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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de justice en 2014

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de justice en 2014

KOLB, Robert

KOLB, Robert. Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de justice en 2014.

Swiss Review of International and European Law , 2015, vol. 1, no. 25, p. 121-155

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:92913

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internationale de Justice en 2014

par Robert Kolb

1

Table des matières

I. Introduction : questions générales

II. L’affaire du Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt du 27 janvier 2014 A. Résumé

B. Commentaires

III. L’affaire de la Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), arrêt du 31 mars 2014

A. Résumé B. Commentaires

I. Introduction : questions générales

1. L’année 2014 se présente pour la Cour internationale de Justice (CIJ) comme une année à deux visages. Sur le plan jurisprudentiel, il s’agit d’une année dont le calme olympien est délicatement ponctué par deux affaires, l’une classique l’autre inhabituelle, et approfondi par l’absence relative d’ordonnances ou d’ar- rêts incidents sur les mesures conservatoires au sens de l’article 41 du Statut et sur l’intervention au sens des articles  62 ou 63 du Statut. L’affaire classique porte sur la délimitation maritime : affaire du Différend maritime (Pérou c.

Chili), arrêt du 27 janvier 2014. L’affaire inhabituelle porte sur la chasse à la baleine : affaire de la Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), arrêt du 31 mars 2014. Il s’agit de deux affaires typiques du champ opératoire habituel de la CIJ : affaires de moyenne importance, arrêts relativement suc- cincts, problèmes juridiques coagulés autour d’une question centrale (existence d’une frontière conventionnelle ou non, et en conséquence délimitation, d’un côté ; exercice de compétences de manière compatible avec un régime protec- teur international, de l’autre côté). Sur le plan de la mise en œuvre des arrêts de la CIJ, quelques nuages s’amoncellent. Le Japon a soufflé le froid et le chaud à l’égard de l’arrêt sur les baleines. De plus, une décision de la Cour constitution-

1 Professeur de droit international public à la Faculté de droit de l’Université de Genève ; Membre du Comité de rédaction.

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nelle italienne est venue remettre directement en cause l’exécution de l’arrêt sur les Immunités juridictionnelles des Etats de février 2012. On y reviendra dans le § 7 de cette Introduction. Enfin, il faut noter que la Cour a pris quelque léger retard dans certaines affaires complexes, notamment celle opposant la Croatie à la Serbie en matière de génocide. Il faut s’attendre au prononcé du jugement en ce début de 2015.

2. Le rôle de la Cour a subi des modifications modérées et sans surprises.

Une affaire est actuellement (au 31 décembre 2014) en délibéré : l’affaire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie). Viennent s’ajouter treize autres affaires, dont formellement cinq, mais matériellement trois, sont nouvelles. Les huit affaires suivantes  – deux concernent d’anciennes procédures déjà terminées par un arrêt – ont été trans- férées du rôle de l’année dernière : Projet Gabcíkovo-Nagymaros (Hongrie c.

Slovaquie) ; Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda) ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili) ; Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà des 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie) ; Violations alléguées de droits sou- verains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colom- bie) ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie). Les cinq affaires suivantes sont nouvelles, trois d’entre elles étant basées sur le même grief : Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua) ; Obliga- tions relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde, Iles Marshall c. Pakistan et Iles Marshall c. Royaume-Uni) ; et Délimitation mari- time dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya). C’est dire que la Cour est saisie actuellement de quatorze affaires, dont trois sont basées essentiellement sur le même grief. En 2013,onze affaires étaient pendantes à la fin de la période. En 2014, quatorze affaires sont ainsi pendantes, mais trois sont basées sur une identité de demandeur et similitude de grief. Matériellement, on peut donc considérer que la Cour est saisie de douze affaires « et demie ». C’est en tout cas une de plus qu’à la fin de l’année 2013.

3. Statistiquement, le champ matériel de la compétence est ventilé comme suit : deux affaires portent sur des suites d’anciens arrêts (Hongrie/Slovaquie et RDC c. Ouganda) ; une affaire porte sur la responsabilité internationale pour actes de génocide (Croatie c. Serbie) ; une autre affaire concerne les consé- quences juridiques de la saisie de documents confidentiels (Timor-Leste c. Aus- tralie) ; il en va de même pour certains faits illicites liés au territoire (Certaines

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activités …, Violations alléguées …, Construction d’une route …). Une affaire porte sur l’obligation de négocier en droit international général et surtout parti- culier (Bolivie c. Chili). Une (ou trois) affaires portent sur les obligations de droit international relatives au désarmement nucléaire (Iles Marshall). Enfin, trois affaires portent sur la délimitation maritime (Nicaragua c. Colombie ; Costa Rica c. Nicaragua et Somalie c. Kenya). La palette est ainsi assez variée.

On notera en particulier que le rôle ne comporte plus, en ce moment, d’affaire concernant la délimitation de frontières terrestres, pourtant un grand classique à La Haye. Du point de vue géographique, la distribution est nettement plus réduite. Deux affaires concernent l’Europe ; deux autres affaires touchent à l’Afrique ; une affaire relève de l’Asie du Sud ; et six affaires ont trait à l’Amé- rique centrale ou latine. Une (ou trois) affaires sont transcontinentales. C’est dire que nous nous situons au seul moment de l’histoire de la Cour dans lequel l’Amérique latine l’a saisie au moins d’autant d’affaires que tous les autres con- tinents réunis. Parmi les six affaires américaines, on notera que cinq d’entre elles concernent le Nicaragua. Depuis que cet Etat a obtenu gain de cause à la CIJ sur les Etats-Unis d’Amérique en 1986 (affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci), il est devenu le plus fidèle client de la Cour, et ce même s’il ne l’a pas toujours emporté sur ses adversaires momentanés.

4. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de cette concentration américaine d’affaires portées devant la Cour. Il paraît plus gênant de relever l’absence quasiment to- tale de ce continent géant qu’est l’Asie, où de graves contentieux internationaux couvent ou même éclatent. Le fait que l’Extrême Orient n’ait jamais eu une véritable tradition de règlement judiciaire des différends internationaux n’est pas un motif suffisant pour tempérer le regret exprimé. On notera aussi que les Grandes Puissances continuent à être éloignées du prétoire de la Cour, si l’on excepte la plainte des Iles Marshall contre le Royaume-Uni (seul Membre per- manent du Conseil de sécurité à posséder encore une déclaration facultative au sens de l’article 36, § 2, du Statut). Le rôle de la justice internationale par rap- port aux grands conflits de notre planète reste dans l’ensemble marginal. Mais il serait téméraire de penser que la Cour pourrait y mettre fin ou les résorber.

Le regret que l’on peut légitimement exprimer est qu’elle ne soit pas davantage consultée dans le contexte de tels conflits comme un élément dans un processus à plusieurs étapes dans la recherche de solutions viables. Comme le notait D.

Hammarskjöld, ancien Secrétaire général des Nations Unies : « It should […] be recognized that there are many international disputes which involve legal ques- tions along with political elements and that submission of such questions to the Court for judicial determination would clear the ground for processes of peace-

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ful negotiation in the political organs of the United Nations »2. Il suffira peut- être de noter, avec plus de réserve encore que feu l’éminent Secrétaire général, que la consultation de la Cour pourrait se présenter comme une aide dans cer- tains cas. De même, le déclin de la fonction consultative de la Cour dans le contexte du règlement des différends par les organes politiques de l’Organisa- tion mondiale (contrairement à la pratique à l’époque de la Société des Nations3) est emblématique de la place actuelle du droit international et en particulier de la Cour dans les « grands » différends.

