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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2005

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2005

KOLB, Robert

KOLB, Robert. Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, 2005. Swiss Review of International and European Law , 2006, vol. 16, p. 163-191

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44791

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice en 2005

par Robert Kolb*

Sommaire I) Avertissement

II) [;affaire relative à Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt rendu le 10 février 2005.

A) Résumé B) Commentaires

III) [;affaire du différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt de la Chambre de la Cour rendu le 12 juillet 2005

A) Résumé B) Commentaires

IV) [;affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), recevabilité et fond, arrêt rendu le 19 décembre 2005

A) Résumé B) Commentaires

1) Avertissement

1. Après avoir assuré pendant treize ans cette chronique, 1 le professeur Chri- stian Dominicé a souhaité passer à d'autres le témoin de cette rubrique. Le choix du Comité de rédaction est tombé sur l'auteur de ces lignes, qui l'en re- mercie, tout comme il remercie le prédécesseur de cette chronique (avec qui il a travaillé dans le contexte de l'Institut de droit international), pour le travail pionnier accompli.

2. Quelques modifications seront apportées à la manière de présenter cette chronique, tant il est vrai que chaque auteur pétrit de sa personnalité les contri- butions de ce type. Tout d'abord, au vu des contraintes d'espace, nous avons dé- cidé de prendre au sens étroit le terme «jurisprudence » figurant dans 1 'intitulé de cette contribution. Dès lors, la composition de la Cour, l'évolution précise du rôle, ainsi que les modifications du Règlement ne seront plus présentées (sauf,

* Professeur de droit international public aux Universités de Neuchâtel, de Berne et de Ge- nève (Centre universitaire de droit international humanitaire).

La première contribution paraissait en 1993 :CHRISTIAN DoMINICÉ, La jurisprudence de la Cour internationale de Justice en 1992, Revue suisse de droit international et de droit européen 1993, p. 639ss.

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pour ce qui est du Règlement, s'il y a des révisions de grande importance). Les informations touchant à ces questions sont aisément accessibles sur le site Internet de la Cour.2 De même, il ne sera pas fait état de toutes les décisions et ordonnances issues de procédures incidentes, comme les mesures conservatoi- res ou les demandes d'intervention, ni de celles issues de procédures extraordi- naires, comme la demande de révision, sauf si la Cour saisit l'occasion pour dé- velopper ou pour préciser de manière significative le droit procédural ou matériel y afférent. Ce choix est dicté surtout par un souci de concision, en étant conscient que le lecteur moyen de cette chronique n'y cherche pas un exposé approfondi, voire répétitif, du droit procédural au sens étroit ou large. Toujours dans un souci de concision, des renvois à la littérature juridique ne seront opé- rés que de manière très parcimonieuse, quand cela s'avère absolument néces- saire pour 1 'intelligence d'un point.

3. Comment cette chronique va-t-elle être construite? De la manière la plus simple et la plus dépouillée. Chaque affaire dans laquelle la Cour rend un arrêt sur la compétence et la recevabilité, ou sur le fond (et exceptionnellement sur des questions de« procédure» évoquées plus haut), fera l'objet d'une présenta- tion en deux parties. Dans une première partie, un résumé sélectifl de l'arrêt sera offert au lecteur.4 Dans une deuxième partie, l'arrêt en question fera l'objet de commentaires analytiques. Il s'agira de situer le prononcé de la Cour dans le fil de sa jurisprudence, d'en signaler des aspects innovateurs, des dévelop- pements du droit, des départs de la jurisprudence antérieure, des hésitations, des frémissements et des inhibitions judiciaires, etc. Il conviendra également d'identifier les points de gravité cachés et les articulations fondamentales, d'évoquer des points originaux ou des aspects escamotés et d'en offrir une lec- ture critique, c'est-à-dire de prendre position sur le droit exposé, d'en scruter les conséquences pratiques, de sonder ce qu'il révèle de la politique judiciaire de la Cour, d'en prendre le pouls- toujours dans les limites strictes de l'espace imparti. Et voilà le périple tracé.

www.icj-cij.org

On ne traitera pas nécessairement de tout aspect abordé par la Cour, tout particulière- ment s'il est subordonné et de peu d'importance. C'est autour des grands axes juridiques de l'arrêt que se concentrera le résumé.

La Cour fournit désormais elle-même des résumés détaillés de ses prononcés. Le lecteur qui souhaite un résumé plus approfondi et plus complet pourra s'y référer. Ces résumés se trouvent sur le site Internet de la Cour, déjà cité.

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Il) L'affaire relative

à

Certains biens

(Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt rendu le 10 février 2005

A) Résumé

4. Le Liechtenstein a introduit une instance contre 1 'Allemagne afin de faire re- connaître et sanctionner la responsabilité internationale de l'Etat allemand pour avoir traité certains biens de ressortissants du Liechtenstein comme avoirs alle- mands. Ces biens avaient été saisis au titre de réparations ou de restitutions en raison de l'état de guerre, notamment en Tchécoslovaquie, en vertu des Décrets Benes5 Suite à cette assimilation des biens liechtensteinois à des biens alle- mands, aucune indemnité ne fut versée par 1 'Allemagne aux propriétaires liech- tensteinois et ce, selon le Liechtenstein, en mécmmaissance de sa neutralité et de sa souveraineté.

5. La base de compétence de la Cour invoquée par le Liechtenstein est l'ar- ticle 1 de la Convention européenne pour le règlement pacifique des différends (1957),6 applicable entre les deux Etats depuis le 18 février 1980. Selon l'arti- cle 27 de ladite Convention, celle-ci ne s'applique pas aux différends concer- nant des faits ou situations antérieurs à son entrée en vigueur entre les parties au différend. 7 La Cour traite de deux des six exceptions préliminaires soulevées par l'Allemagne. Elles sont relatives à la compétence et à la recevabilité de la requête liechtensteinoise. Comme la Cour retient pleinement la seconde excep- tion, il n'est point nécessaire pour elle d'examiner les autres quatre exceptions allemandes. [;économie procédurale aurait pu être poussée encore plus loin en n'examinant que l'exception finalement retenue.

a) Première exception préliminaire : inexistence d'un différend

6. Selon 1 'Allemagne, il n'y aurait pas de différend réel entre le Liechtenstein et elle. Le vrai différend opposerait le Liechtenstein à la Tchécoslovaquie (et

Il s'agit, bien entendu, de la seconde guerre mondiale. Pour un historique précis des évé- nements d'après-guerre, voir les§§ 13ss de l'arrêt.

RS 0.193.231.

Voici le texte de l'article 27 : «Les dispositions de la présente Convention ne s'appli- quent pas: a. Aux différends concernant des faits ou situations antérieures à l'entrée en vigueur de la présente Convention entre les parties au différend; b. Aux différends por- tant sur des questions que le droit international laisse à la compétence exclusive des Etats».

SZIER/RSDIE 112006 165 Kolb

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désormais à ses successeurs) pour cause de mise en œuvre des Décrets Benes.

En somme, le Liechtenstein aurait attaqué un défendeur inapproprié.

7. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle un différend est un « désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une oppo- sition de thèses juridiques ou d'intérêts entre les parties». Or, les griefs formu- lés en fait et en droit par le Liechtenstein contre l'Allemagne sont repoussés par cette dernière ; du fait de ce rejet, il y a bien un différend entre les deux Etats parties à l'instance. I:objet du différend est de savoir si, en appliquant l'article 3 du chapitre sixième de la Convention sur le règlement à des biens liechtens- teinois confisqués par la Tchécoslovaquie en 1945 au titre des Décrets Benes, l'Allemagne a violé les obligations qui lui incombaient envers le Liechtenstein (§§ 24-26). Ce différend est dérivé, mais distinct, de celui opposant l' Allema- gne et le Liechtenstein à la Tchécoslovaquie (ou à ses successeurs). Il peut donc être traité séparément et fournir l'objet de la présente requête. Ainsi, la pre- mière exception préliminaire de 1 'Allemagne est rejetée.

b) Deuxième exception préliminaire : absence de compétence ratione temporis

8. I:Allemagne invoque ensuite l'article 27 de la Convention de 1957 avec sa date critique, qui en l'espèce se situe au 18 février 1980. Selon l'Allemagne, les faits et situations donnant lieu au différend étaient antérieurs à cette date limite.

Selon le Liechtenstein, au contraire, c'est le changement de la position juri- dique de 1 'Allemagne en 1995 (des tribunaux allemands refusant désormais de considérer applicable au Liechtenstein la Convention de Règlement de 19528)

qui est le fait pertinent donnant lieu au différend.

9. La Cour rappelle qu'elle a déjà souvent eu à traiter d'une question sem- blable : elle cite à ce propos les affaires des Phosphates du Maroc (1938), de la Compagnie d'électricité de Sofia et de Bulgarie (1939) et du Droit de passage (1957). On aurait pu ajouter l'affaire Interhandel (1959).9 La Cour s'est tou- jours orientée, à travers ces précédents, auxfaits générateurs du différend. Elle a refusé de tenir compte de faits subséquents, venant prolonger ou se greffer sur les faits générateurs. La Cour est donc toujours remontée aux faits qui sont la cause originaire, et en ce sens réelle, du différend (§ 42). Les précédents men-

Convention sur le règlement de questions issues de la guerre et de l'occupation, signée le 26 mai 1952 à Bonn par les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni, la France et la Ré- publique fédérale d'Allemagne (modifiée par l'annexe fV au protocole sur la cessation du régime d'occupation dans la République fédérale d'Allemagne, signé à Paris le 23 octobre 1954), entrée en vigueur le 5 mai 1955.

CU, Recueil, 1959, p. 22.

T< ~lh lhh SZIER/RcSDIE 112006

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tionnés concernent certes des déclarations facultatives au sens de l'article 36

§ 2 du Statut de la Cour; mais ils sont pertinents pour l'interprétation de l'arti- cle 27 de la Convention de 1957, qui contient des termes restrictifs analogues (§ 43). La Cour admet donc ici une analogie entre une situation concernant des déclarations facultatives (unilatérales) et un traité, car elle estime qu'à la fois le texte et la ratio en cause sont identiques.

10. Qu'en est-il du principe du« différend générateur» en l'espèce? Selon la Cour, des décisions des tribunaux allemands des mmées 1990 ne sont pas la cause réelle et originaire du différend ; elles en sont un développement, un ava- tar parmi d'autres. En effet, ces décisions ne sauraient être dissociées de la Convention de 1952 et des Décrets Benes, qui en constituent à proprement par- ler la source ( § 51). D'ailleurs, ces décisions des tribunaux allemands sont bien fondées sur la Convention de 1952 (§ 52). Dès lors, la Cour n'est pas compé- tente ratione temporis. La deuxième exception préliminaire allemande est rete- nue.

11. Cette conclusion de la Cour a été critiquée par les juges Elaraby, Owada et par la juge ad hoc Berman. Les raisonnements sont similaires sur le point crucial, si bien qu'il est opportun de ne présenter que celle du juge Elaraby.

Pour celui-ci, les décisions des tribunaux allemands constituaient la cause réelle du différend qui oppose le Liechtenstein à l'Allemagne. Il en est ainsi parce que les décisions visaient pour la première fois à assimiler des biens neutres liech- tensteinois à des avoirs allemands à l'étranger au sens de la Convention sur le Règlement. Le juge Elaraby en conclut que tout fait ou situation antérieur à ces décisions (par exemple, la convention sur le règlement, les Décrets Benes et les décisions antérieures concernant la Convention) ne constituait que le contexte historique et ne pouvaient être la cause réelle du différend opposant les Parties.

En parvenant à cette conclusion, le juge Elaraby estime qu'il y a lieu de préci- ser que, à la différence des trois affaires invoquées par la Cour (Droit de pas- sage, Compagnie d'électricité de Sofia et Phosphates du Maroc), il n'existait en l'espèce aucun fait antérieur à la date critique imputable au défendeur et revê- tant une pertinence à l'égard des prétentions du demandeur. Les seules actions imputables à l'Allemagne, susceptibles le cas échéant d'engager sa responsabi- lité internationale vis-à-vis du Liechtenstein, étaient postérieures à la date cri- tique. La Cour aurait donc dû rejeter l'exception préliminaire allemande.

B) Commentaires

12. Le point saillant de cette affaire est l'application de la limitation ratione temporis à la compétence de la Cour. Il révèle un haut lieu de« fidélité», appa- rente du moins, au précédent judiciaire de la Cour: ce précédent est sollicité, lé- gèrement adapté, et appliqué. Si la Haute Juridiction étend la ratio de ses précé-

SZIER/RSDIE 1/2006 167 Kolb

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dents à la situation mettant en jeu une convention (alors que les précédents trai- taient de déclarations facultatives au sens de l'article 36 § 2 du Statut, et donc d'actes unilatéraux, s'inscrivant toutefois dans un creuset bilatéraliste), elle reste entièrement fidèle à sa jurisprudence qui est de scruter « 1' origine » pre- mière du complexe entier du différend. Elle se refuse à scinder le différend en plusieurs phases, avec des rénovations, voire des novations juridiques à répéti- tion. Double doctrine donc : (1) unité du différend à travers ses phases diverses et avatars pluriels ; (2) définition de la date critique comme étant celle de l'ori- gine première du différend, celle de sa marque de naissance.

13. Il va de soi qu'il y a dans cette approche quelque chose de construit et d'artificiel, car un différend s'étalant dans le temps n'est jamais en soi une unité : il change tout autant qu'un être humain dont les cellules se renouvellent et dont les traits s'altèrent. Le différend ne devient« unitaire » qu'au regard d'une conception, d'une grille d'analyse qui lui est appliquée. Ce n'est pas le lieu ici de serrer de plus près les quatre précédents les plus importants, préci- tés.10 Leur complexité est certaine. La Cour s'y évertue, entre autres, à distin- guer les situations et les faits qui constituent la source des droits revendiqués par une partie d'un côté et les situations et les faits qui constituent la source du différend de l'autre, seuls ces derniers étant pertinents. Il est manifeste que cette distinction supplémentaire peut s'avérer délicate dans les cas d'espèce.

14. La« doctrine» de la Cour est donc très stricte et opère, dans le doute, en défaveur de sa compétence : elle s'oppose à la maxime de prudence « boni ju- dicis est ampliare jurisdictionem ». Dès lors, cette limitation ratione temporis récurrente constitue aujourd'hui encore l'une des limitations majeures à la compétence de la Cour. Une re-élaboration de la doctrine judiciaire sur ce point ne semblerait pas hors de propos. Il serait du moins possible de regarder de plus près si un différend ne peut être traité en différenciant plusieurs phases, de ma- nière à ne pas stériliser complètement la compétence de la Cour dès que les faits à l'origine du différend échappent à l'étroit carcan temporel d'un traité ou d'une clause facultative. La Cour pourrait ainsi progressivement affiner cette li- mite ratione temporis en introduisant des distinguishing successifs, assouplis- sant l'obstacle à la compétence. Il faudrait en tout cas affirmer l'absence de compétence dans les cas dans lesquels la Cour, en tronquant le différent en plu- sieurs phases, ne pourrait plus le traiter de manière adéquate, des aspects essen- tiels de celui-ci se trouvant hors du temps dont elle pourrait connaître. Cela 1' orienterait vers une doctrine de l'Or monétaire11 appliquée non pas aux tierces

10 A ce propos, voir par exemple JoHN G. MERRJLLs, The Optional Clause Revisited, British Yearbook oflnternational Law 1993, p. 213ss. Voir déjà JoHN G. MERRILLS, The Optio- nal Clause Today, British Yearbook of International Law 1979, p. 96ss.

