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15. Le but du droit international humanitaire est « d'atténuer autant que possible les calamités de la guerre »64. A cette fin, il vise à diminuer les effets des conflits armés en limitant l’usage de la violence afin d’épargner ceux qui ne participent pas, ou plus, directement aux hostilités, et en restreignant la violence au niveau nécessaire à la réalisation du but du conflit, qui ne peut être que l’affaiblissement du potentiel militaire ennemi65. Le droit international humanitaire n’interdit donc pas l’usage de la violence66 ; il est de nature pragmatique. Ce pragmatisme, étranger aux droits de l’homme, résulte du compromis qui sous-tend ce droit, entre la nécessité militaire – l’objectif des parties au conflit étant (en principe) de remporter la guerre tout en subissant le moins de perte possible67 –, et des exigences humanitaires, soit la volonté de réduire au minimum les effets néfastes de la guerre68. Malgré la protection moindre que ce compromis génère, notamment par rapport à celle offerte par les droits de l’homme, il n’en demeure pas moins qu’il est indispensable. Car, il est inutile, voire contreproductif, d’avoir des règles dont personne ne se soucie, des règles que leurs destinataires négligent parce qu’elles sont jugées irréalistes, en inadéquation avec la réalité. Le droit humanitaire offre une protection certes moins absolue, mais plus effective : les militaires, qui connaissent ces règles et leurs limites, tendent à les respecter car ils sont conscients du compromis qu’elles intègrent, et souhaitent aussi se les voir appliquer.

16. Ainsi, dans une guerre, les nécessités militaires font qu’il doit être possible de tuer le combattant ennemi. Le recours à la force létale n’est alors plus l’exception, mais la règle. Sur le champ de bataille, le soldat qui tue son adversaire est autorisé à le faire. Il accomplit même par cet acte son devoir de soldat. Et, c’est précisément parce que le recours à la force létale n’est plus l’exception qu’il fait l’objet de règles spécifiques et détaillées en droit international humanitaire : les règles sur la conduite des hostilités.

2. Les règles sur la conduite des hostilités

17. Il ne s’agit pas ici de faire un exposé détaillé des nombreuses règles qui régissent la conduite des hostilités, mais de mettre l’accent sur les grands principes qui nous seront utiles lorsque nous traiterons de la protection des droits de l’homme en période de conflit armé69. Aussi ne faut-il pas perdre de vue que chacun des principes exposés ci-dessous dissimule quantités de règles plus précises et spécifiques.

64 Préambule de la Déclaration concernant l’interdiction des projectiles explosibles en temps de guerre du 29 novembre 1868 (RS 0.515.101), surnommée « Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 » ; STEINER/ALSTON/GOODMAN,70.

65 VITE, 70 ; SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN, 105 ; et Préambule de la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868.

66 SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN, 106.

67 STEINER/ALSTON/GOODMAN,70.

68VERRI Pietro, Dictionnaire du droit international des conflits armés, Genève 1988,81-82.

69 Ainsi, les règles présentées ci-dessous constituent une vulgarisation des règles applicables à la conduite des hostilités dans les CANI. De nombreux débats, quant à la portée et la nature coutumière de ces règles, sont intentionnellement omis afin de permettre une description simple et concise du régime.

Partie II : Le droit à la vie et l’exception du recours à la force létale en droit international

18. Le principe de base est le principe de distinction. Selon la doctrine traditionnelle, dans un CANI, ne peuvent être attaquées que les personnes qui participent directement aux hostilités pendant la durée de leur participation70. Ce principe implique que si une personne participe directement aux hostilités, elle perd sa protection et peut être attaquée, sans qu’aucune proportionnalité ou précautions ne soient requises71.

19. Le droit humanitaire va cependant encore un pas plus loin, car il n’exclut pas la possibilité de pertes ou dommages civils lorsque des cibles légitimes sont attaquées, mais requiert une mise en balance entre les pertes civiles probables72 et l’avantage militaire attendu73. Ainsi, sont interdites « les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, […] qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu »74. La règle qui précède traduit deux principes cardinaux du droit international humanitaire. Le principe de proportionnalité, qui oppose l’avantage militaire concret et direct attendu aux pertes civiles à attendre, et l’interdiction des attaques indiscriminées, soit des attaques propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil75. La règle 13 de la liste des règles coutumières du droit

70 Art. 3 par. 1 ch. 1 commun CG, art. 4 par. 1 et 13 al. 3 PA II. Sur la participation directe aux hostilités, voir le Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire du CICR, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/fre/resources/documents/publication/p0990.htm (24.01.2013). La notion de participation aux hostilités est controversée. Certains, dont les Etats-Unis et Israël, adoptent la théorie de l’appartenance. Selon celle-ci, dès le moment où une personne est membre d’un groupe armé, elle peut être attaquée en tout temps. La doctrine traditionnelle considère en revanche qu’un civil peut être attaqué uniquement lorsqu’il participe directement aux hostilités. Cette dernière théorie, surnommée « théorie de la porte tambour » trouve un appui direct dans les textes conventionnels qui restreignent la perte de protection à la durée de la participation aux hostilités. La majorité des organes de supervision des droits de l’homme, dont la CourEDH, n’acceptent pas la première théorie, et seule une minorité consacre la seconde dans sa jurisprudence.

