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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2009

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2009

KOLB, Robert

KOLB, Robert. Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2009. Swiss Review of International and European Law , 2010, vol. 20, p. 625-659

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44795

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice en 2009

par Robert Kolb*

Sommaire

I. Introduction: questions générales

II. C affaire relative à la délimitation maritime en Mer Noire, Roumanie c. Ukraine, arrêt du 3 février 2009.

A) Résumé B) Commentaires

III. C affaire du différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes, Costa Rica c. Nicaragua, arrêt du 13 juillet 2009.

A) Résumé B) Commentaires

1. Introduction: questions générales

1. Pendant l'année 2009, la Cour a tranché deux affaires aux allures plutôt techniques, mettant en jeu le droit de la mer et le droit fluvial. Par ailleurs, elle a rendu le 19 jan vier un arrêt sur 1' interprétation du jugement Avena (Mexique c. Etats-Unis d'Amérique)1 et le 28 mai une ordonnance sur des mesures

Professeur de droit international public à la Faculté de droit de l'Université de Genève.

Cette affaire, d'ambitus assez limité, bien qu'elle soulève des questions procédurales d'un intérêt certain, ne mérite pas ici un commentaire serré. On peut se bomer à signaler que le Mexique avait demandé à la Courde dire que l'obligation imposée aux Etats-Unis d'Amérique par le point 9) du paragraphe 153 de l'arrêt Avena constitue une obligation de résultat et que les Etats-Unis doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour la faire exécuter. Les Etats-Unis acceptent 1 'interpréta- tion que le Mexique donne du paragraphe en question. En même temps, ils prient la Cour de rejeter les demandes, puisqu'elles n'ont plus d'objet, vu son acceptation de l'interprétation mexicaine. La Cour, en application de l'article 60 du Statut (demande en interprétation d'un arrêt), statue sur la question de la manière précise dont les Etats-Unis s'acquitteraient de leur obligation de résultat n'était pas prescrite par l'arrêt Avena. Les Etats-Unis peuvent directement faire appliquer l'arrêt de la Cour par leurs tribunaux, si le droit interne le permet, ou agir par voie de législation spéciale.

Cette question ressortit du seul droit interne. Dès lors, il n'y arien à interpréter en la matière, étant donné que le point en question n'a pas du tout été tranché dans l'arrêt Avena (§ 44). Le Mexique a aussi présenté des demandes additionnelles: il demande à la Cour de juger que les Etats-Unis, par une exécution capitale entre-temps intervenue, ont violé l'ordonnance en indication de mesures conservatoires du 16 juillet 2008 et que ce fait constitue aussi une violation de l'arrêt Avena. De plus, il demande des garanties de non-répétition. Selon la Cour, la compét7nce qu'elle détient selon

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conservatoires (dans Belgique c. Sénégal). En même temps, elle a entendu les arguments des parties et a délibéré sur des affaires politiquement sensibles, comme l'obligation de juger ou d'extrader dans l'affaire H. Habré ou encore l'épineuse affaire de l'indépendance du Kosovo. Actuellement (le 23 décembre 2009), 15 affaires sont pendantes devant la Cour;2 2 sont en délibéré.3 La tendance déjà notée lors de la chronique de l'année passée, qui consiste à saisir la Cour d'affaires «politiquement» sensibles, s'est poursuivie. Toutefois, comme le montrent les deux affaires de 2009, des litiges aux caractéristiques plus classiques n'ont pas disparu. En ce sens, les deux affaires maritime et fluviale représentent une catégorie de différend médian, assez technique pour ne pas être trop sensible, assez coriace pour ne pas être simplement insignifiant, qui constitue le modèle type de disputes portées traditionnellement devant les juridictions internationales.4 C'étaient là les affaires dont on estimait anciennement qu'elles ne mettaient pas en jeu les intérêts vitaux des Etats et

1' article 60 recouvre aussi les procédures incidentes (comme les mesures conservatoires) qu'elle a entretenues dans le contexte de la demande en interprétation. En l'espèce, 1' ordonnance de la Cour a été violée (§ 53). En revanche, la Cour ne peut pas connaître de la violation de l'arrêt Avena, à défaut de base de compétence, l'article 60 n'en fournissant pas une à cet égard(§ 56). Pour ce qui est des garanties de non-répétition, la Cour rappelle simplement que l'arrêt Avena reste obligatoire et que les Etats-Unis sont toujours tenus de l'appliquer pleinement(§ 60). Les points du dispositif (§ 61) sont adoptés avec les majorités variant entre l'unanimité et une majorité de onze voix contre une.

Il s'agit des affaires suivantes (contentieuses et consultatives): Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie); Alnnadou Sadio Di allo (République de Guinée c. République démocratique du Congo); Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda); Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie); Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie); Certaines procédures pénales engagées en France (République du Congo c. France); Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay); Différend maritime (Pérou c. Chili); Epandages aériens d'herbici- des (Equateur c. Colombie); Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie); Conformité au droit interna- tional de la déclaration unilatérale d'indépendance des institutions provisoires d'administration au- tonome du Kosovo (requête pour avis consultatif) ; Application de 1 'Accord Intérimaire du 13 sep- tembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce); Immunités juridictionnelles de l'État (Allemagne c. Italie); Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Bel- gique c. Sénégal). Le 22 décembre 2009, la Belgique introduit une instance contre la Suisse au sujet d'un différend portant sur l'interprétation et l'application de la convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et 1 'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Sur le rôle de la Cour, voir http://www.icj-cij .org/docket/index.php?p 1 =3&p2= 1

Il s'agit de l'affaire Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) et de l'avis consultatif Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance des insti- tutions provisoires d'administration autonome du Kosovo. Voir http://www.icj-cij.org/docket/index.

php?pl=3&p2=1

Voir M. VIRALLY, «Le champ opératoire du règlement judiciaire international», RGDIP, vol. 87, 1983, p. 281-314.

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qu'elles étaient en ce sens «justiciables».5 Avec l'avènement de la S.d.N., cette distinction, elle-même plus politique que juridique, entre différends juridiques Gusticiables) et non-juridiques (non-justiciables) a été abandonnée,6 au moins en ce sens qu'il n'y a pas de différend, si sensible soit-il, qui ne puisse.

techniquement être réduit à des termes juridiques et dès lors tranché par un tribunaU Cette nouvelle tendance reflète la volonté de tenter de régler tous les

Voir sur cette distinction, C. FENWICK/E. BoRCHARD/Q. WRIGHT e. a., «The Distinction between Legal and Political Questions», Proceedings of the American Society of International Law, 1924, p. 44 ss, 125 ss; TW. BALCH, Legal and P,olitical Questions Between Nations, Philadelphia, 1924;

J.H.W VERZIJL, «La classification des différends internationaux», RDILC, vol. 86, 1925, p. 732 ss;

l HosTIE, «Différends justiciables et non justiciables», RDILC, vol. 9, 1928, p. 263 ss, 568 ss;

H. LAIJTERPACHT, «La théorie des différends non justiciables en droit international», RCAD!, vol. 34, 1930-IV, p. 499 ss; l FISCHER-WILLIAMS, «Justiciable and Other Disputes», AJJL, vol. 26, 1932, p. 31 ss; V. BRUNS,« V<ilkerrecht ais Rechtsordnung II: Politische und Rechtsstreitigkeiten», ZaoRV, vol. 3, 1933, p. 445 ss; H. LAUTERPACHT, The Function of Law in the International Community, Oxford, 1933, p. 139 ss, 351 ss; D. SCHINDLER, <<Contribution à l'étude des facteurs sociologiques et psychologiques du droit international», RCADI, vol. 46, 1933-III, p. 280 ss; S. RUNDSTErN, <<Le caractère juridique des différends internationaux», RDILC, vol. 15, 1934, p: 377 ss; M. HABICHT,

