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La Cour, le droit et la conduite des hostilités : Analyse de la protection du droit à la vie par la Convention européenne des droits de l’homme dans la conduite des hostilités lors de conflits armés internes

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La Cour, le droit et la conduite des hostilités : Analyse de la protection du droit à la vie par la Convention européenne des droits de l'homme

dans la conduite des hostilités lors de conflits armés internes

VALLÉLIAN, Anton

Abstract

La Cour européenne des droits de l'homme est sur le point de rendre une décision dans le cadre du conflit armé qui a opposé la Géorgie à la Fédération de Russie en août 2008. La Géorgie se plaint notamment de violations du droit à la vie de plus de 228 civils suite aux attaques indiscriminées et disproportionnées de la Russie. Elle soutient à cet égard que le droit international humanitaire est la lex specialis par rapport aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme. Alors que la Cour s'est toujours montrée réticente à toute référence au droit humanitaire, cette nouvelle affaire remet sur le devant de la scène une question qui occupe la doctrine depuis plus de 50 ans: quelle attitude la Cour devrait-elle adopter face au droit humanitaire ?

VALLÉLIAN, Anton. La Cour, le droit et la conduite des hostilités : Analyse de la protection du droit à la vie par la Convention européenne des droits de l'homme dans la conduite des hostilités lors de conflits armés internes. Master : Univ. Genève, 2013

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30729

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La Cour, le droit et la conduite des hostilités

Analyse de la protection du droit à la vie par la Convention européenne des droits de l’homme dans la conduite des hostilités lors de conflits armés internes

Mémoire de maîtrise rédigé par Anton Vallélian, sous la direction de la Prof. Maya Hertig Randall 25 janvier 2013

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J'atteste que dans ce texte toute affirmation qui n'est pas le fruit de ma réflexion personnelle est attribuée à sa source et que tout passage recopié d'une autre source est en outre placé entre guillemets.

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Table des Matières

Introduction ... 1

I. Les conflits armés non internationaux ... 5

A. Des droits ... 5

B. Des conflits armés ... 5

II. Le droit à la vie et l’exception du recours à la force létale en droit international ... 9

A. En droit international humanitaire ... 10

1. Généralités ... 10

2. Les règles sur la conduite de hostilités ... 10

B. En droit international des droits de l’homme ... 13

1. Généralités ... 13

2. L’exception du recours à la force létale ... 14

a. L’affaire McCann ... 14

i. Préparation, contrôle et conduite des opérations ... 16

1. La conduite des opérations ... 16

2. La préparation et le contrôle de l’opération ... 16

ii. L’enquête ... 17

iii. Les conditions ... 18

b. Les affaires relatives aux bombardements en Tchétchénie ... 19

i. La répression d’une insurrection, un motif valable ? ... 20

ii. Les conditions ... 21

3. Paradigmes et conclusion ... 28

III. Le rapport entre les droits de l’homme et le droit international humanitaire ... 30

A. L’approche de la Cour interaméricaine et de la Cour internationale de Justice ... 31

1. La Cour interaméricaine des droits de l’homme et sa Commission ... 31

2. La Cour internationale de justice ... 34

B. Quelle approche pour la Cour européenne ? ... 36

Conclusion ... 41

Bibliographie ... 45

Table des abréviations ... 49

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Introduction

1. La Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) est sur le point de rendre une décision dans le cadre du conflit armé qui a opposé la Géorgie à la Fédération de Russie en août 2008.

La Géorgie se plaint notamment de violations du droit à la vie de plus de 228 civils suite aux attaques indiscriminées et disproportionnées de la Russie1. Elle soutient à cet égard que le droit international humanitaire est la lex specialis par rapport aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme2 (CEDH)3. Alors que la Cour s’est toujours montrée réticente à toute référence au droit humanitaire4, cette nouvelle affaire remet sur le devant de la scène une question qui occupe la doctrine depuis plus de 50 ans5 : quelle attitude la Cour devrait-elle adopter face au droit humanitaire ?

2. Si le droit international humanitaire et les droits de l’homme ont une finalité commune – la protection de l’homme –6, ils ne partagent pas pour autant une histoire commune7. Le droit humanitaire trouve son origine dans l’antiquité et s’est développé durant les guerres du Moyen-Âge en Occident. En tant que l’une des plus vielles matières du droit international public, il trouve sa raison d’être « dans le besoin d’humaniser l’une des plus anciennes prérogatives de l’Etat souverain […] : le droit de faire la guerre »8. Les droits de l’homme proposent une autre perspective. Fruit du siècle des Lumières, ils traitent des rapports internes entre l’Etat et les individus soumis à sa juridiction9. Plus récents, les droits de l’homme n’ont ainsi intégré le droit international public qu’après la Seconde Guerre mondiale10.

3. Outre leurs origines historiques distinctes, les buts et philosophies différents des organisations qui ont marqué ces deux domaines du droit ont contribué à les maintenir séparés. Alors que le Comité internationale de la Croix-Rouge (CICR) se focalise sur le droit de la guerre, le ius in

1 Géorgie c. Russie (II), décision sur recevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme du 13 décembre 2011 (Requête n° 38263/08), §§26-27.

2 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (RS 0.101).

3 Géorgie c. Russie (II), décision sur recevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme du 13 décembre 2011 (Requête n° 38263/08), §69.

4 Voir Parties II.B. et III.B.

5 La question de l’interaction et du rapprochement de ces deux branches du droit a formellement été abordée pour la première fois en 1968 dans la Résolution XXIII de la Conférence internationale des droits de l’homme (rebaptisée par la suite « Conférence mondiale sur les droits de l’homme ») intitulée, « Le respect des droits de l’homme en période de conflit armé » (KOLB Robert, Relations entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme – Aperçu de l’histoire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des Conventions de Genève, in Revue internationale de la Croix-Rouge 1998, 437–447, 447 (cité KOLB, Relations entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme). Voir infra Partie III et §83.

