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1. Cadre conceptuel général de la recherche

1.1. Notion des mesures provisoires et conservatoires en général

1.1.2. Émergence et définition de l’ordonnance sur requête

ex-parte ou ordonnance préliminaire) : Comme la procédure du référé, celle de l’ordonnance sur requête est un régime traditionnel apparu d’abord en France. Le décret impérial du 30 mars 1808 qui contient le règlement pour la police et la discipline des cours et tribunaux était la graine à partir de laquelle a grandi l'idée générale de l’ordonnance sur requête. L’article 54 de ce décret énonçait que :

Toutes requêtes à fin d'arrêt ou de revendication de meubles ou marchandises, ou autres mesures d’urgence ; celles pour mise en liberté, ou pour obtenir permission d'assigner sur cession de biens ou sur homologation de concordats et délibérations de créanciers, et celles pour assigner à bref délai, en quelque matière que ce soit, seront présentées au président du tribunal, qui les répondra par son ordonnance, après la communication, s'il y a lieu, au procureur impérial.

Néanmoins les requêtes présentées après la distribution de la cause, et dans le cours de l'instruction, seront répondues par le vice-président de la chambre à laquelle la cause aura été distribuée.

Cet article ouvrait la porte procédurale pour les magistrats français en vue de résoudre les matières prescrites par le moyen des ordonnances provisoires selon des procédures extraordinaires non contradictoires et non par des jugements qui sont soumis aux procédures ordinaires. Cependant, il n’a établi ni la procédure à suivre pour qu’un requérant introduise une requête, ni celle qui régit l’octroi de ces ordonnances, ni les voies de recours. En outre, l’article mentionné n’a pas déterminé les caractéristiques de ces ordonnances, ce qui les rendait juridiquement ambiguës à cette époque.

Toutefois, la pratique judiciaire des magistrats français a, à petits pas, comblé cette lacune. C’est le magistrat De Belleyme, le président du Tribunal civil de la Seine de 1829 à 1856, qui a concrètement établi la pratique judiciaire des ordonnances sur requête. C’est lui qui a ébauché le régime de la juridiction des requêtes (21). Ce fut en effet la première brique posée dans la construction pratique de cette juridiction extraordinaire.

La pratique judiciaire issue de Belleyme a été suivie pendant des années en France et a établi la base fondamentale de la juridiction des requêtes. De même, elle a montré la pertinence inévitable de cette juridiction et la nécessité d’un régime procédural structuré et

(21) Sylvie PIERRE-MAURICE, Ordonnance sur requête, thèse de doctorat, France, Strasbourg III, Dalloz, 2003, p. 2 et 3.

adéquat. Le décret nº 71-740 qui a été promulgué en France le 9 septembre 1971 a bien mis l’ordonnance sur requête à la place qu’elle mérite dans le Code de procédure civile (22).

Dans un développement assez récent et sous une section spécifique intitulée « les ordonnances sur requête », le nouveau Code de procédure civile français de 1976 établit un régime intégral et précis régissant la juridiction des requêtes. Ce régime met en ordre toute la procédure à suivre afin d’obtenir une mesure provisoire ou conservatoire unilatérale (ex-part) par le moyen d’une ordonnance sur requête. Comme c’est le cas pour la procédure des référés, celle des ordonnances sur requête a ensuite été adoptée par presque tous les ordres juridiques étatiques, surtout ceux qui suivent le système de (Civil Law) qui l'ont intégrée à leurs propres droits des procédures civiles.

L’ordonnance sur requête en tant que procédure judiciaire n’est pas facile à définir. La signification juridique de cette ordonnance est toujours demeurée problématique pour les théoriciens. Plusieurs approches doctrinales ont émergé pour classifier la nature juridique des ordonnances en général.

Une théorie traditionnelle est apparue en les classant en deux catégories. La première catégorie comporte les ordonnances gracieuses qui sont rendues en l’absence d’un contentieux et sans la présence de la partie adverse (23) ; c’est pourquoi elles sont considérées comme des actes de pure administration (24). La seconde catégorie comporte les ordonnances contentieuses qui sont rendues en raison de l’existence d’un litige ou d’un contentieux entre le requérant et l’autre partie ; ces ordonnances ne peuvent pas être classifiées comme un acte de pure administration parce qu’elles sont de nature à porter éventuellement atteinte aux droits ou aux intérêts, soit à la partie qui les sollicite, soit à celle contre qui elles sont rendues (25). L’ordonnance sur requête appartient à la seconde

(22) Pierre ESTOUP, op. cit., p. 191. Voir également en ligne :

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000879042 consulté le 21

avril 2015.

(23) Dans ce sens, voire Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 249.