<<Le pouvoir du juge international de statuer ex aequo et bono>>, RCADI, vol. 49, 1934-III, p. 314 ss;

S. VEROSTA, <<Différends juridiques et conflits d'intérêts>>, Jahrbuch der (osterreichischen) Konsula- rakademie, 1935, p. 78 ss; O. ONCKEN, Die politischen Streitigkeiten im VOlkerrecht, Berlin, 1936;

G. BERLIA, Essai sur la portée de la clause de jugement en équité en droit des gens, Paris, 1937, p. 95 ss; T. GmL, «The Subjective Test as a Means of Distinguishing between Legal and Political DisputeS>>, Acta Scandinavica Juris Gentium, vol. 8, 1937, p. 67 ss; D. ScHrNDLER, Die Schiedsge- richtsbarkeit seit 1914, Stuttgart, 1938, p. 102 ss; M. VAUCHER, Le problème de lajusticiabilité et de la non justiciabilité en droit international des différends dits politiques ou non juridiques, Paris, 1951 ; A CASSESE, «The Concept of Legal Dispute in the Jurisprudence of the International Court>>, Comunicazioni e studi (Mélanges G. Morelli), vol. XIX, Milan, 1975, p. 173 ss; A. BEIRLAEN, «La distinction entre les diffé~ends juridiques et les différends politiques dans la pratique des organisa- tions internationales>>, RED!, vol. Il, 1975, p. 405 ss; H. MosLER, «Political and Justiciable Legal Disputes. Revival of an Old Controversy>>, Mélanges G. Schwarzenberger, Londres, 1988, p. 216 ss.

Pour un bref aperçu, cf. C. RoussEAU, Droit international public, tV, Paris, 1983, p. 253-5. Sur 1' attitude de la Cour en matière de différends hautement politiques, cf. T. SUGIHARA, «The Judicial Function of the International Court of Justice with Respect to Disputes Involving Highly Poli ti cal Issues>>, dans: AS. MULLER e.a. (éd), The International Court of Justice, La Haye/Boston/Londres, 1997, p. 117 ss.

Voir surtout le travail fondamental de H. LAUTERPACHT, The Function of Law in the International Community, Oxford, 1933.

C'est le cas aussi pour des matières qui, en général, restent du domaine de la politique plutôt que du droit Voici quelques exemples. 1) La politique étrangère d'un Etat n'est normalement pas liée juri- diquement; elle peut toutefois l'être par un traité, d'alliance ou autre. En ce cas, sa politique étran- gère devient pour le moins partiellement une question juridique. La politique étrangère peut être scrutée juridiquement aussi si on l'interroge à la lumière de certains principes généraux de droit:

l'estoppel, l'abus de droit, etc. 2) La modification du droit par l'action législative est une question de politique juridique, et non pas de droit. Un tribunal peut toutefois traiter juridiquement de la question dans certains cas, par exemple si des Etats concluent un pactum de contrahendo par lequel ils s'en- gagent à agir pour créer du droit, et dans lequel il précisent peut-être déjà matériellement dans quel

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différends internationaux, même les plus sensibles, afin d'éviter la guerre. La grande maxime du Pacte de la S.d.N. était en toute conséquence: pas de guerre licite (hors la légitime défense, qui n'était pas qualifiée techniquement comme

«guerre») sans tentative préalable de règlement du différend. I.: abandon de la distinction entre différends juridiques et non-juridiques s'inscrit donc dans le sillage de l'élaboration d'unjus contra bellum. Tant que la guerre était licite et pouvait être utilisée pour régler des différends, il n'y avait nulle raison de s'écarter du précepte que des différends sur des questions non vitales pouvaient être réglés par l'arbitrage (ou d'autres moyens pacifiques) alors que les litiges sur les intérêts vitaux étaient réglés par la négociation ou par la guerre. Du moment que la guerre est juridiquement refoulée comme moyen de solution des litiges, la branche du règlement pacifique des différends doit hériter des deux types de litiges et s'occuper également de leur sort. La guerre n'étant plus permise pour la solution des «grands» litiges, il ne reste que 1' alternative de les acheminer, eux aussi, vers une procédure de règlement pacifique. Toutefois, à bien regarder, la question du caractère juridique ou non-juridique d'un litige ne se pose que pour un tribunal. Un corps politique est toujours compétent à la fois pour les volets juridiques et politiques d'un litige, moyennant le seul accord des parties. Au contraire, un tribunal ne l'est pas, puisqu'il ne peut, en principe, trancher que des litiges juridiques; et pour un tribunal international, ce dernier pourra connaître, en principe,8 uniquement des litiges fondés sur le droit international. La question de la nature du litige tourne devant un tribunal international essentiellement autour de la manière dont le demandeur formule sa requête (ou alors la manière dont les parties conjointement formulent leur requête, en cas de compromis spécial) : si la revendication de faire ou de ne pas faire, de pâtir ou de déclarer, est formulée sur la base d'une norme ou d'un principe de droit international, le litige peut être tranché par une juridiction; si ce n'est pas le cas, la juridiction ne peut pas le trancher, car elle est dépourvue

sens les normes anciennes devront être modifiées. Dans ce cas, la transformation du droit - par la volonté même des parties - est devenue une question de droit positif. 3) Par ailleurs, toute question quelconque peut recevoir une réponse juridique, bien que cette réponse puisse ne pas avoir une.

grande utilité. Poser la question de savoir si je dois marcher sur le trottoir droit-ou gauche peut abou- tir à la réponse juridique suivante: puisqu'il n'est pas indiqué par le droit de quel côté il faut mar- cher, le droit permet les deux solutions. Ou encore: ai-je le droit de digérer ce que j'ai mangé? Ré- ponse juridiqw~ : comme il est naturellement impossible de ne pas digérer ce qui a été ingurgité, le droit ne saurait s'opposer à ce processus naturel (ad impossibile nemo tenetur). Etc.

Reste évidemment la faculté de juger ex aequo et bono au sens de l'article 3 8, § 2, du Statut, moyen- nant l'accord des parties (sur cette notion, voir A. PELLET, «Article 38», dans: A. Zimmermann/

C. Tomuschat/K. Oellers-Frahm, éds., The Statute of the International Court of Justice, A Commen- tary, Oxford/New York, 2006, p. 730 ss, avec des renvois). Le droit interne peut également être à la base d'un différend international, comme le montrent les curieuses affaires des Emprunts Serbes et Brésiliens, CPJI, sér. A, nos 14 et 15.

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de compétence ratione materiae. La sensibilité politique d'un litige n'est pas un motif valable pour le tribunal afin de se dérober à l'action en vue de laquelle on le sollicite. C'est au demandeur ou aux parties qu'il convient de demander de la modération et de la sagesse à cet égard.

2. r.; année courante - comme la précédente - a été marquée pour la Cour par une masse importante d'affaires, de documentation y afférente et de séances de plaidoiries ou de délibéré. Un problème de plus en plus aigu est celui de documents pléthoriques et de plaidoiries prolongées, dans lesquelles les parties se répètent et se dispersent. La Cour se voit ainsi engluée dans une jungle de pièces et de discours, dont l'utilité aux fins de la décision n'apparaît pas suffisante. C'est la raison pour laquelle la Cour a modifié ses Instructions de procédure III et VI, tout en promulguant une nouvelle instruction de procédure XIIJ.9 On rappellera que ces instructions, dont l'origine remonte à octobre 2001, sont des règles que la Cour donne à la procédure en vertu de son pouvoir réglementaire général. Ces instructions ne peuvent ni modifier ni contredire le Règlement, ni . à plus forte raison le Statut. Dans la hiérarchie des textes, le Statut fait office de traité fondateur; le Règlement adopté par la Cour vise uniquement à concrétiser le Statut; et les Instructions permettent seulement de concrétiser le Règlement. Le recours à ces instructions s'explique par la plus grande flexibilité dans leur adoption et leur modification. Au lieu d'un amendement en bloc du Règlement, il suffit de promulguer au cas par cas les règles tenues pour nécessaires. En janvier 2009, la Cour a modifié l'instruction de procédure III en priant les parties non seulement «d'opérer une sélection rigoureuse des documents qu'elles annexent», mais encore de «veiller à ce que leurs écritures soient aussi concises que possible, dans les limites compatibles avec une présentation exhaustive de leurs positions». Quant à l'instruction de procédure VI, la Cour réaffirme la nécessité, telle qu'énoncée à 1 'article 60, § 1, du Règlement, de veiller à ce que les plaidoiries soient aussi brèves que possible.