6 MARTIN Fanny, Le droit international humanitaire devant les organes de contrôle des droits de l’homme, in Droits fondamentaux 2001, 119–148, 137, disponible à l’adresse suivante : http://www.droits- fondamentaux.org/IMG/pdf/df1mardih.pdf (24.01.2013) (cité MARTIN).

7 Pour un historique de la relation entre le droit humanitaire et les droits de l’homme, voir KOLB, Relations entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme, 437–447 ; et GAGGIOLI Gloria, L’influence mutuelle entre les droits de l’homme et le droit international humanitaire à la lumière du droit à la vie, Genève 2010, 8-12 (cité GAGGIOLI).

8 MARTIN, 120.

9 MEYROWITZ Henri, Le droit de faire la guerre et les Droits de l’Homme, in Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger 1972, 1059–1105, 1096-1099.

10 KOLB Robert, Ius in bello : Le droit international des conflits armés, 2e édition, Bâle/Bruxelles 2009, 127 (cité KOLB, Ius in bello).

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bello, les Nations-Unies (ONU) se positionnent au niveau du ius ad bellum et condamnent fermement le droit de faire la guerre11. Soucieuses de réaliser cet objectif, les Nations-Unies craignaient que le simple fait d’aborder le ius in bello ne soit interprété comme un aveu d’impuissance de l’organisation ; incapable de maintenir la paix et donc contrainte à régir la guerre12. Ainsi, la Déclaration universelle des droits de l’homme13, œuvre majeure des droits de l’homme et des Nations-Unies, ne traite-t-elle pas du droit de la guerre. De son côté, le CICR percevait les droits de l’homme comme étant du ressort des Nations-Unies et craignait que « l’instillation des droits de l’homme dans le droit humanitaire [ne] politise ce dernier et [ne] le rende ainsi largement inopérant en période de guerre, période marquée par des divergences politiques et idéologiques les plus aiguës »14. A l’instar de l’ONU, le CICR entérina cette séparation, omettant pour sa part la question des droits de l’homme des Conventions de Genève (CG)15. Dans la logique dominante de l’époque, cette différence ne causait cependant pas de difficultés. Les droits de l’homme s’appliquaient en temps de paix et le droit humanitaire régissait les conflits armés ; la question de leur interaction ne se posait donc pas16.

4. Ces différences historiques et institutionnelles se sont répercutées en pratique. En premier lieu, les droits de l’homme bénéficient de juridictions internationales ordinaires et spécifiques, à l’image de la CourEDH et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CourADH), ce qui n’est pas le cas du droit international humanitaire17. Ensuite, leur champ d’application géographique n’est pas non plus identique. Les droits de l’homme s’exercent essentiellement à l’intérieur des frontières d’un Etat18, alors que le droit international humanitaire ne connaît pas de telles frontières19. De plus, contrairement à la CEDH qui est limitée aux Etats

11 Selon l’art. 1 par. 1 de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 (RS 0.120), l’un des buts premiers de l’organisation est de maintenir la paix et la sécurité internationale.

12 KOLB, Relations entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme, 440.

13 Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948.

14 KOLB, Ius in bello, 128.

15 Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, « Première Convention de Genève » (CG I ; RS 0.518.12) ; Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949,

« Deuxième Convention de Genève » (CG II ; RS 0.518.23) ; Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, « Troisième Convention de Genève » (CG III ; RS 0.518.42) ; et Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949,

« Quatrième Convention de Genève » (CG IV ; RS 0.518.51).

16 KOLB, Ius in bello, 128.

17 MARTIN, 119. Le droit humanitaire prévoit en revanche des mécanismes de contrôle permanents de sa mise en œuvre, à l’image des visites aux prisonniers de guerre et des rapports aux autorités par le CICR. Ce dernier insiste sur la coopération entre les parties belligérantes et se présente comme un intermédiaire neutre, préférant la persuasion par le bais d’un dialogue confidentiel aux sanctions. La diffusion du droit humanitaire est également un aspect fondamental de sa mission (voir à cet égard le site internet du CICR qui offre de précieuses informations sur la mission et le mode opératoire de cette organisation ; http://www.icrc.org/fre/who-we- are/mandate/index.jsp). Pour sa mise en œuvre et son effectivité, le droit humanitaire peut aussi compter sur les tribunaux pénaux internationaux et certaines juridictions internationales (voir infra §§11 et 64-72).

18 Voir notamment à ce sujet les affaires de la CourEDH Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], n° 52207/99, CEDH 2001-XII et Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], n° 27021/08, CEDH 2011, ainsi que la fiche thématique sur la juridiction extraterritoriale de la CourEDH, disponible à l’adresse suivante : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/D34FA717-6018-44F6-BC26-

1274E401982E/0/FICHES_Juridiction_extraterritoriale_FR.pdf (24.01.2013).

19 Le droit humanitaire s’applique tant aux conflits armés internationaux, qui ont par définition une composante extraterritoriale, qu’aux conflits armés non internationaux, sans que le critère du territoire ne s’érige en limite au droit en question. Voir à cet égard, l’art. 2 commun CG pour l’applicabilité du droit humanitaire aux conflits armés internationaux et l’art. 3 commun CG pour les conflits armés non internationaux.

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Introduction européens, le droit humanitaire a une portée mondiale20. La formulation des règles est également différente, les droits de l’homme emploient des formules concises et ouvertes, que les législateurs et tribunaux doivent par la suite concrétiser. Le droit humanitaire en revanche, régit des situations dans lesquels tribunaux et parlements ne sont souvent plus aptes à fonctionner. Il a donc davantage recours à des formules précises et détaillées21. D’ailleurs, outre leur formulation, le « code génétique » de ces règles est différent22. Le droit humanitaire est le résultat pragmatique d’une mise en balance entre des nécessités militaires et des considérations d’humanité, tandis que les droits de l’homme ont une vision plus idéaliste, tendant vers de grands principes fondateurs tels la dignité, l’égalité et la liberté23.