5. Les trois (ou cinq) affaires nouvellement inscrites au rôle ont les objets suivants. (1) Le 26 février 2014, le Costa Rica introduisit une instance contre le Nicaragua au sujet d’un différend relatif à la délimitation maritime dans la mer des Caraïbes4. Le demandeur prie la Cour de délimiter les espaces pertinents dans la mer des Caraïbes et dans le Pacifique par une frontière maritime unique, affirmant que les négociations directes entre les parties n’ont pas abouti à une solution acceptée. Pour fonder la compétence de la Cour, le Costa Rica invoque l’article 36, § 2, du Statut de la CIJ, applicable par le jeu des déclarations d’ac- ceptation de la compétence faites le 20 février 1973 (Costa Rica) et le 24 sep- tembre 1929 (Nicaragua). En outre, le Costa Rica fonde la compétence de la Cour sur l’article 36, § 1, du Statut de la CIJ, par le jeu de l’article XXXI du Traité interaméricain de règlement pacifique des différends (Pacte de Bogotá) du 30 avril 1948. On remarquera que la compétence de la Cour – mis à part le jeu des réserves éventuelles – est plénière, tant sous le premier que sous le deu- xième titre de compétence invoqués, si bien que la Haute Juridiction pourra probablement se fonder sur un seul de ces titres pour trancher l’affaire au fond.

(2) Le 24 avril 2014, le Gouvernement de la République des Iles Marshall a déposé des requêtes contre neuf Etats pour manquement allégué à leurs obliga- tions concernant la cessation de la course aux armes nucléaires à une date rap- prochée et le désarmement nucléaire5. Ces neufs Etats, par ordre alphabétique, sont : la Chine, les Etats-Unis d’Amérique, la Russie, la France, l’Inde, Israël, le Pakistan, la République populaire démocratique de Corée et le Royaume-Uni.

Seuls trois Etats parmi ceux ainsi cités reconnaissent la compétence obligatoire de la CIJ en vertu de l’article 36, § 2, du Statut. A l’appui des requêtes formulées contre ces trois Etats, le demandeur invoque la clause facultative de juridiction.

2 Cité dans : B. S. Chimni, « The International Court and the Maintenance of Peace and Security : The Nicaragua Decision and the United States Response », ICLQ, vol. 35, 1986, p. 968.

3 Cf. K. Oellers-Frahm, « Article 96 UN Charter », in : A. Zimmermann/C. Tomuschat/K. Oel- lers-Frahm/C. Tams (eds), The Statute of the International Court of Justice, A Commentary, 2. éd., Oxford, 2012, p. 211.

4 Communiqué de presse 2014/11.

5 Communiqué de presse 2014/18.

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Dès lors, ces affaires sont inscrites au rôle de la Cour. S’agissant des six autres Etats, le demandeur entend se fonder sur l’article 38, § 5, du Règlement. Il invite les Etats cités à accepter ad hoc la compétence de la Cour. Tant qu’une telle acceptation ne sera pas intervenue, la Cour n’inscrira pas ces requêtes au rôle de la Cour, au vu du manque manifeste d’un titre de compétence consensuel.

Parmi les trois affaires inscrites au rôle, l’une concerne un Etat partie au Traité sur la non-prolifération nucléaire (TPN, 1968), le Royaume-Uni ; les deux autres des Etats non parties au TPN, l’Inde et le Pakistan. En conséquence, s’agissant du Royaume-Uni, le demandeur invoque principalement la violation de l’article VI du Traité, portant sur l’obligation de négocier la bonne foi le désarmement nucléaire. Il met en exergue le comportement négatif et obstructionniste du défendeur. S’agissant des deux autres défendeurs, le demandeur prétend que ces obligations de négociation de bonne foi sur le désarmement nucléaire existent aussi en droit international général. Or, la politique des deux Etats concernés irait directement à l’encontre du désarmement nucléaire ; elle consisterait en une course effrénée vers le renforcement de cet armement. La distinction rela- tive à la participation ou non au TPN est maintenue par le demandeur vis-à-vis des six Etats qu’il cite devant la Cour sur la base de l’article 38, § 5, du Règle- ment. (3) Le 28 août 2014, la Somalie a introduit une instance contre le Kenya au sujet d’un différend relatif à la délimitation maritime dans l’océan indien6. Dans sa requête, le demandeur soutient que les deux Etats sont en désaccord sur l’emplacement de la frontière maritime dans la zone où se chevauchent les es- paces maritimes auxquels ils prétendent, et que les négociations diplomatiques menées n’ont pas permis de résoudre leur désaccord. La Somalie prie en consé- quence la Cour de déterminer le tracé complet de la frontière maritime unique départageant l’ensemble des espaces maritimes relevant des deux Etats. De l’avis du demandeur, la ligne frontière devrait être tracée en conformité des articles 15, 74 et 83 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) et de la jurisprudence récente de la Cour (procédé en trois étapes).

Le demandeur invoque comme base de compétence l’article 36, § 2, du Statut en faisant ainsi référence aux déclarations facultatives des deux Etats. La So- malie invoque aussi, à l’appui de la compétence obligatoire de la CIJ, l’ar- ticle 282 de la CNUDM, qui constitue une clause compromissoire.

Il faut noter au passage que l’Argentine a communiqué à la Cour, le 7 août 2014, son intention de la saisir au sujet d’une requête contre les Etats-Unis d’Amérique portant sur un différend relatif à des décisions judiciaires des Etats- Unis sur la restructuration de la dette souveraine argentine7. L’Argentine sou-

6 Communiqué de presse 2014/27.

7 Communiqué de presse 2014/25.

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tient que par ces décisions judiciaires les Etats-Unis ont porté atteinte à sa sou- veraineté et aux immunités juridictionnelles dont elle bénéficie. L’Argentine entend fonder sa compétence sur l’article 38, § 5, du Règlement de la Cour. Tant que les Etats-Unis d’Amérique n’auront pas accepté l’invitation de se soumettre à la compétence de la Cour, et à défaut de tout autre titre de compétence, l’ins- tance n’est pas inscrite au rôle de la Cour. La requête a été transmise au Gouvernement des Etats-Unis et l’affaire est restée en l’état.

Les trois premières affaires dont il a été question sont toutes fondées, du moins en partie, sur la compétence obligatoire de la Cour en vertu de l’ar- ticle 36, § 2, du Statut. Ce fait montre à quel point les affirmations péremptoires et parfois acidulées de certains commentateurs, notamment américains8, suite à l’arrêt Nicaragua de 1984/1986, selon lesquelles la clause facultative serait définitivement en déclin après cet arrêt de la Cour, ont été excessives, et en conséquence à quel point le commentateur avisé devrait s’abstenir de jouer au prophète. Au contraire : avec le recul, il est possible de dire que l’arrêt Nicara- gua mentionné a marqué la sortie de crise de la CIJ et un nouvel essor de la clause facultative.

6. Il y a lieu de noter aussi une série d’autres événements épars concernant la Cour. En premier lieu9, la réélection du Greffier de la Cour, M. Philippe Cou- vreur, de nationalité belge, qui se distingue par un très haut niveau de connais- sance de la Cour, de sa procédure et de sa jurisprudence.

En deuxième lieu10, l’autorisation par la Cour de la présentation d’une réplique du Nicaragua et d’une duplique du Costa Rica dans l’affaire de Cer- taines Activités menées par le Nicaragua dans la région frontière. Le fait peut paraître banal et sans doute l’est-il, mais il permet de mettre en exergue la dé- férence de la Cour aux désirs des parties en matière de pièces de procédure additionnelles11.

En troisième lieu, le 3 mars 2014, la Cour a rendu son ordonnance en indi- cation de mesures conservatoires en l’affaire Timor-Leste c. Australie12. Il s’agit de documents et de pièces saisis par l’Australie, qui selon le Timor Oriental se rapportent à un arbitrage actuellement en cours entre les deux Etats. Par consé- quent, ces documents seraient recouverts par l’inviolabilité de la correspon-

8 Voir par exemple W. M. Reisman, « Has the International Court Exceeded its Jurisdiction ? », AJIL, vol. 80, 1986, p. 128 ff. A l’intérieur même de la Cour, voir par exemple l’opinion dissidente du Juge Oda, CIJ, Recueil, 1986, p. 513. Certains auteurs notaient que la Clause facultative était déjà à l’agonie : J. Verhoeven, « Le Droit, le Juge et la Violence », RGDIP, vol. 91, 1987, p. 1199–

1200.

