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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2013

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2013

KOLB, Robert

KOLB, Robert. Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2013. Swiss Review of International and European Law , 2014, vol. 24, p. 153-176

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44801

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Cour internationale de Justice en 2013

par Robert Kolb

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Sommaire

I. Introduction : questions générales

II. L’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso c. Niger), arrêt du 16 avril 2013 A. Résumé

B. Commentaires

III. L’affaire de la Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), arrêt du 11 novembre 2013 A. Résumé

B. Commentaires

I. Introduction : questions générales

1. L’année 2013 aura été pour la Cour une période de labeur dans le domaine des procédures incidentes, notamment les demandes en indication de mesures conservatoires, et parallèlement une période relativement tranquille sur le front des affaires tranchées au fond. Sur ce dernier front, deux affaires se trouvent dans l’escarcelle de la moisson : une affaire relative à la délimitation d’une frontière terrestre (Différend frontalier, Burkina Faso c. Niger), qui donnera sans doute lieu à des erreurs de citation dans la littérature d’avenir, tant elle se prête à la confusion lexicale avec une affaire presque du même nom de 1986 ; et une affaire relative à une demande en interprétation d’un ancien arrêt de 1962, un grand classique de la Cour, l’affaire du Temple de Préah Vihéar, région dans laquelle des contestations ont resurgi il y a quelques années dans le contexte de l’inscription du site en question sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (années 2007–2008). La configuration des deux affaires reste sans doute assez habituelle. Les différends frontaliers et territoriaux, voire de délimitation mari- time, sont une véritable spécialité de la Cour. Il s’agit statistiquement de l’objet matériel le plus fréquemment porté devant la Haute Juridiction2. De l’autre

1 Professeur de droit international public à la Faculté de droit de l’Université de Genève ; Membre du Comité de rédaction.

2 Voir déjà M. Virally, « Le champ opératoire du règlement judiciaire international », RGDIP, vol. 87, 1983, p. 281ss et H. Tourard, « Le champ opératoire : nouvelles perspectives ? », dans : C. Apostoli- dis (éd.), Les arrêts de la Cour internationale de Justice, Dijon, 2005, p. 11ss.

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côté, les demandes en interprétation d’arrêts rendus (parfois des demandes de révision ou des demandes mixtes d’interprétation et de révision) tendent à se faire plus fréquentes que par le passé. Il faut sans doute y voir la tentative et la tentation d’exercer une espèce de « recours » contre des arrêts de la Cour, en lieu et place d’un recours au sens formel, quant à lui inexistant (article 60 du Statut : « l’arrêt est définitif et sans recours »). L’effort de la Cour consiste à brider cette tendance en refusant de s’engager dans une « révision » ou une

« réouverture » de la chose jugée. La présentation d’une demande en interpréta- tion une cinquantaine d’années après le prononcé de l’arrêt au principal est toutefois une nouveauté. Il est à espérer qu’elle ne fera pas école et que le doute sur l’efficacité des arrêts de la CIJ (qui reste à ce jour remarquable, même si des nuages se profilent à l’horizon) ne soit pas de cette manière amplifié. Enfin, on notera que les deux arrêts de 2013 ont été rendus à l’unanimité des voix. Ce fait est l’expression d’une certaine « liquidité » juridique des questions posées à la Cour, mais aussi d’un degré de cohérence significatif du corps judiciaire sur des aspects qui ne donnent pas lieu à de significatives controverses idéolo- giques. En somme, tout en droit international n’est pas incertain et disputé. La sécurité juridique peut ne pas être la pièce forte de ce droit à accrétions mul- tiples, mais, comme dans tout ordre juridique, elle existe et structure aussi la réalité du corps de règles et de décisions. Elle est particulièrement forte et im- portante dans le domaine des jugements rendus par une cour de justice.

2. Le rôle de la Cour n’a une fois de plus pas fortement évolué dans l’année sous considération. Trois affaires sont actuellement (au 31 décembre 2013) en délibéré : l’affaire du Différend maritime (Pérou c. Chili) ; l’affaire de la Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon, Nouvelle-Zélande interve- nant) ; et l’affaire de la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica). A ces trois affaires viennent s’ajouter huit autres, dont quatre sont nouvelles. Les quatre affaires suivantes ont été transfé- rées du rôle de l’année dernière : affaire du Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hon- grie/Slovaquie) ; affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda) ; affaire de l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie) ; et affaire relative à Cer- taines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). Les deux premières affaires sont des suites d’instances précé- dentes, terminées par des arrêts sur le fond de 19973 et de 20054. La troisième est la sœur jumelle de l’affaire relative au Génocide de 20075, entre la Bosnie- Herzégovine et la Serbie. Les quatre affaires suivantes sont venues s’ajouter au

3 CIJ, Recueil, 1997, p. 7ss.

4 CIJ, Recueil, 2005, p. 168ss.

5 CIJ, Recueil, 2007-I, p. 47ss.

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rôle dans l’année 2013 : affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’océan (Bolivie c. Chili)6 ; l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie)7 ; l’instance intro- duite par le Nicaragua contre la Colombie le 26 novembre 2013 (qui n’a pas encore de nom officiel)8 ; et l’instance introduite par le Timor-Leste contre l’Australie le 18 décembre 2013 (qui n’a pas davantage encore de nom officiel)9. On remarquera que les affaires 2 et 3 dans cette dernière liste se greffent elles aussi sur des affaires précédentes : les deux affaires entre le Nicaragua et la Colombie sont une suite de l’arrêt de 2012  entre les deux Etats. Statistique- ment, quatre affaires sur onze pendantes s’inscrivent dès lors dans le sillage d’un arrêt précédent et en demandent l’amplification à des faits nouveaux. Si l’on y ajoute l’affaire du Temple de Préah Vihéar, tranchée cette année, on trouve un impact assez significatif du « suivi » des arrêts rendus sur les travaux de la Cour. Il faut y ajouter un autre type de service post-contentieux que la Cour rend aux parties : le 22 juillet 2013, la Cour a désigné, en accord avec les parties à l’ancienne instance du Différend frontalier Burkina Faso c. Niger, des experts chargés de les assister aux fins de la démarcation de leur frontière10. Il est difficile de surestimer l’importance d’un tel suivi coopératif des arrêts de la Haute Juridiction, qu’il émane du corps des juges de La Haye ou d’autres insti- tutions internationales. En effet, les obstacles les plus ardus à la mise en œuvre des prononcés de la Cour, non rarement complexes et multidimensionnels, ne se situent généralement pas tant dans la mauvaise volonté des justiciables que dans des difficultés matérielles d’ordres divers (absence de fonds, manque d’expertise, inertie administrative, mauvaise organisation ou faiblesse de l’or- ganisation étatique, etc.). La doctrine met désormais justement l’accent sur ces questions d’aide à la mise en œuvre11.

Dans l’ensemble, la Cour est donc saisie de onze affaires (état au 31  dé- cembre 2013). Il s’agit d’une instance de plus qu’à la fin de l’année précédente.

6 Voir le Communiqué de presse 2013/11 du 24 avril 2013. Ces communiqués peuvent être consultés sur le site internet de la Cour : <www.icj-cij.org>.

7 Voir le Communiqué de presse 2013/21 du 17 septembre 2013.

8 Voir le Communiqué de presse 2013/36 du 27 novembre 2013 : le Nicaragua y fait valoir des viola- tions de droits souverains et des espaces maritimes du Nicaragua qui lui ont été reconnus par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012.

9 Voir le Communiqué de presse 2013/41 du 18 décembre 2013 : le Timor Leste y fait valoir la viola- tion du secret de la correspondance officielle dans le cadre d’un arbitrage par des agents secrets australiens. Il s’agit là, quant à l’objet de la demande, d’une nouveauté absolue devant la CPJI ou la CIJ.

