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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de justice en 2018

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de justice en 2018

KOLB, Robert

KOLB, Robert. Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de justice en 2018.

Swiss Review of International and European Law , 2019, vol. 29, no. 1, p. 35-65

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135557

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Chronique de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice en 2018

Robert Kolb*

Table des matières

I. Introduction : questions générales

II. L’affaire relative à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’Océan Pacifique ; et Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt du 2 février 2018

A. Résumé B. Commentaires

III. L’affaire relative à Certaines Activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), Indemnisation, arrêt du 2 février 2018

A. Résumé B. Commentaires

IV. L’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée-Equatoriale c. France), Exceptions préliminaires, arrêt du 6 juin 2018

A. Résumé B. Commentaires

V. L’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à l’Océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt du 1er octobre 2018

A. Résumé B. Commentaires

I. Introduction : questions générales

1. L’année 2018 aura été marquée par des afflux importants et parfois aventureux au rôle de la Cour, alors que la Haute Juridiction disposait de quatre contentieux, au préliminaire ou sur le fond, et prenait deux ordonnances en indication de mesures conservatoires. La jurisprudence de la Cour continue à être marquée par l’attentisme prudent et la tendance à s’abriter dans les havres d’un certain conservatisme. L’envi- ronnement international n’est pas favorable à la hardiesse. Des arrêts comme celui

* Professeur de droit international public à la Faculté de droit de l’Université de Genève ; Membre du Comité de rédaction.

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dans l’affaire Nicaragua de 1984 et 1986 sont aujourd’hui presque inimaginables : sic transit gloria mundi ! Il n’est pas suggéré ici que cette politique judiciaire soit néces- sairement erronée. On peut toutefois parfois la regretter, en particulier quand elle s’accompagne d’une motivation des arrêts tendant à se faire un peu courte (alors que la brièveté est généralement bienvenue). L’impression est que la Cour a peur d’ouvrir les portes à des évolutions qu’elle craint – comme par exemple d’empêcher les Etats de consentir à négocier, de peur d’être ensuite juridiquement liés – mais qu’en même temps elle ne donne peut-être plus assez d’attention aux circonstances particulières des espèces. La « politique judiciaire générale », visant à rassurer les Etats, prend alors le dessus sur la « politique judiciaire spéciale », visant à régler les espèces en tenant compte de tous les facteurs multiples concourant à profiler le cas individuel. Peut-être la Cour devra-t-elle être plus attentive à équilibrer ces deux volets de son activité. Le point saillant de l’année 2018 est toutefois que la Cour reste très « populaire » parmi les Etats. Elle est saisie de plus en plus souvent et de plus en plus facilement. Malgré les instabilités géopolitiques marquées, la « juridictionnalisation » des relations in- ternationales se continue. Et dans cette vague de fond, la « cij-sation » n’est pas en reste.

2. Le rôle de la Cour continue à fortement évoluer. Ce jour de Noël 2018, dix-sept affaires sont pendantes (dont une demande d’avis consultatif) et deux sont en déli- béré (Certains actifs iraniens et Archipel Chagos). En 2017, dix-sept affaires étaient pendantes ; en 2018, la Cour en a tranchées trois et il y a eu deux désistements ; cinq nouvelles affaires sont venues se placer sur le rôle. Le rôle ne progresse plus pour le moment, après le grand bond de 2017 ; mais il évolue de manière très dynamique.

La première nouvelle requête a été déposée le 19 mars 2018 par le Guyana contre le Venezuela1. Dans sa requête, le Guyana prie la Cour de confirmer la validité juri- dique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale du 3 octobre 1899 relative à la frontière entre la colonie de Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela. Le demandeur fait valoir que cette sentence règle définitivement toutes les questions in- téressant la détermination de la frontière des deux Etats. Le Venezuela, quant à lui, la contestait pour la première fois en 1962. Est ainsi porté devant la CIJ un différend concernant la souveraineté territoriale et le tracé de la frontière, ainsi que la validité d’une sentence arbitrale internationale. Il s’agit là d’un type de différend très fré- quent à la Cour.

La deuxième nouvelle requête a été introduite par le Qatar le 11 juin 2018 contre les Emirats arabes unis à raison de violations alléguées de la Convention sur l’élimi- nation de toutes les formes de discrimination raciale (1965)2. Le Qatar prétend que les EAU ont mis en œuvre un ensemble de mesures discriminatoires qui ciblent les Qataris au motif de leur origine nationale, comme par exemple des expulsions, le

1 Communiqué de presse no 2018/17.

2 Communiqué de presse no 2018/26.

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refus d’accès au territoire, la fermeture de l’espace aérien et des ports, etc. Le Qatar affirme que ces mesures des EAU violent les droits de l’homme et aussi ses droits propres. La compétence de la Cour est fondée sur la clause compromissoire contenue dans l’article 22 de la Convention mentionnée.

