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7. La guerre est l’état d’exception par excellence. D’aucuns iront même jusqu’à dire que les lois se taisent en temps de guerre29. L’interdit devient permis. On se tue l’un l’autre, avec l’assentiment de la société. Même pour le militaire, pourtant acteur et victime privilégié de la guerre, les conflits armés sont une expérience exceptionnelle30. Cependant, même dans un tel état d’exception, des règles existent et doivent être respectées. C’est là l’objet du droit international humanitaire : réglementer l’exception. De leur côté, les droits de l’homme semblent plus destinés à régir la société civile en temps de paix que des militaires en temps de guerre31. Pendant longtemps, il a même été soutenu que les droits de l’homme ne s’appliquaient pas en cas de guerre32. La résolution XIII de la Conférence internationale des droits de l’homme de 1968 a opéré à cet égard un tournant magistral, déclarant pour la première fois de manière formelle que les droits de l’homme ne cessent pas de s’appliquer en période de conflit armé33. Par la suite, plusieurs décisions de la Cour internationale de Justice (CIJ) confirmeront que les droits de l’homme continuent à s’appliquer en temps de guerre34. L’idée même des droits de l’homme justifie cette réponse : si les droits de l’homme sont inaliénables et inhérents à l’homme, pourquoi devraient-ils être se taire face aux canons35 ?

B. Des conflits armés

8. Afin de porter un regard critique sur le droit à la vie en période de conflit armé, il nous faut d’abord définir ce que nous entendons par « conflit armé ». Bien que certains traités de protection des droits de l’homme emploient des termes tels qu’ « état d’urgence », « guerre »,

29SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN, 107, qui citent CICERON, Pro Milone, 4.11 (« silent enim leges inter arma »).

30 Ibidem,526.

31 Le fait que les principaux traités de protection des droits de l’homme permettent de déroger aux droits qu’ils contiennent en cas de guerre traduit bien cette optique initiale (voir à cet égard l’art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte ONU II ; RS 0.103.2), l’art. 15 CEDH et l’art. 27 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme du 22 novembre 1969 (CADH)). Voir aussi, WICKS, 79 ; et SASSOLI Marco, Le droit international humanitaire, une lex specialis par rapport aux droits humains ?, in AUER Andreas/FLÜCKIGER Alexandre/HOTTELIER Michel (Eds.), Les droits de l’homme et la constitution – Etudes en l’honneur du Professeur Giorgio Malinverni, Genève/Zurich/Bâle 2007, 375–395, 375 (cité SASSOLI,Le droit international humanitaire, une lex specialis ?).

32 KOLB, Ius in bello, 128.

33 La résolution XIII de la Conférence internationale des droits de l’homme de 1968 est souvent considérée comme la première reconnaissance formelle de l’applicabilité des droits de l’homme en période de conflit armé (Respect des droits de l'homme en période de conflit armé, Résolution XXIII adoptée par la Conférence internationale des droits de l'homme à Téhéran, le 12 mai 1968) ; STEINER Henry J./ALSTON Philip/GOODMAN

Ryan, International Human Rights in Context: Law, Politics, Morals, 3e édition, Oxford 2007, 396 (cité STEINER/ALSTON/GOODMAN).

34 Voir notamment les affaires suivantes : Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, 226, §25 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, 126, §106 ; et Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Arrêt, C.I.J. Recueil 2005, 168, §216. Voir aussi, infra 61.

35 DROEGE Cardula, The Interplay between International Humanitarian Law and International Human Rights Law in Situations of Armed Conflict, in Israel Law Review 2007, 310-355, 324 (cité DROEGE,The Interplay).

Voir à cet égard le premier paragraphe du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.

« émeute », « danger public exceptionnel » ou « insurrection »36 pour justifier tantôt des restrictions aux droits qu’ils contiennent, tantôt des dérogations, aucun de ces traités ne définit ces termes. Le droit international humanitaire comporte en revanche de telles définitions. Il s’agit même pour ce droit de définitions cardinales car elles en déterminent l’applicabilité.

