faciliter l’avancée dans l’histoire. Certains jeux, dont le fonctionnement repose beaucoup sur l’histoire et les interactions avec l’univers et ses personnages, intègrent leurs sous-titres de façon très claire et travaillent sur les contrastes, les temps de lecture, pour garantir une bonne expérience aux joueurs et joueuses. D’autres n’ont pas le budget ou le temps pour faire ces ajustements et proposent donc parfois des sous-titres de mauvaise qualité, non pas par leur contenu, mais par leur forme. Or, si cette forme n’est pas présentée de façon correcte dès l’insertion de la langue source, toutes les traductions de sous-titres en

souffriront, car les dialogues n’apparaîtront pas clairement dans les outils de TAO. Voici un exemple de dialogue reçu au cours de notre stage, et son affichage dans MemoQ.

Personnage 1 - It’s like

the butterfly effect as well because if you stay an extra five minutes with me

and then something cool happens to you because of that.

Personnage 2 -- - Exactly.

Personnage 1 And then something could happen while we’re here now.

Tableau 15 : Affichage de dialogue mal présenté (communication personnelle)

Ici, nous avons ajouté l’identité des personnages pour illustrer notre exemple, mais ces informations n’étaient pas fournies, nous avons dû les demander au client au cours de la traduction. Cet exemple nous permet d’observer différents problèmes d’affichage que peut présenter un dialogue si celui-ci n’est pas conçu comme un sous-titrage classique. On peut donc voir que les segments ne sont pas égaux et sont découpés de façon irrégulière, sans aucune raison typographique ou sémantique. De plus, il manque un tiret devant l’un des segments pour indiquer le changement de personnage. Un dialogue de plusieurs milliers de mots, parsemé de défauts de ce genre, est une source d’erreurs et d’incohérences inévitables pour les traducteurs.

Pour les cas semblables, il y a peu de choses que l’on puisse faire une fois le texte source validé et envoyé. Toutefois, nous avons certains moyens qui permettraient d’éviter ce genre de situation. De leur côté, les développeurs peuvent travailler sur des programmes dédiés au sous-titrage, ce qui leur permettrait d’adapter au mieux les textes à leur jeu. Cela simplifierait également le travail des traducteurs puisque ceux-ci recevraient un texte dans un format lisible et plus facile à traduire. Du côté des sociétés de localisation, les options sont limitées, car il n’existe pas d’outil de TAO intégrant spécifiquement le sous-titrage, ce sont des outils à part. Ce serait donc un investissement considérable d’acquérir un logiciel de TAO et un programme de sous-titrage. Néanmoins, ce n’est pas une possibilité à écarter

définitivement, car la taille croissante des jeux et les avancées technologiques dans le domaine des jeux vidéo poussent à croire que la part de traduction audiovisuelle prend peu à peu une place centrale (O’Hagan, 2006).

6.2.3. La mise en place de normes

L’utilisation de programmes de sous-titrage dans le cadre de la localisation des jeux vidéo se trouve confrontée à un autre obstacle de taille : l’absence totale de normes. En effet, comme nous l’avons vu (1.2.), le monde des jeux vidéo est souvent associé à une image péjorative et l’absence d’uniformité en est parfois la cause. Certains professionnels relaient régulièrement les plaintes de joueurs et joueuses en dénonçant ces pratiques hétérogènes.

Nous prendrons l’exemple de Deryagin (2017), un professionnel du sous-titrage qui a publié sur son site un article intitulé What Video Game Subtitling Got Wrong In 2017. Il expose et illustre, à l’aide de nombreuses captures d’écran de jeux de toutes sortes, les problèmes qui surviennent encore à notre époque dans le sous-titrage des jeux vidéo. La taille de la police, la longueur des segments, les contrastes, la vitesse de diffusion, tout est passé au crible. Les bons élèves sont tout de même présentés, pour montrer l’exemple. De telles disparités et de telles entraves au divertissement des spectateurs seraient inconcevables dans le sous-titrage des films et séries télévisées. Pourtant, rien n’oblige les développeurs de jeux vidéo à respecter des normes, car celles-ci n’existent pas (Bernal-Merino, 2015).

Au-delà des inconvénients causés aux joueurs et joueuses, cette absence de sous-titrages standardisés nuit à l’industrie de la localisation. En effet, bien que les développeurs de programmes de TAO cherchent à s’implanter plus durablement sur le marché des jeux vidéo, il leur est impossible de créer un outil universel tant les critères varient d’une société à l’autre (Bernal-Merino, 2007). Ce manque d’avancée technologique du côté de la localisation des jeux vidéo est déploré par de nombreux spécialistes, comme Mangiron (2018, p.131) qui écrit « Despite the fact that the video game industry is technologically-driven and has advanced at vertiginous speed, localisation technology has not kept pace ».

Pour d’autres, la nature même des jeux serait à l’origine de l’absence de normes. O’Hagan (2007) rapporte que les traducteurs de jeux vidéo mettent souvent l’accent sur le fait que chaque jeu et chaque univers est unique, et nécessite donc une approche spécifique. La

nécessité d’une localisation personnalisable pose donc la question suivante : un outil universel est-il la solution aux problèmes causés par l’absence de normes ?

En attendant l’outil ou la fonction qui aidera les traducteurs de jeux vidéo à traduire plus aisément les sous-titres, nous ne pouvons qu’encourager les développeurs de jeux à être plus attentifs à cet aspect de l’immersion ludique, car cela a un réel impact sur l’expérience des joueurs et joueuses (Mangiron Hevia, 2007). Certaines solutions sont régulièrement proposées, et celle qui a beaucoup de succès depuis quelques années est l’utilisation d’un doublage non langagier. Il s’agit d’un doublage universel, dans une langue inexistante, qui pourra donc être utilisée pour tous les sous-titres et tous les marchés où le jeu sera publié (Bernal-Merino, 2013). Cela ne résout pas tous les problèmes de localisation des sous-titres, mais cette solution élimine déjà les contraintes liées au respect de la prononciation et des mouvements de bouche des animations. Les joueurs et joueuses peuvent alors suivre les dialogues et instructions grâce aux boîtes de dialogue, tout en entendant des voix humaines inintelligibles, comme dans The Sims 4 (Maxis, 2014) ou Okami (Clover Studio, 2006).

Comme le montre la Figure 16, Okami indique le nom du personnage en train de parler, puisque la différence ne peut se faire à travers la voix, et utilise un fond semi-transparent pour assurer la lisibilité des sous-titres, quelle que soit la couleur de la scène en arrière-plan. L’utilisation d’un langage inexistant est aussi un choix économique, puisque le doublage ne sera pas à refaire dans différentes langues. Si le genre du jeu le permet, c’est un choix assez avantageux pour les développeurs et les traducteurs.

Figure 16 : Extrait de dialogue d’Okami (Clover Studio, 2006)8

6.3. Formation