La troisième nouvelle requête a été déposée le 4  juillet 2018 par le Bahreïn, l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis pour faire appel contre une dé- cision rendue par le Conseil de l’OACI sur requête du Qatar3. La saisine a été fondée sur l’article 84 de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Conven- tion de Chicago de 1944). Une deuxième requête des Etats demandeurs a été fondée sur l’article II, section 2, de l’Accord relatif au transit des services aériens internatio- naux de la même année. Les Etats demandeurs font valoir qu’ils avaient titre à prendre les mesures restrictives du trafic aérien dont se plaint de Qatar en tant que contre-me- sures pour la violation de la part de ce dernier des Accords de Riyad en vertu desquels le Qatar s’engageait à cesser d’appuyer, de financer ou d’héberger des personnes ou des groupes terroristes.

La quatrième nouvelle requête a été introduite par l’Iran contre les Etats-Unis d’Amérique le 16 juillet 2018, au sujet d’un différend concernant des violations allé- guées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires signé par les deux Etats en 19554. La requête porte sur la décision des Etats-Unis de rétablir pleinement les

« sanctions » contre l’Iran. Selon ce dernier, ces « sanctions » violeraient plusieurs dispositions du traité de 1955. Pour fonder la compétence de la Cour, l’Iran invoque l’article XXI, § 2, du Traité de 1955, qui contient une clause compromissoire.

La cinquième nouvelle requête a été déposée par la Palestine contre les Etats-Unis d’Amérique le 28 septembre 20185. La Palestine fait valoir que la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu, et le transfert de l’am- bassade américaine vers Jérusalem, viole diverses dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961. Pour le demandeur, il découle de cette Convention que la mission diplomatique d’un Etat accréditant doit être établie sur le territoire de l’Etat accréditaire. Elle ne le serait plus en se transférant à Jérusalem.

Pour fonder la compétence de la Cour, le demandeur invoque l’article 1 du Protocole de signature facultative à la Convention sur les relations diplomatiques de 1961, concernant le règlement obligatoire des différends. De plus, conformément à la Réso- lution 9 du Conseil de sécurité de 1946 et à l’article 35, § 2, du Statut de la Cour, la Palestine a déposé une déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour comme Etat non-partie au Statut de la CIJ. Cette affaire intéressante soulèvera plusieurs as- pects relatifs à la compétence de la Cour et à la faculté de celle-ci de l’exercer, si elle

3 Communiqué de presse no 2018/32.

4 Communiqué de presse no 2018/34.

5 Communiqué de presse no 2018/47.

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devait la posséder, voire à la recevabilité de la requête6 : il y aura d’abord la question de la qualité étatique de la Palestine ; ensuite la question de l’intérêt pour agir de la Pa- lestine dans une relation juridique qui concerne en premier lieu les Etats-Unis et Is- raël ; encore le problème de l’Etat tiers non consentant dont les positions juridiques subjectives doivent être tranchées au préalable avant que la Cour puisse statuer sur le cas dont elle est saisie (principe de l’Or monétaire) ; et aussi, sur le fond, se pose ma- nifestement la question de savoir dans quelle mesure la Convention exige une pré- sence physique sur le territoire, alors que la pratique des relations diplomatiques s’en écarte non rarement.

Il y a eu aussi deux désistements. Par une lettre datée du 28 mai 2018, la Malaisie a notifié à la Cour qu’elle et Singapour étaient convenus d’un désistement des deux affaires relatives à la Demande en révision de l’arrêt du 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca / Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie c. Singapour) ; et Demande en interprétation de l’arrêt du 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca / Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie c. Singapour). En conséquence, le 19 mai 2018, la Cour a rendu une ordonnance prenant acte du désistement et rayant ces affaires du rôle7.

3. Le rôle de la Cour en est dès lors à l’état suivant. Dix-sept affaires sont actuel- lement pendantes : Projet Gabcíkovo-Nagymaros (Hongrie / Slovaquie) ; Activités ar- mées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda) ; Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà des 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie) ; Violations alléguées de droits souve- rains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie) ; Déli- mitation maritime dans l’Océan Indien (Somalie c. Kenya) ; Différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala (Chili c. Bolivie) ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) ; Certains actifs iraniens (Iran c. Etats-Unis d’Amérique) ; Application de la Convention internationale pour la répression du finan- cement du terrorisme et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie) ; Jadhav (Inde c.

Pakistan) ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (avis consultatif) ; Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela) ; Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis) ; Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la Convention relative à l’aviation ci- vile internationale (Arabie saoudite, Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar) ; Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’Accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Arabie saoudite,

6 Cf. M. Milanovic, « Palestine Sues the United States in the ICJ re Jerusalem Embassy », ejiltalk.org (30 septembre 2018).

7 Communiqué de presse no 2018/21 et 22.

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Egypte et Emirats arabes unis c. Qatar) ; Violations alléguées du Traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (Iran c. Etats-Unis d’Amérique) ; et Transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem (Palestine c. Etats-Unis d’Amérique). Les deux affaires suivantes sont actuellement (fin 2018) en délibéré : Certains actifs ira- niens (Iran c. Etats-Unis d’Amérique) et Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (avis consultatif).