Bien que la présente contribution se focalise sur les conflits armés non internationaux (CANI), le fait que ces derniers se définissent de manière négative par rapport aux conflits armés internationaux (CAI) nous impose de définir les CAI en premier lieu37.

9. Par CAI, on entend les cas de « guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si l’Etat de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles.38 » Le niveau de violence requis est très bas ; un coup de feu entre deux Etats suffit pour que le droit des CAI s’applique39.

10. Par opposition, les CANI sont les conflits qui ne sont pas internationaux, en d’autres termes ceux dans lesquels au moins une partie n’est pas un Etat40. L’art. 1 par. 2 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève (PA II) précise que les « situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues » ne sont pas considérés comme des conflits armés41. Le niveau de violence requis n’est donc pas identique à celui des CAI. Il est plus élevé42 ; un seul coup de feu ne suffit plus. Il faut un « affrontement armé prolongé qui oppose les forces armées gouvernementales aux forces d’un ou de plusieurs groupes armés, ou de tels groupes armés entre eux, et qui se produit sur le territoire d’un Etat […]. Cet affrontement armé doit atteindre un niveau minimal d’intensité et les parties impliquées dans le conflit doivent faire preuve d’un minimum d’organisation. »43 En plus de préciser le degré de violence requis, cette définition nous permet d’introduire le second critère : le minimum d’organisation des parties au conflit. A cet égard, les forces armées étatiques sont présumées avoir le minimum

36 « Etat d’urgence », art. 15 CEDH ; « guerre », art. 15 al. 1 et 2 CEDH, art. 27 al. 1 CADH ; « émeute », art. 2 al. 2 lit. c CEDH ; « danger public exceptionnel », art. 4 al. 1 Pacte ONU II ; et « insurrection », art. 2 al. 2 lit. c CEDH.

37 Le but n’est ici que de présenter brièvement la notion de CANI. Il n’y a donc pas lieu de se pencher sur les nombreuses controverses qui entourent les critères des CANI, ainsi que ceux plus stricts du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux du 8 juin 1977, « Protocole II » (PA II ; RS 0.518.522). Pour plus d’information sur ces critères, voir VITE Sylvain,Typology of armed conflicts in international humanitarian law : legal concepts and actual situations, in Revue internationale de la Croix-Rouge 2009, 69-94, 79-80, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/eng/assets/files/other/irrc-873-vite.pdf (24.01.2013).

38 Art. 2 par. 1 commun aux Conventions de Genève. Il convient de noter qu’au titre du paragraphe deux de cet article, le droit international humanitaire s’appliquera aussi « dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire. »

39 SASSOLI/BOUVIER/QUINTIN,140-141.

40 Art. 3 commun CG, art. 1 PA II ; VITE, 75. Par souci de simplification, nous utiliserons indifféremment l’expression conflit armé non international et conflit armé interne. Il faut cependant noter qu’en droit humanitaire, ce ne sont pas des synonymes dans la mesure où un conflit armé non international peut opposer deux groupes armés n’appartenant pas à un même Etat.

41 Bien que cet article régisse le champ d’application du PA II, le critère qu’il établit est également applicable à l’art. 3 commun CG (voir à ce sujet, VITE, 75, note 23 et les références citées).

42 VITE, 75.

43 « Comment le terme « conflit armé » est-il défini en droit international humanitaire ? », Prise de position du CICR de mars 2008, 5-6, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/opinion-paper-armed-conflict-fre.pdf (24.01.2013), qui se réfère à la jurisprudence du Tribunal international pénal pour l’ex-Yougoslavie.

Partie I : Les conflits armés non internationaux d’organisation requis. Il n’en va pas de même des groupes armés, dont le degré d’organisation nécessite une analyse au cas par cas44.