9 Communiqué de presse 2014/3.

10 Communiqué de presse 2014/5.

11 Voir R. Kolb, The International Court of Justice, Oxford, 2013, p. 964.

12 Communiqué de presse 2014/12.

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dance diplomatique. Dans son ordonnance, la Cour décide : (i) par douze voix contre quatre, que l’Australie devra faire en sorte que le contenu des éléments saisis ne soit d’aucune manière et à aucun moment utilisé par une quelconque personne au détriment du Timor, et ce, jusqu’à ce que la présente affaire vienne à son terme ; (ii) par la même majorité, que l’Australie devra conserver sous scellés les documents saisis, ainsi que toute copie qui en aurait été faite, jusqu’à toute nouvelle décision de la Cour ; (iii) par quinze voix contre une, que l’Aus- tralie ne devra s’ingérer d’aucune manière dans les communications entre le Timor et ses conseillers juridiques ayant trait à l’arbitrage en cause actuellement en cours, à toute négociation bilatérale future sur la délimitation maritime, ou à toute autre procédure entre les deux Etats qui s’y rapporte, dont la présente instance devant la Cour. Quant au raisonnement de La Cour, on notera ce qui suit : (i) la compétence prima facie est fondée sur les déclarations facultatives respectives en vertu de l’article 36, § 2, du Statut ; (ii) la plausibilité des droits invoqués et le lien nécessaire entre ces droits et l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond ont été établis à la satisfaction de la Haute Juridic- tion ; (iii) le risque de préjudice irréparable et l’urgence des mesures à indiquer sont également établis : la parte de confidentialité des documents mettrait en cause l’égalité des parties dans l’arbitrage ; (iv) enfin, l’engagement de l’Attor- ney General de l’Australie de ne pas faire usage de ces éléments peut bien s’ana- lyser comme un acte unilatéral contraignant, mais il est temporellement limité à la phase s’étendant jusqu’à ce que la Cour rende son ordonnance sur les me- sures conservatoires ; de plus, le Gouvernement australien s’est réservé la pos- sibilité de faire usage de ces éléments dans certaines circonstances touchant à la sécurité nationale. C’est dire que le risque de préjudice et l’urgence requis n’ont pas disparu.

En quatrième lieu, on notera l’inauguration d’une réplique de la stèle du Code de Hammourabi au siège de la Cour13. Ce fait rappelle opportunément que des pays aujourd’hui tourmentés par la guerre et même par la barbarie ont eu un passé parfois glorieux.

En cinquième lieu, il faut faire état de la visite officielle du Secrétaire géné- ral adjoint aux affaires juridiques et conseiller juridique de l’ONU, M. Miguel de Serpa Soares, à la Cour14, le 9 mai 2014, ainsi que de la visite du Conseil de sécurité des Nations Unies à la Haute Juridiction15, le 11 août 2014.

En sixième et dernier lieu, l’année 2014 a été une année d’élection de juges.

Le 6 novembre 201416, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont réélu

13 Communiqué de presse 2014/19.

14 Communiqué de presse 2014/20.

15 Communiqué de presse 2014/26.

16 Communiqué de presse 2014/32.

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les Juges M. Bennouna et J. E. Donogue à la Cour pour un mandat de neuf ans, qui prendra effet à compter du 6 février 2015. J. Crawford, célèbre et éminent professeur de droit international, a été élu à la Cour pour un mandat de même durée commençant le même jour. Le 17 novembre 2014, le quatrième juge a pu être élu, dont le mandat commencera le même 6 février 2015. Il d’agit du Juge P. L. Robinson, ancien Président du TPIY17.

7. Il reste à cette place à revenir brièvement sur la question des suites des arrêts rendus18. Traditionnellement, le bilan de la CPJI et de la CIJ est en cette matière étonnamment solide, le principe du consentement à la compétence de la Cour y étant sans doute pour quelque chose19. Si la mise en œuvre de certains arrêts a pu nécessiter des opérations complexes et prendre du temps, il n’y a eu que quelques rares cas de mauvaise volonté manifeste et d’obstructionnisme tenace. Même dans ces cas, l’arrêt de la Cour aura souvent eu certains effets bénéfiques incidents : par exemple, dans l’affaire des Otages à Téhéran de 1980, le fait de contribuer à ouvrir le chemin à la négociation d’Alger de 1981 ; ou dans l’affaire Nicaragua de 1986, le fait de mettre sous une pression supplémentaire, au Congrès, la politique de l’administration de R. Reagan. En conséquence, le soutien au Contras a diminué après 1986. D’autres circonstances – telles que l’Irangate – ont évidemment contribué à ce résultat. Dans l’année 2014, certains événements clés relatifs à la question de l’exécution des arrêts doivent être notés.

D’abord20, suite à l’arrêt Chasse à la baleine, le Premier ministre japonais, S. Abe, dans son effort plus général de réhabiliter un certain nationalisme japo- nais, a affirmé avec hargne que la chasse baleinière de son pays continuerait. Il a entretenu une attitude ambiguë de défiance vis-à-vis de l’arrêt de la Cour, tout en n’insinuant pas directement que son pays récusât le jugement et se refusât à l’exécuter. Les ministères compétents ont pu par la suite préciser que l’arrêt serait exécuté. En même temps, il a été dit que la chasse serait intensifiée dans des zones non couvertes par l’arrêt (celui-ci ne concerne que la chasse dans l’Antarctique). Il a aussi été suggéré que le programme de prélèvement de ba-

17 Communiqué de presse 2014/33.

18 Sur le caractère contraignant des arrêts rendus, voir les articles 59 du Statut et 94, § 1, de la Charte des Nations Unies.

19 Voir sur cette question, entre autres, A. Azar, L’exécution des décisions de la Cour internationale de Justice, Bruxelles, 2003 ; C. Schulte, Compliance with Decisions of the International Court of Justice, Oxford, 2004.

20 Voir par exemple les contributions dans la NZZ :

<http ://zeitungsarchiv.nzz.ch/search/result/ ?SEARCH_sort_index_sortby=DA&SEARCH_

sort_order_sortby=descending&SEARCH_query=japan+walfang&SEARCH_range_lower_da- range=12.01.2014&SEARCH_range_upper_darange=06.01.2015&SEARCH_au=&SEARCH_

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leines antarctiques pourrait être révisé de manière à suffire aux injonctions de la Cour. Dans ce cas, il ne serait pas illicite de reprendre la chasse à des fins

« scientifiques » dans la zone de l’Antarctique. Au total, le bouquet de ces affir- mations brille par un clair-obscur indéfinissable. Le devoir d’exécuter l’arrêt n’est qu’à peine égratigné, mais les opérations de contournement en zone grise vont bon train. Ce n’est pas de très bon augure, même si la conduite finalement choisie devait s’avérer compatible avec le dispositif de l’arrêt rendu. Ce jeu du froid et du chaud n’est pas de nature à renforcer l’autorité de la Cour chez les observateurs extérieurs, et en premier lieu chez cette farandole de journalistes, toujours aux aguets du dysfonctionnement d’institutions internationales.

D’une autre nature est la remise en cause de l’arrêt sur les Immunités juri- dictionnelles rendu contre l’Italie le 3 février 2012. Ici, le Gouvernement italien n’a aucunement contesté son devoir de mettre en œuvre le jugement. Il s’est même exécuté fidèlement de ce devoir par l’adoption d’une loi qui mettait fin à la faculté des tribunaux italiens de méconnaître l’immunité juridictionnelle d’Etats étrangers. La contestation est venue d’un véritable putsch judiciaire.