10 Voir le Communiqué de presse 2013/17 du 22 juillet 2013.

11 Voir par exemple M. I. Papa, I rapporti tra la Corte internazionale di Giustizia e il Consiglio di sicu- rezza, Padoue, 2006, p. 135ss.

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Le Nicaragua est un fidèle client de la Cour, depuis son apparition couronnée de succès contre les Etats-Unis d’Amérique en 1984 et 1986. Le rôle reste donc dans l’ensemble très stable, même s’il faut noter un accroissement des affaires nouvellement portées devant la Cour : il n’y en avait aucune en 2012, alors qu’il y en a quatre en 2013. Il ne faut pas souhaiter à la Cour qu’elle soit inondée d’un nombre plus significatif d’affaires. Elle y perdrait sans doute ce calme et cette solennité, ce temps grave et attentif qu’elle a coutume de consacrer aux justiciables étatiques et à leurs contentieux, attitude qui la rend très appréciée des Etats recourant à ses services.

3. L’année 2013 a été une année au cours de laquelle la Cour a dû se pencher sur de nombreuses demandes incidentes. L’une d’entre elles a trait à une inter- vention : la Cour a autorisé la Nouvelle-Zélande à intervenir au sens de l’ar- ticle 63, § 2, du Statut (intervention dans le cadre d’une convention multilaté- rale) dans l’affaire de la Chasse à la baleine entre l’Australie et le Japon12. Par ailleurs, la Cour a été fortement sollicitée sur des mesures conservatoires. C’est là une pratique qui s’amplifie depuis que la Haute Juridiction a affirmé, en 2001, dans l’affaire LaGrand, que ces mesures ont (ou pour le moins ont géné- ralement13) un caractère contraignant, en vertu de l’article  41 du Statut.

Puisqu’il en est ainsi, les demandeurs utilisent ces requêtes de mesures conser- vatoires comme une stratégie de « combat ». Ils demandent immédiatement, dès l’introduction de l’instance, des mesures conservatoires aptes à infliger une pre- mière défaite à l’adversaire. C’est la raison pour laquelle la Cour est bien conseillée de veiller à ce que les conditions de l’urgence et du caractère irrépa- rable du dommage autrement causé à l’objet du litige (ou encore l’aggravation significative du différend) soient strictement appréciées. L’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) a vu une multitude de telles demandes, soit nouvelles, soit de modification de mesures déjà indiquées14. En plus, dès le dépôt de sa requête, le Timor-Leste a demandé à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, no- tamment pour assurer que le secret des communications soit respecté dans

12 Communiqué de presse 2013/2 du 13 février 2013.

13 Dans le sens que rien n’interdirait à la Cour d’indiquer certaines mesures comme simples recom- mandations, car qui peut le plus peut le moins.

14 Communiqué de presse 2013/25 du 2 octobre 2013 ; Communiqué de presse 2013/27 du 15 octobre 2013 ; Communiqué de presse 2013/30 du 21 octobre 2013 ; Communiqué de presse 2013/34 du 19 novembre 2013 ; Communiqué de presse 2013/35 du 22 novembre 2013, où la Cour juge que le Nicaragua doit s’abstenir de toute activité de dragage ou autre activité dans le territoire litigieux, en particulier de tous travaux sur les deux nouveaux caños et, dans un délai de deux semaines, combler la tranchée creusée sur la plage du caño oriental ; Communiqué de presse 2013/38 du 10 décembre 2013 ; Communiqué de presse 2013/39 du 13 décembre 2013, où la Cour dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires.

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l’instance devant la Cour, si déjà il n’a pas été respecté dans l’arbitrage formant l’objet du différend porté devant la Haute Juridiction15. Par ailleurs, la Cour a procédé à la jonction de deux instances dans les affaires de Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), au vu de la connexité de leurs objets et en vertu de l’article 47 du Règlement de la Cour16. Dans cette même affaire, témoignant de la pugnacité des deux parties, le Nicaragua avait présenté, dans Certaines activités…, des demandes reconventionnelles. Le 1er mai 2013, la Cour a dit que la première demande reconventionnelle est sans objet, que les deuxième et troisième sont irrecevables et qu’il n’y a pas lieu de connaître de la quatrième demande17. En- fin, une affaire (Epandages aériens d’herbicides entre l’Equateur et la Colom- bie) a été rayée du rôle suite à un désistement d’instance de la République de l’Equateur18. Dans une certaine mesure c’est dommage, car cette affaire aurait probablement apporté des clarifications sur le droit applicable à des dommages environnementaux transfrontaliers, en une espèce de prolongement de l’affaire de la Fonderie du Trail19.

4. Il faut ensuite noter une nouvelle Instruction de procédure20 adoptée par la Cour, l’Instruction no IX quater. Elle a la teneur suivante :

« 1. Vu l’article 56 du Règlement, toute partie souhaitant présenter à l’audience un maté- riau audiovisuel ou photographique qui n’a pas été préalablement versé au dossier de la procédure écrite doit en faire la demande suffisamment de temps avant la date à laquelle cette partie souhaite présenter ce matériau, de manière à permettre à la Cour de prendre sa décision après avoir recueilli les vues de l’autre partie.

2. La partie intéressée doit préciser dans sa demande la raison pour laquelle elle souhaite présenter le matériau audiovisuel ou photographique à l’audience.

3.  La demande de présentation d’un matériau audiovisuel ou photographique par une partie doit être accompagnée d’informations relatives à la source de ce matériau, aux circonstances et à la date de sa réalisation, ainsi qu’à la mesure dans laquelle il est acces- sible au public. La partie en question doit également préciser, à chaque fois que cela est pertinent, les coordonnées géographiques de l’emplacement à partir duquel ce matériau a été réalisé.

4. Le matériau audiovisuel ou photographique que ladite partie entend présenter doit être déposé au Greffe en cinq copies. Le greffier en communique une à la partie adverse et en informe la Cour.

15 Communiqué de presse 2013/41 du 18 décembre 2013. Les audiences sur la question seront tenues du 20 au 22 janvier 2014.

16 Communiqué de presse 2013/10 du 23 avril 2013.

17 Communiqué de presse 2013/12 du 1er mai 2013.

18 Communiqué de presse 2013/20 du 17 septembre 2013.

19 RSA, vol. III, p. 1905ss.

20 Sur ces instructions de procédure, voir R. Kolb, The International Court of Justice, Oxford, 2013, p. 105ss.

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5. Il appartient à la Cour de se prononcer sur la demande après avoir examiné les vues éventuellement exprimées par l’autre partie et pris en considération toute question rela- tive à la bonne administration de la justice que cette demande soulèverait21

Comme on le voit, l’objet principal de cette Instruction de procédure est de ré- glementer la présentation du matériel audiovisuel et photographique, de plus en plus souvent soumis à la Cour. Cette Instruction s’inscrit dans le droit fil des précédentes. Son but est une fois de plus de simplifier et d’accélérer la procé- dure en vue de ce que la Cour appelle « une bonne administration de la justice », ainsi que d’assurer la stricte égalité des parties à l’instance. Etant donné que la Cour est de plus en plus occupée avec des procédures incidentes ; qu’elle conti- nue à devoir juger un nombre d’affaires non négligeable pour un corps judi- ciaire de quinze membres ; que la complexité de ces affaires reste assez consi- dérable dans la majorité des cas ; on comprend que la Haute Juridiction soit attentive à faciliter le cours des instances pour assurer une justice efficace et équitable. On comprend également qu’elle tente de réglementer des problèmes qui apparaissent devant elle, au moment où ils apparaissent, afin d’assurer un maniement des questions conforme aux exigences judiciaires, à savoir l’impar- tialité, l’égalité et la célérité.