11. Suivant s’il s’agit d’un CAI ou d’un CANI, les règles conventionnelles applicables ne sont pas les mêmes. Conformément à leur champ d’application matériel respectif, les Conventions de Genève et le Protocole additionnel I s’appliquent aux CAI45, et l’art. 3 commun CG ainsi que le PA II s’appliquent aux CANI46. Les règles applicables aux CANI sont ainsi bien moins nombreuses que celles applicables aux CAI, malgré le fait que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la majorité des conflits armés soient internes47. La raison d’une telle différence est aisément compréhensible. Si les Etats étaient disposés à réglementer les relations qu’ils avaient entre eux, ils se montraient bien plus réticents à s’imposer des règles dans leurs affaires internes, qu’ils considéraient comme relevant de leur souveraineté exclusive48. L’influence des droits de l’homme, qui ne connaissent pas de telle distinction, ainsi que du droit international pénal, notamment au travers de la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, a cependant opéré un rapprochement important entre le droit des CANI et des CAI49. Peu à peu s’est ainsi cristallisé dans le droit coutumier

« un nombre non négligeable de règles unitaires, applicables à tout type de conflit armé »50. En 2005, afin de clarifier la situation, le CICR a établi une liste des règles coutumières en droit humanitaire, dont l’écrasante majorité s’applique tant dans les CAI que dans les CANI51.

44 Pour plus d’informations sur ces deux critères, voir la prise de position du CICR mentionnée à la note précédente, ainsi que l’affaire Le Procureur c. Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj, décision de la Chambre de première instance I du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie du 3 avril 2008, §§32-62, qui fait un examen complet et minutieux de la jurisprudence relative aux conditions d’application de l’art. 3 commun CG.

45 Art. 2 commun CG et art. 1 al. 3 et 4 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, « Protocole I » (PA I ; RS 0.518.521).

46 Art. 1 et 2 PA II.

47 KOLB, 447.

48 KOLB, Ius in bello, 447.

49 HAMPSON Françoise J., The relationship between international humanitarian law and human rights law from the perspective of a human rights treaty body, in Revue internationale de la Croix-Rouge 2008, 549–572, 557 (cité HAMPSON); et SASSÒLI,Le droit international humanitaire, une lex specialis ?, 378.

50 KOLB,Ius in bello, 447.

51 La liste des règles coutumières du droit humanitaire est le résultat d’une étude sur le droit international humanitaire coutumier entreprise par le CICR à la demande de la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Elle a notamment été publiée en annexe à l’article de HENCKAERTS Jean-Marie, Etude sur le droit international humanitaire coutumier. Une contribution à la compréhension et au respect du droit des conflits armés, in Revue internationale de la Croix-Rouge 2005, 289–330, disponible à l’adresse suivante : http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc_857_henckaerts_fr.pdf (24.01.2013). Cette liste ne fait cependant pas l’unanimité, comme le montre notamment l’art. 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 juillet 1998 (RS 0.312.1) qui maintient la distinction entre CAI et CANI et contient une liste considérablement plus longue de crimes pour les CAI. KOLB note à juste titre qu’« [i]l faut donc appréhender le phénomène de rapprochement des deux branches du droit dans l’optique propre aux temps de transition : le mouvement du droit s’oriente vers une assimilation progressive bien que non intégrale des deux branches » (KOLB,Ius in bello, 448).

Pour la nature coutumière des règles de droit international humanitaire voir le bref historique de MARTIN, 135-136. A l’appui de son argument, l’auteure mentionne notamment l’Affaire du Détroit de Corfou (Arrêt, C.I.J.

Recueil 1949, 4), la décision sur le fond dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (Arrêt, C.I.J. Recueil 1986, 14) et l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, 226), dont le paragraphe 79 mérite d’être cité : [c]'est sans doute parce qu'un grand nombre de règles du droit humanitaire applicables dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des

« considérations élémentaires d'humanité », […]que la convention IV de La Haye et les conventions de Genève

Les principales règles sur la conduite des hostilités figurent sur cette liste et peuvent donc être considérées comme applicables dans les deux types de conflit52.

