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3. F ORMATION LITTÉRAIRE

3.3. Écriture créative

Attardons-nous d’abord à l’écriture littéraire, qui peut être considérée en partie comme l’écriture à partir de la littérature (Vénard, Crinon, Savatovsky et Tourigny, 2006). Les travaux de Daunay (2007) précisent que l’écriture est littéraire dans la mesure où « elle participe de l’acte de découverte des caractéristiques littéraires d’un texte, entendu en général comme objet dont une analyse littéraire est possible » (p. 173). Cette forme d’écriture serait caractérisée par les effets esthétiques créés par le scripteur, qui aménage son texte de manière à favoriser l’interprétation du lecteur en ayant recours aux spécificités de la langue (Sorin, 2005). D’après Tauveron (1999), l’écriture est au service de l’élaboration de la pensée et s’avère un moyen de construire la compréhension et l’interprétation chez le lecteur, mais pour cela, il importe d’instaurer une posture d’auteur chez l’élève, c’est-à-dire de s’assurer que l’élève soit considéré comme un véritable auteur (Ibid., 2002; Nadon, 2011).

Au Québec, l’enseignement de la lecture et de la littérature, au sein de la discipline « français », « [associe] les apprentissages à la mise en œuvre d’une production écrite [ou orale] » (Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc, 2010, p. 331). D’après Sorin (2002), l’enseignement et l’apprentissage de l’écriture littéraire concerne « non seulement le produit final [soit le texte achevé]

mais aussi tout le travail en amont et les actions qu’exécute l’élève avant et pendant qu’il lit, écrit ou communique oralement ainsi que le travail en aval » (p. 87). Elle postule également que « la rencontre de l’élève avec le littéraire se réalise d’abord par et à travers la lecture littéraire et que l’écriture littéraire se nourrit de cette lecture » (Sorin, 2003, p. 59). Autrement dit, l’élève s’inspirerait de ses lectures (littéraires) pour alimenter ses propres projets d’écriture. Cette auteure soutient par ailleurs que, pour atteindre l’objectif d’une formation littéraire de l’élève, il importe de créer des contextes d’apprentissage susceptibles de favoriser « le transfert d’une posture de réception esthétique à une posture de production avec intention littéraire » (Ibid.).

Or, il semblerait qu’en contexte scolaire, « la créativité et l’imaginaire [de l’élève] sont mis en veilleuse » (Ibid.), tant lui sont proposés de nombreux repères opératoires et des outils d’organisation formelle des textes. Selon Sorin (2005), l’écriture littéraire suppose un apport considérable de la créativité de l’élève; ainsi, une démarche d’écriture ne devrait pas être basée sur une structure rigide. À l’ordre primaire, l’écriture du récit se fait encore essentiellement selon l’application d’un modèle de production narrative, tel que le schéma quinaire (Adam, 1997; Larivaille, 1974). Considérant la lecture d’œuvres structurées selon un tel schéma, Moulin, Triquet, Deloustal-Jorrand et Bruguière (2012) soutiennent que « ces énoncés manquent de "résistance"13, ce

qui ne permet pas la mise en œuvre d’un travail porteur de sens pour les élèves » (p. 737). Ces auteurs se réfèrent aussi à Reuter (2009) qui n’encourage pas une utilisation systématique d’un tel schéma, qui serait susceptible de restreindre l’accès à la richesse des récits. Pour activer un processus de compréhension et d’interprétation lors de la lecture littéraire, les élèves doivent être confrontés à des textes suffisamment riches et complexes. Dans les pratiques d’écriture littéraire aussi, il faut encourager la créativité, rechercher l’originalité plutôt que la norme (Sorin, 2003), « en encourageant la singularité des textes des élèves » (Ibid., p. 61) et mettant à l’avant-plan les textes inspirés, qui offrent des trouvailles littéraires. Ce rapport à la littérature favoriserait chez l’élève l’établissement de liens entre la langue écrite et la créativité.