5. Toutes ces différences24 justifient-elles pour autant une séparation totale des deux branches ? Doctrine et jurisprudence tentent depuis plus de cinquante ans de réconcilier les deux domaines25. Les conflits armés internes ne sont pas étrangers à cette évolution. Comme il s’agit de conflits armés non internationaux, le droit humanitaire s’applique. Comme le conflit se déroule à l’intérieur des frontières de l’Etat, il en va de même pour les droits de l’homme.

Cette situation bien particulière déclenche ainsi les deux protections ; il y a en quelque sorte une « suroffre de droits ». Malgré ce que l’expression « suroffre de droits » peut laisser entendre, une telle situation ne mène pas nécessairement à une surprotection des droits. Bien au contraire, une suroffre de droits implique aussi une suroffre d’exceptions ; les lacunes et ambiguïtés se cumulent et réduisent d’autant la protection accordée à l’individu. Il est donc impératif d’édicter des règles claires et de les diffuser tant auprès de leurs destinataires que de leurs titulaires. Afin d’être acceptées et respectées, ces règles devront de plus mettre en balance les intérêts défendus par les deux branches du droit.

6. Par souci de précision et de concision, nous restreindrons notre analyse de deux manières.

D’une part, nous n’aborderons qu’un seul droit, celui sans lequel les autres seraient vains, le droit à la vie26. D’autre part, ce droit sera abordé dans des circonstances bien particulières, celles de la conduite des hostilités27 dans les conflits armés internes28. Dans un même souci,

20 Presque tous les Etats ont en effet ratifié les Conventions de Genève (194 Etats). Voir à cet égard la liste des Etats parties disponible sur le site du CICR, http://www.icrc.org/dih.nsf/INTRO?OpenView (24.01.2013).

21 KOLB, Ius in bello, 129.

22 GAGGIOLI,12.

23 Idem. WICKS résume avec pertinence cette différence en ces termes : « [i]nstead of beginning with an assumption that human life has an inherent value and will be preserved, [international humanitarian law]

acknowledge[s] the reality that war inevitably means the loss of human life on a massive scale and any system of law that seeks to regulate the conduct of a war cannot hope to prevent this (WICKS Elizabeth, The Right to Life and Conflicting Interests, Oxford 2010, 90 (cité WICKS)).

24 L’objet n’est pas de dresser un inventaire complet des aspects qui distinguent les droits de l’homme du droit humanitaire mais de mettre en évidence les différences les plus importantes pour la compréhension du présent travail. Pour un exposé systématique des différences, voir notamment KOLB, Ius in bello, 127-129, et GAGGIOLI, 8-12.

25 Voir infra Partie III et §83.

26 Sur le droit à la vie en droit international de manière générale, voir notamment l’ouvrage de WICKS,ainsi que RAMCHARAN BertrandG.(Ed.), The Right to Life in International Law, Dordrecht 1985, qui malgré le nombre des années demeure une œuvre majeure sur le sujet.

27 La conduite des hostilités s’entend de la situation sur le champ de bataille. Elle traduit l’absence de contrôle effectif des autorités sur le terrain. On peut notamment penser à la phase d’invasion dans une guerre traditionnelle. La conduite des hostilités se distingue notamment des opérations de police, qui visent à mettre en œuvre la loi ou rétablir l’ordre public (SASSOLI Marco, La Cour européenne des droits de l’homme et les conflits armés, in BREITENMOSER Stephan et al. (Eds.), Human Rights, Democracy and the Rule of Law – Liber amicorum Luzius Wildhaber, Zurich/Saint-Gall 2007, 709–731, 720 (cité SASSOLI, La Cour européenne des

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nous n’aborderons pas les questions de preuve et d’établissement des faits, mais nous concentrerons sur la substance du droit à la vie. Ainsi, après une présentation de la notion de conflit armé (I), nous analyserons l’exception au droit à la vie que constitue le recours à la force létale sous l’angle du droit humanitaire et des droits de l’homme (II). Nous examinerons ensuite le rapport entre ces deux branches du droit (III), avant de conclure.

droits de l’homme et les conflits armés)). Ces dernières sont, même en période de conflit armé, toujours régies par les règles des droits de l’homme (SASSOLI Marco/BOUVIER Antoine A./QUINTIN Anne, Un droit dans la guerre ?, Vol. 1, 2e édition, Genève 2012, 540 (cité SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN)).

28 Nous avons décidé de restreindre notre analyse aux conflits armés internes car la friction entre les deux branches du droit y atteint son paroxysme, comme expliqué au paragraphe précédent.

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I. Les conflits armés non internationaux A. Des droits

7. La guerre est l’état d’exception par excellence. D’aucuns iront même jusqu’à dire que les lois se taisent en temps de guerre29. L’interdit devient permis. On se tue l’un l’autre, avec l’assentiment de la société. Même pour le militaire, pourtant acteur et victime privilégié de la guerre, les conflits armés sont une expérience exceptionnelle30. Cependant, même dans un tel état d’exception, des règles existent et doivent être respectées. C’est là l’objet du droit international humanitaire : réglementer l’exception. De leur côté, les droits de l’homme semblent plus destinés à régir la société civile en temps de paix que des militaires en temps de guerre31. Pendant longtemps, il a même été soutenu que les droits de l’homme ne s’appliquaient pas en cas de guerre32. La résolution XIII de la Conférence internationale des droits de l’homme de 1968 a opéré à cet égard un tournant magistral, déclarant pour la première fois de manière formelle que les droits de l’homme ne cessent pas de s’appliquer en période de conflit armé33. Par la suite, plusieurs décisions de la Cour internationale de Justice (CIJ) confirmeront que les droits de l’homme continuent à s’appliquer en temps de guerre34. L’idée même des droits de l’homme justifie cette réponse : si les droits de l’homme sont inaliénables et inhérents à l’homme, pourquoi devraient-ils être se taire face aux canons35 ?

B. Des conflits armés

8. Afin de porter un regard critique sur le droit à la vie en période de conflit armé, il nous faut d’abord définir ce que nous entendons par « conflit armé ». Bien que certains traités de protection des droits de l’homme emploient des termes tels qu’ « état d’urgence », « guerre »,

29SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN, 107, qui citent CICERON, Pro Milone, 4.11 (« silent enim leges inter arma »).