Dans la mesure où la théorie de l’appartenance ne trouve aucun soutien dans les décisions de la CourEDH, le présent travail se focalisera sur la théorie de la porte tambour (voir notamment à cet égard infra §§54 et 68 ainsi que KOLB Robert/GAGGIOLI Gloria, L'apport de la Cour Européenne des Droits de l'Homme au droit international humanitaire en matière de droit à la vie, in Revue suisse de droit international et européen 2007, 3–

11, 5-7 (cité KOLB/GAGGIOLI) et la deuxième recommandation du Guide interprétatif du CICR).

71 Comme le note avec justesse SASSOLI, « sur un champ de bataille […], [il serait peu réaliste d’] exiger des combattants d’essayer d’arrêter leur ennemis plutôt que de les attaquer et d’évaluer la proportionnalité entre la vie du combattant et l’importance de l’opération militaire » (SASSOLI, La Cour européenne des droits de

74 Règle 14 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 52 par. 5 lit. b et 57 lit. a et b PA I, ainsi que LAGOT,48et SPEROTTO Federico, Counter-Insurgency, Human Rights, and the Law of Armed Conflict, in Human Rights Brief 2009, 19-23, 21, disponible à l’adresse suivante : http://www.wcl.american.edu/hrbrief/17/171.pdf (24.01.2013).

75 Règle 12 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11). Voir aussi, art. 54 par. 4 et 5 PA I. Sont ainsi interdites, les attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé, celles dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire déterminé et celles dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le droit international humanitaire. Par voie de conséquence, les armes de nature à frapper sans discrimination sont interdites (Règle 71). Bien que cette règle ne soit pas présente dans le PA II, doctrine et jurisprudence tendent à la consacrer dans le droit CANI (voir à cet égard KOLB,Ius in bello, 458, qui cite notamment l’abondante jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie).

international humanitaire précise en outre cette règle dans le cadre de la guerre aérienne76. Ainsi, « [l]es attaques par bombardement, quels que soient les méthodes ou moyens utilisés, qui traitent comme un objectif militaire unique un certain nombre d’objectifs militaires nettement espacés et distincts situés dans une ville, un village ou toute autre zone contenant une concentration analogue de personnes civiles ou de biens de caractère civil, sont interdites77. » Selon HENCKAERTS et DOSWALD-BECK, les attaques indiscriminées pourraient même dans certaines circonstances constituer des crimes de guerre dans les CANI78.

20. Afin d’encadrer le recours à la force, le droit humanitaire a recours à deux principes supplémentaires. Le principe de précaution et l’interdiction des maux superflus. Le principe de précaution implique que « [l]es opérations militaires doivent être conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. Toutes les précautions pratiquement possibles doivent être prises en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment.79 » En conséquence, l’attaquant doit notamment faire tout son possible pour vérifier que les objectifs à attaquer sont bel et bien militaires, choisir les moyens et méthodes de guerre qui réduisent au minimum les pertes civiles, annuler ou suspendre une attaque s’il s’avère que l’équilibre entre l’avantage militaire et les pertes civiles n’est plus réalisé et avertir la population civile de l’attaque si les circonstances le permettent80. Quant à l’interdiction de causer des maux superflus81, elle reflète le principe de nécessité. Car, pour gagner une guerre, il n’est pas nécessaire de causer des maux superflus et d’aggraver inutilement la souffrance des participants aux hostilités. Par voie de conséquence, les Etats n'ont pas un choix illimité quant aux armes qu'ils emploient82.

21. Une guerre menée dans le respect du droit international humanitaire peut donc malgré tout causer de lourdes pertes humaines et matérielles, qui en dehors de toute situation de conflit, ne seraient pas légales83. Il n’octroie pas pour autant un blanc-seing aux militaires. Il impose au contraire une analyse en trois phases, qui comprend les principes que nous venons d’examiner. Il s’agit d’abord de définir un objectif militaire légitime, en respectant le principe

76 Cette règle s’applique tant aux CAI qu’aux CANI.

77 Idem.

78 HENCKAERTS Jean-Marie/DOSWALD-BECK Louise, Droit international humanitaire coutumier, Vol. 1 : Règles, Bruxelles 2006, 795 : le crime de guerre serait « le fait de lancer une attaque sans discrimination qui cause des décès ou des blessures parmi les civils, ou de lancer une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civil qui sont excessifs ». La nature coutumière de ce crime est cependant remise en question par LAGOT, 49 et par l’absence d’une telle criminalisation dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (voir à cet égard l’art. 8 par. 2 lit. c à f du Statut).

79 Règle 15 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 57 PA I.

80 Règles 16, 17, 19 et 20 de la de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 57 al. 2 PA I.

81 Règle 70 de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire, applicables tant dans les CAI que les CANI (voir supra §11) ; voir aussi, art. 35 al. 2 PA I. L’absence de cette règle du PA II et des crimes de guerre dans les CANI selon le Statut de Rome est regrettable et remet quelque peu en doute sa nature coutumière dans les CANI. Notons toutefois que ce qui n’est pas criminalisé, n’est pas pour autant permis.

82 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, 226, §78.

83 STEINER/ALSTON/GOODMAN, 70.

Partie II : Le droit à la vie et l’exception du recours à la force létale en droit international de distinction84. L’attaquant doit ensuite opérer une analyse de la proportionnalité de son attaque en mettant en balance l’avantage militaire attendu et les pertes civiles probables.

Finalement, il doit prendre les mesures de précautions nécessaires afin de minimiser les pertes civiles. Si une seule de ces trois phases n’est pas respectée, il y a violation des règles sur la conduite des hostilités.

B. En droit international des droits de l’homme