Quant à leur objet, les nouvelles affaires de 2018 concernent formellement la dé- limitation territoriale ; les droits de l’homme et les droits des étrangers ; la lutte contre le terrorisme et les obligations relatives au trafic aérien ; la compatibilité de « sanc- tions » prises par un Etat à l’encontre d’un autre avec un traité ; le droit diplomatique et le devoir de non-reconnaissance de situations territoriales internationalement illi- cites. Ces nouvelles affaires contentieuses touchent à l’Amérique (une affaire), au monde arabe (deux affaires) et à des relations intercontinentales (deux affaires). Du point de vue régional, le rôle est composé par conséquent de deux affaires euro- péennes, de deux affaires africaines, d’une affaire asiatique, de quatre affaires améri- caines, de deux (ou trois, si l’on compte séparément les affaires concernant l’OACI) affaires concernant le Proche Orient et de quatre affaires intercontinentales. La dis- tribution paraît équilibrée. On notera aussi certaines affaires à haute charge politique, notamment Ukraine c. Russie, Inde c. Pakistan, Iran c. Etats-Unis et Palestine c. Etats- Unis. Les temps où la Cour n’était saisie que de contentieux relativement mineurs et / ou techniques semble pour l’instant révolu.

4. Sur le front des ordonnances en indication de mesures conservatoires, la Cour a pris en 2018 deux ordonnances. Le 23 juillet 2018, la Cour a indiqué des mesures conservatoires pour protéger certains droits allégués par le Qatar dans l’affaire de l’Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, tout en priant les parties de s’abstenir de tout acte qui risque- rait d’aggraver ou d’étendre le différend8. La Cour examine comme à son habitude sa compétence prima facie, les droits dont la protection est recherchée (plausibilité) et les mesures sollicitées (lien entre les droits à protéger et les mesures sollicitées), le risque de préjudice irréparable et l’urgence. Ensuite, le 3 octobre 2018, la Cour a indiqué des mesures conservatoires à l’effet de préserver certains droits allégués par l’Iran dans l’affaire des Violations alléguées du Traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955, tout en priant les parties de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend9. Une fois de plus, la Cour examine les éléments désormais bien consolidés de sa jurisprudence, rappelés ci-dessus. On rappellera que les mesures conservatoires de la CIJ sont contraignantes pour les parties10, à moins que la Cour n’indique expressément que des vœux.

8 Communiqué de presse no 2018/36.

9 Communiqué de presse no 2018/50.

10 Affaire LaGrand, CIJ, Recueil, 2001, p. 501ss, § 98ss.

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5. La composition de la Cour a changé en 2018. On notera tout d’abord que le Juge Yusuf a été élu président de la CIJ le 6 février 2018, et Mme la Juge Xue a été élue vice-présidente le même jour, pour des mandats de trois ans11. A la même date, ont été élus les membres de la chambre de procédure sommaire selon l’article 29 du Statut12. Le 2 mars 2018, il a été notifié que le Juge Owada démissionnerait de ses fonctions à partir du 7 juin 2018, alors que son mandat devait ordinairement prendre fin en 202113. Le 22 juin 2018, le Juge Iwasawa a été élu comme nouveau membre de la Cour en remplacement du Juge Owada14. Le Juge Iwasawa achèvera le mandat du Juge Owada, qui viendra à expiration le 5 février 2021.

6. Enfin, certains divers méritent une mention. D’abord, la Cour note que le Ni- caragua s’est entièrement exécuté de la somme qui avait été attribuée au Costa Rica dans l’arrêt de la Cour du 2 février 201815. Le versement a eu lieu le 8 mars 2018. L’exé- cution est exemplaire. Elle reflète une pratique qui n’est point rare pour ce qui concerne les arrêts de la Cour et que le profane ignore complètement. Il tend à penser que sans la contrainte du policier rien n’est exécuté (ce qui, du point de vue psycholo- gique, en dit long sur ses propres penchants).

Dès le début de l’année, le 1er février 2018, la Cour a organisé une cérémonie en reconnaissance de l’importante contribution du musée du mémorial de l’Holocauste des Etats-Unis et du mémorial de la Shoah (France) aux travaux de numérisation des archives audiovisuelles du procès de Nuremberg16. Ensuite, le mardi 16 octobre, la Cour a organisé une cérémonie de commémoration du Juge G. Guerrero, dernier président de la CPJI et premier président de la CIJ17. La cérémonie a été préparée en collaboration avec l’ambassade d’El Salvador aux Pays-Bas. Enfin, on soulignera la visite à la CIJ du président de la République du Cap-Vert, qui a exprimé le soutien de son pays à la Haute Juridiction18.