5. Dans les événements divers qui ont ponctué l’année 2013 de la Cour, on relèvera les quatre suivants. En premier lieu, la Cour a élu un nouveau Greffier adjoint, en la personne de J. P. Fomété22. En second lieu, on notera deux visites de chefs d’Etat à la Cour, celle du Chef d’Etat allemand (J. Gauck)23 et celle du Chef (Président) d’Etat israélien (S. Peres)24. Cette dernière ne manque pas d’une certaine symbolique, quand on se rappelle les critiques virulentes (et in- justifiées) que l’avis sur le Mur israélien en territoire occupé (2004) avait susci- tées dans l’Etat hébreu. En troisième lieu la Cour a organisé une Conférence intitulée « La Cour au service de la paix et de la justice », le lundi 23 septembre 201325. Un public varié a pu y participer. Il faut saluer la tendance de la Cour à

21 Communiqué de presse 2013/6 du 11 avril 2013.

22 Communiqué de presse 2013/1 du 12 février 2013 : « La Cour internationale de Justice a élu, au cours d’une séance privée qui s’est tenue le 11 février 2013, M. Jean-Pelé Fomété, de nationalité camerounaise, au poste de greffier adjoint. Il succédera à Mme Thérèse de Saint Phalle, de nationa- lités américaine et française, qui démissionnera à la date du 15 mars 2013. M. Jean-Pelé Fomété est actuellement greffier du Tribunal du contentieux administratif de l’Organisation des Nations Unies à Nairobi, un poste qu’il occupe depuis 2009. Auparavant, il fut pendant sept ans directeur de pro- grammes au sein du greffe du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) après y avoir oc- cupé, pendant cinq ans, les fonctions de conseiller juridique et d’assistant spécial du greffier. Avant de rejoindre le TPIR, il avait notamment été juriste au greffe du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et chef du service des organes politiques et juridiques de l’ONU au minis- tère des relations extérieures du Cameroun ».

23 Communiqué de presse 2013/13 du 30 mai 2013.

24 Communiqué de presse 2013/24 du 1er octobre 2013.

25 Communiqué de presse 2013/19 du 16 septembre 2013.

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s’ouvrir – dans des limites raisonnables – au public, tant son action et son œuvre sont méconnues de ce même public, et regrettablement surtout des journalistes.

Ces derniers surenchérissent à son égard le plus souvent de funestes affabula- tions et dans le meilleur de cas de fâcheuses imprécisions26. Enfin, on notera la présentation des travaux de la Cour à l’Assemblée générale des Nations Unies par le Président de la Haute Juridiction27. Ce lien avec la représentation poli- tique des Etats continue à être utile. Elle constitue le pendant de l’indépendance de la Cour, symboliquement reflétée par son siège à La Haye, loin des organes politiques de l’Organisation mondiale, Organisation dont elle est l’organe judi- ciaire principal (au sens juridique du terme, elle est l’organe des Etats parties au Statut et non l’organe des Nations Unies, la composition subjective des deux cercles étant légèrement différent28).

II. L’affaire du Différend frontalier

(Burkina Faso c. Niger), arrêt du 16 avril 2013

A. Résumé

1. Saisine et objet (§ 1ss). La Cour a été saisie par un Compromis spécial (trans- mis par une lettre de notification conjointe en date du 12 mai 2010) à travers lequel les parties ont soumis à la Haute Juridiction leur différend frontalier. La Commission d’abornement bipartite a réussi à matérialiser la frontière dans certains secteurs. Le différend porté devant la Cour touche au tracé de la fron- tière entre la borne astronomique de Tong-Tong et le début de la boucle de Bo- tou (article 2, § 1, du Compromis) (§ 2). Les conclusions des parties consistent en la description de lignes en coordonnées géodésiques selon les demandes de chacune (§ 9–10).

2. Contexte historique et factuel (§ 11ss). Le contexte historique est celui de la décolonisation de l’Afrique occidentale française. La Cour décrit le système colonial français (§ 11). La colonie du Haut-Sénégal et du Niger a été créée par un décret du Président de la République français en date du 18 octobre 1904. Di- vers cercles territoriaux locaux furent incorporés à cette colonie par des arrêtés du Gouverneur général de l’AOF (Afrique-Occidentale française). En 1919, certains cercles furent séparés de la colonie susmentionnée pour former une

26 C. Rousseau le notait déjà il y a plus de trente ans : C. Rousseau, « Un siècle d’évolution du droit international (1873–1973) », dans : Le droit international demain, Neuchâtel, 1974, p. 21. La profon- deur de cette ignorance ne s’est certainement pas comblée, si elle ne s’est pas encore creusée.

27 Communiqué de presse 2013/31 du 31 octobre 2013.

28 Comme le remarque justement G. Morelli, Nozioni di diritto internazionale, 7. éd., Padoue, 1967, p. 379–380.

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colonie distincte, la Haute-Volta. En 1926, certains de ces cercles ont été ratta- chés à la nouvelle colonie du Niger, formée de l’ancien territoire militaire du Niger créé en 1911. En 1927, le Gouverneur général par intérim prit un arrêté pour fixer les limites entre les colonies de la Haute-Volta et du Niger. La Cour décrit le cours de cette frontière. Un erratum a été publié peu après, dans la même année 1927, rectifiant l’arrêté. En 1958, les colonies de la Haute-Volta et du Niger devinrent la République de Haute-Volta et la République du Niger, avant d’accéder à l’indépendance en 1960. En 1984, la République de la Haute- Volta prit le nom de Burkina Faso.

3. Les deux Etats en cause conclurent le Protocole d’accord de 1964 concer- nant la délimitation de leur frontière, aux termes duquel il fut convenu que les titres juridiques pertinents sont l’arrêté de 1927 (y inclus l’erratum de la même année) ainsi que la carte au 1/200’000 établie par l’Institut géographique natio- nal (IGN) de France en 1960. Dans un accord de 1987, un processus d’aborne- ment était prévu. Il était également précisé qu’en cas d’insuffisance de l’arrêté de 1927 (y inclus son erratum), le tracé de la frontière serait celui qui figure sur la carte IGN de 1960 ou dans tout autre document accepté par les parties (§ 24).

En 1988, la Commission mixte d’abornement produisit un procès-verbal. Pour le Burkina Faso, ce procès-verbal reflète un tracé consensuel, ce que conteste le Niger (§ 25). En 1991, un communiqué conjoint décrivit une frontière dans le secteur pertinent. Or, ce tracé fut remis en cause par le Niger en 1994 comme n’étant pas conforme aux articles 1 et 2 du Protocole d’accord de 1987 (§ 27), ce que conteste le Burkina Faso. En 2001, la Commission technique d’aborne- ment a dû faire face à des interprétations divergentes quant à certains secteurs, précisément ceux sur lesquels la Cour doit décider (§ 28–29). En 2009, les par- ties conclurent le Compromis spécial soumettant l’affaire à la présente Cour, ainsi que les procès-verbaux de deux missions techniques de reconnaissance sur le terrain représentant une entente entre les deux Gouvernements (§ 30–32).

4. Demande relative aux deux secteurs suivants : Hauteurs de N’Goma à la borne astronomique de Tong-Tong et Début de la boucle de Botou à la rivière Mékrou (§ 35ss). Le Burkina Faso prie la Cour de confirmer la frontière agréée par les parties ; il ne prétend pas qu’il y aurait encore à son égard un différend entre les parties. Ainsi, ce tracé agréé serait revêtu en plus de sa force conven- tionnelle de la force de la chose jugée. Référence est faite à l’article 2, al. 2, du Compromis, où il est prévu que la Cour donne acte aux Parties de leur entente dans les zones en cause. Le Niger ne s’associe pas à cette demande, sans toute- fois demander formellement son rejet. Selon la Cour (§ 43ss), la demande du Burkina Faso n’est pas entièrement compatible avec les termes du Compromis.