12. De leur côté, les droits de l’homme n’opèrent pas de distinction similaire. Ils ne sont pas tributaires d’un seuil de violence et d’organisation, car ils s’appliquent aussi bien en temps de paix que de guerre53. Les droits de l’homme ne s’exercent cependant pas dans l’abstrait. La situation peut malgré tout influencer leur protection. L’urgence et le danger qui résultent d’une situation de conflit peuvent non seulement être pris en compte dans les analyses de nécessité et de proportionnalité que les organes de protection des droits de l’homme sont amenés à faire54, mais peuvent aussi permettre de déroger aux droits de l’homme. En effet, la plupart des traités de protection des droits de l’homme permettent – à certaines conditions – aux Etats de déroger aux droits qu’ils contiennent55. Les dérogations ne sont cependant pas sans limites, car ces mêmes traités interdisent, ou limitent, les dérogations à certains droits jugés essentiels, dont le droit à la vie56. Dans cette mesure, la protection du droit à la vie forme un corps unique de règles applicables tant à des prises d’otage, qu’à la guerre aérienne.

ont bénéficié d'une large adhésion des Etats. Ces règles fondamentales s'imposent d'ailleurs à tous les Etats, qu'ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu'elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier ».

52 Y figurent notamment, le principe de distinction (Règles 1, 2, 5, 6, 7, 8, 9 et 10), l’interdiction des attaques sans discrimination (Règles 11 à 13), les principes de proportionnalité dans l’attaque (Règle 14) et de précaution (Règles 15-21), ainsi que l’interdiction du refus de quartier (Règles 46-48) et l’interdiction des maux superflus (Règles 70 et 71).

53 ABRESCH William, A Human Rights Law of Internal Armed Conflict ; The European Court of Human Rights in Chechnya, in The European Journal of International Law 2005, 741-767, 742 (cité ABRESCH) ; KOLB, Ius in bello, 459.

54 Voir infra Partie II.B.2.

55 Art. 4 Pacte ONU II, art. 15 CEDH et art. 27 CADH. A cet égard, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 27 juin 1981 (CADHP) fait preuve d’originalité, car elle n’autorise aucune dérogation. La Cour africaine a eu l’occasion de confirmer qu’il ne s’agissait pas là d’une lacune mais d’un silence qualifié (Commission nationale des droits de l'Homme et des libertés c. Tchad (communication 74/92), décision de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 11 Octobre 1995 (18e session ordinaire), §32, disponible à l’adresse suivante : http://www.achpr.org/fr/communications/decisions/74.92/ (24.01.2013)).

56 Art. 4 al. 2 Pacte ONU II, art. 15 al. 2 CEDH et art. 27 al. 2 CADH. Il est intéressant de noter que la CEDH est le seul instrument à ne pas consacrer la nature indérogeable du droit à la vie. Elle ne fait que limiter les dérogations aux « cas de décès résultant d’actes licites de guerre ». Voir à cet égard infra §77.

II. Le droit à la vie et l’exception du recours à la force létale en droit international

13. Le droit à la vie constitue, comme la Cour européenne des droits de l’homme aime à le répéter, une valeur fondamentale des sociétés démocratiques57. A l’évidence, le droit à la vie protège l’individu de l’Etat. L’Etat ne peut pas arbitrairement priver un individu de sa vie. Il s’agit de la dimension négative de ce droit qui impose une obligation de non-ingérence à l’Etat ; le droit de ne pas se faire tuer par l’Etat. Le droit à la vie ne s’arrête cependant pas là, car l’importance de ce droit ne permet pas à l’Etat de rester passif. Il doit aussi mettre en œuvre et protéger le droit à la vie58, notamment au travers d’une législation pénale qui condamne les atteintes à ce droit59, d’une réglementation sur l’usage de la force létale par les autorités60, mais aussi en s’assurant que les atteintes au droit à la vie donnent lieu à une enquête et que le résultat de cette enquête puisse servir lors d’une procédure contre le responsable de ces atteintes61. Il lui faudra également prendre des mesures d’ordre pratique pour protéger un individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui62, ce qui impliquera même parfois le recours à la force létale63. Au-delà d’une obligation de non-ingérence, le droit à la vie comporte donc également une dimension positive en droit international des droits de l’homme.