Cependant, le concept d’écriture littéraire n’est pas sans ambiguïté. Certains parlent d’écriture d’invention, d’écriture créative, d’écriture avec la littérature ou sur la littérature (Vénard, Crinon, Savatovsky et Tourigny, 2006). Ce qui semble primer dans cette notion, c’est l’élaboration d’un texte personnel, et ce, « même à travers la construction d’une fiction » (Ibid., p. 12); il serait donc opportun,

13 Selon Tauveron, il importe de proposer aux élèves des textes dits « résistants » (2001, p. 2), c’est-à-dire des textes à plusieurs niveaux de lecture où l’on peut émettre plusieurs hypothèses interprétatives.

pour une personne enseignante, de se montrer ouverte à une diversité des modes d’écriture et de « légitimer toutes les manières d’écrire » (Ibid.). L’objectif d’une telle démarche doit demeurer d’« amener l’élève à adopter une posture d’auteur, d’écrivain pour qui l’écriture littéraire est un travail qui prend en compte à la fois l’intention artistique (de l’auteur) et l’attention esthétique (du lecteur) » (Ibid., p. 13).

Turgeon (2000), pour sa part, soutient qu’en milieu scolaire l’accent serait mis davantage sur le produit final que sur les processus d’écriture et sur la génération des idées. À l’instar de Sorin (2004), elle affirme que « l’activité d’écriture, au primaire, fait appel beaucoup plus au rationnel qu’à la créativité » (Turgeon, 2000, p. 32). Cette auteure définit la créativité comme étant « un processus par lequel un individu, placé dans une situation donnée, élabore un produit nouveau ou original, adapté aux contraintes et aux finalités de la situation » (Ibid.). La vision qu’a Turgeon (2000) de la créativité rejoint la définition de l’interdisciplinarité que nous avons retenue pour notre recherche, et qui est inspirée des travaux de Lenoir (2003) et de Fourez, Maingain et Dufour (2002), en ce sens qu’elle viserait à élaborer une représentation originale d’une notion, d’une situation ou d’une problématique. C’est pourquoi, dans le cadre de notre recherche, nous utiliserons l’expression « écriture créative » plutôt que « écriture littéraire », afin de mettre de l’avant l’importance de la mise à profit de l’imaginaire de l’élève dans l’écriture d’un récit. L’écriture créative (de l’anglais creative

writing) est souvent appelée création littéraire au Québec. Il s’agirait d’aborder l’écriture comme

étant un lieu de création (Tran, 2000). D’ailleurs, dans les dernières années, selon Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc (2010), « l’enseignement de l’écriture inventive (ou créative) a pris une importance considérable, en milieu scolaire en général et dans la classe de français en particulier, pour des élèves de tous les niveaux » (p. 269).

La créativité serait donc à la base de l’écriture créative. Une telle démarche d’écriture créative (inspirée d’une œuvre de littérature) pourrait s’inscrire dans une posture interdisciplinaire, dans ce que « la création (littéraire, scientifique, artistique, etc.) est toujours ce mélange inattendu de culture, de tradition, et de rupture, de hasard, d’innovation et d’imagination. Pas de création sans (une certaine) indiscipline » (Wolton, 2013, p. 218). Selon cet auteur, l’interdisciplinarité serait un état d’équilibre ou une dynamique entre savoirs et création, une manière d’« apprendre à penser » (Ibid.). Pour Sorin (2005), la lecture et l’écriture s’enrichissent mutuellement et l’une est transformée au contact de l’autre. L’élève s’inscrit dans une posture à la fois participative et distanciée. La

première relèverait de l’aspect émotif de l’écriture, de la mise en mots de l’imaginaire et de la perception du monde par l’élève, alors que la seconde relèverait des enjeux plus rationnels du travail sur la langue et le texte et s’exprimerait surtout après une analyse approfondie du récit.

Une démarche d’écriture créative pourrait contribuer à un processus d’appréciation d’une œuvre littéraire, en succédant à la lecture et à l’analyse approfondie d’une œuvre. L’équipe de Bara, Bonvallet et Rodier (2011), dont les travaux portent sur les écritures créatives, suggèrent de proposer aux élèves des activités qui favorisent à la fois la créativité et l’écriture, comme par exemple des activités où l’on imite, parodie ou modifie des textes, ainsi que les jeux littéraires (avec des contraintes à respecter). Le réinvestissement d’éléments observés dans l’œuvre d’un auteur, dans une production écrite par l’élève, peut alors prendre la forme d’une activité d’écriture « à la manière de », qui est l’objet de la prochaine section.