La Cour n’y est pas priée de donner simplement acte à l’entente, mais de déli- miter elle-même ces zones par un tracé qui correspondrait à celui retenu par la Commission technique. La Cour peut interpréter les conclusions des parties de

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manière à les maintenir, dans la mesure du possible, dans les limites de sa com- pétence résultant du Compromis. Or, il faudra que l’interprétation retenue soit conforme à la fonction judiciaire de la Cour, telle qu’elle résulte du Statut (cf.

l’affaire du Cameroun septentrional de 1963) (§ 45). Les limites y afférentes, issues du Statut, ne sont pas à la disposition des parties, même lorsqu’elles s’accordent ; elles s’imposent à ces parties et à la Cour elle-même (§ 46). Ainsi, la Cour doit objectivement constater l’existence d’un différend, car c’est à ce différend que se rattache sa fonction judiciaire contentieuse (§ 48). Dans le cas présent, la demande du Burkina Faso n’a pas pour base un différend ; aucune des parties ne prétend d’ailleurs le contraire (§  50). Cela reste vrai même si l’entente directe entre les parties n’a pas encore fait l’objet d’une ratification.

En effet, la décision judiciaire ne peut pas être sollicitée comme substitut à l’ac- complissement de formalités nécessaires à l’entrée en vigueur d’un accord entre Etats, pour d’en rendre contraignant le contenu (§  53). L’autorité de la chose jugée ne pourrait en tout cas pas renforcer le caractère obligatoire d’un accord déjà conclu (celui-ci est fondé déjà sur pacta sunt servanda). La situation ne se compare pas aux ‹ jugements d’accord › que la Cour insère dans le dispo- sitif quand les parties concluent un accord pendant l’instance : cf. les affaires des Zones franches et de la Société commerciale de Belgique de la CPJI (§ 56–

57). La demande du Burkina Faso n’est donc pas compatible avec la fonction judiciaire de la Cour (§ 58). La Cour délimitera désormais uniquement les sec- teurs dans lesquels subsistent des différends réels.

5. Le tracé de la frontière (§ 60ss). Le droit applicable résulte de l’article 6 du Compromis. Y sont mentionnés l’article 38 du Statut, le principe de l’intan- gibilité des frontières du droit international général, et l’accord entre les parties de 1987.  L’accord de 1987 précise quels actes coloniaux français sont perti- nents, à savoir notamment l’arrêté de 1927 avec son erratum. Selon cet accord de 1987, l’arrêté en cause (avec son erratum) constitue l’instrument à appliquer pour la délimitation de la frontière. L’accord se réfère à cet égard au principe de l’uti possidetis juris. En cas d’insuffisance de l’arrêté, l’accord prévoit le re- cours à la carte de l’IGN de 1960 (application subsidiaire) (§ 67).

6. Le secteur 1 de la frontière (§ 72ss). Ce secteur se situe entre la borne astronomique de Tong-Tong et la borne astronomique de Tao. Le désaccord des parties porte sur la manière de relier les deux points où se trouvent ces bornes.

Le Burkina-Faso s’en tient à une ligne droite, le Niger à deux segments de droites dirigés vers la borne de Vibourié. Selon la Cour, les parties étaient d’ac- cord pour interpréter l’arrêté de 1927 comme impliquant une ligne droite entre Tong-Tong et Tao. La borne de Vibourié était censée se situer sur cette ligne droite, ce qui constitua toutefois une erreur de fait. De plus, cette borne ne peut donner lieu à une effectivité (comme l’affirme le Niger) contredisant un titre non ambigu et modifiant la frontière (§ 78). Dès lors, la frontière dans ce sec-

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teur est constituée par la ligne droite entre les deux bornes, selon les prévisions de l’arrêté de 1927 (§ 79).

7. Le secteur 2 de la frontière (§ 80ss). Ce secteur se situe entre la borne astronomique de Tao et la rivière Sirba à Bossébangou. Dans ce secteur, l’arrêté de 1927 devient laconique (« La ligne s’infléchit … vers… »). Le Burkina-Faso argumente qu’à défaut de précisions, l’auteur de l’arrêté entendait retenir une ligne droite entre les points mentionnés. Le Niger considère quant à lui l’arrêté insuffisant et ambigu. Il veut dès lors recourir à la carte IGN de 1960 pour rete- nir une ligne sinueuse, corrigée sur quelques points pour faire droit aux effecti- vités coloniales à la date de l’indépendance, tout en ne faisant pas arriver la frontière jusqu’à Bossébangou. La Cour rejette la position du Niger quant au point terminal de la délimitation. Selon le Niger, l’arrêté était à cet égard enta- ché d’une erreur matérielle. Or, selon le Compromis, la Cour doit interpréter et appliquer l’arrêté de 1927, à moins qu’il ne soit insuffisant ; elle ne peut en au- cun cas l’écarter, même au motif qu’il serait prétendument contraire au décret qui en constituait la base légale (§  85). Par ailleurs, si la frontière courant jusqu’à la rivière Sirba reposait réellement sur une erreur matérielle, le Gouver- neur général aurait pu publier un autre erratum. Force est de constater qu’il ne l’a pas fait.

Comment faut-il relier les deux points du secteur à délimiter ? La Cour ne pense pas pouvoir faire sienne la thèse du Burkina Faso reposant sur une ligne droite, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, dans d’autres secteurs l’ar- rêté indique expressément que la frontière doit être rectiligne, c’est-à-dire droite ; elle ne le fait pas dans le secteur sous considération, ce qui nourrit un argument a contrario (§ 88). En deuxième lieu, le décret du Président de la Ré- publique français, sur la base duquel l’arrêté a été pris, est un élément de contexte pertinent. En vertu de ce décret, des travaux de démarcation ont été entrepris et il est apparu que la formule de son procès-verbal (reprise ensuite dans l’arrêté) donnait lieu à des incertitudes. La pratique coloniale subséquente l’atteste. Or, si la ligne retenue avait été droite, ces incertitudes ne se seraient pas manifestées (§ 93). En troisième lieu, il y a le cas du village de Bangaré dans la pratique suivie par les autorités coloniales pour l’application de l’arrêté.

Ce village était administré par les autorités de la colonie du Niger. Or, ce fait milite contre une ligne droite, car celle-ci aurait placé le village du côté de la colonie de la Haute-Volta (§  95). Il s’ensuit que l’arrêté doit être considéré comme ‹ insuffisant › dans ce secteur ; ainsi, la carte IGN devient subsidiaire- ment applicable (§ 96). Cette carte crée un titre selon l’accord de 1987, contre lequel ne peuvent pas prévaloir des effectivités coloniales (§ 98). La Cour re- tient donc la frontière indiquée sur la carte IGN, sans les modifications reposant sur les effectivités tel que demandé par le Niger (§ 99).

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8. Secteur 3 de la frontière (§ 100ss). Il s’agit de la région de Bossébangou.

Quel est le point d’aboutissement de la frontière ? D’après l’arrêté, il est mani- feste que la frontière aboutit à la rivière et non au village. Or, cette frontière ne semble pas couper la rivière mais seulement l’atteindre. Les exigences en ma- tière d’accès aux ressources en eau de la population sont mieux satisfaites par une frontière placée dans la rivière plutôt que par une frontière située sur l’une ou l’autre des rives (§ 101). L’emplacement du point final se trouve ainsi sur la ligne médiane du fleuve, puisque dans une rivière non navigable cette ligne correspond mieux aux besoins de la sécurité juridique (§ 101). L’arrêté indique ensuite que la frontière remonte la rivière, mais n’est pas clair jusqu’où. Il s’avère donc insuffisant à cet égard, si bien qu’il faut subsidiairement recourir à la carte IGN de 1960 (§ 107). Quand le titre est clair sur un point précis de la frontière, il l’emporte sur la ligne de la carte ; quand il n’est pas clair, la carte pallie la lacune.

9. Secteur 4 de la frontière (§ 108ss). Ce secteur concerne la partie sud de la frontière. Selon l’arrêté, la frontière forme ici une ligne droite. Cependant, le Niger avance des effectivités coloniales basées sur un accord implicite et sur l’acquiescement entre les parties. Il divise ainsi la frontière entre en deux sec- teurs. Le Burkina-Faso conteste cette manière de voir. Selon la Cour, les élé- ments de preuve soumis ne permettent pas de conclure à l’existence d’un ac- cord tacite ou d’un acquiescement (§ 109). De plus, l’arrêté est clair dans ce secteur. La frontière suit donc la ligne droite telle qu’elle est indiquée dans l’ar- rêté (§ 111).