Celui-ci s’inscrit dans une belle trame de rodomontades diverses, allumant de mille feux les rapports difficiles entre le Juge et l’Exécutif de ce pays. En effet, par une décision no 238/2014 de la Cour constitutionnelle italienne21, il a été décidé que la mise en œuvre de l’arrêt de la CIJ et son introduction dans le droit interne est contraire à la Constitution italienne. Une telle réception dans le droit interne à fin d’exécution est selon la Cour constitutionnelle contraire aux droits fondamentaux de la personne (article 2) et au droit d’accès à un juge (article 24) garantis par la Constitution. Etant donné que l’arrêt de la CIJ demande un sa- crifice complet de ces droits sans procéder à une mise en balance suffisante des intérêts, il est contraire aux principes constitutionnels sus-énoncés, principes auxquels le législateur ne saurait dans ces conditions déroger par la loi. La Cour constitutionnelle n’a pas hésité à affirmer que même le pouvoir constituant ne pourrait pas écarter ces principes des droits de l’homme pour faire exécuter une obligation aussi mal balancée que celle imposée par la CIJ22. C’est dire que, selon une lecture dualiste extrême, le droit interne fait échec à l’application de la norme internationale, telle que constatée par la CIJ. Ce n’est pas le droit in- terne qui doit s’adapter au droit international, comme l’affirment déjà d’anciens

21 Sur cette décision et ses suites, voir R. Kolb, « The Relationship between the International and the Municipal Legal Order : Reflections on the Decision no. 238/2014 of the Italian Constitutional Court », Questions of International Law, Zoom Out II, 2014, p. 5–16 (<http ://www.qil-qdi.org>) ; voir aussi les autres contributions sur ce jugement dans le même Journal.

22 Au §  3.2 : « Essi rappresentano […] gli elementi indicativi ed irrinunciabili dell’ordinamento costituzionale, per ciò stesso sostratti anche alla revisione costituzionale ».

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arbitrages23, c’est au contraire le droit international qui doit s’adapter au droit interne, avec son exigence de mise en balance des intérêts. De plus, ce dualisme aboutit à un conflit d’obligations potentiellement « éternel » et insoluble : même le pouvoir constituant ne peut pas résorber le conflit par une révision de la constitution. Etant donné qu’il est incontestable que l’Italie reste tenue par l’obligation internationale de reconnaître l’immunité des Etats étrangers et d’exécuter l’arrêt de la Cour, elle se trouve désormais prise dans le feu d’une contradiction entre obligations devenue littéralement irréconciliable. En droit interne, elle ne peut échapper à l’obligation d’accepter que les tribunaux mécon- naissent l’arrêt de la CIJ ; en droit international, elle reste obligée à reconnaître les effets de l’arrêt de la CIJ et de mettre un terme aux agissements de ses tri- bunaux. Au total, l’Italie a été condamnée par la Consulta à rester durablement et sans issue visible en violation de l’arrêt de 2012. Les tribunaux italiens pour- ront à nouveau procéder à l’encontre d’Etats étrangers, notamment l’Allemagne, étant donné que la loi inhibitrice a été écartée par la Cour constitutionnelle.

Même des règlements concertés entre les Etats concernés n’apporteraient pas nécessairement une solution. En effet, si les droits de l’homme en cause relèvent du jus cogens, comme il a été vigoureusement soutenu, chaque victime de crimes de guerre allemands lors de la Seconde guerre mondiale pourra plaider et obtenir la nullité d’un accord qui ne lui donnerait pas une satisfaction estimée pleine et entière (interdiction de renoncer à ses droits d’ordre public). Probable- ment, les tribunaux contrôleraient du moins si une mise en balance raisonnable des intérêts en cause a eu lieu – et l’exercice serait tout sauf aisé. L’un des résul- tats absurdes de cette saga judiciaire est que dans le cas où l’Allemagne subirait des pertes financières suite à des procédures méconnaissant ses immunités en Italie, elle serait fondée à en réclamer la réparation selon les règles de la respon- sabilité internationale de l’Etat. En conséquence, par une ironie appréciable, le contribuable italien serait en dernier lieu prié à la caisse pour compenser les crimes de guerres allemands. Au contraire, le contribuable allemand serait pré- servé. Quoi qu’il en soit, d’aucuns vont assurément se réjouir de cette rébellion des mousquetaires en faveur des droits de l’homme et contre l’antipathique et poussiéreuse immunité24. Il n’en demeure pas moins qu’on ne voit pas pourquoi des Etats se soumettraient à la compétence de la CIJ si l’arrêt de celle-ci peut finalement être mis en échec par une lecture dualiste des rapports entre les ordres juridiques, plus précisément si le droit constitutionnel interne judiciaire- ment sanctionné peut être mis aussi facilement à contribution pour stériliser le droit international. Il s’agit là un exemple des conséquences auquel aboutissent

23 Affaire du Montijo (1875), cf. H. La Fontaine, Pasicrisie internationale, 1794–1900, Bern, 1902, p. 217.

24 Cf. A. Bucher, « L’immunité de l’Etat confronté à ses crimes », RSDIE, vol. 24, 2014, p. 553 ss.

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des constructions juridiques unilatéralistes, mal pensées, telles que les veut chez nous l’UDC, qui n’hésite pas à nous solliciter au vote sur la primauté du droit (constitutionnel) suisse sur le droit dit « étranger » (droit international).

Nous risquerions en cas d’acceptation de cette proposition d’aboutir à un dua- lisme robuste similaire, peut-être à des situations de conflit intraitables entre une norme internationale toujours en vigueur et une norme interne bétonnée dans la Constitution25. Belles perspectives pour la politique étrangère de ce pays, qui n’a pas besoin d’autres embûches et ornières ! Pour revenir à la CIJ et à l’affaire Allemagne c. Italie : aujourd’hui, l’opération de « stérilisation » d’un arrêt de la CIJ émane d’un Etat démocratique et a lieu pour une cause qui appa- raîtra sympathique à une série de juristes « engagés ». Demain, ce précédent risque de faire toute autre école. D’autres Etats observent et apprennent. Dans un monde où le nationalisme et le particularisme se répandent vigoureusement face à une globalisation parfois mal digérée, d’autres Constitutions étatiques risquent de se dresser « irrémédiablement » contre un arrêt de condamnation de la Cour. L’évolution risquerait de nous priver des acquis d’une évolution désor- mais séculaire dans le règlement judiciaire des différends internationaux. Est-ce coupable de s’en soucier ?

Enfin, il faut noter que certaines propositions sont dans l’air. Elles vou- draient que la Cour s’occupât elle-même davantage du suivi de ses arrêts.

Jusqu’à ce jour, la Cour rend ses arrêts et n’est plus saisie des suites26. Il ne lui appartient pas, comme elle l’a dit à plusieurs reprises, de considérer que le dé- fendeur n’exécutera pas l’arrêt rendu ou n’exécutera pas ses obligations de fond27. L’exécution incombe uniquement aux parties et la Cour ne s’en mêle pas.

Le cas échéant, le Conseil de sécurité peut être saisi en vertu de l’article 94, § 2, de la Charte. Au contraire, la Cour n’a pas de compétence en la matière. Une réforme pourrait porter sur un canal d’information plus ou moins informel ou au contraire sur des rapports formels que les Etats parties à l’instance présente- raient à la Cour sur la manière dont ils procèdent à exécuter l’arrêt. Le but serait d’ainsi dynamiser la procédure de l’exécution en ne donnant pas l’impression de laisser seuls les Etats concernés. Le procédé permettrait aussi, le cas échéant, de suggérer aux parties des solutions pour régler des problèmes techniques ou autres. Il faudrait évidemment veiller à ce que cette procédure post festum ne

25 Il serait nettement plus adéquat de faire voter sur la dénonciation de telle ou telle convention in- ternationale que l’UDC ne veut plus voir appliquée (il s’agit au fond de deux séries de conventions : les Bilatérales avec l’Europe et la CEDH), plutôt que de trafiquer ce problème dans une norme générale sur la primauté de la Constitution helvétique, qui causera des dommages collatéraux importants et embarrassera significativement la politique étrangère en cas de conflit d’obligations.

26 A. Azar, L’exécution des décisions de la Cour internationale de Justice, Bruxelles, 2003, p. 5.

27 Voir par exemple, sur les obligations qu’un Etat assume en général, l’affaire des Essais nucléaires, CIJ, Recueil, 1974, p. 272, § 60.