11 Communiqué de presse no 2018/10.

12 Communiqué de presse no 2018/11.

13 Communiqué de presse no 2018/14.

14 Communiqué de presse no 2018/29.

15 Communiqué de presse no 2018/15.

16 Communiqué de presse no 2018/7.

17 Communiqué de presse no 2018/54.

18 Communiqué de presse no 2018/58.

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II. L’affaire relative à la Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’Océan Pacifique ; et Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos

(Costa Rica c. Nicaragua), arrêt du 2 février 2018

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A. Résumé

1. Par une requête en date du 25 février 2014, le Costa Rica a porté devant la Cour un différend avec le Nicaragua au sujet de l’établissement de frontières maritimes uni- ques délimitant l’ensemble des espaces maritimes des deux Etats dans la mer des Ca- raïbes et l’océan Pacifique. La base de compétence invoquée est d’un côté l’article 36,

§ 2, du Statut de la CIJ et de l’autre côté l’article XXXI du Pacte interaméricain de Bogotá sur le règlement pacifique des différends de 1948. A propos de ce différend, la Cour ordonne une expertise technique en vertu des articles 48 et 50 du Statut, avec visite sur les lieux des experts.

Par une requête du 16 janvier 2017, le Costa Rica a porté devant la Cour un autre différend avec le Nicaragua, concernant l’emplacement de la frontière terrestre sépa- rant l’Isla de Portillos du cordon littoral de la lagune adjacente, ainsi que l’établisse- ment d’un campement militaire du Nicaragua sur la plage de l’île mentionnée. Par une ordonnance du 2 février 2017, la Cour a décidé de joindre les instances sur la délimitation maritime et sur l’île de Portillos.

2. Les demandes des parties sont les suivantes (§ 39ss). Le Costa Rica demande à la Cour de déterminer, dans leur intégralité, le tracé de chacune des frontières mari- times uniques délimitant l’ensemble des espaces maritimes relevant du Costa Rica et du Nicaragua dans la mer des Caraïbes et dans l’océan Pacifique par voie d’indication de coordonnées géographiques. Le Costa Rica demande aussi à la Cour de déterminer l’emplacement de la frontière terrestre du côté de l’île de Portillos et de constater l’illicéité du campement militaire du Nicaragua. Le Nicaragua, quant à lui, formule la même demande relativement à la frontière maritime. Il affirme par ailleurs que le segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head et l’embou- chure du fleuve San Juan constitue un territoire nicaraguayen. Dès lors, le campement militaire se trouve sur son territoire. Il s’ensuit que la Cour doit rejeter les demandes du Costa Rica à cet égard.

3. La Cour détermine d’abord sa compétence (§ 45–6). Elle rappelle que le Nicara- gua ne conteste pas sa compétence. La Cour considère dès lors qu’elle est compétente pour connaître des différends dont elle est saisie.

4. La Haute Juridiction se tourne ensuite vers le contexte général du différend (§ 47ss). Elle commence par décrire la géographie des lieux. Quant au contexte histo-

19 Sur cette affaire, cf. J. Rudall, « Certain Activities Carried Out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua) », AJIL, vol. 112, 2018, p. 288ss.

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rique, la Cour souligne qu’il a déjà été rappelé dans l’affaire relative à Certaines Acti- vités … en 2015. Il faut particulièrement mettre en exergue le Traité de frontières Costa Rica / Nicaragua de 1858, ratifié par les deux Etats. Selon son article II, une partie de la frontière entre les deux Etats longe la rive droite (costaricienne) du fleuve San Juan entre deux points définis. Le Nicaragua contesta la validité de ce traité et la question fut soumise à un arbitrage (« arbitrage Cleveland »). Ce dernier confirma la validité du traité et précisa que la ligne frontière entre les deux Etats commençait, sur la façade atlantique, à l’extrémité de la Punta de Castilla à l’embouchure du fleuve San Juan. Pour en déterminer le tracé complet, les deux Etats recoururent à des com- missions de démarcation nationales, soumises à un pouvoir décisionnel ultime d’un ingénieur américain (E. P. Alexander), qui rendit cinq sentences à cet égard. L’une de ces sentences précisait l’emplacement du point de départ de la frontière terrestre du côté atlantique. Depuis, la région a été marquée par d’importants changements géo- morphologiques. La Cour a précisé le cours de la frontière terrestre dans son arrêt de 2015 ; elle doit désormais se pencher sur la délimitation maritime. La Cour passe en revue les délimitations déjà effectuées dans la mer des Caraïbes, entre le Costa Rica et la Panama (1980), entre le Nicaragua et le Honduras (arrêt de la Cour de 2007), entre le Nicaragua et la Colombie (arrêt de la Cour de 2012) et entre la Colombie et le Pa- nama (1976).

