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1.1. Motivation

Du 8 septembre 2018 au 24 février 2019, les visiteurs du Victoria and Albert Museum ont eu la chance de faire une visite unique en son genre. En effet, ce fameux musée de Londres a hébergé pendant quelques mois une exposition sur les jeux vidéo intitulée Videogames : Design/Play/Disrupt (Cross, 2018). Cette installation temporaire avait pour but de mettre en avant tout le travail artistique, souvent méconnu et pourtant titanesque, qui entre dans la composition de ces œuvres virtuelles. À l’image des jeux qu’elle présentait, l’exposition était très interactive et permettait aux visiteurs de tester certains jeux, mais elle mettait aussi en avant les dessins préparatoires et les processus d’écriture utilisés. Tous les éléments annoncés étaient présents, car par « Design » on entend la conception des personnages, de la musique, des dialogues ; dans « Play », on retrouve les éléments qui attirent les joueurs, les univers et les nouveaux modes consommation des jeux ; et enfin dans « Disrupt », on évoque les jeux dont les sujets font polémique ou dénoncent certains aspects de la société. C’est pourquoi les jeux vidéo sont de plus en plus souvent comparés à un art tel que la littérature ou le cinéma. Cette exposition n’est pas la première du genre puisque le MoMA à New York avait commencé à recueillir des jeux vidéo de toutes sortes en 2012 afin de les présenter à ses visiteurs en 2013. Que des institutions culturelles internationales mettent en avant les jeux vidéo de cette façon illustre bien une reconnaissance et une prise de conscience quant à la qualité et à l’ampleur de cette nouvelle forme de culture.

En 2018, dans le but de faire un premier pas dans le monde professionnel de la traduction, nous avons fait un stage de six mois au sein de la société MoGi, une entreprise spécialisée dans la localisation des jeux vidéo. Il s’agit d’un secteur très discret qui mise beaucoup sur les révélations inattendues et l’anticipation de son public, c’est pourquoi tout le secteur est soumis à des clauses de confidentialités. Nous utiliserons donc des exemples concrets pour illustrer certains points, mais ils resteront les plus neutres possible et il ne sera pas fait mention de leur provenance exacte. Ce travail de recherche fait donc suite à cette expérience, et les questions qui sont soulevées ici sont celles qui ont pu apparaître dans le

cadre de ce stage. En effet, la société utilisait principalement le logiciel MemoQ, ce qui nous a permis de découvrir de nombreuses fonctionnalités utiles au fil des mois, mais la traduction de jeux n’est pas la spécialité de cet outil. S’il n’existe en effet aucun outil conçu exclusivement pour ce domaine, de plus en plus de logiciels tentent d’intégrer cet aspect de la traduction dans leur contenu, car c’est un marché en plein essor (Nimdzi, 2019b). Au-delà de l’expérience personnelle acquise, ce stage nous a ainsi permis d’accéder aux coulisses de la traduction des jeux vidéo, d’identifier les principales difficultés de cette scène méconnue et d’obtenir des exemples pour les illustrer.

1.2. Contexte

Aujourd’hui, ce que l’on qualifie de jeu vidéo est toute forme de programme de divertissement, sous forme de texte ou d’images, disponible sur plateforme électronique (ordinateur, console, etc.), impliquant un ou plusieurs joueurs dans un environnement physique ou connecté (O'Hagan & Mangiron, 2013). Même si tous les jeux vidéo ne peuvent pas être qualifiés de chefs d’œuvre, ils sont de plus en plus présents dans notre quotidien.

Impossible de ne pas les voir, même si nous ne les consommons pas : visant un public de plus en plus diversifié et des tranches d’âge de plus en plus larges, ils sont vendus partout et en toute saison. Cette volonté de s’étendre à tous ne s’arrête pas à l’âge ou à la catégorie sociale, elle traverse aussi les frontières. Il y a donc un besoin grandissant de traduction dans ce domaine (Mangiron & O’Hagan, 2006). Or cette volonté de s’exporter se retrouve confrontée à une image assez péjorative et limitée des jeux vidéo (Wright & Bogost, 2007).