Plus spécifiquement, elle demande aux parties de privilégier, lors du premier tour de la procédure orale, «les points qui ont été soulevés par l'une d'elles au stade de la procédure écrite mais n'ont pas encore été traités comme il convient par l'autre, ainsi que ceux sur lesquels elles tiennent à mettre l'accent pour conclure leur argumentation». [;instruction de procédure XIII, nouvelle, précise la manière dont pourront être recueillies les vues des parties sur des questions de procédure, en application de l'article 31 du Règlement. Voici sa teneur: «La disposition de 1' article 31 du Règlement de la Cour aux termes de laquelle le président se renseigne auprès des parties sur des questions de procédure est à comprendre ainsi : Après la première réunion tenue avec le président, les parties,

Communiqué de presse no 2009/8 du 30 janvier 2009.

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lorsque celui-ci est de nouveau appelé à se renseigner auprès d'elles sur des questions de procédure, peuvent, si elles sont d'accord sur la procédure à suivre, 1' en informer par lettre. Les vues des parties concernant la suite de la procédure peuvent également, si celles-ci en sont d'accord, être recueillies par téléconférence». Comme on peut le voir, ces réformes visent à la simplification et à l'accélération de la procédure. On ne saurait assez mettre l'accent sur les graves inconvénients que comporte l'illusion encore trop courante d'une supériorité de la pléthore par rapport à la litote. En fait, la force du fil argumentatif s'étiole; la forêt s'efface derrière les arbres; l'interlocuteur se fatigue, perd en réceptivité et peut-être aussi une portion d'empathie; les points essentiels sont pollués par les points secondaires; la crédibilité d'une position est minée par les branchements plus faibles, jetant 1' ombre sur les branches plus fortes; et enfin le traitement même que le juge pourra donner aux points soulevés perd en qualité, par l'obligation qu'on lui impose, le plus souvent, de se disperser sur une série d'aspects plus ou moins inutiles, voire téméraires.

r.; imperatoria brevitas latine est un conseil précieux de qualité de la pensée et aussi de bonne tactique litigieuse. Fortitur in re, suavitur in modo. Il faut donc saluer la volonté de la Cour de le rappeler, à sa manière.

Il. L'affaire relative à la délimitation maritime en Mer Noire, Roumanie c. Ukraine,

arrêt du 3 février 2009

A. Résumé

3. Saisine ( § 1 ss ). La Cour a été saisie de cette affaire par une requête unilatérale de la Roumanie en date du 16 septembre 2004. Cette requête était fondée sur une clause compromissoire, insérée dans un accord international liant les deux Etats: à savoir l'article 4, lettre h, de l'accord additionnel résultant de l'échange de lettres du 2 juin 1997 conclu conformément à l'article 2 du Traité de bon voisinage et de coopération entre la Roumanie et l'Ukraine du 2 juin 1997. Il s'agit donc d'une compétence par convention, au sens de l'article 36, § 1, du Statut de la Cour: «La compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu'à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en vigueur». La requête roumaine porte sur la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive dans les parties de la Mer Noire jouxtant les côtés des deux Etats.

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4. Requêtes (§ 11 ss). Les demandes respectives des parties se présentent comme suit. La Roumanie demande à la Cour de tracer une frontière maritime unique. La ligne devrait, près de ses côtés, relier certains points que la Roumanie indique spécialement. Vers le large, dans le secteur d'adjacence des côtes, la Roumanie plaide pour une ligne d'équidistance. Dans le dernier secteur enfin, où les côtes de deux Etats se font face, la Roumanie abonde en faveur d'une ligne médiane. I.:Ukraine demande le tracé d'une ligne maritime unique, reliant des points spécifiques par elle indiqués.

5. Le cadre géographique(§ 14-16). Le cadre géographique, présenté dans le croquis no 1, se distingue par deux facteurs. En premier lieu, il s'agit d'une mer fermée. Est ici en cause la partie nord-ouest de cette mer. En second lieu, dans la zone pertinente pour la délimitation, se trouve l'île des Serpents, petite formation maritime appartenant à l'Ukraine.

6. La compétence de la Cour (§·20 ss). Les conditions pour que la Cour soit en l'espèce compétente sont énoncées dans la clause compromissoire de l'accord susmentionné. Il s'agit d'un côté de l'exigence qu'aucun accord de délimitation ne soit conclu dans les deux ans à partir d'une date précisée, et de l'autre côté que le traité de frontière entre les deux Etats soit entré en vigueur. Ces deux c9nditions sont réunies en 1' espèce. Le désaccord des parties ne porte plus que sur l'étendue de cette compétence. Pour la Roumanie, le premier segment de la frontière maritime a déjà été tracé par accord. Il s'étend jusqu'à un arc de cercle autour de l'île du Serpent. Selon la Roumanie, la Cour devrait dès lors se borner à confirmer cette frontière pré-établie. Pour l'Ukraine, en revanche, la compétence de la Cour ne s'étend qu'à la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Toute délimitation ou confirmation de délimitation dans les eaux proches de côtes, c'est-à-dire dans la mer territoriale, serait donc exclue. Selon la Cour, la clause compromissoire doit être interprétée à la lumière de son objet et de son but, ainsi que de son contexte. La Cour considère qu'à travers les instruments juridiquement pertinents qu'elles ont conclus, les parties entendaient aboutir à un règlement global de l'ensemble des questions relatives à leurs frontières. Le Traité relatif au régime de la frontière d'Etat de 2003 définit les frontières séparant les territoires et les eaux territoriales des deux parties. Les seules frontières n'ayant pas encore reçu de règlement définitif sont donc les frontières relatives au plateau continental et à la zone économique exclusive. La Cour n'est donc compétente qu'à leur endroit Rjen ne s'oppose toutefois à ce que l'exercice de cette compétence donne lieu au tracé d'une frontière séparant une zone économique exclusive et un plateau continental d'un côté, et la limite extérieure de la mer territorial de l'autre.

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7. Le droit applicable(§ 31 ss). La Roumanie et l'Ukraine sont parties à la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer (1982) (ci-après: CMB), dont les articles 7 4 et 83 ont respectivement trait aux principes et règles régissant la délimitation des plateaux continentaux et des zones économiques exclusives.

De plus, les parties ont conclu des accords particuliers sur la mer territoriale, y compris avec des Etats tiers comme l'URSS. Leur portée pour la délimitation à effectuer dans la présente espèce est controversée entre les parties. Suivant la Cour, le droit applicable doit être recherché surtout dans les articles 74 et 83 de la CMB. Les principes énumérés dans l'article 4, lettres a-e, de l'accord additionnel de 1997 entre la Roumanie et l'Ukraine s'adressent avant tout à leurs négociations directes et ne sont pas applicables comme tels par la Cour (§ 41). De plus, la déclaration interprétative de la Roumanie jointe à l'article 121, § 3, de la CMB ne saurait en tout cas modifier le sens juridique de cette disposition et n'aura donc aucune incidence sur l'interprétation de la Cour (§ 42).