(24) Jean-Pierre SEIGNOLLE, Traité théorique et pratique des référés et des ordonnances sur requête, Tome II « Des ordonnances sur requête », op. cit., p. 25. Dans le même sens, voir aussi Jean CLEMENCEAU, Les procédures de référé et d’ordonnance sur requête, Paris, EJVS, 1965, p. 203. (25) Jean-Pierre SEIGNOLLE, Traité théorique et pratique des référés et des ordonnances sur requête,

catégorie, car elle est rendue en raison de l’existence d’un contentieux sérieux entre les parties (26), contentieux qui apparaît souvent sous la forme d'un risque urgent menaçant un droit ou un intérêt.

Dans son ouvrage intitulé « Les procédures de référé et d’ordonnance sur requête », Jean Clemenceau dit que : « les ordonnances de caractère contentieux dépassent le cadre de l’administration judiciaire ; elles comportent une appréciation de la requête et de l’objet de la demande et sont susceptibles, selon la décision qu’elles comportent, de faire grief soit au requérant, en cas de refus de la mesure sollicitée, soit à la partie adverse si la mesure est accordée » (27).

Une théorie a situé les ordonnances sur requête dans une position intermédiaire entre l’acte gracieux et l’acte juridictionnel. Il nous semble que cette théorie n’était pas suffisamment évidente ou rigoureuse, ce qui a conduit à l’émergence d’une autre, plus adéquate. Celle-ci affirme que ces ordonnances sont des actes d’administration judiciaires qui sont rendus sous la forme de mesures provisoires en se basant sur « l’imperium » et en ne dessaisissant pas le juge qui les avait rendues (28).

J. Seignolle décrit les ordonnances sur requête en examinant leur nature et leurs caractères fondamentaux ; ainsi, selon cet auteur célèbre, « l’ordonnance sur requête est une mesure de police ayant un caractère provisoire, ne dessaisissant pas le juge qui l’a rendue et n’ayant pas l’autorité de la chose jugée ; elle est cependant, malgré son caractère administratif, susceptible de voies de recours » (29). Bien que cette conception reste encore la plus remarquable, elle n’est cependant jamais classifiée comme axiome ou comme fait procédural.

(26) Proche de ce sens, voir Jean-Pierre SEIGNOLLE, Traité théorique et pratique des référés et des

ordonnances sur requête, Tome II « Des ordonnances sur requête », op. cit., p. 25 et Pierre ESTOUP,

op. cit., p. 204.

(27) Jean CLEMENCEAU, op. cit., p. 203.

(28) Jean-Pierre SEIGNOLLE, Traité théorique et pratique des référés et des ordonnances sur requête, Tome II « Des ordonnances sur requête », op. cit., p. 25.

(29) Jean-Pierre SEIGNOLLE, op. cit., Tome II, Juridiction contentieuse et définitive, p. 20 et Jean-Pierre SEIGNOLLE, Traité théorique et pratique des référés et des ordonnances sur requête, Tome II « Des

Insistons sur le fait qu’au contraire de l’ordonnance gracieuse, celle sur requête est d’une nature contentieuse. Toutefois, comme J. Seignolle le dit « le magistrat rendant une ordonnance sur requête ne tranche pas un litige, il intervient non pour résoudre une question de droit, mais pour exercer un contrôle dans l’intérêt du requérant et dans celui des tiers à qui l’acte peut faire grief » (30).

Ce que nous avons mentionné ci-dessus n’est pas une exposition complète de toutes les théories qui ont été élaborées en essayant de faire le point sur la question de la nature de l’ordonnance sur requête, mais nous n’avons vraiment présenté qu’un résumé des théories les plus importantes. La controverse théorique autour de cette question est toujours en cours, mais il nous semble qu’elle commence de plus en plus d’être en rupture avec la pratique judiciaire. En dépit de la divergence provoquée par cette question chez les théoriciens, nous observons qu’elle ne cause aucun conflit et qu’elle n’a pas d’importance sur le plan pratique. Cela nous amène à analyser cette question sous un angle législatif et jurisprudentiel en partant ainsi de l’abstrait théorique vers le concret pratique.

Le nouveau Code de procédure civile français de 1976 (31) distingue clairement la matière gracieuse (32) de celle des ordonnances sur requête (33). Le législateur consacre des chapitres particuliers dans ce Code pour normaliser la matière gracieuse et il en fait de même pour régir celle des ordonnances sur requête.

L’article 493 du C.p.c. français la définit expressément en disposant que « l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ». Selon les articles 851, 875, 897 et 958 du même Code, les juges compétents peuvent ordonner sur requête toutes

(30) Jean-Pierre SEIGNOLLE, Traité théorique et pratique des référés et des ordonnances sur requête, Tome II « Des ordonnances sur requête », op. cit., p. 28.

(31 ) Il y a une nouvelle version de ce Code qui vient d’entrer en vigueur le 17 octobre 2013.