11 Doctrine selon laquelle la Cour ne peut exercer sa compétence lorsqu'elle devrait au préala- ble trancher les droits et/ou les obligations d'un Etat non-partie à l'instance et qui refuse

I.T-lL 1t;Q <;7.TPR /R<;DJF 1 /?OOJ'i

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parties mais aux« tiers temps», à savoir à la phase dont elle ne saurait connaî- tre ratione temporis : elle pourrait alors affirmer qu'elle ne saurait exercer sa compétence pour la phase pour laquelle elle est temporellement compétente eu égard au fait que des aspects juridiques «indispensables » du différend se trou- vent en dehors du temps pertinent.

15. Le souci principal derrière cette critique est de faire en sorte que la Cour puisse donner sa pleine contribution à un règlement des différends aussi poussé que possible. Ce règlement est déjà si exceptionnel dans la société internatio- nale, et si important pour la paix et la coopération entre nations, ainsi d'ailleurs que pour le développement du droit international lui-même, qu'il convient de ne pas le tronquer davantage.

16. Remarquons enfin que le seul auteur12 ayant à notre connaissance pour l'instant commenté cet arrêt s'exprime en un sens défavorable à la solution dé- gagée par la Cour. Il estime que sa perspective initiale était déjà faussée : plutôt que d'analyser d'emblée le prescrit de la Convention de 1957 à la lumière de précédents dont on peut douter qu'ils soient réellement applicables à la situa- tion d'espèce, il aurait convenu de serrer de plus près le sens de l'article 27 de la Convention de 1957 de manière autonome et sans préconçu, à savoir à la lu- mière des règles d'interprétation des traités. Une telle approche aurait montré qu'il existe des différences non négligeables entre l'interprétation d'actes unila- téraux et de clauses conventionnelles. De plus, si les clauses facultatives repré- sentent une limitation à part entière, autonome, de la compétence de la Cour, l'article 27 est clairement une exception au principe de la compétence recher- ché et consacré par la Convention. Et en tant qu'exception, il doit être interprété strictement. 13 Enfin, le différend ici en cause est bien né dans les années 1990.

r_; Allemagne et ses tribunaux ont fait pendant cette période toute une série d'ac- tes nouveaux, entièrement libres et discrétionnaires, qui s'analysent comme une transformation des rapports juridiques entre les parties. Il est dès lors artificiel d'affirmer que ces actes sont indissolublement liés aux Règlements de 1952. Il s'agit d'actes nouveaux, qui donnent lieu à un différend nouveau, bien délinéé par rapport à l'ancien. Ainsi, par exemple, aucune décision ancienne des tribu- naux allemands ne s'était occupée de l'applicabilité de la Convention de 1952 à des pièces de propriété de tiers Etats neutres. Ce sont les interprétations de la Convention dans ce contexte nouveau qui étaient la cause réelle du différend.14

12

13 14

d'y donner son consentement. Nous reviendrons sur ce principe plus loin. Cf. l'affaire de l'Or monétaire pris à Rome en 1943, Cil, Recueil, 1954, p. 30-33.

ToBIAS H. lRMSCHER, Anmerkung zur Liechtenstein-Entscheidung des Internationalen Gerichtshofs, Archiv des Volkerrechts 2005, p. 375ss.

Ibid., p. 382-384.

Ibid., p. 385-391.

S 7JF.R /RSDTE 1 /2001) 169 Kolb

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En tout dernier lieu, l'auteur rappelle en des termes forts l'importance de la fonction de règlement des différends dans l'économie de la Charte des Nations Unies et dans le monde d'aujourd'hui- fait auquel il oppose la frilosité de la Cour à assumer sa compétence et à vider un différend« réel» entre les parties.15 Ces critiques sont loin d'être dénuées de fondement.

Ill) L'affaire du différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt de la Chambre de la Cour rendu

le 12 juillet 2005

A) Résumé

17. Cette affaire porte sur la délimitation frontalière entre deux Etats africains.

Elle fut portée devant une Chambre de la Cour par un compromis spécial en date du 15 juin 2001. L'article 2 de cet accord précisait l'objet du différend: la Cour était priée de tracer la frontière dans le secteur du fleuve Niger, d'attribuer les îles situées dans le fleuve dans le secteur litigieux et de tracer la frontière dans le secteur de la rivière Mékrou. Le Bénin plaide en faveur d'une ligne mé- diane dans le secteur du Mékrou, en faveur d'une ligne telle que définie dans des Accords franco-britanniques de 1906 ailleurs et revendique la souveraineté sur toutes les îles. Le Niger plaide en faveur de lignes selon les sondages les plus profonds dans le fleuve Niger, les îles étant départagées selon le côté du- quel elles se situent par rapport à cette ligne de délimitation et il plaide pour une ligne indiquée selon des coordonnées spécifiques (ligne partiellement droite) dans le secteur du Mékrou.

18. La Cour commence par rappeler que le présent différend s'inscrit dans le contexte de la décolonisation au sein de l'Afrique occidentale française. L'ar- ticle 6 du Compromis spécial reconnaît l'applicabilité du principe général d'in- tangibilité des frontières héritées du colonisateur (uti possidetis juris). Ce prin- cipe reflète aussi le droit international général. Selon ce principe, le titre juridique a la prééminence sur la possession effective comme base de la souve- raineté (§§ 23, 47). La date critique pour le gel des frontières contre toute mo-

15 Ibid., p. 394-395 : «Der IGH stellt das Bestehen eines Streitfalls fest, die Parteien sind si ch im Grundsatz einig, dass dies er gel ost werden mnss, es existiert ein für die Parteien verbindlicher Vertrag über die Anerkennnng der Gerichtsbarkeit des IGH, und gleich- wohl wnrde der Streit nicht entschieden. [ ... ] Zugleich betrifft diese <Zurückhaltung>

zum wiederholten Male mit Liechtenstein einen Kleinstaat, der flir die Durchsetzung seiner rechtlich geschützten Interessen im besonderem Masse auf die internationale Ge- richtsbarlœit angewiesen ist ».

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dification unilatérale est le moment de l'indépendance, en l'occurrence le 1er et le 3 août 1960. Cependant, le principe de l'uti possidetis doit s'apprécier eu égard aux réalités physiques actuelles, si bien qu'il faut tenir compte de la disparition ou de l'émergence de certaines îles(§ 25). Des cartes géographiques postérieures à la date critique peuvent être admises si elles permettent d'établir la situation à la date critique- mais non pour modifier la frontière, sauf si cette modification relève d'un accord clair (§ 26). Il en va de même pour les effecti- vités post-coloniales. Afin d'établir 1 'instantané territorial inhérent à 1 'uti possi- detis, il faut se référer au droit interne français (droit colonial). Ce droit interne est uniquement un élément de fait ou un moyen de preuve et n'intervient pas en tant que droit applicable(§ 28, citant le paragraphe 30 de l'arrêt de 1986 entre le Burkina Faso et le Mali).