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dégénère pas en en exercice de bureaucratie et en une charge administrative excessive pour une Cour déjà fort occupée. Au total, les idées à cet effet ne sont pas encore suffisamment avancées et mûries pour qu’elles puissent faire le bond vers la réalité en des temps rapprochés. Mais elles correspondent à un souci toujours majeur d’accroître la fonction « exécutive » du droit international, traditionnellement ressentie comme son maillon le plus faible, si ce n’est son véritable talon d’Achille.

Il va de soi que des réformes telles que celles mentionnées ci-dessus ne pourraient être raisonnablement réalisées qu’à travers une résolution de l’As- semblée générale agissant si possible de concert avec le Conseil de sécurité.

Une modification du Statut, soumise aux règles très contraignantes de l’ar- ticle 108 de la Charte des Nations Unies, n’est pratiquement pas envisageable, d’autant moins d’ailleurs que les Etats craignent, à travers une telle réouverture du Statut, d’ouvrir littéralement une boîte de Pandore à effet domino. Pour la même raison, une convention internationale adoptée en marge du Statut ne sau- rait guère constituer une voie de succès. Le processus risquerait de s’enliser, les ratifications de tarder et le résultat de ne lier que quelques Etats. Notons enfin que des réformes dans le sens indiqué ne se heurtent à aucune disposition du Statut ou de la Charte et ne seraient donc pas contraires au droit impératif contenu dans ces instruments juridiquement indérogeables par effet d’accords particuliers. En particulier, l’article  94, §  2, de la Charte ne stipule pas une compétence exclusive du Conseil de sécurité en matière d’exécution d’arrêts rendus par la Cour. Il ouvre seulement la voie vers une modalité d’exécution, sans entendre en fermer d’autres.

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II. L’affaire du Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt du 27 janvier 2014

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A. Résumé

1. Le 16 janvier 2008, le Pérou introduit une requête contre le Chili au sujet d’un différend comportant deux volets : (i) la délimitation de la frontière maritime ; (ii) la reconnaissance d’une zone maritime comme appartenant au Pérou (il s’agit d’une zone située dans les 200 milles marins de la côte péruvienne, mais que le défendeur considère faire partie de la haute mer) (§ 1). Le titre de com- pétence invoqué est l’article XXXI du Traité interaméricain de règlement paci- fique des différends (Pacte de Bogotá) du 30 avril 1948. Le Pérou prie la Cour de dire que : (i) la ligne de délimitation commence au point Concordia ; (ii) qu’elle suit un tracé d’équidistance à partir des lignes de base ; (iii) et que ses droits souverains sur l’espace maritime s’étendent jusqu’à 200 milles marins. Le Chili prie la Cour de dire que : (i) les espaces pertinents ont déjà été intégrale- ment délimités par un accord entre les parties ; (ii) et que le Pérou ne peut pré- tendre à aucun espace maritime situé au sud d’un parallèle nommé (§§ 13–15).

2.  Au §  16, la Cour procède à décrire le cadre géographique. Elle relève notamment que les façades côtières des deux Etats sont régulières et ne pré- sentent aucune complication, telle qu’un promontoire marqué. La Cour en vient ensuite au contexte historique (§§ 17ss). Elle évoque l’indépendance des Deux Etats (1818, 1821), la Guerre du Pacifique (1879), le plébiscite ainsi que la mé- diation Tacna-Arica (début du XXème siècle, les proclamations des deux Etats de 1947, 1952 et 1967 relatives aux droits dont ils jouissent sur une distance de 200 milles marins des côtes, et la négociation de douze accords enregistrés conformément à l’article 102 de la Charte des Nations Unies (sauf un accord de 1955). La Cour conclut la partie factuelle de l’arrêt par une évocation des reven- dications des parties (§§  22–23). Elle note  que les positions des parties sont diamétralement opposées : pour le Pérou, il n’existe pas de frontière maritime entre les deux Etats ; il prie donc la Cour de procéder à une telle délimitation

28 Sur cette affaire, voir, entre autres : F. Aguayo Armijo, « Reflexiones sobre el derecho internacio- nal y la delimitación marítima : Comentario del fallo de la Corte internacional de Justicia en el caso de Péru c. Chile », Revista Tribuna Internacional, vol. 3, 2014, p. 87–102 ; M. A. Romo, « La sentencia de la Corte Internacional de Justicia sobre el límite marítimo Perú c. Chile confirma la pérdida de juridicidad que prevalece en la justicia internacional », ibid., p.  61–69 ; F.  Novak/

L. García-Corrochano, « Presentación y análisis general del fallo de la Corte Internacional de Justicia de La Haya sobre el diferendo marítimo entre el Perú y Chile », Agenda Internacional, vol.

21, 2014, p. 23–49 ; D. P. Riesenberg, « Introductory Note to Peru v. Chile », ILM, vol. 53, 2014, p. 425. Pour un aperçu plus général du différend, cf. D. Parodi Revoredo, Conflicto y reconcilia- ción : El litigio del Perú contra Chile en la Corte de La Haya (2008–2014), Lima, 2014.

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sur la base de l’équidistance. Au contraire, pour le Chili il existe déjà une fron- tière maritime en vertu de la Déclaration de Santiago de 1952. Ce serait le cas aussi pour les espaces maritimes situés au-delà des 200 milles marins. Pour le Chili, ces espaces, dans la mesure où ils sont pertinents pour l’instance, sont situés au sud de la zone que délimite la ligne de l’accord et le Pérou ne peut donc pas y prétendre. En réponse, le Pérou ne se prive pas de mettre en exergue l’ini- quité et l’inégalité quant aux espaces attribués à travers la ligne présentée comme conventionnellement établie par le Chili. Le Chili se base quant à lui sur les principes pacta sunt servanda et stabilité des frontières convenues.

3. Existe-t-il une frontière maritime convenue ? (§§ 24 ff). Telle est la pre- mière question sur laquelle la Cour doit se pencher. Pour ce faire, la Haute Ju- ridiction doit analyser une série d’actes juridiques.

En premier lieu, il y a les Proclamations de 1947.  Or, ces Proclamations n’établissent pas, en elles-mêmes, une frontière maritime internationale contrai- gnante. Elles sont temporaires et réservent une délimitation future des espaces concernés. Certes, ces Proclamations font état des ‹parallèles géographiques›

pour définir l’espace maritime pertinent. Ce fait ne suffit pas pour établir l’in- tention claire des parties de faire correspondre leur frontière maritime future à l’un de ces parallèles (§§ 39–40).

En second lieu, il faut faire état de la Déclaration de Santiago de 1952 (§§ 45 ss). Il s’agit d’un traité. La Cour doit l’interpréter. Pour ce faire, elle se fonde d’abord sur le sens ordinaire et le contexte. Le texte ne contient aucune référence expresse à la délimitation des frontières maritimes. Le § IV de la Déclaration mentionne les parallèles géographiques dans le contexte d’îles ap- partenant à l’un des Etats parties et situées à moins de 200 milles marins de la zone maritime de l’autre partie. Cela revient à dire qu’il s’agit de la délimitation des zones maritimes générées par ces îles. Ainsi, selon son sens ordinaire, ce paragraphe se rapporte aux îles et non à l’ensemble des espaces maritimes. Il vise à résoudre une difficulté spécifique liée aux îles. La Cour examine ensuite l’objet et le but de la Déclaration. Il s’agissait essentiellement de conserver et de protéger les ressources naturelles. De plus, le procès-verbal de la Conférence de 1952 ne constitue pas un accord en soi, comme le veut le Chili. Il se borne à résumer les discussions lors des négociations et constitue dès lors un élément des travaux préparatoires. Ces travaux préparatoires confirment l’interprétation avancée par la Cour. En particulier, il en ressort que le Chili avait proposé une délimitation générale des espaces maritimes et que cette proposition n’a pas été retenue.