(32) Concernant la matière gracieuse, l’article 25 du C.p.c. français nous présente sa signification juridique d’une manière indirecte. Cet article prévoit que « le juge statue en matière gracieuse lorsqu'en l'absence de litige il est saisi d'une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l'affaire ou de la qualité du requérant, qu'elle soit soumise à son contrôle ». Selon l’article 28 du même Code, les décisions peuvent être rendues en cette matière selon une procédure non contradictoire. Elles sont toujours susceptibles de voies de recours.

(33) Voir le livre Ier, Titre Ier, Chapitre II intitulé « Les règles propres à la matière gracieuse » et Titre XIV, Chapitre II, Section II, Sous-section III intitulée « Les ordonnances sur requête ».

mesures urgentes, dans les limites de leur compétence, lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

Dans le nouveau Code de procédure civile québécois (34), l’article 509 est consacré pour définir l’injonction qui peut être accordée, dans le cas d’urgence, à l’insu de l’autre partie. Cette article dispose que « l’injonction est une ordonnance de la Cour supérieure enjoignant à une personne ou, dans le cas d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique, à ses dirigeants ou représentants, de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé ».

Sous un angle jurisprudentiel, la Cour de cassation égyptienne a, quant à elle, défini les ordonnances sur requête dans un bon nombre de ses arrêts. Elle confirme que :

L’ordonnance sur requête est une décision rendue par le juge des requêtes en se basant sur son pouvoir d’injonction pour répondre à une sollicitation présentée par le requérant. Dans les cas qui nécessitent une procédure rapide et soudaine, cette ordonnance est rendue en l’absence de la partie adverse sans motif en imposant une mesure conservatoire qui ne porte pas préjudice au fond. Or, l’ordonnance sur requête ne dessaisit pas le juge qui l’a rendue et n’a pas l'autorité de la chose jugée, ce qui donne au juge des ordonnances le pouvoir pour la rétracter ou la modifier par le moyen d’une nouvelle ordonnance motivée […] (35).

Selon nous, les ordonnances sur requête sont des décisions juridictionnelles ne dessaisissant pas le juge qui les a rendues et n’ayant pas la force de la chose jugée. Elles sont rendues par les juges des ordonnances dans des cas précis et selon des conditions spécifiques, et cela, en vertu de procédures extraordinaires, contraignantes, immédiates et simples qui sont strictement régies par la loi. Les juges des requêtes les rendent toujours en se basant sur leur pouvoir de contrainte ou mieux dit « imperium ». Ces ordonnances ne sont que des mesures conservatoires qui sont généralement rendues lors de cas d’urgence et en l’absence de la partie adverse. La non-contradiction, comme facteur caractéristique de ces mesures urgentes, s’avère l’effet-surprise qui garantit l’efficacité de cette procédure. Pour garder le juste équilibre entre l’intérêt du requérant et celui de la partie adverse, les ordonnances sur requêtes sont toujours susceptibles de voies de recours.

(34) Le nouveau Code de procédure civile québécois, C.p.c, a été présenté le 30 avril 2013, adopté le 20 février 2014, sanctionné le 21 février 2014 et entré en vigueur le 1er janvier 2016.

(35) Dans ce sens, voir Cass. civ., Le Caire, 18 décembre 1978, pourvoi No 450/48, Rev. B.T.C.C., sér. 29,

Vol. 1, p. 1943 et Cass. civ., Le Caire, 21 décembre 1987, pourvoi No 1605/53, Rev. B.T.C.C., sér. 38,

Sur le plan de l’arbitrage et puisque ces ordonnances sont souvent accordées par une procédure non contradictoire (à l’insu de la partie adverse), elles prennent doctrinalement et arbitralement l’expression mesures unilatérales (ex-part) et c'est le terme que nous adapterons ci-après. La loi type les appelle ordonnances préliminaires en les distinguant des mesures provisoires (bilatérales). Il est remarquable que le codificateur de cette loi consacre une section indépendante pour régir séparément chaque type de ces mesures.

En montrant leur nature juridique, leur objectif procédural et leur caractéristique unilatérale, l’article 17.B.1 de la loi type définit indirectement l’ordonnance préliminaire en disposant que : « sauf convention contraire des parties, une partie peut présenter, sans le notifier à aucune autre partie, une demande de mesure provisoire ainsi qu’une requête aux fins d’ordonnance préliminaire enjoignant à une partie de ne pas compromettre la mesure provisoire demandée ».

Et d’une manière plus détaillée, le législateur de la Nouvelle-Zélande définit les ordonnances préliminaires dans l’article 17.4 de la loi sur l’arbitrage en confirmant que :

Preliminary order means an order directing a party not to frustrate the purpose of an interim measure respondent means any of the following, as the case may be :

(a) a party against whom an interim measure is requested or directed, (b) a party against whom a preliminary order is applied for or directed,

(c) a party against whom recognition or enforcement of an interim measure is sought or has been obtained.

1.2. Émergence et évolution de l’arbitrage commercial international en matière de