30 Ibidem,526.

31 Le fait que les principaux traités de protection des droits de l’homme permettent de déroger aux droits qu’ils contiennent en cas de guerre traduit bien cette optique initiale (voir à cet égard l’art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte ONU II ; RS 0.103.2), l’art. 15 CEDH et l’art. 27 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme du 22 novembre 1969 (CADH)). Voir aussi, WICKS, 79 ; et SASSOLI Marco, Le droit international humanitaire, une lex specialis par rapport aux droits humains ?, in AUER Andreas/FLÜCKIGER Alexandre/HOTTELIER Michel (Eds.), Les droits de l’homme et la constitution – Etudes en l’honneur du Professeur Giorgio Malinverni, Genève/Zurich/Bâle 2007, 375–395, 375 (cité SASSOLI,Le droit international humanitaire, une lex specialis ?).

32 KOLB, Ius in bello, 128.

33 La résolution XIII de la Conférence internationale des droits de l’homme de 1968 est souvent considérée comme la première reconnaissance formelle de l’applicabilité des droits de l’homme en période de conflit armé (Respect des droits de l'homme en période de conflit armé, Résolution XXIII adoptée par la Conférence internationale des droits de l'homme à Téhéran, le 12 mai 1968) ; STEINER Henry J./ALSTON Philip/GOODMAN

Ryan, International Human Rights in Context: Law, Politics, Morals, 3e édition, Oxford 2007, 396 (cité STEINER/ALSTON/GOODMAN).

34 Voir notamment les affaires suivantes : Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, 226, §25 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, 126, §106 ; et Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Arrêt, C.I.J. Recueil 2005, 168, §216. Voir aussi, infra 61.

35 DROEGE Cardula, The Interplay between International Humanitarian Law and International Human Rights Law in Situations of Armed Conflict, in Israel Law Review 2007, 310-355, 324 (cité DROEGE,The Interplay).

Voir à cet égard le premier paragraphe du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.

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« émeute », « danger public exceptionnel » ou « insurrection »36 pour justifier tantôt des restrictions aux droits qu’ils contiennent, tantôt des dérogations, aucun de ces traités ne définit ces termes. Le droit international humanitaire comporte en revanche de telles définitions. Il s’agit même pour ce droit de définitions cardinales car elles en déterminent l’applicabilité.

Bien que la présente contribution se focalise sur les conflits armés non internationaux (CANI), le fait que ces derniers se définissent de manière négative par rapport aux conflits armés internationaux (CAI) nous impose de définir les CAI en premier lieu37.

9. Par CAI, on entend les cas de « guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’Etat de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles.38 » Le niveau de violence requis est très bas ; un coup de feu entre deux Etats suffit pour que le droit des CAI s’applique39.

10. Par opposition, les CANI sont les conflits qui ne sont pas internationaux, en d’autres termes ceux dans lesquels au moins une partie n’est pas un Etat40. L’art. 1 par. 2 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève (PA II) précise que les « situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues » ne sont pas considérés comme des conflits armés41. Le niveau de violence requis n’est donc pas identique à celui des CAI. Il est plus élevé42 ; un seul coup de feu ne suffit plus. Il faut un « affrontement armé prolongé qui oppose les forces armées gouvernementales aux forces d’un ou de plusieurs groupes armés, ou de tels groupes armés entre eux, et qui se produit sur le territoire d’un Etat […]. Cet affrontement armé doit atteindre un niveau minimal d’intensité et les parties impliquées dans le conflit doivent faire preuve d’un minimum d’organisation. »43 En plus de préciser le degré de violence requis, cette définition nous permet d’introduire le second critère : le minimum d’organisation des parties au conflit. A cet égard, les forces armées étatiques sont présumées avoir le minimum

36 « Etat d’urgence », art. 15 CEDH ; « guerre », art. 15 al. 1 et 2 CEDH, art. 27 al. 1 CADH ; « émeute », art. 2 al. 2 lit. c CEDH ; « danger public exceptionnel », art. 4 al. 1 Pacte ONU II ; et « insurrection », art. 2 al. 2 lit. c CEDH.

37 Le but n’est ici que de présenter brièvement la notion de CANI. Il n’y a donc pas lieu de se pencher sur les nombreuses controverses qui entourent les critères des CANI, ainsi que ceux plus stricts du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux du 8 juin 1977, « Protocole II » (PA II ; RS 0.518.522). Pour plus d’information sur ces critères, voir VITE Sylvain,Typology of armed conflicts in international humanitarian law : legal concepts and actual situations, in Revue internationale de la Croix-Rouge 2009, 69-94, 79-80, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/eng/assets/files/other/irrc-873-vite.pdf (24.01.2013).

38 Art. 2 par. 1 commun aux Conventions de Genève. Il convient de noter qu’au titre du paragraphe deux de cet article, le droit international humanitaire s’appliquera aussi « dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire. »

39 SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN,140-141.

40 Art. 3 commun CG, art. 1 PA II ; VITE, 75. Par souci de simplification, nous utiliserons indifféremment l’expression conflit armé non international et conflit armé interne. Il faut cependant noter qu’en droit humanitaire, ce ne sont pas des synonymes dans la mesure où un conflit armé non international peut opposer deux groupes armés n’appartenant pas à un même Etat.

41 Bien que cet article régisse le champ d’application du PA II, le critère qu’il établit est également applicable à l’art. 3 commun CG (voir à ce sujet, VITE, 75, note 23 et les références citées).

42 VITE, 75.

43 « Comment le terme « conflit armé » est-il défini en droit international humanitaire ? », Prise de position du CICR de mars 2008, 5-6, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/opinion- paper-armed-conflict-fre.pdf (24.01.2013), qui se réfère à la jurisprudence du Tribunal international pénal pour l’ex-Yougoslavie.

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Partie I : Les conflits armés non internationaux d’organisation requis. Il n’en va pas de même des groupes armés, dont le degré d’organisation nécessite une analyse au cas par cas44.