Quel est l'effet des procès-verbaux de 1949, 1963 et 1974 entre la Roumanie et 1 'URSS, ainsi que des Traités de J 949 et de 1961 entre ces deux mêmes Etats, et enfin du Traité entre la Roumanie et l'Ukraine de 2003 portant sur les frontières? Ces accords ont une incidence sur le point de départ de la ligne de délimitation et sur la délimitation dans la zone de l'île des Serpents. Ils infirment le point de départ présenté par la Roumanie (le point «x»). En effet, selon 1' article 1 du Traité de 2003, le point terminal de la frontière «terrestre» est fixé là où la limite de la mer territoriale roumaine rencontre celle ukrainienne, et non pas au point «x». Les accords plus anciens ne contiennent par ailleurs aucune référence à la zone économique exclusive, ni même au plateau continental, inconnus à cette époque. Ils ne concernent que la mer territoriale.

En somme, il n'existe aucun accord établissant une frontière pour le plateau continental ou la zone économique exclusive sis entre les deux Etats en litige.

C'est à la Cour qu'incombe la tâche de tracer une ligne de délimitation.

8. Les côtes et les zones maritimes pertinentes(§ 77 ss). Le titre d'un Etat sur le plateau continental et sur la zone économique exclusive est fondé sur le principe selon lequel la terre domine la mer. Ce principe est issu du fait de la projection des côtes ou des façades côtières vers le large. Ce n'est que la côte qui confère des droits sur des espaces maritimes ; en ce sens la terre domine la mer. Ce principe suppose la définition des côtes pertinentes, celles dont la projection crée un chevauchement qu'il s'agit, par la délimitation, de départager. En 1' espèce, la côte roumaine est pertinente dans son ensemble. Elle a une longueur d'approximativement 248 km (§ 88). Concernant la côte ukrainienne, il faut éliminer tout segment du littoral dont le prolongement ne peut rencontrer le littoral roumain, créant ainsi ce chevauchement qui à son tour appelle la

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délimitation. Dès lors, les côtes du Golfe de Karkinits'ka ne sauraient faire partie du littoral pertinent. Il en va de même pour le littoral du Golfe de Yahorlyts'ka et de l'estuaire du Dniepr. La longueur de la côte pertinente ukrainienne est approximativement de 705 km(§ 103).

Il en résulte un rapport de longueur de côtes respectives de 1 : 2,8. Les côtes petiinentes ainsi que la zone qu'elles génèrent doivent être déterminées aussi aux fins du contrôle de l'absence de disproportion(§ 106 ss). Il se peut donc que le rapport de proportionnalité entre la longueur des côtes respectives, par rapport à la zone allouée à chacune d'entre elles, nécessite un ajustement de la ligne de délimitation initialement retenue. La proportionnalité n'est toutefois pas une méthode de délimitation à part entière(§ 11 0). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la zone pertinente peut être définie approximativement plutôt qu'avec précision. Le but de la délimitation est de parvenir à un résultat équitable, et non à une répartition égale des espaces maritimes (§ 111). En l'espèce, la zone pertinente comprend: (i) la zone située au nord des côtes pertinentes définies plus haut: (ii) au sud de ces côtes, les triangles mis en évidence dans le croquis no 5, sans préjudice d'éventuels droits d'Etats tiers.

Ces droits ne sont nullement affectés par l'inclusion de ces triangles aux fins de la vérification d'une proportionnalité globale et approximative («absence de disproportion») des espaces attribués(§ 114).

9. La méthode de délimitation (§ 115 ss). La méthode appliquée consiste en le tracé d'une ligne d'équidistance10 provisoire, apte, le cas échéant, à être ajustée dans un second temps. Il s'agit là d'une méthode objective d'un point de vue géométrique et adaptée à la géographie de la zone pertinente. Entre côtes adjacentes, l'équidistance s'impose, à moins que des raisons impérieuses, propres au cas d'espèce, commandent de l'écarter. Entre côtes se faisant face, la ligne médiane est le point de départ reconnu(§ 116). Les points de base côtiers à partir desquels la ligne d'équidistance est construite sont déterminés par la Cour en fonction des façades côtières et des points saillants sur le littoral. Ces points de base, pour le tracé de la ligne d'équidistance en matière de plateau continental et de zone économique exclusive, peuvent s'écarter des points de base retenus pour le tracé de la limite extérieure de la mer territoriale11 (§ 117).

10 Est appelée ligne équidistante en cas de côtes adjacentes ou ligne médiane en cas de côtes opposés (c'est aussi une ligne équidistante) celle qui relie entre eux les points se situant à mi-chemin entre les points de base adjacents ou opposés des côtes pertinentes.

11 Il en est ainsi à la fois parce que le tracé d'une limite extérieure d'une zone maritime n'est pas le même processus que le tracé d'une ligne de délimitation; et surtout parce que l'effet de distorsion que peuvent provoquer certains points trop saillants ou trop échancrés par rapport à la direction gé:

nérale de la côte est minimal sur une distance de 12 milles marins (mer territoriale), mais peut faci- lement devenir excessif sur "une distance de 200 milles marins (zone économique exclusive), voire

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Le tracé final de la délimitation doit aboutir à un résultat équitable, comme l'exigent les articles 74 et 83 de la CMB. C'est la raison pour laquelle la Cour examinera dans une seconde phase s'il existe des facteurs propres à l'espèce («circonstances pertinentes »12) appelant un ajustement ou un déplacement de la ligne d'équidistance provisoire(§ 120). Enfin, la Cour vérifiera aussi que la délimitation ne donne pas lieu à un résultat inéquitable du fait d'une disproportion marquée entre la longueur des côtes respectives et les zones pértinentes attribuées à chaque Etat (test de proportionnalité)(§ 122).

10. Première étape de délimitation: l'établissement de la ligne d'équidistance provisoire(§ 123 ss). En premier lieu, la Cour doit déterminer les points de base sur la façade côtière qui serviront à construire la ligne d'équidistance. La zone pertinente se divise en deux parties : celle où les côtes pertinentes sont adjacentes; et celle où les côtes pertinentes se font face. Pour la Roumanie, la côte pertinente est identique dans les deux secteurs. Pour l'Ukraine, les côtes pertinentes diffèrent dans la zone d'adjacence par rapport à celle d'opposition.

Selon la Cour, il faudra en tout cas déterminer le point de rupture où les relations d'adjacence des côtes commencent à tourner en relations d'opposition. La Cour détermine ensuite les points de base et trace la ligne de base (§ 129 ss). On notera surtout les aspects suivants.

Promontoire de la baie de Musura: La Cour doit ici choisir comme point de base soit la pointe d'une digue vers le large (elle se prolonge de 7.5 km vers la mer), soit le point de jonction de cette digue avec la terre ferme. Selon l'article 11 de la CMB, les points de base pour déterminer la mer territoriale incluent «les installations permanentes faisant partie intégrante d'un système portuaire». Une digue peut servir à protéger la navigation dans le port. Elle peut donc être retenue comme point de base. En l'espèce, il demeure toutefois le problème de sa longueur excessive vers le large, infléchissant démesurément la ligne de base. Cette question avait été discutée dans la Commission du droit international lors de la préparation de la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental. La Cour ne saurait ignorer cette inflexion excessive de la ligne de base. Il est vrai que la Roumanie a notifié à l'Ukraine qu'elle utiliserait la pointe de la digue

de 350 milles marins (plateau continental étendu). Sur la différence entre le tracé de la limite extérieure des zones maritimes et le processus de délimitation, voir les remarques concises de L. CAFLISCH, «La délimitation des espaces marins entre Etats dont les côtes se font face ou sont adjacentes», dans: R. J. Dupuy ID. Vignes (éds.), Traité du nouveau droit de la mer, Paris/Bruxelles, 1985, p. 376-377.