En troisième lieu, il y a les Accords de 1954 (§§ 71 ss). En 1954 a été conclue une convention complémentaire à la Déclaration de Santiago de 1952. Son ob- jectif était de défendre la revendication conjointe des deux Etats parties à l’ins- tance sur 200 milles marins contre la protestation d’Etat tiers. En 1954, a aussi

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été conclue une convention relative aux mesures de surveillance et de contrôle des espaces maritimes. Or cette convention ne contient aucune indication sur l’emplacement de frontières maritimes, même si elle repose sur le fait que chaque Etat disposait de son espace maritime. Enfin, en la même année a été conclu un accord sur une zone frontière maritime spéciale. L’objectif de cet accord était étroit. Il s’agissait d’établir une aire de tolérance pour les navires de pêche des parties égarés au-delà de la zone revenant de droit à leur Etat. Cet accord reconnaît qu’une frontière maritime existe déjà. Le Préambule men- tionne la ‹frontera marítima› et l’article 1 contient les termes ‹limite marítimo›.

Cette frontière ne pouvait reposer que sur un accord tacite intervenu auparavant (§§ 90–91).

En quatrième lieu, il y a les arrangements de 1968/1969 relatifs aux phares.

Ces arrangements sont également fondés sur l’existence d’une frontière mari- time, mais une fois de plus ils n’indiquent pas l’étendue ou la nature de cette frontière (§ 99).

Des éléments qui précèdent, la Cour conclut ceci (§§ 102 ss). Primo, la fron- tière a une vocation générale : elle porte sur la colonne d’eau et sur les espaces sous-jacents, les parties ne faisant aucune distinction entre ces espaces respec- tifs, ni entre 1947 et 1954, ni après. Secundo, quant à l’étendue de la frontière, l’objectif de la Convention de 1954 ne dépassait pas la réglementation d’une zone de tolérance pour les pêcheurs. Dès lors, la zone pertinente – et avec elle la frontière – doit s’étendre au moins jusqu’à la distance des activités de pêche à l’époque. Pour déterminer cette zone, il faut tenir compte de différents élé- ments : (i) Les espaces de pêche au début des années 1950’ se trouvaient géné- ralement dans un rayon de 60 milles marins de la côte. Il est dès lors peu pro- bable que les parties envisageassent à l’époque une frontière maritime à 200 milles marins. (ii) La pratique générale des Etats et les travaux de la CDI montrent que le droit international de l’époque ne reconnaissait pas des zones de 200 milles marins. Ce fait milite contre la reconnaissance d’une frontière à 200 milles. (iii) La pratique législative des Etats concernés ne contient pas d’élé- ments aptes à infirmer cette conclusion. (iv) Les mesures d’exécution contre des navires en infraction se sont concentrées, jusqu’au milieu des années 1980’, à moins d’une soixantaine de milles marins des côtes. (v) Les négociations avec la Bolivie tenues en 1975/1976 pour un accès à la mer n’ont pas mis en évidence des éléments probants, acceptés par le Pérou, sur la frontière maritime. (vi) Le Mémorandum de Bákula de 1986 proposait de négocier une délimitation for- melle et définitive, de manière à éviter des incertitudes. Ce fait tend à réduire la valeur de la pratique postérieure, à cause de la doctrine de la date critique de cristallisation du différend. (vii) La pratique postérieure à 1986 montre que des arraisonnements de navires n’ont eu lieu au-delà de 60 milles marins avec une certaine fréquence qu’à une époque relativement récente, à savoir à partir de

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1996. Au total, la Cour n’a pas d’éléments pour conclure que la frontière mari- time, dont les parties avaient en 1954 reconnu l’existence, s’étendait au-delà de 80 milles marins (zone des activités de pêche plus une marge de tolérance à l’erreur de 20 milles marins). La pratique postérieure ne conduit pas à changer ce constat. La Cour estime en conséquence que la frontière maritime convenue entre les parties s’étendait sur une distance de 80 milles marins le long du pa- rallèle à partir de son point de départ (§ 151).

4. Le point de départ de la frontière maritime convenue (§§ 152 ff). En avril 1968, les représentants des deux parties, par des échanges de notes, s’apprê- taient à matérialiser le parallèle passant par la borne no 1 en tant que frontière maritime. La Cour mentionne à cet égard le Rapport de la Commission mixte chargée de vérifier l’emplacement de la borne no 1. La Cour en conclut que le point de départ de la frontière maritime est l’intersection du parallèle de latitude passant par la borne no 1 avec la laisse de basse mer.

5. Le tracé de la frontière maritime à partir du Point A (§§ 177 ff). La Cour délimitera désormais la frontière maritime située entre la borne no 1 et le point du parallèle sis à 80 milles marins à l’ouest de cette borne. Elle se fondera à cet effet sur les articles 74, § 1, et 83, § 1, de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer (1982), respectivement pour la zone économique exclusive et le plateau continental, qui reflètent le droit international coutumier. Ce constat est important du fait que le Pérou n’est pas partie à la Convention de 1982. Pour parvenir à un résultat équitable, la Cour a désormais habituellement recours à une méthode comportant trois étapes : (i) sauf raisons impératives contraires, établissement d’une ligne d’équidistance provisoire ; (ii) recours aux circons- tances pertinentes pour voir si elles appellent à un ajustement de cette ligne provisoire ; (iii) contrôle si cette ligne ajustée a pour effet de créer une dispro- portion marquée entre les espaces maritimes attribués à chacune des parties dans la zone pertinente, par rapport à la longueur de leurs côtes pertinentes (§ 180). Une spécificité de la présente affaire est que le point initial de la déli- mitation se situe loin au large.

La Cour commence par construire une ligne d’équidistance. Elle choisit à cet effet d’abord les points de base. Il en découle une ligne d’équidistance presque droite. Il n’y a pas lieu de prendre position sur la question de l’apparte- nance de certaines zones maritimes particulières (« la zone bleue »), étant donné que la ligne de délimitation y répond adéquatement. Au-delà du Point B les espaces délimités par la ligne d’équidistance ne se chevauchent plus. La ligne frontière suit ici une direction sud jusqu’au Point C. Il n’existe aucune circons- tance pertinente demandant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire.

Enfin, quant à la proportionnalité ex post relative aux espaces reconnus comme relevant de chaque partie, la difficulté vient du fait que le premier secteur de la frontière maritime repose sur un accord. Dès lors, la Cour ne peut procéder qu’à

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une évaluation globale de la proportionnalité (§ 193). En l’espèce, il y a ‹absence de disproportion marquée évidente› qui remette en cause l’équité de la ligne provisoire (§ 194). La Cour décrit ensuite la ligne et la matérialise dans un cro- quis. Elle suit d’abord l’équidistance et longe ensuite, au sud, la limite des 200 milles marins à partir de la laisse de basse mer chilienne (dans les zones où il n’y a plus de chevauchement).

6. Dispositif (§ 198). La Cour dit que : (i) le point de départ de la frontière maritime est la borne no 1 (15 voix contre 1, contra : Juge Gaja) ; (ii) le segment 1 de la frontière suit le parallèle de latitude passant par la borne no 1 (15 voix contre 1, contra : Juge Sebutinde) ; (iii) le segment 1 s’étend jusqu’au point A à 80 milles marins du point de départ (10 voix contre 6, contra : Tomka, Xue, Gaja, Sebutinde, Bhandari, Orrego Vicuna, ad hoc) ; (iv) Les segments 2 et 3 ont le cours décrit dans l’arrêt (10 voix contre 6, mêmes juges dissidents qu’au point iii) ; (v) la Cour ne se prononce pas sur les conclusions finales du Pérou concernant les espaces maritimes spécialement revendiqués (15 voix contre 1, contra : Orrego Vicuna, ad hoc).

7. Opinions individuelles et dissidentes. Les Juges Tomka, Sépulveda-Amor, Skotnikov, Donhogue, Gaja et Guillaume (ad hoc) joignent une déclaration à l’arrêt. Le Juge Owada joint à l’arrêt une opinion individuelle, de même que le Juge ad hoc Orrego Vicuna (opinion partiellement concordante partiellement dissidente). Les Juges Xue, Gaja, Bhandari et Orrego Vicuna (ad hoc) joignent à l’arrêt une opinion dissidente commune. Enfin, la Juge Sebutinde joint à l’ar- rêt une opinion dissidente. Fondamentalement, les Juges dissidents conjoints estiment que la frontière maritime avait été entièrement délimitée par l’Accord de 1954. Au contraire, la Juge Sebutinde estime qu’aucune frontière n’était éta- blie et qu’en conséquence la Cour aurait dû entièrement délimiter de novo.