11. Suivant s’il s’agit d’un CAI ou d’un CANI, les règles conventionnelles applicables ne sont pas les mêmes. Conformément à leur champ d’application matériel respectif, les Conventions de Genève et le Protocole additionnel I s’appliquent aux CAI45, et l’art. 3 commun CG ainsi que le PA II s’appliquent aux CANI46. Les règles applicables aux CANI sont ainsi bien moins nombreuses que celles applicables aux CAI, malgré le fait que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la majorité des conflits armés soient internes47. La raison d’une telle différence est aisément compréhensible. Si les Etats étaient disposés à réglementer les relations qu’ils avaient entre eux, ils se montraient bien plus réticents à s’imposer des règles dans leurs affaires internes, qu’ils considéraient comme relevant de leur souveraineté exclusive48. L’influence des droits de l’homme, qui ne connaissent pas de telle distinction, ainsi que du droit international pénal, notamment au travers de la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, a cependant opéré un rapprochement important entre le droit des CANI et des CAI49. Peu à peu s’est ainsi cristallisé dans le droit coutumier

« un nombre non négligeable de règles unitaires, applicables à tout type de conflit armé »50. En 2005, afin de clarifier la situation, le CICR a établi une liste des règles coutumières en droit humanitaire, dont l’écrasante majorité s’applique tant dans les CAI que dans les CANI51.

44 Pour plus d’informations sur ces deux critères, voir la prise de position du CICR mentionnée à la note précédente, ainsi que l’affaire Le Procureur c. Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj, décision de la Chambre de première instance I du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie du 3 avril 2008, §§32-62, qui fait un examen complet et minutieux de la jurisprudence relative aux conditions d’application de l’art. 3 commun CG.

45 Art. 2 commun CG et art. 1 al. 3 et 4 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, « Protocole I » (PA I ; RS 0.518.521).

46 Art. 1 et 2 PA II.

47 KOLB, 447.

48 KOLB, Ius in bello, 447.

49 HAMPSON Françoise J., The relationship between international humanitarian law and human rights law from the perspective of a human rights treaty body, in Revue internationale de la Croix-Rouge 2008, 549–572, 557 (cité HAMPSON); et SASSÒLI,Le droit international humanitaire, une lex specialis ?, 378.

50 KOLB,Ius in bello, 447.

51 La liste des règles coutumières du droit humanitaire est le résultat d’une étude sur le droit international humanitaire coutumier entreprise par le CICR à la demande de la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Elle a notamment été publiée en annexe à l’article de HENCKAERTS Jean-Marie, Etude sur le droit international humanitaire coutumier. Une contribution à la compréhension et au respect du droit des conflits armés, in Revue internationale de la Croix-Rouge 2005, 289–330, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc_857_henckaerts_fr.pdf (24.01.2013). Cette liste ne fait cependant pas l’unanimité, comme le montre notamment l’art. 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 juillet 1998 (RS 0.312.1) qui maintient la distinction entre CAI et CANI et contient une liste considérablement plus longue de crimes pour les CAI. KOLB note à juste titre qu’« [i]l faut donc appréhender le phénomène de rapprochement des deux branches du droit dans l’optique propre aux temps de transition : le mouvement du droit s’oriente vers une assimilation progressive bien que non intégrale des deux branches » (KOLB,Ius in bello, 448).

Pour la nature coutumière des règles de droit international humanitaire voir le bref historique de MARTIN, 135- 136. A l’appui de son argument, l’auteure mentionne notamment l’Affaire du Détroit de Corfou (Arrêt, C.I.J.

Recueil 1949, 4), la décision sur le fond dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (Arrêt, C.I.J. Recueil 1986, 14) et l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, 226), dont le paragraphe 79 mérite d’être cité : [c]'est sans doute parce qu'un grand nombre de règles du droit humanitaire applicables dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des

« considérations élémentaires d'humanité », […]que la convention IV de La Haye et les conventions de Genève

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Les principales règles sur la conduite des hostilités figurent sur cette liste et peuvent donc être considérées comme applicables dans les deux types de conflit52.

12. De leur côté, les droits de l’homme n’opèrent pas de distinction similaire. Ils ne sont pas tributaires d’un seuil de violence et d’organisation, car ils s’appliquent aussi bien en temps de paix que de guerre53. Les droits de l’homme ne s’exercent cependant pas dans l’abstrait. La situation peut malgré tout influencer leur protection. L’urgence et le danger qui résultent d’une situation de conflit peuvent non seulement être pris en compte dans les analyses de nécessité et de proportionnalité que les organes de protection des droits de l’homme sont amenés à faire54, mais peuvent aussi permettre de déroger aux droits de l’homme. En effet, la plupart des traités de protection des droits de l’homme permettent – à certaines conditions – aux Etats de déroger aux droits qu’ils contiennent55. Les dérogations ne sont cependant pas sans limites, car ces mêmes traités interdisent, ou limitent, les dérogations à certains droits jugés essentiels, dont le droit à la vie56. Dans cette mesure, la protection du droit à la vie forme un corps unique de règles applicables tant à des prises d’otage, qu’à la guerre aérienne.

ont bénéficié d'une large adhésion des Etats. Ces règles fondamentales s'imposent d'ailleurs à tous les Etats, qu'ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu'elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier ».

52 Y figurent notamment, le principe de distinction (Règles 1, 2, 5, 6, 7, 8, 9 et 10), l’interdiction des attaques sans discrimination (Règles 11 à 13), les principes de proportionnalité dans l’attaque (Règle 14) et de précaution (Règles 15-21), ainsi que l’interdiction du refus de quartier (Règles 46-48) et l’interdiction des maux superflus (Règles 70 et 71).

53 ABRESCH William, A Human Rights Law of Internal Armed Conflict ; The European Court of Human Rights in Chechnya, in The European Journal of International Law 2005, 741-767, 742 (cité ABRESCH) ; KOLB, Ius in bello, 459.