5. La Cour se tourne vers la question de la frontière terrestre dans la partie septen- trionale de l’Isla de Portillos (§ 59ss). Comme elle l’a déjà rappelé, la Cour a précisé l’étendue de la souveraineté territoriale du Costa Rica dans la zone en cause dans son arrêt de 2015, aux §§ 69–70. Puisqu’il en est ainsi, la Cour doit désormais rechercher si le point soulevé dans la présente instance a déjà été tranché dans l’arrêt de 2015 pour savoir s’il y a autorité de la chose jugée. En 2015, la Cour a expressément réservé la question de la souveraineté à l’égard de la côte septentrionale de l’île et elle ne s’est pas prononcée à son égard. Dès lors, il ne saurait y avoir de res judicata. Suite à l’éva- luation des experts relative à l’état actuel des lieux, en particulier la disparition de l’ancien chenal, la Cour considère que le Costa Rica a souveraineté sur l’ensemble de l’île, jusqu’au point où le fleuve se jette dans la mer des Caraïbes. C’est le cas parce que selon l’interprétation du Traité de 1858 donné par la Cour dans son arrêt de 2015, le territoire relevant de la souveraineté du Costa Rica s’étend de la rive droite du cours inférieur du San Juan jusqu’à l’embouchure de celui-ci dans la mer des Caraïbes. Les experts ont précisé les changements morphologiques dans la région en cause, ce qui permet à la Cour d’appliquer la règle énoncée à la géographie locale. Il en découle que le point de départ de la frontière terrestre est le point où la rive droite du fleuve San Juan rejoint la laisse de basse mer de la côte de la mer des Caraïbes. Néanmoins, les parties conviennent que la lagune de Harbor Head relève de la souveraineté du Nica- ragua, ce qui inclut le cordon littoral la séparant de la mer des Caraïbes.

6. A propos des violations alléguées de la souveraineté du Costa Rica (§ 74ss), no- tamment à travers le campement militaire, la Cour doit constater qu’il y a bien eu une

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violation de la souveraineté territoriale costaricienne, d’où l’obligation à la charge du Nicaragua de retirer le campement. La Cour considère que la constatation de la vio- lation et l’injonction de retrait constituent une réparation appropriée.

7.  La Cour procède alors à la délimitation maritime dans la mer des Caraïbes (§ 79ss). Elle se penche d’abord sur le point de départ de la délimitation maritime. La grande instabilité de la côte dans la zone de l’embouchure du fleuve San Juan ne per- met pas d’identifier un point fixe susceptible de servir de point de départ. Il est ainsi préférable de retenir un point fixe en mer, à deux milles marines des côtes, situé sur la ligne médiane, et de le relier au point de départ sur la côte avec une ligne mobile.

Ensuite, il revient à la Cour de procéder à la délimitation de la mer territoriale (§ 90ss). L’article 15 de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer (1982), applicable entre les parties, prévoit comme règle applicable ‹l’équidistance / circons- tances spéciales›. Conformément à sa jurisprudence, la Cour procédera par deux étapes : elle tracera une ligne médiane provisoire et vérifiera si des circonstances spé- ciales en appellent l’ajustement. La Cour retient les points de base situés sur la côte naturelle, y compris certains points placés sur des îles et des rochers. L’effet de la légère concavité / convexité de la côte à l’ouest de l’embouchure du San Juan ne porte guère à conséquence et ne constitue donc pas une circonstance spéciale. Il faut toutefois reconnaître comme circonstance spéciale la grande instabilité et l’étroitesse de la flèche littorale à proximité de l’embouchure du San Juan, d’où un certain ajustement dans le choix des points de base. Enfin, il y a la petite enclave du Nicaragua vers Har- bor Head. Si elle devait se voir attribuer une mer territoriale, celle-ci serait peu utile au Nicaragua tout en brisant la continuité de la mer territoriale du Costa Rica. Dans ces conditions, il ne sera pas tenu compte d’un quelconque droit découlant de l’en- clave. La Cour indique alors les coordonnées de la ligne médiane retenue.

La Cour doit maintenant s’occuper de la délimitation de la zone économique ex- clusive et du plateau continental (§ 107ss). Les articles 74 et 83 de la Convention de Montego Bay (1982) sont applicables. Dans une première étape, la Cour précise les côtes pertinentes, c’est-à-dire les côtes générant des projections qui chevauchent celles de la côte de la partie adverse. Toute la côte septentrionale du Costa Rica est perti- nente ; et la côte du Nicaragua l’est jusqu’à la Punta Gorda, où sa direction change sensiblement. La Cour y inclut les côtes des îles du Maïs, mais non celles des Cayos de Perlas, rochers qui ne génèrent pas de projection maritime pertinente. Cela donne 228,8 kilomètres de côtes pertinentes pour le Costa Rica et 465,8 kilomètres pour le Nicaragua, pour un rapport de 1 : 2,04. Deuxième étape : définition de la zone perti- nente. Elle correspond à la partie de l’espace maritime dans laquelle les droits poten- tiels des parties se chevauchent. Cela exclut des zones relevant d’Etats tiers. Au nord, la zone de chevauchement comprend l’intégralité des eaux situées en deçà de 200 milles marins de la côte du Costa Rica. Au sud, la situation est plus compliquée à cause des revendications d’Etats tiers. La Cour peut s’y référer mais non se prononcer sur leur bien-fondé. Ainsi la Cour écarte le Traité entre le Panama et la Colombie de