10. Délimitation. Sur la base de ces éléments, la Cour opère la délimitation d’ensemble visualisée dans le Croquis no 4.  La Cour exprime par ailleurs le souhait que les parties tiennent dûment compte des besoins des populations concernées, notamment des nomades et semi-nomades, et coopèrent à cet effet.

Elle prend note  de la coopération déjà amorcée à cet égard et l’encourage (§ 112).

11. Désignation d’experts (§ 113). Selon l’article 7, § 4, du Compromis, les parties ont prié la Cour de désigner trois experts pour les aider dans la démarca- tion de la frontière. Cette demande a été retirée dans leurs conclusions finales.

La Cour est prête à accepter cette mission ; mais il n’y a pas lieu de se pronon- cer sur elle pour l’instant. Elle y procédera plus tard, par voie d’ordonnance, après s’être informée des vues des parties.

12. Dispositif (§ 114). La Cour :

– Dit qu’elle ne peut accueillir les demandes du Burkina-Faso aux points 1 et 3 de ses conclusions finales : unanimité.

– Trace la frontière dans les secteurs 1 à 4 (description) : unanimité.

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– Dit qu’elle désignera ultérieurement des experts pour la démarcation : unan- imité.

13. Opinions. Le Juge Bennouna joint à l’arrêt une déclaration, alors que les Juges Cançado Trindade, Yusuf, Mahiou (ad hoc) et Daudet (ad hoc) joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion individuelle. Des résumés de ces opinions se trouvent sur le site internet de la Cour : <www.icj-cij.org>.

B. Commentaires

14. Le résumé précédent montre que cette affaire de délimitation a été résolue exclusivement sur la base du droit international particulier, à savoir l’arrêté de 1927 (avec son erratum) et la carte IGN de 1960, subsidiairement applicable.

Le principe de l’uti possidetis reste en retrait, mais étaye les titres contenus dans l’arrêté mentionné. La Cour demeure fidèle à son approche, qui consiste à pré- férer ce qu’elle appelle avec un léger pléonasme le « titulaire du titre » par rap- port au titulaire d’effectivités coloniales. Ces dernières ne pourraient s’imposer qu’en l’absence de titre. Or, dans la présente affaire, le Compromis spécial sti- pule spécialement qu’en cas de lacune du titre, la carte IGN de 1960 doit subsi- diairement s’appliquer. Les effectivités sont dès lors relégués en troisième place, à supposer que le Compromis ne les exclue pas entièrement (mais alors, la Cour devrait-elle prononcer un non liquet ou s’inspirer directement de l’équité) ? La structuration « hiérarchique » du droit applicable, sur deux ni- veaux, si ce n’est sur trois, est ainsi bien marquée dans cette affaire. Le titre (conventionnel) figure en première place, comme il est normal qu’il soit. Une carte vient le compléter. Les effectivités ne courent que loin derrière, et ont toutes été écartées dans l’espèce.

15. On soulignera aussi le soin de l’interprétation des titres contenus dans l’arrêté, notamment dans le secteur 2. L’argumentation de la Cour visant à reje- ter une ligne droite est un exemple d’interprétation contextuelle. Un argument a contrario (ailleurs l’arrêté prévoit expressément des lignes droites, donc s’il avait voulu le faire aussi dans le présent secteur il aurait utilisé le même voca- bulaire) y jouxte un argument d’expérience (des incertitudes sont apparues sur le tracé de la ligne dans la pratique, ce qui n’aurait pas été le cas si la ligne avait été droite, donc elle ne pouvait pas être droite) et enfin un autre argument du même type (un village est administré par des autorités coloniales qui auraient été incompétentes si la ligne retenue avait été droite). Enfin, il sied de noter que dans le secteur 3 la Cour « canalise » un peu le droit applicable. Au lieu de conclure qu’en l’absence de titre clair la carte IGN doit l’emporter (mais conte- nait-elle une indication claire ?), elle préfère arrêter la frontière sur la ligne médiane du fleuve plutôt que sur une rive de celui-ci, et ce avant tout pour tenir

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compte de l’accès aux ressources de la population. Placée dans le creuset de l’interprétation d’un titre peu clair (mais l’était-il réellement, puisque de l’aveu de la Cour il « semblait » justement ne pas couper le fleuve ?), cette démarche s’analyserait comme le recours à l’équité intra (infra) legem, c’est-à-dire à l’équité liée à l’interprétation. Si cette interprétation devait contredire le titre, qui indiquerait que le fleuve ne doit pas être coupé, il s’agirait d’un exercice d’équité contra legem. Cet exercice d’autorité judiciaire serait plus probléma- tique du point de vue du droit strict (sauf s’il est autorisée par les parties au titre de l’article 38, § 2, du Statut), bien qu’éventuellement bienvenu du point de vue humanitaire. Or, il ne semble pas en l’espèce que la Cour se soit engagée dans un tel exercice en dehors et contre le droit. Le titre est clair sur le fait que la frontière ne s’arrête pas au village mais descend jusqu’au fleuve ; il n’est en revanche pas clair dans le secteur du fleuve. L’équité prend ainsi place dans les limites du droit.

16. L’apport le plus marqué de cette affaire au droit international procédural se situe dans l’appréhension du différend réel comme exigence d’ordre public, c’est-à-dire la mise en avant des limites inhérentes de l’accord des parties face à l’intégrité objective de la fonction judiciaire. La Cour rappelle que toute de- mande d’une partie ou des parties conjointement doit être compatible avec l’in- tégrité judiciaire telle qu’elle découle du Statut (c’est une question de « receva- bilité générale » des requêtes29). A défaut, la Cour ne peut pas agir comme le lui demandent les parties, parce qu’elle est inconditionnellement tenue pas ces li- mites statutaires. Le fossé se creuse ici entre un tribunal arbitral, qui est à la disposition des plaideurs occasionnels l’ayant créé comme leur propre organe, et la Cour de Justice, organe d’une communauté d’Etats lié par le Statut, dont les règles de fonctionnement ne sont pas à la disposition des plaideurs occasion- nels se présentant devant son prétoire. Nous avons parlé ailleurs du « jus cogens du Statut »30, terme que nous maintenons, sous réserve de clarifier qu’il ne s’agit pas du même type de jus cogens que celui prévu à l’article 53 de la CVDT de 196931. A ces propos, A. de Bustamante y Sirven écrivait très justement dès 1925 : « [L]e juge ou le tribunal, établi d’avance, [est] soumis à des règles … antérieures et supérieurs à la volonté de chaque plaideur … Le judiciaire n’est pas la création concrète et spéciale de tous les plaideurs, mais il existe avant eux

29 Voir G. Abi-Saab, Les exceptions préliminaires dans la procédure de la Cour internationale, Paris, 1967, p. 146ss ; R. Giuffrida, La ricevibilità generale nella giurisprudenza della Corte internazio- nale di Giustizia, Milan, 1995.

30 R. Kolb, Théorie du ius cogens international, Paris, 2001.

31 Il ne s’agit pas ici d’un jus cogens de droit international général à strictement parler ; et la nullité n’est pas la conséquence d’une contrariété au Statut, bien que l’accord contraire, dont le but est de motiver la Cour de faire quelque chose, n’ait plus d’objet si la Cour se refuse à y obtempérer ; fonc- tionnellement, c’est une espèce de nullité.

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et au-dessus d’eux et s’exerce de haut en bas »32. D’où aussi l’indérogeabilité du Statut souligné par G. Schwarzenberger : « [I]ndividual parties to cases before the Court have but a limited choice : they may take the Statute as they find it or leave it »33.

17. Dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond, 1986), la Cour affirme : « La Cour est liée par les disposi- tions pertinentes de son Statut et de son Règlement (…) qui ont été élaborées en vue d’assurer une bonne administration de la justice, dans le respect de l’égalité des parties »34. Le respect du Statut et du Règlement est une affaire d’intérêt public, à savoir de la bonne administration de la justice. Cette dernière ne peut pas être laissée à la disposition et aux idiosyncrasies des parties. La Cour seule doit en être gardienne. A défaut de la respecter, elle cesserait d’agir comme une Cour de Justice. Or, le Statut ne lui en donne pas le pouvoir. Comme la Cour l’a dit dans l’affaire de la Compatibilité de certains décrets-lois dantzikois avec la constitution de la ville libre (1935) : « [L]a Cour ne peut statuer qu’en conformité de son Statut et de son Règlement »35. Ou, selon les termes en l’affaire du Cameroun septentrional (1963) : « C’est à la Cour elle-même et non pas aux parties qu’il appartient de veiller à l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour »36. Il faut aussi noter que la Cour a récemment mis en avant plus d’une fois cette intégrité judiciaire. Ainsi, dans l’avis consultatif relatif au Jugement no 2867 du TAOIT sur requête contre le Fonds international de développement agricole du 1er février 201237, à propos du soi-disant pouvoir discrétionnaire de rendre ou de ne pas rendre l’avis, la Cour a souligné que le problème de l’inéga- lité des parties intéressées au prononcé de la Cour, devant son prétoire, soule- vait un problème d’intégrité judiciaire pouvant justifier le refus de répondre à la demande d’avis. Et la Cour de rappeler que dans l’exercice de sa compétence consultative, comme dans celle contentieuse, elle doit sauvegarder son intégrité en tant que corps judiciaire (§ 34 de l’avis). Même dans le cadre de sa procé- dure consultative, la Cour ne peut se départir des règles essentielles qui guident son activité en tant que Cour de Justice (la Cour cite l’avis consultatif de 1923 sur la Carélie Orientale). Il n’est pas impossible que cette catégorie juri- dique de « l’intégrité judiciaire », nettement délinée dès l’affaire du Cameroun

32 A. de Bustamante, La Cour permanente de justice internationale, Paris, 1925, p. 152.

33 G. Schwarzenberger, International Law  – As Applied by International Courts and Tribunals, vol. IV, Londres, 1986, p. 723.

34 CIJ, Recueil, 1986, p. 59.

35 CPJI, sér. A/B, no 65, p. 70.

36 CIJ, Recueil, 1963, p. 29.

37 Voir cette Chronique de 2012.

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septentrional de 196338, soit appelée à croître et à se consolider. La Cour lui donnera peut-être de proche en proche des contours casuistiques plus nets.

18.  Voici deux exemples dans lesquels la Cour a refusé de suivre une demande des parties en invoquant son Statut.

a) Le compromis spécial des parties, par lequel elles soumettent consensuelle- ment leur différend à la Cour, ne saurait être contraire à une disposition im- pérative du Statut. L’affaire des Zones franches (ordonnance, 1929) fournit un exemple d’un compromis contenant une disposition contraire au Statut de la Cour. Les parties avaient demandé conjointement que la Cour leur indique, à titre officieux, les résultats du délibéré avant que la décision ne fût arrêtée. Or, aux termes de l’article 54, § 3, du Statut, les délibérations de la Cour sont secrètes. Dès lors, la Cour refusa d’accéder à la requête des parties : « [L]es termes et l’esprit de son Statut, tels qu’ils apparaissent notamment dans ses articles 54, alinéa 3 et 58, ne permettent pas à la Cour de communiquer ‹ à titre officieux › aux représentants de deux Parties en case ‹ le résultat du délibéré › sur une question à elle soumise pour décision ; (…) contrairement à ce qui est permis pour le Règlement (article 32 [désor- mais 101]), il ne lui appartient pas, sur la proposition des Parties, de déroger aux dispositions du Statut … »39.

b) Les Etats, même sur la base d’un accord entre eux, ne sont pas autorisés à demander un avis consultatif. L’article 96 de la Charte (avec les articles 65–

68 du Statut) limite la faculté de demander des avis consultatifs à certains organes des Nations Unies ou à des organisations internationales affiliées aux Nations Unies. Il s’agit d’une limite impérative. D’autres entités, parmi lesquelles notamment les Etats, ne peuvent pas demander un avis consultatif.

La proposition d’une réglementation contraire avait été faite lors des travaux préparatoires du Statut, mais elle fut nettement rejetée. La Cour a toujours considéré cette limite quant à la légitimation active de demander des avis consultatifs comme relevant du droit impératif. Elle a refusé de répondre à une requête qui semblait relever d’une simple demande d’avis, tant unilaté- rale40 que conjointe41.

19. En dernier lieu, on soulignera que la Cour reste friande dans l’expression de vœux à l’intention des parties42. C’est une pratique à laquelle elle ne recourait

38 CIJ, Recueil, 1963, p. 29.

39 CPJI, sér. A, no 22, p. 12.

40 Affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise (1925), CPJI, sér. A, no 6, p. 21.

41 Affaire relative à l’Interprétation de l’accord gréco-bulgare du 9 décembre 1927 (accord Caphan- daris-Molloff, 1932), CPJI, sér. A/B, no 45, p. 87.

42 Cf. G. G. Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice, vol. II, Cam- bridge, 1986, p. 559ss. Cf. l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark, mesures

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que très rarement avant les années 1990 ; elle devient désormais presque routi- nière. Ainsi trouve-t-on très souvent des passages vers la fin de l’arrêt ou de l’avis, dans lesquels la Cour encourage les parties à négocier, à coopérer, à diminuer les tensions, à envisager des intérêts de populations autochtones, etc.

Ces considérants sont toujours à strictement parler des obiter dicta. La Cour considère manifestement qu’elle a une compétence inhérente à édicter de tels considérants, pour autant qu’ils soient de simples recommandations non revêtus de la force de la chose jugée. Ils complètent en quelque sorte le jugement et adoucissent les éventuelles rigueurs et aspérités de l’analyse juridique qui a précédé ; ils apaisent les appréhensions et scrupules de tel ou tel juge, par l’ajout d’un volet résolument positif et tourné vers l’avenir. Les jugements de la Cour deviennent ainsi des actes composites, dans lesquels vient s’ajouter à la masse des considérants juridiques, dont certains seront revêtus de l’autorité de la chose jugée, quelques considérants politiques épars, formés de simples recom- man dations. Tant que ceux-ci restent confinés à un paragraphe géné rale ment bref, appelant notamment les parties à coopérer, ils sont loin d’être nuisibles.

Une instance devant la Cour établit entre les parties un lien juridique dont découlent certaines obligations de bonne foi. Dans ce contexte, la coopération n’est pas uniquement un appel à une certaine conduite politique, mais du moins partiellement aussi le rappel d’un certain devoir juridique. Il ne faudrait toute- fois pas que la Cour développe considérablement ces considérants, car elle s’égarerait alors dans des espaces qui pourraient rapidement porter atteinte à son prestige et à son autorité. La Cour n’est pas l’organe adéquat pour conseiller les parties sur leur meilleure conduite, ni l’organe appelé à conjecturer sur l’avenir le plus souhaitable. A cette fin, d’autres organes internationaux sont instaurés, que ce soit dans le cadre des pourparlers politiques ou dans le cadre

conservatoires), CIJ, Recueil, 1991, p. 20 où la Cour suggère aux parties des négociations qui se- raient « les bienvenues ». Dans l’affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Compétence et recevabilité), la Cour émet le vœu que les parties lui sou- mettent par accord l’ensemble de leur différend territorial en évitant d’en retrancher certains aspects, car cela nuisait à l’unité de l’instance : CIJ, Recueil, 1994, p. 125, § 38. Parfois des membres de la Cour lui suggèrent d’indiquer proprio motu certaines mesures susceptibles d’apaiser un différend aigu : cf. l’Op. diss. Bedjaoui, affaire relative à des Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Libye c. Royaume- Uni/Etats-Unis d’Amérique, mesures conservatoires), CIJ, Recueil, 1992, p. 48–49, 158–159 ; Op.

diss. Weeramantry, ibid., p. 67, 70, 177, 180–181 ; Op. diss. Ranjeva, ibid., 74, 76 ; Op. diss. Ajibola, ibid., p. 88–91, 93, 193–197 ; Op. diss. El-Kosheri, ibid., p. 107, 110, 212, 215. La liste de telles initiatives de la Cour ou de ses juges pourrait être considérablement allongée : voir par exemple l’Op.

ind. Lachs, affaire du Plateau continental de la mer Egée (mesures conservatoires), CIJ, Recueil, 1976, p. 20, où le juge polonais estime que la Cour peut, autrement que par un jugement, essayer d’assister, de faciliter ou de contribuer au règlement pacifique d’un différend qui lui a été soumis, si l’occasion lui en est offerte.