14. Ce droit, aussi fondamental soit-il, souffre cependant des exceptions tant à sa dimension positive que négative. Parmi celles-ci, l’exception du recours à la force létale par l’Etat retiendra notre attention. Cette dernière sera analysée sous l’angle des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Alors qu’il est approprié d’utiliser l’expression « exception du recours à la force létale » en droit international des droits de l’homme, il n’en va pas de même en droit humanitaire. En droit humanitaire, l’exception devient en quelque sorte le principe.

Bien qu’il serait malvenu de dire qu’il accorde un droit de tuer, tout comme la légitime défense n’accorde pas de droit de tuer, il est vrai que le droit humanitaire n’interdit pas – selon la cible et les circonstances – de causer la mort. Après une analyse sommaire des règles du droit international humanitaire (A), nous examinerons le droit à la vie à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH et tenterons de dégager les principes et règles qui sous-tendent les décisions de la Cour (B).

57 McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, §147, série A n° 324.

58 Voir notamment L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, §36, Recueil des arrêts et décisions 1998-III et Osman c.

Royaume-Uni, 28 octobre 1998, §§115-116, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII.

59 Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, §115, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII.

60 Voir infra §40.

61 Voir infra §§37-38.

62 Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, §§115-116, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII ; voir à cet égard infra §53.

63 Voir Partie II.B.2.

A. En droit international humanitaire

1. Généralités

15. Le but du droit international humanitaire est « d'atténuer autant que possible les calamités de la guerre »64. A cette fin, il vise à diminuer les effets des conflits armés en limitant l’usage de la violence afin d’épargner ceux qui ne participent pas, ou plus, directement aux hostilités, et en restreignant la violence au niveau nécessaire à la réalisation du but du conflit, qui ne peut être que l’affaiblissement du potentiel militaire ennemi65. Le droit international humanitaire n’interdit donc pas l’usage de la violence66 ; il est de nature pragmatique. Ce pragmatisme, étranger aux droits de l’homme, résulte du compromis qui sous-tend ce droit, entre la nécessité militaire – l’objectif des parties au conflit étant (en principe) de remporter la guerre tout en subissant le moins de perte possible67 –, et des exigences humanitaires, soit la volonté de réduire au minimum les effets néfastes de la guerre68. Malgré la protection moindre que ce compromis génère, notamment par rapport à celle offerte par les droits de l’homme, il n’en demeure pas moins qu’il est indispensable. Car, il est inutile, voire contreproductif, d’avoir des règles dont personne ne se soucie, des règles que leurs destinataires négligent parce qu’elles sont jugées irréalistes, en inadéquation avec la réalité. Le droit humanitaire offre une protection certes moins absolue, mais plus effective : les militaires, qui connaissent ces règles et leurs limites, tendent à les respecter car ils sont conscients du compromis qu’elles intègrent, et souhaitent aussi se les voir appliquer.

16. Ainsi, dans une guerre, les nécessités militaires font qu’il doit être possible de tuer le combattant ennemi. Le recours à la force létale n’est alors plus l’exception, mais la règle. Sur le champ de bataille, le soldat qui tue son adversaire est autorisé à le faire. Il accomplit même

16. Ainsi, dans une guerre, les nécessités militaires font qu’il doit être possible de tuer le combattant ennemi. Le recours à la force létale n’est alors plus l’exception, mais la règle. Sur le champ de bataille, le soldat qui tue son adversaire est autorisé à le faire. Il accomplit même