12 Dans la logique de l'article 6 de la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental, il s'agit plutôt de« circonstances spéciales», c'est-à-dire circonstances laissant apparaître comme étant iné- quitable une ligne d'équidistance. Voir infra, no 19.

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comme point de base pour mesurer sa mer territoriale; 1 'Ukraine n'a pas protesté à cet égard. Or, les points de base servant à déterminer la mer territoriale et ceux servant à mesurer vers le large le plateau continental ou la zone économique exclusive ne sont pas nécessairement identiques (§ 137). Puisqu'il n'a pas été démontré de manière concluante que cette digue servait directement aux activités portuaires, la Cour n'est pas convaincue que sa pointe doive être retenue comme pointe de base en l'espèce(§ 138). Le point de base pertinent est donc celui de la jonction de cette digue avec la terre ferme. Cette approche a aussi pour avantage de ne pas privilégier une itl.stallation artificielle au détriment de la géographie physique de la masse terrestre(§ 139).

La côte ukrainienne: La Cour choisit ici comme points de base notamment deux saillies, les caps Tarkhankut et Chersonèse (§ 146-7). Elle relie ces points de base à l'île Tsyganka. Reste le problème de l'île des Serpents (ou îles des Serpents). Il s'agit d'une série de petites îles frangeantes, proches d'une côte échancrée. De telles îles ont parfois été retenues par la jurisprudence internationale comme points de base pertinents (voir par exemple l'arbitrage Erythrée c. Yémen, 1999). Les formations ici en cause ne sont toutefois pas dans une situation comparable: il s'agit d'une série d'îles isolées, situées à quelque 20 milles marins du continent. Considérer les îles des Serpents comme une partie pertinente du littoral reviendrait à greffer un élémentétranger sur la côte ukrainienne, c'est-à-dire refaçonner, par voie judiciaire, la géographie physique des lieux (cf. 1 'affaire Libye c. Malte, Cil, 1985, à propos de l'île de Filfa). La Cour ne retient donc aucun point de base sur ces formations maritimes isolées.

La Cour procède alors à la construction de la ligne d'équidistance: «Le segment initial de la ligne d'équidistance provisoire entre les côtes adjacentes de la Roumanie et de l'Ukraine est construit à partir des points de base constitués, pour la côte roumaine, par la base de la digue de Sulina et, pour la côte ukrainienne, par la pointe sud-est de l'île de Tsygank:a. A partir d'un point situé à mi-distance de ces deux points de base, il se dirige vers le sud-est jusqu'au point A (situé par 44° 46' 38,7" de latitude nord et 30° 58' 37,3" de longitude est), où son tracés 'infléchit sous l'effet d'un point de base situé sur la péninsule de Sacaline, sur la côte roumaine. Au point A, la ligne d'équidistance change légèrement de direction pour se poursuivre jusqu'au point B (situé par 44° 44' 13,4" de latitude nord et 31 o 1 0' 27 ,7" de longitude est), où son tracé s'infléchit sous 1' effet du point de base situé sur le cap Tarkhankut, sur la côte opposée de l'Ukraine. Au point B, elle s'oriente vers le sud-sud-est pour se poursuivre jusqu'au point C (situé par 44° 02' 53,0" de latitude nord et 31 o 24' 35,0" de longitude est), calculé à partir des points de base situés, pour la côte roumaine,

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sur la péninsule de Sacaline et, pour la côte ukrainienne, aux caps Tarkhankut et Chersonèse. A partir du point C, la ligne d'équidistance se poursuit vers le sud, selon un azimut initial de 185° 23' 54,5". Cette ligne reste régie par les points de base situés sur la péninsule de Sacaline, sur la côte roumàine, et le cap Chersonèse, sur la côte ukrainienne»(§ 154).

11. Deuxième étape: la détermination des circonstances pertinentes(§ 155 ss).

Existe-t-il des facteurs appelant à un ajustement ou à un déplacement de la ligne d'équidistance provisoire afin de parvenir à un résultat globalement équitable? L'Ukraine invoque de telles circonstances, la Roumanie n'en fait pas état. La Cour examine alors ces circonstances.

La disproportion entre la longueur des côtes (§ 158 ss ). Selon la Cour, «en cas de disparités particulièrement marquées entre les longueurs des côtes, [elle] peut choisir de traiter cette réalité géographique comme une circonstance pertinente qui exigerait de procéder à quelques ajustement de la ligne d'équidistance provisoire» (§ 164). Elle rappelle à cet effet les affaires Cameroun c. Nigeria (2002) et Jan Mayen (1993). Toutefois, il n'y a pas d'application directe et mathématique du rapport entre la longueur des côtes dans le processus de délimitation, ce qui transformerait la proportionnalité en une méthode à part entière au lieu de la cantonner à un test d'équité ex post. En 1 'espèce, la disproportion entre les côtes pertinentes n'est pas suffisamment marquée (1: 2,8) pour justifier un ajustement de la ligne (§ 168).

Le caractère fermé de la Mer Noire et les délimitations préexistantes (§ 169 ss). Ces circonstances n'appellent pas un ajustement de la ligne d'équidistance provisoire, d'autant moins que tous les accords fixant des frontières dans la région confirment l'équidistance(§ 178).

La présence de l'île des Serpents(§ 179 ss). La présence d'îles dans la zone pertinente peut induire une correction ou un ajustement de la ligne d'équidistance provisoire. La Cour peut décider de ne pas tenir compte d'îles de très petite taille ou de ne pas leur accorder l'intégralité de leurs droits potentiels à des zones maritimes lorsque ce fait aurait un effet disproportionné sur la délimitation(§ 185). En l'espèce, au vu de sa taille, 1 'île des Serpents (et ses petites formations connexes) ne saurait générer un plateau continental ou une zone économique exclusive distincts de ceux des côtes principales dans la zone pertinente. Un ajustement de la ligne provisoire n'est donc pas nécessaire. L'île n'a pas d'autre incidence sur la délimitation que la reconnaissance de sa mer territoriale de 12 milles marins, octroyée par un accord entre les parties (§ 187-188).

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La conduite des parties : concessions pétrolières et gazières ; activités de pêche; patrouilles navales(§ 189 ss). En l'absence d'accords tacites ou de modus vivendi entre les parties; la Cour voit mal quel rôle particulier ces activités peuvent jouer aux fins de la délimitation maritime. Celle-ci n'est pas opérée en fonction des ressources naturelles (cf. la sentence arbitrale Barbade c. Trinité-et- Tobago, 2006). Aucune répercussion catastrophique sur la subsistance et le développement des populations locales, au sens du dictum de la Cour en l'affaire du Golfe du Maine (1984), n'a été démontrée.

Ces activités ne constituent donc pas une circonstance pertinente(§ 198).

Eventuel effet d'amputation(§ 199 ss). Les lignes proposées par les parties amputent chacune, dans leur segment initial, les droits de 1' autre partie au plateau continental et à la zone économique exclusive. La ligne d'équidistance provisoire de la Cour évite cet inconvénient. Il n'y a donc aucune raison d'ajuster cette ligne au regard d'un effet d'amputation inexistant(§ 201).

La sécurité (§ 202 ss). La ligne d'équidistance provisoire respecte les exigences de sécurité légitimes des deux parties. Il n'y a donc pas de raison de l'ajuster(§ 209).

La Cour maintient en conséquence intégralement sa ligne d'équidistance provisoire. Celle-ci se prolonge vers le sud jusqu'au point au-delà duquel les droits et intérêts d'Etats tiers pourraient être affectés(§ 109).