19. Ayant ainsi établi le droit applicable, la Cour s'engage dans un histo- rique du statut juridique des territoires (§§ 32ss), analyse les documents pertinents (§§ 37ss), y compris le matériau cartographique et photographique (§§ 40ss). Sur le problème des cartes, la Chambre reprend entièrement à son compte la« doctrine » énoncée dans l'affaire du différend frontalier (Burkina Faso/Mali, 1986) dans les termes suivants, qui expriment manifestement le droit applicable de manière si heureuse que toute référence se fait habituelle- ment à ce passage (§ 44) : « les cartes ne sont que de simples indications, plus ou moins exactes selon les cas ; elles ne constituent jamais-- à elles seules et du seul fait de leur existence- un titre territorial, c'est-à-dire un document auquel le droit international confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l'éta- blissement des droits territoriaux. Certes, dans quelques cas, les cartes peuvent acquérir une telle valeur juridique mais cette valeur ne découle pas alors de leurs seules qualités intrinsèques : elle résulte de ce que ces cartes ont été inté- grées parmi les éléments qui constituent l'expression de la volonté de l'Etat ou des Etats concernés. Ainsi en va-t-il, par exemple, lorsque des cartes sont an- nexées à un texte officiel dont elles font partie intégrante. En dehors de cette hypothèse clairement définie, les cartes ne sont que des éléments de preuve extrinsèques, plus ou moins fiables, plus ou moins suspects, auxquels il peut être fait appel, parmi d'autres éléments de preuve de nature circonstancielle, pour établir ou reconstituer la matérialité des faits. »

20. On passe ainsi à la fixation de la frontière dans le secteur du fleuve Ni- ger. Selon la Cour, aucun acte réglementaire ou administratif n'établit par où exactement passait la frontière au temps colonial. La frontière était censée pas- ser« le long du fleuve », ce qui est une indication trop vague. Le titre n'étant pas clair, 16 la Chambre va examiner les effectivités de manière supplétive

16 La Cour distingue traditimmellement quatre situations: (1) l'effectivité confirme le titre:

le titre est prééminent; (2) l'effectivité ne correspond pas au titre: il y a lieu de préférer

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(§§ 75-76). De 1914 à 1954, les parties s'en tinrent à un modus vivendi faisant du chenal navigable principal du fleuve la limite entre les deux entités (§ 98).

C'est cet élément qui amène la Cour à conclure que ce chenal navigable consti- tue la frontière internationale applicable. Il en résulte que le Bénin possède un titre sur les îles situées de « son côté » de cette ligne et le Niger possède un titre sur toutes les îles situées de l'autre côté de la ligne(§ 193). Qu'en est-il des ponts qui passent au-dessus du fleuve ? La question était nouvelle. Selon la Cour, en vertu de la tridimensionnalité de la frontière (qui se prolonge dans les airs et dans le sous-sol), et en l'absence d'accords spéciaux, c'est le principe du report vertical de la frontière tracée sur le cours d'eau qui s'impose(§ 124).

21. A ce stade, la Cour passe à la fixation de la frontière dans le secteur de la rivière Mékrou. Diverses lignes avaient été proposées à divers moments dans ce secteur. Cependant, à partir d'un arrêté du Gouverneur général de 1927, les autorités administratives françaises compétentes ont considéré le cours du Mé- krou comme la limite inter-coloniale. Tel est le legs de l'uti possidetis, si bien qu'il n'est pas de mise de chercher à établir les effectivités, le titre étant claire- ment établi. La Chambre ajoute qu'il n'y a d'ailleurs guère d'effectivités signi- ficatives dans le secteur. Mais alors, où exactement se situe la frontière? Selon une pratique générale, non totalement cohérente toutefois, lorsque le cours d'eau est navigable la frontière est normalement le thalweg; lorsqu'il n'est pas navigable, la frontière est normalement la ligne médiane. La Chambre cite ici l'affaire de l'île Kasikili/Sedudu (1999).17 En l'espèce, le Mékrou n'étant pas navigable, la Chambre retient en conséquence la ligne médiane(§ 144).

22. La Cour adopte la frontière dans le secteur du fleuve Niger à 4 voix contre 1 (celle du juge Bennouna) et celle dans le secteur de la rivière Mékrou à l'unanimité.

B) Commentaires

23. Cette affaire s'inscrit dans une continuité idéale avec l'affaire du différend frontalier (Burkina Faso/Mali) (1986), 18 tranchée par une autre Chambre de la Cour, et dont elle se présente comme la sœur jumelle. Dans les deux, même contexte et même logique : deux Etats africains, issus de la décolonisation fran-

le détenteur du titre; (3) l'effectivité ne coexiste avec aucun titre: l'effectivité peut ob- tenir ici un poids décisif; ( 4) 1 'effectivité coexiste avec un titre qui n'est pas clair: les ef- fectivités peuvent être importantes pour montrer comment le titre a été interprété dans la pratique. Cf. l'affaire dn dif.férendjrontalier (Burkina ràso c. Mali), CIJ, Recueil, 1986, p. 586-587, § 63.

17 CIJ, Recueil, 1999, p. 1062, § 24.

18 CIJ, Recueil, 1986, p. 554ss.

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çaise et attachement au principe de stabilité des frontières (uti possidetis) adopté par les Etats africains par une résolution (no. 16) de 1 'Organisation de 1 'Unité Africaine en 1964. Cette jurisprudence « décolonisatrice » a accusé chez la Cour la tendance à affirmer toujours plus la prééminence du titre sur les effectivités. Cela se comprend doublement. Premièrement, la Cour est gar- dienne du droit; or, le droit préfère le «titulaire du titre», pour reprendre le vo- cabulaire légèrement pléonastique de la Cour, au simple possesseur ou même à l'usurpateur. Deuxièmement, cette orientation se renforce encore quand il s'agit de legs coloniaux, car les Etats africains se sont commis de manière par- ticulièrement saillante au principe de l'uti possidetis, principe qui exalte cet at- tachement au titre.

24. On peut se demander si des litiges entre Etats en dehors du contexte co- lonial verraient la Cour insister tout autant sur la « titularité » formelle, qui est dans ces cas presque toujours conventionnelle. Le droit extra-colonial, dans le- quel ne s'applique pas, formellement, 1 'uti possidetis (sauf éventuellement pour des Etats fédéraux qui se démembrent ou qui sont l'objet d'une sécession), forme-t-il un droit un peu plus souple? Le droit de la délimitation se distingue- t-il ainsi éventuellement en deux blocs non identiques, en matière d'Etats déco- lonisés d'un côté et en matière d'Etats anciennement indépendants de l'autre?

Ce n'est pas certain, car la modification d'une frontière d'uti possidetis peut intervenir par des actes concluants et même par un silence prolongé opposé à une pratique contraire.19 De plus, la prescription acquisitive, dans la mesure où elle est reconnue en droit international, intervient également. Elle est plus qu'une simple effectivité : c'est une effectivité reconnue et pesée par le droit lui-même, qui, sous certaines conditions, met en balance le fait de la possession effective avec une manifestation de volonté implicite ou un silence prolongé face auquel il existait un devoir de réagir.2

°

Ces mêmes principes sont applica- bles aussi en dehors du contexte colonial. Cela amène à conclure que le titre a tout naturellement la prééminence dans les deux cas, qu'il découle de l'uti pos- sidetis ou d'une convention. C'est une exigence fondamentale du droit que de donner ce qui est dû au« propriétaire légitime». Tant dans le contexte colonial qu'en dehors de celui-ci il y a donc des tempéraments prévus par l'ordre juri-

19

20

Voir l'affaire du différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Hon- duras), CIJ, Recueil, 1992, p. 408--409, § 80: «Il était évidemment loisible à ces Etats de modifier par un accord les frontières les séparant ; et certaines formes d'activité ou d'inactivité pourraient valoir acquiescement à une limite différente de celle de 1821 [uti possidetis] [ ... ]La Chambre estime que la conduite du Honduras, de 1881 à 1972, peut être considérée comme équivalant à un acquiescement à une limite [s'écartant de l'uti possidetis] ».Le silence prolongé face à une possession adverse quand il existe un devoir de protester peut donc déplacer le titre.