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1976, puisqu’il concerne des Etats tiers à l’instance. Troisième étape : la ligne d’équi- distance provisoire. La Cour retient comme points de base les îles du Maïs (dotées d’une population importante) qui génèrent leurs zones maritimes. Les formations mineures (par exemple les Cayos de Palmenta) ne génèrent pas de zone économique exclusive ou de plateau continental mais peuvent être assimilées à la côte et servir dès lors comme points de base. La Cour construit ainsi la ligne d’équidistance provisoire, indiquant les coordonnées des points qu’elle relie. Quatrième étape : ajustement de la ligne d’équidistance provisoire. Le but est de parvenir à un résultat équitable, comme le prescrivent les dispositions applicables de la Convention de 1982. Selon la Cour, une première circonstance spéciale est l’effet excessif des îles du Maïs sur la ligne d’équidistance, vu leur distance de la côte (26 milles marins) et leur taille modeste.

La Cour leur attribue donc un demi-effet. Au contraire, les concavités / convexités invoquées par les parties ne portent pas suffisamment à conséquence pour justifier un ajustement de la ligne. La Cour indique ensuite le tracé de la ligne d’équidistance ajustée et le simplifie un peu. Cinquième étape : la vérification de l’absence de dispro- portion. La zone pertinente peut être approximativement définie, même si la Cour ne peut se prononcer sur les revendications d’Etats tiers. Or, il n’y a pas de disproportion marquée : le ratio est de 1 : 2,4 pour les espaces, et de 1 : 2,04 pour les côtes, en faveur du Nicaragua.

8. Le Cour doit désormais procéder à la délimitation maritime dans l’océan Paci- fique (§ 167ss). Le point de départ de la délimitation découle de l’accord entre les parties. Il se situe au milieu de la ligne de fermeture de la baie de Salinas.

La Cour délimite ensuite la mer territoriale (§ 170ss). La règle applicable a été rappelée plus haut. Les parties s’accordent largement sur les points de base. La Cour retient une ligne médiane sans ajustement. L’ajustement proposé par le Nicaragua aurait un effet d’amputation sur les projections côtières du Costa Rica. La Cour in- dique ensuite le tracé précis de la ligne médiane.

Vient alors la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau conti- nental (§ 176ss). Première étape : la détermination des côtes pertinentes. La côte du Nicaragua est rectiligne, celle du Costa Rica est sinueuse. La Cour préfère retenir des lignes droites. L’intégralité de la côte du Nicaragua est pertinente (292,7 km) ; en ce qui concerne le Costa Rica, deux segments de sa frontière sont pertinents, c’est-à-dire génèrent des chevauchements de zones maritimes respectives. Deuxième étape : défi- nition de la zone pertinente. La Cour procède directement à la description géogra- phique de la zone pertinente. Troisième étape : la ligne d’équidistance provisoire. Les parties s’accordent sur les points de base ; la Cour les retient et indique la ligne d’équi- distance qu’ils génèrent. Quatrième étape : ajustement de la ligne d’équidistance pro- visoire. Selon la Cour, l’effet de la péninsule Santa Elena sur la ligne d’équidistance est excessif et produit un effet d’amputation. Elle accorde donc un demi-effet à cette formation. Au contraire, la péninsule de Nicoya a une masse continentale considé- rable et constitue une part appréciable du littoral costaricien. De plus, l’on ne saurait

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dire que sa direction s’écarte de la direction générale de la côte du Costa Rica. Il faut donc lui attribuer un plein effet. La Cour indique ensuite le tracé précis de la ligne, qu’elle simplifie un peu. Cinquième étape : vérification de l’absence de disproportion.

Le rapport des côtes pertinentes est de 1 : 1,42 et celui des zones attribuées est de 1 : 1,30 en faveur du Costa Rica. Il n’y a pas de disproportion flagrante.

9. Dispositif (§ 205). La Cour déclare recevable la demande du Nicaragua relative à la souveraineté vers l’Isla de Portillos par 15 voix contre 1 (contre : le Juge Robin- son). Elle dit que le Costa Rica a la souveraineté sur la partie septentrionale de l’Isla de Portillos par 14 voix contre 2 (contre : les Juges Gevorgian et Al-Khasawneh, ad hoc). Elle dit qu’il y a eu violation de la souveraineté du Costa Rica par le campement militaire par 14 voix contre 2 (id.). Elle dit que le Nicaragua doit retirer son campe- ment militaire à l’unanimité. Et elle fixe les frontières maritimes à l’unanimité. – Les Juges Tomka, Sebutinde, Gevorgian, Simma (ad hoc) et Al-Khasawneh (ad hoc) joignent une déclaration à l’arrêt. Les Juges Xue et Robinson joignent une opinion individuelle à l’arrêt. Enfin, le Juge Al-Khasawneh (ad hoc) joint en plus une opinion dissidente à l’arrêt.