Il existe à présent une multitude de genres et de styles de jeux qui s’adaptent à tous les goûts : jeux mobiles simples, jeux de rôle, jeux d’action, jeux de stratégie, jeux de combat, jeux de tir à la première personne (FPS), jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG), etc. Il devient même difficile de tous les classer tant les genres se mélangent et se superposent. Toutefois, dans cette jungle vidéoludique, les spécialistes doivent se frayer un chemin et établir un moyen d’adapter ces jeux à d’autres cultures et langues. Mission difficile s’il en est, car il faut également réussir à conserver le ton et l’ambiance du jeu, ainsi que les éventuelles références, tout en gardant constamment une cohérence essentielle pour l’expérience du joueur (Fernández Costales, 2012).

Cette adaptation ne concerne pas seulement le contenu du jeu, mais aussi les manuels et guides d’utilisation, les annonces publicitaires ou les présentations disponibles sur les plateformes en ligne. Le terme de localisation est alors employé, défini comme étant le procédé d’adaptation d’un produit afin qu’il corresponde à la langue et à la culture d’un environnement ou d’un marché cible (Fry, 1998)1. Il sera ainsi surtout question de traduction dans ce travail, mais nous prendrons également en compte le travail de localisation dans son ensemble, car bien souvent, cet exercice revient aussi aux traducteurs.

Dans le cas des jeux vidéo, qui présentent une vaste collection de textes hétéroclites, il est difficile de trouver la même qualité de traduction partout. Bien souvent, associée à l’image négligée et futile du jeu vidéo, la traduction de ces jeux est rarement mise en valeur ou même reconnue. Un exemple parlant est celui de Zero Wing (Toaplan, 1991) dans lequel un segment avait été traduit du japonais par « All your base are belong to us », une phrase incorrecte en anglais, mais qui est l’exemple-type encore utilisé aujourd’hui pour évoquer les traductions médiocres dans ce domaine.

1.3. Questions de recherche

De nos jours, les traducteurs ont accès à plus de ressources et à plus d’outils, particulièrement des outils informatiques, pour les aider dans leur travail, il s’agit alors de traduction assistée par ordinateur (TAO). Parmi eux, certains sont plus ou moins bien adaptés à la traduction des jeux vidéo, et c’est donc l’adéquation de ces outils à ce domaine que nous tenterons de déterminer à travers cette étude. En effet, après avoir réalisé un stage dans une société spécialisée dans la traduction de jeux vidéo, nous avons pu mettre certains de ces outils à l’épreuve de la pratique. Ce travail sera l’occasion de les soumettre à une étude plus précise et plus encadrée pour répondre à la question suivante: les outils de TAO sont-ils adaptés à la traduction des jeux vidéo ? Nous chercherons plus particulièrement à déterminer si ces outils, mis en parallèle de la formation et de l’expérience des traducteurs, ont une incidence sur l’efficience de ces derniers au moment de préparer une projet, c’est-à-dire avant même de commencer la traduction. Pour cela,

1Définition adaptée à partir de celle donnée par LISA (Localization Industry Standards Association), 1990-2011

nous évaluerons deux outils, MemoQ et Memsource, lors de la phase préparatoire d’un projet, avec l’aide de traducteurs débutants en TAO et de traducteurs plus expérimentés.

1.4. Plan

Ce travail sera présenté en cinq grands axes. Le chapitre 2 permettra de dégager les spécificités liées à la traduction dans le domaine des jeux vidéo. Elles peuvent être classées selon leur nature technique ou linguistique, en sachant que les difficultés techniques évoquées sont celles directement liées au travail de traduction tandis que les difficultés linguistiques sont celles propres au contexte vidéoludique. Dans le chapitre 3 nous verrons quels outils de TAO sont à notre disposition et dans quelle mesure ils peuvent accompagner le traduction de jeux vidéo. Le chapitre 4 établira ensuite la méthodologie en détaillant les étapes de l’évaluation, ses objectifs, ainsi que les critères choisis pour le modèle de qualité.

Afin d’éviter d’obtenir des résultats trop subjectifs dus à l’utilisation d’un seul logiciel, nous en comparerons deux : MemoQ, utilisé au cours du stage, et Memsource, un autre outil de TAO conçu pour la localisation et la gestion de projets. Dans le chapitre 5, grâce à cette évaluation pratique, nous pourrons analyser les données quant à l’efficience des outils évalués et nous pourrons ensuite répondre aux questions de recherche. Pour conclure cette étude, le chapitre 6 explorera d’autres pratiques qui faciliteraient le travail des traducteurs et amélioreraient la qualité de traduction des jeux vidéo. Pour cela, nous nous appuierons à la fois sur les outils et sur la formation, un élément essentiel dans la recherche d’une traduction meilleure.