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du règlement pacifique des différends, tant au niveau universel qu’au niveau régional.

III. L’affaire de la Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), arrêt du 11 novembre 2013

A. Résumé

1. L’instance (§ 1ss). Le 28 avril 2011, le Cambodge déposa une requête intro- ductive d’instance pour demander l’interprétation de l’arrêt de la Cour du 13 juin 1962, en faisant référence aux articles 60 du Statut et 98 du Règlement.

Le 18 juillet 2011, la Cour indiqua des mesures conservatoires, notamment le retrait du personnel militaire dans une zone démilitarisée provisoire, et le devoir de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver le différend, de l’étendre ou d’en rendre la solution plus difficile (§ 4).

2. Demandes des parties (§ 11). Le Cambodge estime que de l’intégrité ter- ritoriale cambodgienne reconnue dans l’arrêt de 1962 découle une obligation de la Thaïlande de retirer tous les éléments de forces armées ou de police, ou autres gardes, du Temple et de ses environs. La Cour est priée de préciser le sens des termes ‹ territoire › et ‹ environs › utilisés dans le dispositif de 1962, et notam- ment le rapport entre les §§  1 et 2 du dispositif de l’époque. Selon le Cam- bodge, le § 2 doit être considéré comme statuant une conséquence particulière du § 1, en lui étant dès lors subordonné. La Thaïlande estime que la demande cambodgienne ne satisfait pas aux conditions de l’article 60 du Statut (incom- pétence ou irrecevabilité). Subsidiairement, elle estime que la demande en in- terprétation est sans fondement. A titre très subsidiaire, la Thaïlande fait valoir que l’arrêt de 1962 n’a pas établi que la ligne de la carte de l’Annexe I du traité applicable constituait la ligne frontière.

3. Le contexte historique (§ 14ss). Selon une convention de 1904 entre la France et la Siam (Thaïlande), la délimitation dans la région en cause devait se faire selon la ligne de partage des eaux. La délimitation fut effectuée par des commissions mixtes, et les cartes géographiques préparées par les cartographes français. Selon l’arrêt de la Cour de 1962, la Thaïlande avait accepté la carte française, d’où le § 1 du dispositif selon lequel le Temple est situé en territoire relevant de la souveraineté du Cambodge. Le § 2 portait que, en conséquence, la Thaïlande était tenue de retirer tous les éléments de forces armées, de police ou d’autres gardes ou gardiens installés dans le Temple ou ses environs, situés

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en territoire cambodgien. Par la suite, la Thaïlande se retira du Temple derrière une ligne de barbelés. En 1997 une commission conjointe de démarcation de la frontière fut créée. En 2007, le Cambodge demanda l’inscription du Temple comme patrimoine mondial de l’UNESCO. Il fournit à cette occasion une carte, montrant la zone autour du Temple qu’il considérait faire partie de son terri- toire. La Thaïlande contesta cette carte et avança sa propre carte. Par la suite, plusieurs incidents armés eurent lieu dans la zone frontalière proche du Temple, suscitant même une action du Conseil de sécurité des Nations Unies en faveur d’un cessez-le-feu.

4. La compétence de la Cour (§ 30 ss). La compétence fondée sur l’article 60 du Statut est indépendante de la base de compétence sur laquelle se fondait l’instance initiale (§ 32). Elle suppose une ‹ contestation sur le sens et la portée › d’un arrêt rendu (§  32). Le terme ‹ contestation › a un sens plus large que le terme ‹ dispute › tel qu’il figure dans le texte anglais de l’article 60. Il vise une

‹ divergence d’opinions ou de vues entre les parties quant au sens et à la portée d’un arrêt › (§ 33). Cette divergence ne doit pas s’être formellement manifestée (§ 33). La divergence doit porter sur le dispositif et ne peut concerner les motifs que dans la mesure où ils sont inséparables du dispositif (§ 34). Elle inclut la question de savoir si tel ou tel point a été décidé avec force obligatoire (§ 34).

Existe-t-il une ‹ contestation › dans le cas d’espèce ? La détermination unilaté- rale des ‹ environs › du Temple par la Thaïlande (ligne de barbelés) n’a pas reçu l’assentiment du Cambodge, qui ne considérait pas ce retrait comme assurant l’application pleine et entière de l’arrêt de 1962 (§ 41–42). Des protestations en sont le témoignage. Cette divergence de vues s’est manifestée encore lors de la procédure d’inscription du Temple auprès de l’UNESCO, en 2007–2008 (§ 43).

Ces événements démontrent qu’il y avait, au moment du dépôt de la demande, une contestation quant au sens et à la portée de l’arrêt de 1962 (§ 45). Cette contestation porte sur la question de savoir si la Cour a ou n’a pas décidé avec force obligatoire que la ligne de la carte de l’Annexe I représentait la frontière entre les parties dans la zone du Temple (§ 48). Les positions des parties ré- vèlent aussi une divergence sur la portée de l’expression des ‹ environs › du Temple (§ 49). De plus, il y a une divergence sur la question de savoir où, selon l’arrêt de 1962, les personnels thaïlandais avaient le droit de se trouver (§ 50), ainsi que sur le caractère continu ou non du devoir de retrait (retrait à partir des positions tenues en 1962 ou retrait du territoire placé sous souveraineté cam- bodgienne comme formant une obligation contenue ?, § 51).

5. La recevabilité de la requête (§ 53 ss). Selon la Thaïlande, la demande cambodgienne vise à élargir le différend de 1962 pour que la Cour se prononce sur la délimitation dans la zone du Temple, sans se limiter à la seule question de l’appartenance du Temple. La Cour rappelle la primauté de l’autorité de la chose jugée dans toute procédure d’interprétation. Au vu de ce qui a été expli-

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qué plus haut, il est nécessaire d’interpréter le deuxième point du dispositif de 1962, ainsi que la portée du prononcé de la Cour concernant la ligne de la carte de l’Annexe I (§ 56). C’est là un objet propre pour une demande en interpréta- tion.

En conséquence, la Cour affirme sa compétence et la recevabilité de la de- mande (§ 57).

6. L’interprétation de l’arrêt de 1962 (§ 58 ss). Les arguments détaillés des parties sont exposés aux § 59 ss. La Cour n’est pas liée par la manière dont la contestation est formulée par l’une ou l’autre des parties ou même par les deux parties (§  67). Les demandes des parties dans les conclusions finales en 1962 sont pertinentes pour l’interprétation de l’arrêt rendu en vertu du principe

‹ non ultra petita ›, bien établi dans la jurisprudence de la Cour (§  71). Au contraire, le sommaire n’est pas un élément constitutif de l’arrêt et ne peut dès lors être pris en compte (§ 73). Le comportement subséquent des parties ne peut pas davantage éclairer le sens de l’arrêt rendu avant ; ce dernier ne tire pas sa force obligatoire du consentement ou du comportement des parties, mais il la tire du Statut. Il faut par conséquent déterminer ce que la Cour a dit, non ce que les parties ont pensé ou fait (§ 75).