Cf. RoBERT KoLB, La bonnefoi en droit international public, Paris 2000, p. 339ss, 399ss.

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clique. On peut simplement estimer que la Cour sera encore plus sensible au ti- tre dans le contexte de la décolonisation. Il en sera ainsi parce que les Etats dé- colonisés ont eux-mêmes affirmé leur attachement à cette priorité et parce que le titre a ici une vertu pacificatrice plus éminente, face aux tendances au désor- dre et à 1 'expansion que générerait une reconnaissance accrue du« pôle de l' ef- fectivité ». 21

25. Dans l'ensemble, l'arrêt s'inscrit parfaitement dans la ligne des précé- dents de délimitation territoriale depuis 1986. Deux points intéressants ou no- vateurs peuvent être mentionnés dans le cadre étroit de cette chronique.

26. D'abord, on remarquera que la Chambre a été confrontée à un problème nouveau pour lequel aucun précédent au niveau du droit international général ne semble exister. C'est la question des ponts au-dessus d'une frontière, en l'oc- currence au-dessus du fleuve Niger. La Chambre choisit la solution juridique- ment la plus raisonnable et praticable en reportant verticalement la ligne fron- tière. Le Niger avait quant à lui plaidé que les ponts doivent être délimités par une ligne médiane, indépendamment de la ligne frontière du fleuve (§ 121).

Une telle solution aurait engendré un chevauchement de compétences assez sin- gulier que le droit international général s'évertue d'éviter en donnant à une frontière une extension verticale dans les airs et dans le sous-sol. Un peu comme dans le droit de la mer, une frontière unique multidimensionnelle (en droit de la mer : pour le plateau continental et pour les eaux surjacentes) est donc privilégiée par le droit international général. Elle simplifie considérable- ment 1' exercice des compétences et contribue ainsi à 1' apaisement et à la pré- vention des conflits, ainsi qu'à la sécurité juridique. Ce principe de la« ligne frontière tridimensionnelle » est appliqué par la Cour à des ouvrages artificiels.

C'est là un enrichissement du droit par application de la règle générale à une si- tuation nouvelle. Par effet de droit particulier- notamment conventionnel - les parties peuvent bien entendu dévier de cette règle générale. Il faut alors espérer qu'elles régleront en même temps d'une manière précise l'exercice des compé-

21 Affaire du différend frontalier (Burldna Faso/Mali), CIJ, Recueil, 1986, p. 565, § 20 :

« [L'uti possidetis] constitue un principe général, logiquement lié au phénomène de l'ac- cession à l'indépendance, où qu'il se manifeste. Son but évident est d'éviter que l'indé- pendance et la stabilité des nouveaux Etats ne soient mises en danger par des luttes fra- tricides nées de la contestation des frontières à la suite du retrait de la puissance administrante ». Le motif de l'application de l'uti possidetis nous est donc livré dans cette dernière plu·ase ~qui tranche étrangement avec celle qui précède, car l'application du principe n'a évidemment rien de« logique», mais tout« d'axiologique» (paix et sta- bilité). Le choix du terme « logiquement » trahit plutôt une rhétorique judiciaire cher- chant à insister sur l'importance du principe d'uti possidetis, et tentant dès lors de l'éle- ver jusque dans la sphère des phénomènes de la logique, tout inexorables, faits de lois d'airain.

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tences respectives dans les zones de chevauchement. Si elles ne le font pas, un bien beau contentieux judiciaire pourrait s'ensuivre, avec l'obligation pour le juge de faire œuvre de quasi-législation en comblant une lacune de droit parti-

culier par des règles de droit général, qu'il faudrait davantage forger que décou- vrir.

27. Un aspect très intéressant du point de vue du droit des sources surgit lorsque la Chambre affirme qu'en cas de cours d'eau navigable la frontière est normalement le thalweg, et en cas contraire la ligne médiane. La Chambre ad- met que cette règle n'est pas appliquée de manière entièrement cohérente par les Etats. La base de cette règle est avant tout conventionnelle. Voici comment la Cour s'était exprimée en 1999, dans l'affaire de l'île Kasikili/Sedudu : « Les traités ou conventions qui définissent des frontières dans des cours d'eau dési- gnent généralement aujourd'hui le thalweg comme frontière lorsque le cours d'eau est navigable et la ligne médiane entre les deux rives lorsqu 'il ne 1 'est pas, sans que l'on puisse toutefois constater l'existence d'une pratique totalement cohérente en la matière. »22 Dans l'affaire présente, la Chambre reprend cette affirmation sans discussion quelconque et l'applique aux faits de l'espèce. Or, la question se pose de savoir à quel titre la règle énoncée est appliquée. Certai- nement, elle ne l'est pas à titre de droit conventionnel, parce que les parties ne 1' ont pas conventionnellement fixée entre elles. Il reste alors la coutume. Mais quelle coutume? S'il n'existe pas de pratique totalement cohérente, on pourrait s'attendre à une analyse plus serrée pour découvrir au moins si la pratique est

«suffisamment cohérente» et s'il existe une opinio juris. Or, rien de tel. La rè- gle est postulée par le juge. C'est, une fois de plus, une coutume judiciaire- et seulement secondairement étatique - qui est ainsi dégagée. La Cour vient par- faire une règle qui lui semble équitable et adéquate en la hissant au-dessus des insuffisances et des défaillances que la pratique effective, truffée d'anfractuosi- tés et d'incertitudes, lui impose. La Cour opère comme un maillon dans un pro- cessus de législation à plusieurs mains et « cristallise » une coutume. On sait que ce terme est utilisé dans la science du droit internationaF3 pour désigner la situation dans laquelle le processus d'élaboration et d'adoption d'un traité vient parfaire un processus coutumier qui était en pleine maturation mais auquel il manquait la dernière consécration ; or voilà que le traité multilatéral fournit 1' occasion aux Etats d'exprimer leur opinio juris et de consacrer définitivement la règle in statu nascendi; le traité est en quelque sorte l'impulsion qui fait tom- ber la goutte d'eau suspendue sur l'extrême rebord de la feuille dans le bocal

22 CIJ, Recueil, 1999-II, p. 1062, § 24.

23 Voir par exemple EDUARDO JIMENEZ DE AREcHAGA, International Law in the Past Third of A Century, Recueil des Cours de l'Académie de Droit International 1978, vol. 159, p. 16-18.

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étiqueté «droit coutumier». En l'espèce, le facteur cristallisant n'est pas un traité mais le prononcé même de la Cour. Ce processus de « perfection24 judi- ciaire » de la coutume est de plus en plus fréquent dans un monde en mutation rapide à la recherche d'un droit commun, que les lenteurs et limitations du pro- cessus coutumier traditionnel n'arrivent plus à secréter dans la mesure des be- soins ressentis par le corps social.

IV) l'affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.

Ouganda), Recevabilité et fond, arrêt rendu le 19 décembre 2005

A) Résumé

28. Cette importante affaire fut introduite par une requête de la République dé- mocratique du Congo (RDC) contre l'Ouganda. La requête était fondée sur les clauses facultatives des deux Etats au sens de l'article 36 § 2 du Statut de la Cour. La RDC faisait valoir que l'Ouganda avait perpétré des actes d'agression armée sur son territoire. Elle visait avant tout à faire condamner l'Ouganda pour une violation des règles du droit international sur le non-recours à la force et la non-intervention, ainsi que pour des violations du droit international hu- manitaire (droit des conflits armés) et du droit des droits de 1 'homme. En parti- culier, la RDC invoqua les règles suivantes: (1) le principe de non-recours à la force, (2) le principe du respect de la souveraineté, (3) le principe de l'autodé- termination des peuples, ( 4) le principe de non-intervention, (5) le principe de la souveraineté (permanente) sur les ressources naturelles et ( 6) le principe du respect (et du devoir de faire respecter) les droits fondamentaux de la personne, y compris en période de conflit armé . .COuganda, quant à lui, a plaidé l'irrece- vabilité des demandes, et alternativement leur mal-fondé en l'absence de preu- ves concluantes. En même temps, il affirmait la recevabilité et le bien-fondé de ses trois demandes reconventionnelles (voir infra).