B. Commentaires

8. L’œuvre de la Cour se résume dans cette affaire d’une part à la sanction par- tielle d’un accord qu’elle a dû compléter paeter legem pour les besoins de l’ins- tance, et d’autre part à la mise en œuvre d’une ligne d’équidistance dépourvue de toute complexité. Jusqu’à cet arrêt, elle n’a jamais pu aller autant sur le ve- lours en matière du tracé de la ligne d’équidistance – ce qui explique la brièveté des considérants d’espèce appelés à exécuter la méthode des « trois étapes ».

Cette bipartition de l’arrêt entre une plage conventionnelle et une plage délimi- tation permet à la Cour d’engranger au passage les avantages d’un compromis s’avérant idéalement balancé, qui donne presque moitié-moitié à chaque partie.

Le Chili perd assurément plus que le Pérou, en tout cas par rapport à ses reven- dications. Mais ce fait n’empêche pas les deux Etats de se féliciter après coup de la décision de la Cour. Les espaces maritimes qu’ils obtiennent pourraient

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être difficilement plus « équitablement » partagés. Au passage, la Cour met fin au litige et ouvre la voie aux investissements dans les zones disputées. Ce que le droit pur a peut-être perdu ici ou là dans l’exercice d’une certaine discrétion judiciaire, le règlement du différend au sens profond du terme l’a gagné. Dans un domaine comme celui de la délimitation maritime, où la norme applicable demande au juge de tenir compte de l’équité29, cet accent placé sur le règlement satisfaisant du différend plus que sur l’application d’un droit étroitement défini correspond paradoxalement peut-être justement à la norme … de droit. L’insé- curité juridique relative qui en découle multiplie éventuellement les différends mais n’inhibe certainement pas leur soumission à la Cour. Et il n’est même pas certain que des règles plus nettes aboutiraient à un nombre plus réduit de diffé- rends. La complexité des questions de délimitation, enferrées entre les fourches de l’histoire et les sillons de la géographie, ne permettrait de toute manière pas à aboutir à des règles mécaniquement applicables.

9. L’aspect crucial du débat judiciaire était l’extension géographique de l’ac- cord de délimitation entre les parties. S’il y avait une frontière préétablie, comme presque tous les juges l’admettent, jusqu’où s’étendait-elle ? Fallait-il considérer qu’elle courait jusqu’aux 200 milles marins que les parties revendi- quaient, fût-ce en contrariété au droit international de l’époque, ou alors de- vait-on limiter fonctionnellement cette frontière aux activités par rapport aux- quelles elle avait été, selon la Cour, introduite ? En d’autres termes : devait-on traiter cette frontière comme une frontière maritime à part entière et l’appliquer dès lors à tous les espaces maritimes revendiqués, ou devait-on traiter cette frontière comme une frontière uniquement fonctionnelle, l’appliquant seule- ment aux zones où les activités pertinentes avaient lieu ? L’accord de 1952 et celui de 1954, ainsi que la pratique subséquente, ne donnaient pas d’indications très claires sur cette étendue ; et c’est peu dire. La Cour a retenu l’élément fonc- tionnel de 1954 (frontière de tolérance pour les navires de pêche) et a de là conclu que l’extension de la frontière devait rester liée à l’activité en cause (extension du rayon d’activité des navires de pêche). Etant toutefois donné que ce rayon ne pouvait pas être déterminé avec certitude, la Cour retient 60 milles marins comme extension habituelle de la pêche dans les années 1950, et y ajoute une marge de 20 milles marins dans l’exercice d’une pure discrétion judiciaire.

Peut-être ces vingt milles supplémentaires ressortissent-ils à la prudence, peut- être aussi permettaient-ils de partager encore plus équitablement l’espace en cause, et peut-être enfin permettaient-ils de réaliser les deux orientations à la fois. Il n’est pas improbable que la Cour n’ait pas voulu étendre la frontière

29 Articles 74 et 83 de la Convention de Montego Bay de 1982 (CNUDM) et le droit international coutumier. Du point de vue juridique, l’équité se présente comme une justice du cas individuel ; du point de vue politique, l’équité donne lieu à la recherche de compromis équilibrés.

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fonctionnelle au-delà des 80 milles retenus parce que, du point de vue du droit inter-temporel, cela aurait équivalu à « légaliser » ce qui en 1954 était une action contraire au droit international général de l’époque : la revendication de zones maritimes à droits souverains au-delà de la mer territoriale et de la zone conti- guë. Il aurait probablement été curieux qu’une cour de justice ne soit pas atten- tive à cet aspect.

10. Dans le volet de la délimitation, on se bornera à relever que la méthode tripartite de la Cour aboutit, en cas de simples côtes rectilignes d’Etats adjacents, à l’application d’une ligne d’équidistance relativement pure. A bien y regarder, la méthode tripartite se révèle être dans ce cas être une méthode « unipartite ».

En effet, il n’y aura dans de tels cas le plus souvent aucune circonstance perti- nente (plus précisément il faudrait dire circonstance ‹spéciale›, dans la logique de l’ajustement d’une ligne d’équidistance et non pas dans la construction d’une ligne libre sous l’étoile polaire de l’équité) exigeant une correction de la ligne provisoire. Et le test ex post de proportionnalité n’est de toute manière qu’un alibi que la Cour traîne depuis longtemps dans son escarcelle. Sans doute fe- rait-elle bien de l’abandonner. Comment penser qu’une ligne à laquelle la Cour arrive en prenant soigneusement en compte tous les éléments pertinents s’avère brusquement gravement inéquitable tout à la fin de l’exercice – manifestement, s’il en était ainsi, le juge serait revenu en arrière déjà avant la rédaction de son arrêt et aurait ajusté la ligne en fonction d’une circonstance pertinente ou spé- ciale. De plus, dans toute une série de cas la Cour nous rappelle combien la mise en œuvre de cette proportionnalité ex post est difficile : par exemple, dans l’af- faire Libye c. Malte de 1985 parce que la zone de délimitation avait été tronquée pour tenir compte de revendication d’Etats tiers dont l’intervention au titre de l’article 62 du Statut n’avait pas été admise30 ; et dans la présente affaire, parce qu’une partie significative des zones reconnues aux Etats en litige ne résultaient pas d’une délimitation équitable mais de la sanction d’une accord entre les Etats (la proportionnalité ne s’applique pas aux frontières maritimes accordées). Les considérations qui précèdent ne peuvent être que renforcés par l’étroitesse du contrôle admis : selon la Cour, il faudrait vérifier l’« absence de disproportion marquée évidente ». Peut-on imaginer une ligne qui présenterait un tel défaut après avoir passé le crible des circonstances pertinentes/spéciales ? Ce ne serait qu’un aveu d’en avoir oublié une !

Au total, on mesure le chemin parcouru depuis 1969 et l’arrêt sur le Plateau continental de la mer du Nord31. Là, la Cour fuyait de toutes ses forces l’équi- distance, qui produisait un résultat d’amputation (cut-off) excessive dans le cas

30 CIJ, Recueil, 1985, p. 53–55.

31 CIJ, Recueil, 1969, p. 3 ss.

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d’espèce. Ici, la Cour est revenue vers l’équidistance de la manière peut-être la plus prononcée qui soit depuis le début de sa jurisprudence sur les délimitations maritimes. La Cour applique ainsi le contenu normatif de l’article 6, § 2, de la Convention sur le plateau continental de 1958 (équidistance circonstances spé- ciales) plutôt que l’article 83, § 1, de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (principes équitables en vue d’arriver à un résultat équitable).

En somme, l’on peut dire que la méthode de la Cour repose sur deux éléments dans les cas de configurations géographiques un tant soit peu complexes (équi- distance et ajustement par l’œuvre de circonstances « pertinentes ») et qu’il re- pose sur un seul élément dans le cas de configurations géographiques simples (équidistance sans corrections). La proportionnalité contrôlée après coup n’est qu’une garniture sans réelle portée normative, dans un cas comme dans l’autre.