12. Troisième étape: vérification de l'absence de disproportion (§ 210 ss). La Cour doit encore vérifier que sa délimitation n'entraîne pas une disproportion marquée entre les longueurs des côtes respectives et les espaces maritimes finalement attribués à chaque partie. Cette vérification ne peut être qu'approximative, car la proportionnalité ne doit pas devenir elle-même une méthode de délimitation(§ 212). De plus, la vérification doit être opérée au cas par cas, suivant la configuration géographique particulière de la région dans son ensemble (§ 213). Dans la présente affaire, la Cour a mesuré les côtes en fonction de leur direction générale, sans tenir compte des littoraux à l'intérieur des golfes ou de profondes échancrures(§ 214). Le ratio obtenu est de 1: 2.8 entre les côtes pertinentes et de 1 : 2.1 entre les espaces attribués. Il n'y a donc pas de disproportion marquée.

La Cour conclut en décrivant la frontière maritime retenue(§ 218).

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13. Dispositif(§ 219). La Cour adopte la ligne décrite à 1 'unanimité. Aucune juge n'a joint à 1 'arrêt une opinion individuelle. Il est trop tôt pour faire état des réactions doctrinales.13

B. Commentaires

14. Cette affaire montre que l'approche de la Cour vis-à-vis de la délimitation maritime a trouvé un point de chute stable. Elle est désormais rythmée par trois étapes: la ligne d'équidistance provisoire - l'éventuelle correction par des circonstances « petiinentes » - et le contrôle final de proportionnalité. Cette séquence provoque chez le lecteur un certain sentiment d'ordre et de clarté. Elle tranche nettement avec la jurisprudence des années 1980, centrée sur une approche d'équité dite autonome.14 A l'époque, la Cour ne commençait pas son processus délimiteur par une ligne d'équidistance provisoire. Elle tentait plutôt de tirer directement des circonstances pertinentes de chaque cadre géographique et juridique unique, une ligne qui s'adaptât aux besoins du cas d'espèce. Pour ce faire, elle opérait sous l'étoile polaire d'une équité dont la nature n'était pas correctrice d'une règle générale trop rigide, mais plutôt autonome, c'est-à-dire offrant un point de repère normatif générique comme aiguillon d'une pondération de toutes les circonstances d'espèce. Ses arrêts étaient du coup plus longs, plus articulés, plus anfractueux, plus tourmentés; il était laborieux d'en tirer des règles générales; la sécurité juridique en pâtissait, car il n'émergeait pas de linéaments clairs aptes à diriger les comportements étatiques et à éclairer les décisions de 1' avenir. Cette oscillation jurisprudentielle entre 1' équidistance et l'équité met à nu le point capital de toute jurisprudence sur les délimitations maritimes: trouver un équilibre, toujours précaire par ailleurs, entre la sécurité de la règle générale et la nécessité de 1 'équité du cas d'espèce, dans une matière où aucune situation de délimitation ne ressemble complètement à une autre, étant donné l'unicité des cadres géographies et juridiques respectifs. Ainsi, cette problématique scrute directement l'un des grands thèmes de fugue du droit:

règle contre équité, approche générale contre approche particulière, norme contre fait, sécurité juridique contre justice du cas d'espèce. Elle fait le charme incommensurable de cette branche du droit international, où, derrière des

13 Voir, jusqu'ici (décembre 2009), la brève note de A. G. D. Elferink, «Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine): Case Conceming Maritime Delimitaiton in the Black Sea», Hague Justice Journal, vol. 4, fasc. 1, 2009, p. 61-64.

14 Sur cette jurisprudence, voir notamment R. Kolb, Jurisprudence sur les délimitations maritimes se- lon l'équité, Répertoire et commentaires, La Haye/Londres/New York, 2003; P. Weil, Perspectives du droit de la délimitation maritime, Paris, 1988.

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paravents aux entournures apparemment techniques, se cache un sujet de philosophie du droit des plus élémentaires.

15. La jurisprudence des années 1980 a été induite par l'arrêt phare du plateau continental de la Mer du Nord (1969).15 Le sort a voulu- mais il fallait s'y attendre - que la première affaire de délimitation maritime portée devant la Cour fût hautement atypique, c'est-à-dire fût très particulière. Il fallait s'y attendre, disions-nous, parce qu'il était improbable que les Etats eussent saisi le juge pour un easy case dans lequel l'équidistance donnait entière satisfaction.

Comme il est connu, le problème mis à nu dans cette affaire est que 1' équidistance n'aboutit pas toujours à des résultats ressentis comme étant équitables. Alors que les trois Etats en dispute avaient des côtes à peu près également longues, il résultait d'une délimitation équidistante une portion de plateau continental très inégale à cause de la nature concave de la côte allemande par rapport aux côtes néerlandaise et danoise. Il s'ensuivait dès lors un effet d'amputation, la ligne d'équidistance tracée à partir des deux points de frontière sur le littoral (Allemagne/Danemark; Allemagne/Pays-Bas) vers le large se refermant à angle aigu devant les côtes allemandes pour former une espèce de triangle. A vrai dire, il s'agissait de l'une des situations prévues par la Commission du droit international, lorsque celle-ci préparait la Convention de Genève sur le plateau continental adoptée en 1958. La Commission, et à sa suite la Convention, à son article 6, prévoyaient comme méthode de délimitation la ligne d'équidistance; il était ajouté qu'il serait possible de s'écarter ou de corriger cette ligne équidistante si des circonstances spéciales de l'espèce faisaient apparaître le résultat obtenu comme étant significativement inéquitable. La convexité 1 concavité des côtes était une telle circonstance potentiellement

«spéciale». Or, dans l'affaire de la Mer du Nord, une conjonction de trois facteurs a permis à la Cour de minimiser l'importance de l'équidistance et de maximiser l'importance des circonstances spéciales, intervertissant ainsi en quelque sorte l'économie de l'article 6 de la Convention de 1958. D'abord, le fait que 1 'Allemagne n'avait pas ratifié cette Convention et qu'il fallait appliquer, par voie de suite, le droit international coutumier. La Cour trouvait ici une grande marge de flexibilité, ce droit coutumier n'ayant jamais été défini.

Ensuite, la nature des circonstances géographiques. Il est évident que si la Cour avait été confrontée à une situation «normale», dans laquelle la méthode de l'équidistance aboutissait à un résultat à peu près raisonnable, elle n'aurait vu aucune raison de tenter d'en minimiser la portée. En l'espèce, toutefois, l'équidistance s'avérant gravement inéquitable, elle avait tous les motifs pour insister sur le fait que cette méthode ne présentait rien d'obligatoire et

15 CIJ, Recueil, 1969, p. 3ss.

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n'exprimait pas le droit coutumier. Elle préféra ainsi, en se référant à la Proclamation Truman de 1945, construire son arrêt directement sur la notion d'équité comme étoile polaire du processus délimitant. Enfin, la Cour n'avait pas dans cette affaire la mission de tracer une ligne de délimitation, mais uniquement d'indiquer aux parties les principes et règles applicables. Il est manifestement plus facile pour la Cour de s'en tenir à des généralités, comme celle que la délimitation doit aboutir à un résultat équitable, lorsqu'elle indique aux parties quelles considérations doivent diriger leurs négociations directes, que lorsqu'elle doit tracer elle-même la ligne de délimitation. Dans ce dernier cas, il est problématique pour le juge de se passer complètement de règles possédant un degré un peu plus élevé de normativité, sauf à se faire accuser d'une action prétorienne arbitraire, prétéritant la nécessaire prévisibilité du droit- et suscitant ainsi une pluralité de litiges qu'on aurait peut-être pu éviter.

Quod !icet Jovi, non licet bovi. En somme: hard cases make bad law; ou en tout cas, ces hard cases projettent devant eux un prononcé judiciaire souvent quelque peu désaxé et déséquilibré.