La Cour décompose l'analyse du droit en une série d'étapes distinctes, tant les points soulevés sont nombreux.

24 Mais aussi correction, adaptation, etc. de la coutume. Des évolutions similaires se trou- vent aussi en droit interne par rapport à la loi: cf. FRANÇOis OsT, Le rôle du juge dans la cité, in: Cahiers de l'Institut d'études sur la justice -Actes du Colloque du 12 octobre 2001, Bruxelles 2002, p. 15ss.

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a) La question du consentement de la ROC à la présence des troupes ougandaises

29. Tout d'abord, la Cour s'interroge dans quelle mesure il a existé un consen- tement de la RDC à la présence des troupes ougandaises sur son territoire.

Comme l'on sait, le consentement libre à une présence militaire étrangère en- lève l'illicéité à cette présence. Selon la Cour, il ressort du dossier que la RDC ne s'est pas opposée à la présence de troupes ougandaises avant août 1998 dans la zone frontière de l'est du pays, et ce afin que l'Ouganda y agisse contre les factions rebelles opérant contre l'Ouganda à partir du territoire congolais (§ 45). Suite à la signature du Protocole sur la sécurité le long de la frontière commune en 1998, l'absence d'objection à cette présence étrangère ainsi que la pratique observée donnent à penser que la RDC continuait à accepter cette pré- sence (§ 46). Or, ce consentement pouvait être retiré à tout moment et sans for- malité particulière (§ 47). Ce consentement a été retiré au plus tard en août

1998, lors du Sommet de Victoria Falls, quand le Président Kabila a accusé le Rwanda et l'Ouganda d'avoir envahi le territoire de la RDC (§53).

b) La question de l'établissement des faits relatifs à l'emploi de la force

30. Quels sont les principes relatifs à l'évaluation des faits et des preuves, nom- breux et difficiles ? Après avoir rappelé ses précédents des affaires Nicaragua (1986) et des Otages à Téhéran (1980), la Cour rappelle les principes fonda- mentaux selon lesquels elle fixe le poids des éléments de preuve(§ 61-68):

- La Cour traitera avec prudence les éléments spécialement établis par les plaideurs pour la présente procédure, tout comme les documents provenant d'une source unique, souvent liée à l'une des parties.

- Un poids plus grand sera attribué aux informations d'époque émanant de personnes ayant eu une connaissance directe des faits.

- Les informations défavorables à l'Etat fournies par cet Etat lui-même ou par une personne relevant de lui ont un poids considérable.

11 en va de même pour des éléments dont l'exactitude n'a pas été contestée par des sources impartiales.

- Il en va de même pour des rapports établis lors d'une procédure impartiale d'établissement des faits menée selon les principes du contradictoire.

Les informations puisées dans la presse ne sont utiles que lorsqu'elles sont d'une cohérence et d'une concordance totales en ce qui concerne les princi- paux faits, et quand elles n'émanent pas d'une source unique.

La Cour applique ensuite ces principes aux diverses pièces soumises dans la présente procédure.

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c) les Accords de Lusaka/Kampala/Harare constituaient-ils un consentement de la ROC à la présence ?

31. Ces accords visent avant tout à organiser le retrait de toutes les troupes étrangères. Ils ne contiennent aucune indication quant à un consentement à la présence de telles troupes. Selon la Cour, ces traités établissaient par consé- quent simplement un modus operandi pour le retrait des troupes ; ils ne visaient pas à qualifier ou à légitimer d'aucune manière la présence de troupes étrangè- res(§ 99). Sauf pour la zone des monts Ruwenzari, aucun consentement ne lé- gitimait donc la présence des troupes ougandaises dans cette période d'après août 1998.

d) la légitime défense

32. Les activités militaires de l'Ouganda après le mois d'août 1998, à défaut de pouvoir être assis sur un consentement, pouvaient-elles être rendues licites par la légitime défense? La Cour constate que l'Ouganda ne menait pas prioritaire- ment des actions militaires contre des rebelles, mais lançait des assauts militai- res de bien plus grande envergure en assujettissant à son contrôle des localités lointaines de sa frontière, des aéroports, etc. (§ 11 0). De tels objectifs militaires ne relèvent pas de la légitime défense telle qu'elle est admise par le droit inter- national(§ 119). De plus, comme l'Ouganda ne plaide que la légitime défense

« réactive »25 (faisant suite à une agression armée), la Cour - comme en l' af- faire du Nicaragua (1986)- dit qu'elle n'a pas à connaître de la question de la légitime défense préventive. Or, la Cour doit constater que le document du haut commandement ougandais, qui fournit la base de l'opération militaire en RDC, fait état d'une série d'exigences de sécurité de nature essentiellement préven- tive: par exemple, empêcher que ne s'établisse un vide politique, empêcher que le Soudan n'utilise le territoire de la RDC pour déstabiliser l'Ouganda, ou en- core empêcher des attaques futures contre l'Ouganda(§ 143).

33. Il faut ajouter que toute une série d'actes« d'agression» dont se plaint l'Ouganda ne relèvent pas de forces armées de la RDC mais de groupes para- militaires. Ils ne sont pas attribuables à la RDC, car aucune preuve de l'impli- cation indirecte de celle-ci n'a été établie. Ces actes ne donnent pas lieu, dès lors, à un droit de légitime défense(§ 146). D'ailleurs, l'Ouganda n'a même pas signalé ces actes au Conseil de sécurité, comme il était tenu de le faire s'il s'agissait de l'exercice du droit de légitime défense, en application de l'article 51 de la Charte des Nations Unies (§ 145). La Cour ajoute, obiter, que la prise

25 Ce terme est de nous.

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d'aéroports et de villes à des centaines de kilomètres de la frontière ougandaise n'auraient, de plus, guère satisfait aux exigences de nécessité et de proportion- nalité en matière de légitime défense(§ 147).

e) L'interdiction de l'emploi de la force

34. :Cinterdiction du recours à la force constitue une pierre angulaire de la Charte des Nations Unies. :Carticle 51 y apporte une exception dans des limites strictement définies. Il n'autorise pas, au-delà du cadre strict d'une réponse à un acte d'agression armée, d'employer la force pour protéger des intérêts géné- raux de sécurité(§ 148). Or, à partir du mois d'août 1998, l'Ouganda a utilisé la force sans la justification du consentement du souverain territorial et sans rester dans les limites de la légitime défense. Cette utilisation de la force était donc illicite (§ 152). Il s'agit de violations graves de l'article 2 § 4 de la Charte26 (§ 153).