On rappellera enfin que la Cour a évacué depuis l’arrêt Libye c. Malte précité les configurations géomorphologiques comme critères pertinents dans le pro- cessus de délimitation maritime. Il ne reste donc que la configuration géogra- phique et les critères de distance. Ce fait aussi a contribué à simplifier le pro- cessus de délimitation. Il en va de même de la pratique consolidée de tracer une ligne de délimitation unique pour les diverses zones maritimes. Toute autre solution serait difficilement praticable et a de ce fait été rejetée par la pratique des Etats et des tribunaux internationaux.

III. L’affaire de la Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), arrêt du 31 mars 2014

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A. Résumé

1. Le 31 mai 2010, l’Australie a introduit une instance contre le Japon relative à un différend sur un vaste programme de chasse à la baleine en Antarctique.

Comme base de compétence, le demandeur invoque l’article 36, § 2, du Statut, c’est-à-dire le jeu des clauses facultatives respectives. Du point de vue matériel, l’Australie fait valoir surtout la violation de la Convention pour la réglementa- tion de la chasse à la baleine de 1946. La Nouvelle-Zélande est intervenue dans

32 Sur ce différend, voir : L. Weyers, « La chasse à la baleine dans l’Antarctique : une application du principe de l’exercice raisonnable des compétences discrétionnaires de l’Etat », RBDI, vol. 47, 2013, p. 618–642 ; S. E. Rolland, « Whaling in the Antarctic : Australia v. Japan, New Zealand Intervening », AJIL, vol. 108, 2014, p. 496–501 ; N. Klein/T. Stephens, « Whaling in the Antarc- tic : Protecting Rights in Areas beyond Nations Jurisdiction Through International Litigation », in : C. Schofield/S. Lee/M. S. Kwon (eds), The Limits of Maritime Jurisdiction, Leyde/Boston, 2014, p. 525–548.

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la procédure sur la base de l’article 63 du Statut. Il y a eu présentation de rap- ports d’experts et audition d’experts à la Cour (avec interrogatoire et contre-in- terrogatoire).

2. Les demandes des parties sont formulées comme suit. L’Australie prie la Cour de dire et de juger que le Japon viole ses obligations internationales en exécutant le programme de chasse appelé JARPA II dans l’océan Pacifique ; d’ordonner au Japon de mettre fin à ce programme ; et enfin d’exiger du Japon des garanties de non-répétition. Le Japon affirme principalement que la Cour n’a pas compétence pour connaître des demandes de l’Australie ; subsidiaire- ment, il fait valoir que les demandes de l’Australie sont mal fondées et doivent être rejetées. La Nouvelle-Zélande a indiqué à la Cour la manière qu’elle estime correcte d’interpréter la Convention en cause.

3. Compétence de la Cour (§§ 30 ss). La compétence de la Cour est fondée sur les déclarations facultatives respectives, dont le texte est indiqué au § 31 de l’arrêt. Le Japon invoque à titre de réciprocité la réserve australienne contenue dans l’alinéa b) de sa déclaration, à savoir qu’il s’agirait d’un différend ‹décou- lant de l’exploitation de toute zone objet d’un différend adjacente à une telle zone maritime en attente de délimitation ou en faisant partie, concernant une telle exploitation ou en rapport avec celle-ci› (§ 32). La conjonction ‹ou›, intro- duisant la deuxième partie de la réserve montrerait que celle-ci est indépen- dante de la première partie, qui concerne les différends de délimitation. Dès lors, le Japon prétend que le présent différend est en rapport avec l’exploitation d’une zone maritime revendiquée par l’Australie, ou d’une zone qui lui est adjacente. L’Australie rejette cette interprétation, affirmant que sa réserve s’ap- plique uniquement aux différends l’opposant à un autre Etat au sujet de reven- dications maritimes concurrentes, c’est-à-dire aux différends de délimitation.

La Cour procède à interpréter le texte de la réserve en cause. Elle estime qu’il faut l’interpréter en harmonie avec la manière raisonnable et naturelle de lire le texte, eu égard à l’intention de l’Etat déclarataire (cf. l’affaire de l’An- glo-Iranian Oil Cy., 1952) (§ 36). La Cour souligne qu’elle ne manque pas de considérer l’intention de l’Etat dont émane la réserve (cf. l’affaire de la Compé- tence en matière de pêcheries de 1998). Les différents éléments de la réserve doivent être lus dans le contexte général, c’est-à-dire comme un tout. Dans cette perspective, la deuxième partie de la réserve est en étroite relation avec la pre- mière. Il faut donc en tout cas la présence d’un différend relatif à la délimitation maritime (§ 37). Cette interprétation est confirmée par l’intention de l’Australie (§ 38). Or, dans la présente espèce, aucune délimitation n’est en jeu, ni d’ailleurs des revendications concurrentes sur les zones maritimes où l’exploitation des ressources naturelles est en dispute (§ 39). L’Australie fait plutôt grief au Japon d’avoir violé la Convention de 1946, non pas d’avoir méconnu ses droits souve-

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rains sur les zones maritimes en question. L’exception d’incompétence est en conséquence rejetée.

4. Violation de la Convention de 1946 (§§  42 ss). L’instance concerne la question de savoir si les permis spéciaux de chasse délivrés dans le cadre de JARPA II le sont à des fins de recherche scientifique au sens de l’article VIII(1) de la Convention. Aux §§ 43 ss, la Cour commence par donner un aperçu géné- ral de la Convention de 1946. Elle rappelle qu’il existe des traités sur la chasse à la baleine conclus dès avant 1946, notamment la Convention de 1931 sur la réglementation de la chasse à la baleine et la Convention de 1937 ayant le même objet. En 1946, la Convention actuelle avec son Règlement annexé a vu le jour, la conservation des stocks étant régie par le Règlement. Il y a eu création d’une Commission internationale possédant un rôle important dans la réglementation de la chasse à la baleine. Un Comité scientifique l’assiste dans l’exécution de ses tâches.

Comment faut-il interpréter l’article VIII(1) de la Convention de 1946, dont la Cour rappelle le texte au § 51. Cette disposition articulée prévoit essentielle- ment qu’il faut un permis spécial pour effectuer des recherches scientifiques en capturant et en mettant à mort des baleines. L’article VIII fait partie intégrante de la Convention ; on ne saurait considérer qu’il établit un régime dérogatoire entièrement autonome. Toutefois, les mises à mort avec permis spécial ne sont pas soumises aux obligations du Règlement concernant le moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales, sur les usines flottantes, etc. (§ 55).

Le Préambule indique clairement que le but de la Convention est d’assurer la conservation des stocks tout en permettant une exploitation durable. Compte tenu de ce double but, l’article VIII(1) ne doit pas être interprété a priori dans un sens restrictif ou expansif (§ 58). Il confère à l’Etat partie le pouvoir discré- tionnaire de rejeter une demande de permis ou de préciser les conditions de son octroi. Toutefois, sur la question de savoir si une demande poursuit des fins de recherche scientifique, la perception de l’Etat en question ne peut être seule déterminante (§ 61). La Cour adoptera un critère de contrôle objectif pour dé- terminer si les mesures prises sont raisonnables au regard des objectifs déclarés (§ 67). Par conséquent, la Cour ne se limitera pas à un critère subjectif, consis- tant à évaluer la mauvaise foi. C’est à l’Etat qui a délivré les permis qu’incombe la tâche d’exposer à la Cour les éléments objectifs sur lesquels est fondée la conclusion du caractère scientifique des prises (§ 68).

La Cour doit à ce stade déterminer le sens de la formule ‹en vue de re- cherches scientifiques›, contenue dans l’article VIII (§ 70). Selon la Cour, les deux éléments ‹en vue de› et ‹recherche scientifique› sont cumulatifs. La re- cherche scientifique peut être un élément d’un programme. Or, pour tomber sous le coup de l’article VIII, il faut que la mise à mort ait été menée ‹en vue de›

ces recherches scientifiques. Le terme ‹recherche scientifique› suppose que

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