54 Voir infra Partie II.B.2.

55 Art. 4 Pacte ONU II, art. 15 CEDH et art. 27 CADH. A cet égard, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 27 juin 1981 (CADHP) fait preuve d’originalité, car elle n’autorise aucune dérogation. La Cour africaine a eu l’occasion de confirmer qu’il ne s’agissait pas là d’une lacune mais d’un silence qualifié (Commission nationale des droits de l'Homme et des libertés c. Tchad (communication 74/92), décision de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 11 Octobre 1995 (18e session ordinaire), §32, disponible à l’adresse suivante : http://www.achpr.org/fr/communications/decisions/74.92/ (24.01.2013)).

56 Art. 4 al. 2 Pacte ONU II, art. 15 al. 2 CEDH et art. 27 al. 2 CADH. Il est intéressant de noter que la CEDH est le seul instrument à ne pas consacrer la nature indérogeable du droit à la vie. Elle ne fait que limiter les dérogations aux « cas de décès résultant d’actes licites de guerre ». Voir à cet égard infra §77.

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II. Le droit à la vie et l’exception du recours à la force létale en droit international

13. Le droit à la vie constitue, comme la Cour européenne des droits de l’homme aime à le répéter, une valeur fondamentale des sociétés démocratiques57. A l’évidence, le droit à la vie protège l’individu de l’Etat. L’Etat ne peut pas arbitrairement priver un individu de sa vie. Il s’agit de la dimension négative de ce droit qui impose une obligation de non-ingérence à l’Etat ; le droit de ne pas se faire tuer par l’Etat. Le droit à la vie ne s’arrête cependant pas là, car l’importance de ce droit ne permet pas à l’Etat de rester passif. Il doit aussi mettre en œuvre et protéger le droit à la vie58, notamment au travers d’une législation pénale qui condamne les atteintes à ce droit59, d’une réglementation sur l’usage de la force létale par les autorités60, mais aussi en s’assurant que les atteintes au droit à la vie donnent lieu à une enquête et que le résultat de cette enquête puisse servir lors d’une procédure contre le responsable de ces atteintes61. Il lui faudra également prendre des mesures d’ordre pratique pour protéger un individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui62, ce qui impliquera même parfois le recours à la force létale63. Au-delà d’une obligation de non- ingérence, le droit à la vie comporte donc également une dimension positive en droit international des droits de l’homme.

14. Ce droit, aussi fondamental soit-il, souffre cependant des exceptions tant à sa dimension positive que négative. Parmi celles-ci, l’exception du recours à la force létale par l’Etat retiendra notre attention. Cette dernière sera analysée sous l’angle des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Alors qu’il est approprié d’utiliser l’expression « exception du recours à la force létale » en droit international des droits de l’homme, il n’en va pas de même en droit humanitaire. En droit humanitaire, l’exception devient en quelque sorte le principe.

Bien qu’il serait malvenu de dire qu’il accorde un droit de tuer, tout comme la légitime défense n’accorde pas de droit de tuer, il est vrai que le droit humanitaire n’interdit pas – selon la cible et les circonstances – de causer la mort. Après une analyse sommaire des règles du droit international humanitaire (A), nous examinerons le droit à la vie à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH et tenterons de dégager les principes et règles qui sous- tendent les décisions de la Cour (B).

57 McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, §147, série A n° 324.

58 Voir notamment L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, §36, Recueil des arrêts et décisions 1998-III et Osman c.

Royaume-Uni, 28 octobre 1998, §§115-116, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII.

59 Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, §115, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII.

60 Voir infra §40.

61 Voir infra §§37-38.

62 Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, §§115-116, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII ; voir à cet égard infra §53.

63 Voir Partie II.B.2.

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A. En droit international humanitaire

1. Généralités

15. Le but du droit international humanitaire est « d'atténuer autant que possible les calamités de la guerre »64. A cette fin, il vise à diminuer les effets des conflits armés en limitant l’usage de la violence afin d’épargner ceux qui ne participent pas, ou plus, directement aux hostilités, et en restreignant la violence au niveau nécessaire à la réalisation du but du conflit, qui ne peut être que l’affaiblissement du potentiel militaire ennemi65. Le droit international humanitaire n’interdit donc pas l’usage de la violence66 ; il est de nature pragmatique. Ce pragmatisme, étranger aux droits de l’homme, résulte du compromis qui sous-tend ce droit, entre la nécessité militaire – l’objectif des parties au conflit étant (en principe) de remporter la guerre tout en subissant le moins de perte possible67 –, et des exigences humanitaires, soit la volonté de réduire au minimum les effets néfastes de la guerre68. Malgré la protection moindre que ce compromis génère, notamment par rapport à celle offerte par les droits de l’homme, il n’en demeure pas moins qu’il est indispensable. Car, il est inutile, voire contreproductif, d’avoir des règles dont personne ne se soucie, des règles que leurs destinataires négligent parce qu’elles sont jugées irréalistes, en inadéquation avec la réalité. Le droit humanitaire offre une protection certes moins absolue, mais plus effective : les militaires, qui connaissent ces règles et leurs limites, tendent à les respecter car ils sont conscients du compromis qu’elles intègrent, et souhaitent aussi se les voir appliquer.

16. Ainsi, dans une guerre, les nécessités militaires font qu’il doit être possible de tuer le combattant ennemi. Le recours à la force létale n’est alors plus l’exception, mais la règle. Sur le champ de bataille, le soldat qui tue son adversaire est autorisé à le faire. Il accomplit même par cet acte son devoir de soldat. Et, c’est précisément parce que le recours à la force létale n’est plus l’exception qu’il fait l’objet de règles spécifiques et détaillées en droit international humanitaire : les règles sur la conduite des hostilités.

2. Les règles sur la conduite des hostilités

17. Il ne s’agit pas ici de faire un exposé détaillé des nombreuses règles qui régissent la conduite des hostilités, mais de mettre l’accent sur les grands principes qui nous seront utiles lorsque nous traiterons de la protection des droits de l’homme en période de conflit armé69. Aussi ne faut-il pas perdre de vue que chacun des principes exposés ci-dessous dissimule quantités de règles plus précises et spécifiques.