B. Commentaires

10. Ce qui frappe de prime abord le lecteur du présent arrêt solidement motivé est le degré de clarification du droit et de perfectionnement de la démarche de la Cour en matière de délimitations maritimes en 2018, quand on les compare avec les tâtonne- ments quelque peu balbutiants des précédents situés entre 1969 et 198620. Ce fait notable est dû en partie à l’abandon du principe de ‹l’équité / circonstances perti- nentes›, comme droit applicable à ces délimitations, en faveur d’une approche plus réglementée basée sur ‹l’équidistance / circonstances spéciales›. Sous l’étoile polaire de cette approche plus encline à structurer les débats, par réduction de la complexité des myriades de circonstances pertinentes dans la constellation de l’équité « auto- nome »21, la Cour a pu peu à peu adopter un schéma d’analyse en cinq étapes, qu’elle applique avec une aisance quasiment mozartienne dans le présent arrêt. Les diverses

« circonstances » inclassables et uniques de cas en cas étaient sous l’ancienne ap- proche (la doctrine du « résultat équitable ») le point de départ du raisonnement.

L’esprit de synthèse s’y perdait en méandres, labyrinthes et anfractuosités, et les lignes retenues comme étant globalement équitables sortaient des écumes un peu comme autant de Deus ex machina (et regrettablement guère comme Aphrodite à la chevelure balayée par le vent). Sous la nouvelle bannière, le point de départ est une règle, à savoir

20 Cf. R. Kolb, Case Law on Equitable Maritime Delimitation, Digest and Commentaries / Jurisprudence sur les délimitations maritimes selon l’équité, Répertoire et commentaires, français / anglais, La Haye / Londres / New York, 2003.

21 Sur ce terme, cf. P. Weil, Perspectives du droit de la délimitation maritime, Paris, 1988, p. 173ss.

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l’équidistance entre des points de base. Ainsi, la projection d’une règle-méthode per- met de visualiser instantanément une ligne approximative. L’équité vient dans un deuxième temps corriger les injustes rigueurs de la nature (que la Cour refait un peu, mais qu’elle se refuse de refaire entièrement). Et en fin de parcours, la Haute Juridic- tion lisse encore un peu la ligne obtenue, pour encore plus de commodité – quel ser- viteur affable et appliqué ! En somme, le fait indomptable et multiple était le punctum saliens de l’ancienne approche ; une ligne provisoire et une méthode normative à sa base en est celui de la nouvelle approche. La règle était naguère brisée comme la lu- mière spectrale, ployée sous le poids des unicités factuelles. Alors que dans la nouvelle approche, le fait multiple et irisant est domestiqué par la cage d’une règle qui fixe une ligne – et l’on comprend aisément que la Cour ne retouchera le plus souvent que ponctuellement cette ligne, constituant désormais le fait normatif premier.

A la lumière de ces considérations, on mesure le chemin parcouru par la Cour et l’on se demande si dans ces affaires de délimitation maritime la messe est dite, si, en d’autres termes, la Cour est arrivée quelque part à la « fin de l’histoire » et ce en cinq étapes. Peut-être qu’il faut le souhaiter, au regard de l’appréciable sécurité juridique obtenue, d’autant plus que la Cour sait par compensation se montrer peu avare en corrections nécessaires eu égard à des circonstances spéciales. Il n’est pas impossible qu’elle catégorise encore un peu plus les « circonstances spéciales » à l’avenir, définis- sant plus précisément le type d’effet qu’elles produisent. De même y aura-t-il peut-être des nuances de « spécialité » des circonstances que la Cour aura classées – à moins, comme on l’a dit, qu’elle préfère arrêter là où il en est ce jour le processus constant de clarification du droit de la délimitation maritime entamé en 1986 (avec l’arrêt Libye c. Malte) et poursuivi jusqu’en 2018, avec ce nouveau fleuron dans sa collection.

11. Le détail de cette affaire appelle peu de commentaires dans cette brève Chro- nique. On relèvera seulement que le contexte factuel de cette affaire fournit un précé- dent pour des situations point trop rares dans les affaires maritimes où une zone est caractérisée par de fortes instabilités géomorphologiques. La Cour montre comment il est possible de procéder dans ces cas, en fixant certains points de base « artificiels » et en acceptant des lignes de délimitation mobiles sur un petit espace proche des côtes. On notera aussi sa jurisprudence désormais bien consolidée sur le ‹demi-effet›

des îles d’importance moyenne ou faible. Pour rappel, le demi-effet consiste à tracer une ligne d’équidistance en tenant compte des îles en cause et une ligne sans en tenir compte, et d’ensuite prendre la bissectrice de ces lignes.

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II. L’affaire relative à Certaines Activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), Indemni- sation, arrêt du 2 février 2018

A. Résumé

1. En 2010, le Costa Rica avait introduit une instance contre le Nicaragua, que la Cour avait jugée dans l’affaire de Certaines Activités (2015)22. Les parties n’ayant pu se mettre d’accord sur l’indemnité que le Nicaragua doit au Costa Rica en application de cet arrêt, la Cour est appelée à procéder au règlement de cette question suite à une saisine par le Costa Rica. Dans leurs conclusions, les deux parties divergent fortement sur les sommes dues en indemnité.