35. Quant à certains groupes paramilitaires enjeu, il n'a pas été établi qu'ils étaient créés ou contrôlés par l'Ouganda. Leurs actes ne lui sont, dès lors, pas attribuables (§ 160). Toutefois, le soutien à et l'entraînement de tels groupes comporte la violation de certaines règles de droit international : par exemple celle, exprimée dans la Résolution 2625 (1970) de 1 'Assemblée générale des Nations Unies sur les relations amicales entre Etats, reflétant du droit coutu- mier, selon laquelle tout Etat a le devoir de s'abstenir d'organiser, d'aider, de fi- nancer, de fomenter, etc., des activités subversives sur le territoire d'un autre Etat(§ 162). D'où aussi une violation du principe de non-intervention dans les affaires intérieures de la RDC (§ 164), ainsi que de sa souveraineté territoriale (§ 165).

f) L'occupation de guerre

36. Selon le droit international coutumier- reflété dans l'article 42 du Règle- ment de La Haye de 1907 annexé à la Convention IV de La Haye- un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie. :Coccupation ne s'étend qu'au territoire où cette autorité est établie et en mesure de s'exercer (critère de l'effectivité)(§ 172). La Cour doit donc s'assurer que les forces armées ougandaises n'étaient pas simplement sta- tionnées en tel ou tel endroit, mais qu'elles avaient également substitué leur propre autorité à celle du Gouvernement congolais (§ 173). La Cour arrive à la conclusion que l'Ouganda ne contrôlait dans le sens du droit de l'occupation

26 La Cour évite le terme d'agression. Voir cependant les opinions des juges Elaraby et Si mm a.

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que la province d'Ituri, à la tête de laquelle il avait placé un gouverneur. Etant puissance occupante dans ce district, l'Ouganda est responsable des actes et omissions de ses forces armées, y compris de tout défaut de vigilance pour pré- venir les violations des droits de 1 'homme et du droit international humanitaire par tout acteur quelconque sur le territoire occupé(§ 179).

g) Violation des droits de l'homme et du droit international humanitaire

37. La Cour doit se poser ici d'abord une question de recevabilité des demandes afférentes aux événements de Kisangani (massacres, pillages, etc.). En effet, l'Ouganda allègue l'absence d'une tierce partie indispensable. Le Rwanda, qui avait participé à ces événements, n'est pas partie à la présente instance et n'a pas donné son consentement à les voir traiter par la Cour. Selon l'Ouganda, les intérêts juridiques du Rwanda constitueraient en l'espèce« l'objet même» du litige, si bien que la règle de l'Or monétaire27 (reprise en l'affaire du Timor Oriental, 1995) s'appliquerait. Cette règle veut que la Cour ne puisse pas exer- cer sa compétence si elle doit au préalable trancher les droits et/ou les obliga- tions d'un Etat non-partie à l'instance qui refuse d'y donner son consentement.

38. Selon la Cour, les droits et intérêts du Rwanda ne forment pas l'objet même du litige. Contrairement à l'affaire de l'Or monétaire, il ne faut pas tran- cher au préalable les droits et intérêts du Rwanda afin de pouvoir ensuite connaître des droits et intérêts des parties à l'instance. Au contraire, c'est uni- quement l'attitude de l'Ouganda qui est ici en cause. Dans la mesure où l'action de l'Ouganda était conjointe à l'action du Rwanda, le prononcé de la Cour n'aura qu'un effet indirect (par réflexe) sur celle du Rwanda. Il s'agit donc d'un cas similaire à celui de Certaines terres à phosphates de Nauru (1992), dans le- quel la Cour avait opéré cette distinction: «En l'espèce, les intérêts de la Nou- velle-Zélande et du Royaume-Uni ne constituent pas 1' objet même de la déci- sion à rendre sur le fond de la requête de Nauru et la situation est à cet égard différente de celle dont la Cour a connu dans l'affaire de l'Or monétaire. En ef- fet, dans cette dernière affaire, la détermination de la responsabilité de 1' Alba- nie était une condition préalable pour qu'il puisse être statué sur les prétentions de l'Italie. Dans la présente espèce, la détermination de la responsabilité de la Nouvelle-Zélande ou du Royaume-Uni n'est pas une condition préalable à la détermination de la responsabilité de l'Australie, seul objet de la demande de Nauru. »28

27 Voir CIJ, Recueil, 1954, p. 30-33.

28 CU, Recueil, 1992, p. 261, §55.

1Q(\ <:7T!=i~ /R<:DTF. 1/2006

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Dès lors, en application de cette règle de Nauru, l'exception de l'Ouganda est écartée(§ 204).

39. Comment apprécier les faits invoqués par la RDC ? La Cour prendra surtout en considération les éléments de preuve contenus dans une série de do- cuments des Nations Unies :par exemple le Rapport du Rapporteur spécial de la Commission des droits de 1 'homme, les rapports de la MONUC, les Résolu- tions du Conseil de sécurité,29 etc. Il en ressort une concordance suffisante quant aux événements principaux. Il en ressort surtout que l'Ouganda n'a pas distingué suffisamment, dans ses opérations militaires, entre les civils et les combattants, par exemple en recourant à des bombardements aveugles(§ 208);

qu'il a incité certains conflits ethniques, producteurs de violence, par exemple entre les Hema et les Lendu (§ 209); que ses troupes ont assisté à des massacres sans intervenir(§ 209); qu'il y a eu recrutement forcé d'enfants soldats(§ 210);

etc. La question de savoir si les instructions données ont été observées ou ont été violées n'a pas d'incidence. En effet, selon une règle bien établie du droit coutumier - exprimée à 1' article 3 de la Convention de La Haye IV de 1907 et par 1' article 91 du Protocole additionnel I de 1977- une partie à un conflit armé est responsable de tous les actes des personnes qui font partie de ses forces ar- mées(§ 214). Il s'agit là d'une responsabilité stricte, de type objectif.

40. Pour ce qui est des rapports entre le droit des droits de l'homme et le droit international humanitaire (DIH), la Cour renvoie à son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l'édification d'un mur (2004). Elle rappelle que la protection des droits de 1 'homme ne cesse pas en cas de conflit armé, sauf dans la mesure de ce que permettent les clauses dérogatoires du type de 1' article 4 du Pacte sur les droits civils et politiques de 1966. C'est dire qu'il y a norma- lement application parallèle du droit des droits de 1 'homme et du DIH. En par- ticulier, les instruments des droits de l'homme sont applicables aux actes d'un Etat agissant dans 1' exercice de sa compétence en dehors de son propre terri- toire, particulièrement dans un territoire occupé ( § 216).

41. La Cour énumère ensuite les sources du droit applicable en 1' espèce, no- tamment le Règlement de La Haye de 1907 (à titre de droit coutumier puisque aucune des deux parties à l'instance n'est liée par cet instrument); la Conven- tion IV de Genève (1949) ; le Pacte des droits civils et politiques de 1966 ; le Protocole additionnel I aux quatre Conventions de Genève, de 1977 ; la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (1981); la Convention des droits de 1' enfant (1991) ; etc. Ensuite, la Cour précise quelles dispositions de ces tex- tes ont été violées: par exemple les articles 25, 27, 28, 43, 46, 47 du Règlement de La Haye (à titre de droit coutumier); les articles 27, 32, 53 de la Convention

29 Par exemple la Résolution 1304[2000].

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IV de Genève de 1949 ; les articles 6 et 7 du Pacte de 1966 ; les articles 48, 51, 52, 57, 58,75 du Protocole additionnel Ide 1977; etc. Ces violations engagent la responsabilité internationale de 1 'Ouganda(§ 220).

h) L'exploitation illicite des ressources naturelles de la ROC 42. La Cour admet la valeur probante de documents émanant d'un groupe d'ex- perts des Nations Unies et de ceux de la Commission Porter établie conjointe- ment par les deux Etats pour enquêter sur les faits liés aux opérations violentes dans leurs territoires respectifs. Ces sources attestent une exploitation de res- sources naturelles congolaises (diamants, or, café, etc.) par des militaires et des civils ougandais, et ce à grande échelle. La Cour n'estime pas prouvé que l'Ou- ganda avait une politique gouvernementale, c'est-à-dire délibérée, à ce propos.