16. I.:arrêt Mer du Nord a fixé le droit de la Cour dans les deux prochaines affaires: l'affaire du plateau continental Tunisie/Libye (1982)16 et l'affaire du Golfe du Maine (1984)_17 Il s'agit de deux affaires mettant d'abord enjeu des côtes adjacentes et se terminant dans un secteur où les côtes se font face. Un tournant de jurisprudence arrive avec 1' affaire du plateau continental Libye/Malte (1985)18. Il s'agissait d'une situation où deux côtes se faisaient face. Elles étaient essentiellement rectilignes. Par voie de suite, nous voici confrontés à une situation où l'équidistance est idéalement applicable. La Cour ne peut pas échapper à cette conclusion: en 1 'espèce, 1 'équidistance est bel et bien la solution la plus équitable. La Cour commence donc par tracer une ligne médiane. Et elle nous explique par la suite qu'elle doit contrôler si des corrections à cette ligne s'imposent, du point de vue de circonstances pertinentes de l'espèce, par exemple la proportion des ratios côtiers. C'est de cette époque que date le procédé en trois phases: ligne d'équidistance - correction éventuelle - contrôle final de proportionnalité entre longueur respective des côtes et zones maritimes attribuées. A cette époque, la Cour n'hésite pas à corriger la ligne médiane en fonction de circonstances pertinentes, dont la plus importante est (la significative) disparité dans la longueur des côtes. I.:arrêt suivant, Jan Mayen (1993), 19 est encore entièrement inscrit dans cette mouvance:

16 CU, Recueil, 1982, p. 18ss.

17 CU, Recueil, 1984, p. 246ss.

18 CU, Recueil, 1985, p. 13ss.

19 CU, Recueil, 1993, p. 38ss.

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côtes se faisant face, longueur grandement inégale de celles-ci, donc équidistance (ligne médiane) et correction en fonction de la disparité de la longueur des côtes.

17. On arrive à une troisième phase jurisprudentielle avec l'arrêt sur la délimitation maritime et les questions territoriales Qatar c. Bahrein (2001).20 Les côtes se faisaient ici d'abord face, mais évoluaient ensuite vers une relation de quasi-adjacence. Il n'y avait toutefois pas de disparité insigne entre la longueur des côtes pertinentes. La Cour applique dans cet arrêt la logique inspirant la Commission du droit international et la Convention de 1958: ligne d'équidistance, tempérée exceptionnellement (interprétation restrictive!} par une correction de la ligne pour cause de circonstances spéciales. En 1' espèce, la Cour corrige minimalement la ligne d'équidistance pour tenir compte de quelques formations insulaires. Elle refuse de la modifier en fonction d'une disparité de la longueur des côtes qui ne lui paraît pas excessive (1: 1 ,59). Telle sera grosso modo aussi l'approche dans l'affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (2007)21 et dans la présente affaire.

18. Pour résumer, on peut donc distinguer, chez la Cour,22 trois phases jurisprudentielles : ( 1) la phase de la répudiation de 1' équidistance et du triomphe de l'équité autonome (1969-1984); (2) la phase de la ligne médiane corrigée par des circonstances pertinentes, notamment la disparité significative de la longueur des côtes (1985-1993); (3) la phase de l'équidistance/circonstances spéciales, la Cour touchant le moins possible à la ligne d'équidistance provisoire (2001-aujourd'hui). Ce n'est pas dit, toutefois, que laphase 2 soit entièrement révolue : si la situation de deux côtes opposées de notable disparité se représentait, il est fort possible que la Cour appliquerait l'approche de cette deuxième phase. En somme, la Cour a évolué de 1' équité autonome, vers l'équidistance corrigée, enfin vers l'équidistance plus ou moins pure. Voilà son périple, par lequel elle s'est d'abord éloignée de la solution de la Convention de 1958, pour finalement pleinement y revenir. I.; arrêt Mer du Nord n'a été qu'une parenthèse induite par la triple particularité dont il a été question plus haut. La Convention avait mieux vu. The case law has gone fit!! circle.

19. On remarquera aussi que les termes «circonstances pertinentes» et

«circonstances spéciales» ne sont pas équivalents, chacun émanant d'une phase

2

°

CIJ, Recueil, 2001, p. 9lss, § 166ss.

21 Aux§ 228ss. Voir la Cluonique dans cette Revue, 2008, p. 160-162.

22 La jurisprudence arbitrale mériterait un examen à part pour lequel il n'y a regrettablement pas de place ici.

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et d'une philosophie différentes. Les circonstances pertinentes sont indissolublement liées à la logique de l'équité autonome: il n'existe pas de méthode de délimitation ayant priorité; tout dépend des circonstances de l'espèce, infiniment variables; la Cour a schématisé ces circonstances selon des catégories en fonction de leur récurrence (longueur des côtes respectives, arguments d'amputation, sécurité, etc.). La circonstance pertinente est simplement tout facteur quelconque susceptible d'influer sur le choix de la méthode et donc sur la ligne de délimitation. Il n'y aurait pas de sens de dire que la circonstance pertinente doit être restrictivement interprétée, car elle ne se greffe pas sur une règle stricte à laquelle elle aménagerait une exception.

Lorsque la Cour a continué à utiliser le terme «circonstance pertinente» après avoir choisi comme point de départ une ligne d'équidistance, cela témoignait jusqu'à un certain point d'un syncrétisme théorique, mais aussi, sans doute, d'un choix conscient ou inconscient: celui de dire que la ligne provisoire peut être ajustée encore assez libéralement, en fonction de considérations d'équité variables, c'est-à-dire précisément de «circonstances pertinentes». Le terme

«circonstances spéciales» ressortit à un tout autre monde. Il découle de la Convention de 1958. Cette Convention établit une méthode de délimitation prioritaire: l'équidistance. En même temps elle ajoute qu'exceptionnellement, l'application de l'équidistance peut aboutir à des résultats gravement inéqui- tables. C'est alors, forcément, que le cas d'espèce présente, géographiquement surtout, des circonstances spéciales, telles qu'une côte fortement concave ou un chapelet d'îles. Dans ces cas, on peut abandonner ou corriger la ligne d'équidistance. Les circonstances spéciales sont dès lors celles qui font apparaître comme étant gravement inéquitable dans un cas d'espèce la ligne d'équidistance. Or, l'équidistance étant la règle et les circonstances spéciales (le mot «Spécial» l'indique) l'exception, ces dernières doivent être strictement interprétées. Dans sa phase actuelle, la Cour ferait sans doute mieux de parler de circonstances spéciales, qui traduisent mieux sa philosophie, que de circonstances pertinentes.

20. Depuis que l'équidistance s'est établie comme méthode principale de délimitation, l'un des points saillants de chaque arrêt est l'enrichissement du droit relatif aux points de base. En effet, tracer une ligne d'équidistance nécessite de trancher la question préalable à partir de quels points côtiers on la projette.

Or: que faire avec des chapelets d'îles ou des formations maritimes diverses;

que faire avec des baies et côtes échancrées; que faire avec des installations portuaires proéminentes; que faire avec des phares situées au devant le la ligne du littoral, ou avec des digues prolongées vers la large? Les arrêts Qatar c. Bahrein et Nicaragua c. Honduras précités, ainsi que la sentence arbitrale

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Erythrée c. Yémen (1999),23 apportent de nombreux éclairages sur ce point. Le présent arrêt en ajoute d'autres, notamment quant à des îles, des baies et des digues. Il se précise ainsi progressivement un droit relatif aux points de base pour la délimitation de zones maritimes élargies (plateau continental/ zone économiques exclusive). Ils ne correspondent pas nécessairement aux points de base pour la mensuration de ces zones vers le large lorsqu'il s'agit de déterminer leur limite extérieure. Se développe ainsi une théorie de la relativité fonctionnelle des points de base. On remarquera à cet effet aussi que par la définition des points de base pertinents, le juge instille déjà des considérations d'équité dans le tracé de la ligne de base; c'est tout naturellement il va en hériter en aval une ligne d'équidistance notablement assagie et orientée à l'équité. C'est dire que ce processus d'« équitisation »de la ligne de base enlève une part non négligeable d'utilité au processus de correction de la ligne d'équidistance à la lumière des circonstances «pertinentes». IJ équité est insinuée en amont; elle ne peut plus qu'être confirmée en aval. Si des corrections restent nécessaires, cela peut désormais constituer une admission implicite que la Cour a «mal» construit sa ligne de base. En exagérant uri peu, on peut donc dire que tout se joue désormais dans la construction de la ligne de base et dans la définition préalable des points de base, que cette ligne reliera entre eux.