Trois éléments fondamentaux émergent de l’arrêt de 1962 : (1) la Cour a estimé connaître d’un différend relatif à la souveraineté territoriale sur la région du Temple, sans procéder à une délimitation de la frontière (§ 76). En consé- quence, ni la carte de l’Annexe I ni l’emplacement de la frontière n’ont été mentionnés dans le dispositif. (2) La carte de l’Annexe I a néanmoins joué un rôle central dans la motivation de l’arrêt de 1962. L’acceptation de la carte est l’élément central de la motivation de l’arrêt, acceptation que les comportements subséquents des parties de l’époque auraient confirmée. (3) Enfin, la Cour a clairement indiqué qu’elle ne s’intéressait qu’à la souveraineté de la région du Temple (§ 76–78).

Le dispositif de 1962, avec ses trois points, forme un tout lié. Les points 2 et 3 du dispositif y sont présentés comme des conséquences du point 1 (§ 79). La principale contestation porte sur le point 2 du dispositif, c’est-à-dire l’étendue des ‹ environs › du Temple. Au vu du fait que le point 2 du dispositif disposait que les forces thaïlandaises devaient se retirer des ‹ environs ›, il faut examiner les éléments de preuve présentés en 1962 relativement aux lieux où ces person- nels étaient installés (§ 85). Or, la zone d’installation du personnel thaïlandais se situait à l’époque au nord de la ligne barbelée ; dès lors, cette ligne ne saurait refléter la portée territoriale du point 2 du dispositif (§ 88). De plus, selon le sens naturel des termes, les ‹ environs › du Temple devaient s’étendre à l’inté- gralité de l’éperon de Préah Vihéar, qui est une singularité géographique (§ 89).

Toutefois ces environs n’allaient pas au-delà de cet éperon, contrairement à ce que soutient le Cambodge, qui veut y inclure la colline de Phnom Trap. Divers

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arguments s’opposent à un tel élargissement : il s’agit de deux accidents géogra- phiques distincts (§ 93) ; en 1962, le Cambodge ne paraissait pas inclure Phnom Trap dans la région du Temple (§ 94) ; aucune présence policière thaïlandaise sur Phnom Trap ne fut alléguée en 1962 et dont le retrait aurait été nécessaire (§ 95) ; enfin concernant Phnom Trap, le Cambodge fait référence à la ligne de partage des eaux, que la Cour avait exclue de son raisonnement de 1962 (§ 96).

L’éperon de Préah Vihéar se termine au pied de la colline de Phnom Trap, là où le terrain commence à remonter ; au nord, sa limite est la ligne de la carte de l’Annexe I (§ 98). En conséquence, en 1962, la Cour prescrivait à la Thaïlande de se retirer de l’intégralité de l’éperon ainsi défini (§ 98).

Quel est le lien entre les points 2 et les autres points du dispositif de 1962 ? Comme les points 2 et 3 sont des conséquences du point 1, la portée territoriale des trois points du dispositif est identique. Chacun porte sur l’éperon de Préah Vihéar (§ 102–103).

7. Devoir de coopération (§ 106). La Cour rappelle par ailleurs que, en vertu de l’article 6 de la Convention du patrimoine mondial (UNESCO), à laquelle le Cambodge et la Thaïlande sont parties, les deux Etats ont le « devoir de coopé- rer entre eux et avec la communauté internationale afin de protéger le site en tant qu’élément du patrimoine universel » (§ 106).

8. Dispositif (§ 108). La Cour dit que :

– Elle est compétente et la demande est recevable : unanimité.

– Le territoire et les environs du Temple visés par le dispositif de 1962 sont l’intégralité de l’éperon de Préah Vihéar : unanimité.

9. Opinions. Les Juges Owada, Bennouna et Gaja, ainsi que les Juges ad hoc Guillaume et Cot, joignent à l’arrêt une Déclaration. Le Juge Cançado Trindade joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle. Ces opinions peuvent être consultées sur le site internet de la Cour : <www.icj-cij.org>.

B. Commentaires

10. L’arrêt dans l’affaire du Temple de 1962 est l’un des grands classiques de la Cour, que l’on lit avec le ravissement de l’aventurier et avec l’attention du ju- riste. Sur les deux plans, l’arrêt est riche et intense, soutenu et rythmé. Il a ins- piré la jurisprudence d’autres tribunaux, comme en Suisse celle du Tribunal fédéral dans le contexte de la délimitation de la frontière dans la région du Nu- fenen (Valais/Tessin)43. De ce point de vue, on ne regrette pas que cette affaire revienne vers nous dans un nouvel avatar et qu’elle prolonge ainsi son épaisseur par un acte juridique supplémentaire. Sur le fond, l’affaire paraissait plus déli-

43 J. P. Müller & L. Wildhaber, Praxis des Völkerrechts, 3. éd., Berne, 2001, p. 332 ss.

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cate du point de vue politique (au regard de la résurgence de la violence dans le contexte de la procédure d’inscription du Temple au patrimoine mondial) que du point de vue juridique. La Cour de 2013 n’a pas eu de difficultés à démêler l’écheveau que les parties avaient proposé à son attention, en remettant claire- ment en perspective les points d’appui de 1962. Cette relative facilité juridique est reflétée par une approche unanime de la Cour, à laquelle se sont joints les deux juges ad hoc, y compris celui nommé par la Thaïlande. Le rappel le plus important était peut-être celui selon lequel l’affaire de 1962 ne concernait pas une délimitation de frontière mais l’attribution d’une aire (non clairement déli- mitée, d’où cette postface de 2013). On ne saurait être surpris que l’aire en cause en 1962 concernait l’éperon de Préah Vihéar, tant celui-ci constitue une singularité géographique facilement identifiable (et ce n’est pas un hasard que le Temple ait été construit à exactement cet emplacement reculé).

11. Le présent arrêt est de nature en quelque sorte incidente, plus précisé- ment accessoire. Il s’agit d’une demande en interprétation en vertu de l’ar- ticle 60 du Statut. Pendant assez longtemps, la pratique de la Cour n’a pas été riche en demandes d’interprétation. Devant la CPJI, seules deux affaires de ce type ont été portées à son attention : l’affaire de l’Interprétation de l’arrêt no 3 (Traité de Neuilly) (1925)44 ; et l’affaire de l’Interprétation des arrêts no 7 et 8 (Usine de Chorzów) (1927)45. Devant la CIJ, diverses affaires en interprétation peuvent être citées : l’affaire de la Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (1950)46 ; l’affaire de la Demande en révision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Pla- teau continental (Tunisie/Libye, 1985)47 ; l’affaire de la Demande en interpréta- tion de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime (Exceptions préliminaires, Nigeria c. Cameroun, 1999)48 ; et l’affaire de la De- mande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2001 en l’affaire Avena (ordon- nance de mesures conservatoires, 2008)49. Dans l’ensemble, la jurisprudence de la Cour relève une tendance à la restriction. La Cour est consciente du fait que l’autorité de la chose jugée pâtit de procédures d’interprétation (ou de révision) trop fréquentes et trop hardies. Poser une jurisprudence généreuse à cet égard, c’est encourager les Etats à se présenter devant son prétoire pour remettre en cause des jugements, soit par la voie ouverte et directe de la révision, soit par la voie plus masquée et insidieuse de l’interprétation. A cet égard, la Cour a été attentive à ne pas permettre aux Etats d’utiliser des demandes en interprétation

44 CPJI, sér. A, no 4.

45 CPJI, sér. A, no 11.

46 CIJ, Recueil, 1950, p. 395ss.

47 CIJ, Recueil, 1985, p. 192ss.

48 CIJ, Recueil, 1999-I, p. 31ss.

49 Ordonnance du 16 juillet 2008.

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