Mais elle estime prouvé que des actes de pillage ont eu lieu de manière répétée et systématique, et qu'aucune mesure appropriée n'a été prise par l'Ouganda pour y mettre un terme(§§ 237ss).

43. Selon la Cour, le principe de la souveraineté permanente sur les ressour- ces naturelles, tel que reconnu dans une série de Résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies- et qui est désormais de droit coutumier-, n'est pas applicable aux cas de pillage de ressources naturelles par des membres de l'armée d'un Etat intervenant militairement sur le territoire d'un autre Etat (§ 244). En revanche, il y a certainement une violation du jus in bello dans le cadre du droit de l'occupation de guerre: il y a eu notamment violation des ar- ticles 47 du Règlement de La Haye (1907), à titre de droit coutumier, et de l'ar- ticle 33 de la Convention IV de Genève de 1949, qui interdisent le pillage. En tant que puissance occupante, l'Ouganda avait aussi le devoir de prévenir le pillage par toute personne quelconque ; or, il l'a plutôt favorisé qu'empêché (§ 248). I.:Ouganda est internationalement responsable de ces actes et omis- sions (§ 250).

i) Les conséquences juridiques des violations du droit international par l'Ouganda

44. La RDC demande trois choses : ( 1) la cessation ; (2) des garanties et assu- rances de non-répétition; (3) la réparation. Selon la Cour, la demande de cessa- tion n'a plus d'objet, puisqu'il n'est pas prouvé que des violations continuent à se commettre sur le territoire congolais après le retrait des troupes ougandaises (§ 254). Quant aux garanties de non-répétition, la Cour estime que la RDC a déjà obtenu satisfaction sur ce point par l'engagement conventionnel relatif à la sécurité dans la région des Grands Lacs (2004) dans lequel les trois Etats en conflit (le Rwanda, l'Ouganda et la RDC) se sont commis, entre autres, à

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respecter 1 'intégrité territoriale respective (§ 257). La Cour attend et exige des parties qu'elles se conforment à ces obligations conventionnelles, qui reflètent de surcroît les obligations du droit international général. Pour ce qui est de la ré- paration, la RDC ne demande à la Cour qu'une déclaration de principe, réser- vant la fixation des montants dus à des négociations directes entre les parties, et, le cas échéant, à une phase ultérieure de la procédure. La Cour se borne en conséquence à rappeler le principe du devoir de réparer découlant d'un fait internationalement illicite.

45. La RDC fait valoir également que l'Ouganda a violé l'ordonnance de la Cour en indication de mesures conservatoires. La Cour rappelle que ces ordon- nances ont un caractère obligatoire, comme il découle de l'affaire LaGrand (2001) (§ 263). Or, l'Ouganda ne s'y est pas conformé de 2000 à 2003, entre le prononcé des mesures et le retrait des troupes. Ce fait engage sa responsabilité (§ 264).

j) Les demandes reconventionnelles ougandaises

46. I.:Ouganda a formulé trois demandes reconventionnelles. L'une d'entre el- les, relative à la violation de 1 'Accord de Lusaka, a été déclarée irrecevable par la Cour dans une ordonnance antérieure, faute de « connexité » avec 1 'objet de la demande de la RDC. Quant aux deux autres requêtes, la RDC soulève des ex- ceptions préliminaires de recevabilité, par analogie avec la procédure prévue à l'article 79 du Règlement de la Cour en matière d'exceptions formulées à l'en- contre de requêtes principales. La RDC peut-elle soulever de telles exceptions au stade actuel de la procédure, ou alors la question de la recevabilité des de- mandes reconventionnelles a-t-elle été définitivement tranchée par la Cour dans son ordonnance de 2001 ? Selon la Cour, dans cette ordonnance préalable, elle n'a statué que sur un seul motif d'irrecevabilité : celui de la connexité avec la demande principale requise par 1 'article 80 du Règlement de la CIJ. Toute autre exception préliminaire peut encore être soulevée au stade actuel, car elle n'a pas fait l'objet de la procédure de 2001 (§§ 271-273). A une recevabilité à objet spécial (connexité) s'oppose ainsi une recevabilité à objet général. Ces excep- tions générales ont été soulevées par la RDC dans la première pièce écrite après la présentation des demandes reconventionnelles, ce qui est approprié(§ 274).

47. La première demande reconventionnelle a trait à des opérations armées de la RDC contre 1' Ouganda. A la suite de ce que proposait la RDC, la Cour distingue diverses périodes.

Quant à la première période (celle du Zaïre avant l'accession au pouvoir de L. D. Kabila), la RDC plaide une renonciation implicite de l'Ouganda de pré- senter toute réclamation. Or, selon la Cour, la renonciation à un droit doit être expresse ou résulter sans équivoque du comportement d'un Etat (elle rappelle

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ici le précédent de l'affaire de Nauru, 1992). Une telle renonciation non équi- voque n'existe pas en l'espèce(§ 293). En particulier, il est impossible de dé- duire du simple rapprochement politique entre les deux Etats lors de la pre- mière phase de la prise de pouvoir deL. D. Kabila que l'Ouganda ait renoncé à ses droits (§ 294). De plus, l'écoulement du temps avant la présentation de la demande ne paraît pas excessif au vu des circonstances (§ 295). Quant au fond, l'Ouganda n'a pas produit des preuves suffisantes de l'implication du Zaïre dans les attaques menées contre le territoire ougandais (§ 298). Il est en revan- che incontestable que des attaques de groupes rebelles eurent lieu à partir du territoire zaïrois, ce qui met en jeu le devoir de vigilance de l'Etat territorial de ne pas permettre des actes contraires aux droits d'autres Etats à partir de son territoire : la Cour cite ici à nouveau la Résolution 2625 sur les relations amica- les à titre de droit coutumier(§ 300). Or, selon la Cour, le Zaïre n'a pas toléré les rebelles au sens que le droit international donne à ce terme. Il n'était pas clans son pouvoir d'arrêter complètement ces activités. D'ailleurs, les efforts conjoints de la RDC et de l'Ouganda dans la phase successive n'y sont pas par- venus non plus(§ 301).

Lors de la seconde phase (après 1' accession au pouvoir du Président Kabila), il y a eu coopération entre les deux Etats pour combattre les rebelles ; on est loin d'avoir des preuves d'un soutien de la RDC à ces rebelles (§§ 302-303).

Enfin, quant à la troisième phase (après août 1998), la RDC était en droit d'exercer la légitime défense contre la présence illégale des troupes ougan- daises sur son territoire. De plus, il n'y a toujours pas de preuve convaincante de l'implication de la RDC dans le soutien à des bandes d'irréguliers(§ 304).

En conclusion, la première demande reconventionnelle est intégralement rejetée.

48. La deuxième demande reconventionnelle a trait à des attaques contre le personnel et les locaux diplomatiques ougandais en RDC. La RDC fait valoir deux motifs d'irrecevabilité.

D'abord elle affirme qu'en invoquant désormais pour la première fois la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (1961), l'Ouganda tente abusivement d'élargir l'objet du différend contrairement aux règles de procé- dure et à 1 'ordonnance de 200 l. Or, comme la Convention de Vienne de 1961 s'applique même en cas de conflit armé, et que les demandes ougandaises concernent une utilisation illicite de la force, le critère de connexité est satisfait (§§ 325-326).

Selon une seconde exception préliminaire d'irrecevabilité, l'Ouganda s'ap- puierait du moins partiellement sur la protection diplomatique en faveur de cer- tains de ses ressortissants. Or, il n'aurait pas démontré avoir satisfait aux condi- tions posées pour l'exercice d'une telle protection, notamment l'épuisement des

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