64 Préambule de la Déclaration concernant l’interdiction des projectiles explosibles en temps de guerre du 29 novembre 1868 (RS 0.515.101), surnommée « Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 » ; STEINER/ALSTON/GOODMAN,70.

65 VITE, 70 ; SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN, 105 ; et Préambule de la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868.

66 SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN, 106.

67 STEINER/ALSTON/GOODMAN,70.

68VERRI Pietro, Dictionnaire du droit international des conflits armés, Genève 1988,81-82.

69 Ainsi, les règles présentées ci-dessous constituent une vulgarisation des règles applicables à la conduite des hostilités dans les CANI. De nombreux débats, quant à la portée et la nature coutumière de ces règles, sont intentionnellement omis afin de permettre une description simple et concise du régime.

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Partie II : Le droit à la vie et l’exception du recours à la force létale en droit international

18. Le principe de base est le principe de distinction. Selon la doctrine traditionnelle, dans un CANI, ne peuvent être attaquées que les personnes qui participent directement aux hostilités pendant la durée de leur participation70. Ce principe implique que si une personne participe directement aux hostilités, elle perd sa protection et peut être attaquée, sans qu’aucune proportionnalité ou précautions ne soient requises71.

19. Le droit humanitaire va cependant encore un pas plus loin, car il n’exclut pas la possibilité de pertes ou dommages civils lorsque des cibles légitimes sont attaquées, mais requiert une mise en balance entre les pertes civiles probables72 et l’avantage militaire attendu73. Ainsi, sont interdites « les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, […] qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu »74. La règle qui précède traduit deux principes cardinaux du droit international humanitaire. Le principe de proportionnalité, qui oppose l’avantage militaire concret et direct attendu aux pertes civiles à attendre, et l’interdiction des attaques indiscriminées, soit des attaques propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil75. La règle 13 de la liste des règles coutumières du droit

70 Art. 3 par. 1 ch. 1 commun CG, art. 4 par. 1 et 13 al. 3 PA II. Sur la participation directe aux hostilités, voir le Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire du CICR, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/fre/resources/documents/publication/p0990.htm (24.01.2013). La notion de participation aux hostilités est controversée. Certains, dont les Etats-Unis et Israël, adoptent la théorie de l’appartenance. Selon celle-ci, dès le moment où une personne est membre d’un groupe armé, elle peut être attaquée en tout temps. La doctrine traditionnelle considère en revanche qu’un civil peut être attaqué uniquement lorsqu’il participe directement aux hostilités. Cette dernière théorie, surnommée « théorie de la porte tambour » trouve un appui direct dans les textes conventionnels qui restreignent la perte de protection à la durée de la participation aux hostilités. La majorité des organes de supervision des droits de l’homme, dont la CourEDH, n’acceptent pas la première théorie, et seule une minorité consacre la seconde dans sa jurisprudence.

Dans la mesure où la théorie de l’appartenance ne trouve aucun soutien dans les décisions de la CourEDH, le présent travail se focalisera sur la théorie de la porte tambour (voir notamment à cet égard infra §§54 et 68 ainsi que KOLB Robert/GAGGIOLI Gloria, L'apport de la Cour Européenne des Droits de l'Homme au droit international humanitaire en matière de droit à la vie, in Revue suisse de droit international et européen 2007, 3–

11, 5-7 (cité KOLB/GAGGIOLI) et la deuxième recommandation du Guide interprétatif du CICR).

71 Comme le note avec justesse SASSOLI, « sur un champ de bataille […], [il serait peu réaliste d’] exiger des combattants d’essayer d’arrêter leur ennemis plutôt que de les attaquer et d’évaluer la proportionnalité entre la vie du combattant et l’importance de l’opération militaire » (SASSOLI, La Cour européenne des droits de l’homme et les conflits armés, 722).

72 L’expression « perte civile » sera dorénavant entendue comme regroupant les blessures et les morts civiles, ainsi que les dommages causés aux biens civils.

73 LAGOT Daniel, Quel droit international humanitaire pour les conflits armés actuels ?, Paris 2010, 45 (cité LAGOT).

74 Règle 14 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 52 par. 5 lit. b et 57 lit. a et b PA I, ainsi que LAGOT,48et SPEROTTO Federico, Counter-Insurgency, Human Rights, and the Law of Armed Conflict, in Human Rights Brief 2009, 19-23, 21, disponible à l’adresse suivante : http://www.wcl.american.edu/hrbrief/17/171.pdf (24.01.2013).

75 Règle 12 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11). Voir aussi, art. 54 par. 4 et 5 PA I. Sont ainsi interdites, les attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé, celles dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire déterminé et celles dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le droit international humanitaire. Par voie de conséquence, les armes de nature à frapper sans discrimination sont interdites (Règle 71). Bien que cette règle ne soit pas présente dans le PA II, doctrine et jurisprudence tendent à la consacrer dans le droit CANI (voir à cet égard KOLB,Ius in bello, 458, qui cite notamment l’abondante jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie).

(17)

international humanitaire précise en outre cette règle dans le cadre de la guerre aérienne76. Ainsi, « [l]es attaques par bombardement, quels que soient les méthodes ou moyens utilisés, qui traitent comme un objectif militaire unique un certain nombre d’objectifs militaires nettement espacés et distincts situés dans une ville, un village ou toute autre zone contenant une concentration analogue de personnes civiles ou de biens de caractère civil, sont interdites77. » Selon HENCKAERTS et DOSWALD-BECK, les attaques indiscriminées pourraient même dans certaines circonstances constituer des crimes de guerre dans les CANI78.