21. Il reste à évoquer un aspect: l'utilité de la correction d'une ligne médiane (ou d'équidistance d'adjacence) en fonction de la grande disparité de la longueur des côtes. Cette mesure prétorienne nous paraît doublement discutable. En premier lieu, il est mathématiquement constant que la côte plus longue générera déjà en soi une portion plus significative d'espaces maritimes que la côte plus réduite. En cas de côtes opposées,24 la ligne médiane séparera un trapèze dont la base plus longue se situe du côté de la côte plus longue; et cette base plus longue générera plus de surface de son côté de la ligne médiane que la base plus courte vers le sommet du trapèze. Pourquoi cela ne suffirait-il pas? Pourquoi faut-il encore supplémentairement corriger ce rapport d'inégalité naturelle et géométrique, en refaisant d'ailleurs la géométrie? Est-ce équitable? Prosper Weil et certains juges ont raison de s'interroger à cet égard.25 En second lieu, La Cour se lance dans un test final de proportionnalité approximatif pour vérifier un ratio non déraisonnable entre la longueur des côtes respectives et les surfaces de mer attribuées. Ce test suffirait parfaitement aux fins de la« proportionnalité»,

23 RSA, vol. XXII, p. 333ss.

24 En cas de côtes adjacentes, la côte plus courte jouit d'un« carré» plus réduit devant elle que la côte plus longue.

25 WEIL, op. cit., p. 71, 77; voir aussi ses critiques plus générales, ibid., p. 82ss, 250ss; Op. diss.

MosLER, Libye/Malte, CIJ, Recueil, 1985, p. 121; Op. diss. ScHWEBEL, ibid., p. 182-183

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telle qu'énoncée dans la jurisprudence. I.:ajustement préalable en fonction de la seule longueur des côtes fait ici quelque peu double emploi. Il n'est pas méconnu ici que les deux processus se distinguent, l'un mettant en jeu les deux côtes, l'autre mettant en regard ces côtes avec les zones attribuées. Il n'en demeure pas moins que le premier contrôle, celui relatif à la longueur des côtes, n'est pas entrepris pour lui-même, mais précisément pour assurer une délimitation partageant «plus» équitablement les espaces maritimes, qui seuls sont réellement en cause. S'il s'agit de cela, un seul test de proportionnalité- à nos yeux vraiment très approximatif et relâché, interprété strictement comme

«circonstance spéciale» - devrait suffire. Il ne faut pas à la légère modifier la ligne d'équidistance provisoire. Si telle est réellement la maxime sous-jacente à la jurisprudence récente, 1' ampleur du (double) test de proportionnalité devrait être réduite. On simplifierait d'ailleurs encore davantage le processus, sans rien perdre d'essentiel du côté de l'équité, si l'on abandonnait entièrement ce test difficile à mettre en œuvre, car rien n'est plus ardu que de déterminer proprement les côtes et les zones pertinentes. Le fait que la Cour insiste toujours sur le caractère approximatif des données à mettre en regard en est une admission implicite mais non moins parlante.

Ill. L'affaire du différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes,

Costa Rica c. Nicaragua, arrêt du 13 juillet 2009

A. Résumé

22. Saisine (§ 1 ). Le Costa Rica a introduit la présente instance par une requête unilatérale fondée sur trois titres de compétence distincts: (1) la clause facultative de l'article 36, § 2, du Statut; (2) l'Accord Tovar-Caldera de 2002, contenant une clause compromissoire au sens de 1' article 36, § 1, du Statut; et (3) le Pacte de Bogotà sur le règlement pacifique des différends, article 31 de ce Pacte prévoyant la saisine de la Cour, une fois de plus selon les prévisions de l'article 36, § 1, du Statut.

23. Requêtes (§ 12 ss). Pour le Costa Rica, il y a eu violation de ses droits cmwentionnels par le fait que le Nicaragua n'aurait pas laissé s'exercer librement le droit de navigation et certains droits connexes de ses ressortissants sur le fleuve San Juan, sur la partie sise en territoire nicaraguayen. Il demande la cessation de la violation, un dédommagement pécuniaire et des garanties appropriées de non-répétition. Selon le Costa .Rica, la base de ces droits se trouve dans le Traité de frontières entre les deux Etats en litige, conclu en 1858.

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Pour le Nicaragua, les demandes du Costa Rica doivent être rejetées. Selon lui, il n'y a pas eu de violation du Traité de 1858, ni d'ailleurs du droit international général. Le Nicaragua rappelle qu'il a le droit de réglementer le trafic fluvial et qu'il peut adopter à ce titre certaines mesures restrictives sans violer pour cela le droit de libre navigation concédé au Costa Rica dans le Traité de 1858.

24. Le contexte géographique (§ 15 ss). Le fleuve San Juan coule sur une distance d'environ 205 km et se divise en deux bras à 19 km de la mer des Caraibes. L:un des bras continue à s'appeler le San Juan; l'autre s'appelle le Colorado. Les deux bras fluviaux se jettent dans la mer des Caraibes. Un croquis éclaire ce contexte géographique.

25. Le contexte historique(§ 17 ss). Le Traité de 1858 entre le Costa Rica et le Nicaragua fixe la frontière dans la zone du fleuve comme suit. Entre un point proche de Castillo Vieijo et la mer des Caraibes, la frontière passe le long de la rive droite du San Juan. [;article VI du Traité établissait d'un côté la juridiction souveraine du Nicaragua sur le fleuve dans cette région, mais affirmait en même temps en contrepartie le droit de libre navigation «con objetos de comercio» du Costa Rica sur ce bout du fleuve. Le Traité ayant été contesté par le Nicaragua, la question de sa validité et de son contenu furent soumises à un arbitrage rendu en 1888 par le Président Cleveland. l:arbitre affirma la validité du Traité; il établit en plus que le Costa Rica ne pouvait pas faire naviguer ses bateaux de guerre sur le fleuve, mais qu'il pouvait y faire naviguer ses bateaux de douane

«for the purposes of commerce». Des incidents liés au régime de navigation commencèrent à se produire dès les années 1980, notamment à cause de restrictions réglementaires nicaraguayennes. Elles étaient d'abord justifiées comme étant temporaires, dues au conflit armé faisant rage dans la région.

Toutefois, d'autres mesures ont été mises en place tout au long des années 1990, par exemple le paiement de droits de passage.

En 2001, le Nicaragua assortit sa déclaration facultative d'une réserve indiquant qu'il ne reconnaîtrait plus la compétence de la Cour à l'égard d'une affaire concernant l'interprétation de traités conclus ou de sentences arbitrales rendues avant le 31 décembre 1901. Dans le Traité susmentionné de 2002, les deux Etats se sont mis d'accord sur un moratoire de 3 ans à propos de cette nouvelle réserve. En même temps, le Costa Rica s'engageait à ne pas introduire, pendant le temps de ce moratoire, d'instance devant la Cour portant matériellement sur une question couverte par la réserve. En 2005, après l'écoulement de ce délai, le Costa Rica a déposé sa requête à la Cour. Le Nicaragua n'a pas soulevé d'exception à la compétence de la Cour pour connaître de la présente affaire (§ 28). La Cour est donc compétente pour la trancher au fond.

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