20. Afin d’encadrer le recours à la force, le droit humanitaire a recours à deux principes supplémentaires. Le principe de précaution et l’interdiction des maux superflus. Le principe de précaution implique que « [l]es opérations militaires doivent être conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. Toutes les précautions pratiquement possibles doivent être prises en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment.79 » En conséquence, l’attaquant doit notamment faire tout son possible pour vérifier que les objectifs à attaquer sont bel et bien militaires, choisir les moyens et méthodes de guerre qui réduisent au minimum les pertes civiles, annuler ou suspendre une attaque s’il s’avère que l’équilibre entre l’avantage militaire et les pertes civiles n’est plus réalisé et avertir la population civile de l’attaque si les circonstances le permettent80. Quant à l’interdiction de causer des maux superflus81, elle reflète le principe de nécessité. Car, pour gagner une guerre, il n’est pas nécessaire de causer des maux superflus et d’aggraver inutilement la souffrance des participants aux hostilités. Par voie de conséquence, les Etats n'ont pas un choix illimité quant aux armes qu'ils emploient82.

21. Une guerre menée dans le respect du droit international humanitaire peut donc malgré tout causer de lourdes pertes humaines et matérielles, qui en dehors de toute situation de conflit, ne seraient pas légales83. Il n’octroie pas pour autant un blanc-seing aux militaires. Il impose au contraire une analyse en trois phases, qui comprend les principes que nous venons d’examiner. Il s’agit d’abord de définir un objectif militaire légitime, en respectant le principe

76 Cette règle s’applique tant aux CAI qu’aux CANI.

77 Idem.

78 HENCKAERTS Jean-Marie/DOSWALD-BECK Louise, Droit international humanitaire coutumier, Vol. 1 : Règles, Bruxelles 2006, 795 : le crime de guerre serait « le fait de lancer une attaque sans discrimination qui cause des décès ou des blessures parmi les civils, ou de lancer une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civil qui sont excessifs ». La nature coutumière de ce crime est cependant remise en question par LAGOT, 49 et par l’absence d’une telle criminalisation dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (voir à cet égard l’art. 8 par. 2 lit. c à f du Statut).

79 Règle 15 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 57 PA I.

80 Règles 16, 17, 19 et 20 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 57 al. 2 PA I.

81 Règle 70 de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 35 al. 2 PA I. L’absence de cette règle du PA II et des crimes de guerre dans les CANI selon le Statut de Rome est regrettable et remet quelque peu en doute sa nature coutumière dans les CANI. Notons toutefois que ce qui n’est pas criminalisé, n’est pas pour autant permis.

82 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, 226, §78.

83 STEINER/ALSTON/GOODMAN, 70.

(18)

Partie II : Le droit à la vie et l’exception du recours à la force létale en droit international de distinction84. L’attaquant doit ensuite opérer une analyse de la proportionnalité de son attaque en mettant en balance l’avantage militaire attendu et les pertes civiles probables.

Finalement, il doit prendre les mesures de précautions nécessaires afin de minimiser les pertes civiles. Si une seule de ces trois phases n’est pas respectée, il y a violation des règles sur la conduite des hostilités.

B. En droit international des droits de l’homme

1. Généralités

22. Les traités universels et régionaux généraux de protection des droits de l’homme consacrent tous le droit à la vie85. Cependant, que ce soit au niveau universel ou régional, ils contiennent aussi, implicitement ou expressément, des exceptions à ce droit86.

23. La plupart d’entre eux envisagent et réglementent l’exception au droit à la vie que constitue la peine de mort. La réglementation conventionnelle de celle-ci a connu une évolution rapide et cohérente. D’abord tolérée selon un régime sommaire sous la CEDH87, elle fut par la suite encadrée avec précision au niveau universel88, puis régional89, avant d’être interdite en temps de paix en 198390 et de guerre en 200291. Contrairement à la peine capitale, l’exception du recours à la force létale par les autorités n’a pas connu une telle évolution conventionnelle.

Certes, il est possible de citer les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois adoptées par les Nations Unies92. Il ne s’agit cependant que de lignes directrices qui n’ont valeur contraignante que dans la mesure où elles reflètent des règles conventionnelles ou jurisprudentielles93. En Europe, la CEDH demeure donc dans ce domaine le seul texte obligatoire. La Convention fait cependant figure de bonne élève, car contrairement à ses homologues universels et régionaux, elle ne se contente pas de la formule absconse « [n]ul ne peut être arbitrairement privé de la vie » 94,

84 Un civil qui ne participe pas directement aux hostilités ne pourra donc jamais être la cible légitime d’une attaque.

85 Au niveau universel : art. 6 al. 1 Pacte ONU II ; bien que non contraignante en elle-même, la DUDH fait de même à son art. 3. Au niveau régional : art. 2 al. 1, 1e phrase, CEDH ; art. 4 CADH ; et art. 4 CADHP. Pour un examen systématique du droit à la vie sous la CEDH, voir KORFF Douwe, Le droit à la vie – Un guide sur la mise en œuvre de l’article 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, Strasbourg 2007 (cité KORFF).

86 Au niveau universel : art. 6 al. 1, 3e phrase, et al. 2 à 6 (implicitement) Pacte ONU II, ; et art. 29 al. 2 DUDH (implicitement). Au niveau régional : art. 2 al. 1, 2e phrase, et al. 2 CEDH (expressément) ; art. 4 al. 1, dernière phrase, et al. 2 à 6 (implicitement) CADH ; art. 4, 2e phrase in fine (implicitement) CADHP.

87 Art. 2 al. 1, 2e phrase, CEDH.

88 Art. 6 al. 1, 3e phrase, et al. 2 à 6 Pacte ONU II.

89 Art. 4 al. 1, dernière phrase, et al. 2 à 6 CADH. Notons qu’en vertu de l’al. 3 de cet article, les Etats qui ont aboli la peine de mort ont l’interdiction de la rétablir.

90 Art. 1 et 2 du Protocole n° 6 CEDH concernant l'abolition de la peine de mort du 28 avril 1983 (RS 0.101.06).

91 Art. 1 Protocole n° 13 CEDH relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances du 3 mai 2002 (RS 0.101.093).

92 Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990, disponibles à l’adresse suivante : http://www2.ohchr.org/french/law/armes.htm (24.01.2013).

93 Voir infra §40.

94 Au niveau universel : art. 6 al. 1, dernière phrase, Pacte ONU II. Au niveau régional : art. 4 al. 1, dernière phrase, CADH ; et art. 4, 2e phrase in fine, CADHP.

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