2. Les principes juridiques applicables (§ 21ss). La Cour souligne que la violation d’une obligation juridique entraîne l’obligation de réparer intégralement le dom- mage. Dans la présente espèce, il s’agit de déterminer le montant de l’indemnité due.

Pour le fixer, la Cour déterminera si les chefs de dommages avancés sont établis et s’il y a un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait internationalement illicite et le préjudice. La charge de la preuve incombe au demandeur. Mais cette règle doit être appliquée avec une certaine souplesse, notamment lorsque le défendeur est mieux à même d’établir certains faits. S’agissant de dommages environnementaux, leur existence et la causalité peuvent soulever des difficultés particulières. Si un dom- mage ne peut être déterminé avec certitude, la Cour peut recourir à des considéra- tions d’équité.

3. Les dommages environnementaux (§ 39ss). De tels dommages sont susceptibles d’indemnisation en droit international, notamment pour la dégradation, la perte et la reconstruction. Le droit international ne prescrit aucune méthode d’évaluation particulière pour de tels dommages. La Cour estime nécessaire de tenir compte des circonstances propres à chaque affaire. La Cour examine ensuite les chefs spécifiques de dommages avancés. En premier lieu, le Costa Rica n’a pas démontré que la zone touchée ait perdu sa capacité d’atténuer les risques naturels ou que ses services protec- teurs aient été dégradés. Ainsi, les Caños (canaux) se sont rapidement comblés et la végétation y a repoussé. En deuxième lieu, au contraire, il y a eu dégradation par cer- taines activités comme par exemple l’abattage d’arbres. En troisième lieu, quant à la valeur à attribuer aux dommages causés aux biens et services environnementaux, la Cour procèdera à une évaluation globale plutôt qu’à attribuer une valeur à chaque catégorie de biens séparément. La Cour estime équitable d’allouer une somme de 120 000 USD pour la dégradation et de 2708,39 USD pour les mesures de restaura- tion (sur ce dernier aspect la Cour accueille simplement la demande du Costa Rica).

22 Voir la Chronique de la jurisprudence de la CIJ dans cette Revue, RSDIE, vol. 26, 2016, p. 147ss.

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4. Les frais et dépenses (§ 88ss). La Cour examine d’abord les frais engagés par le Costa Rica pour les activités illicites du Nicaragua autour de l’Isla de Portillos, no- tamment des frais de carburant (pour inspections), de maintenance, d’obtention d’un rapport de l’UNITAR/UNOSAT. Elle écarte d’emblée les frais d’assurance (qui étaient dus de toute manière) et des frais divers non étayés par des preuves, ou encore les frais liés à certains vols avec la presse ou des personnes non identifiées. La Cour alloue 5843,20 USD pour les frais de carburant et de révision, et 15 804 USD pour les rapports d’UNOSAT. La Cour rejette ensuite une série de chefs de dépenses pour lesquelles elle estime que le Costa Rica ne s’est pas acquitté de sa charge de la preuve, par exemple des frais pour des agents de surveillance (qui est une rémunéra- tion ordinaire de ses agents publics), aucune dépense extraordinaire n’ayant ici été prouvée. Le total de l’indemnité alloué par la Cour sous ces chefs est de 21 647,20 USD.

Viennent ensuite les frais en exécution des mesures conservatoires indiquées par la Cour, notamment la surveillance du territoire litigieux suite au retrait des forces du Nicaragua. Selon la Cour, le Costa Rica a droit à indemnité pour trois chefs de dé- penses, pour lesquels un lien de causalité suffisant a été établi : (i) l’inspection du 5 et 6 avril 2011 pour éviter des dommages irréparables à la zone humide (la Cour ne re- tient que les frais de carburant et de révision d’un montant de 3897,40 USD et non des frais d’assurance et de divers, qui sont des frais ordinaires) ; (ii) l’acquisition d’images satellite de surveillance de la zone (la Cour exclut toutefois les images allant au-delà de 30 km carrés de la zone pertinente) pour un montant de 15 960 USD ; (iii) le rapport UNITAR / UNOSAT du 8 novembre 2011 (mais seule la section 2 du rapport est pertinente pour la zone ici en question), d’où 9113 USD d’indemnité. La Cour note l’absence d’un lien de causalité suffisant et démontré pour d’autres chefs, par exemple l’équipement des postes de police, la rémunération des agents de surveil- lance, etc. L’indemnité totale allouée sous ces chefs est de 28 970,40 USD.

Enfin, il y a les frais visant à empêcher des dommages irréparables à l’environne- ment en vertu des mesures conservatoires de la Cour (construction d’une digue et vérification de son efficacité). Le Nicaragua admet le principe de l’indemnité sous ce chef et le lien de causalité est démontré pour une série d’activités, notamment pour les matériaux de construction (y compris les matériaux finalement excédentaires, mais raisonnablement prévus pour précaution), le transport du personnel et du maté- riau et les survols de surveillance après la construction. L’indemnité totale allouée sous ce chef est de 185 414,56 USD. D’où une indemnité totale cumulée de 236 032,16 USD.5. Les intérêts compensatoires et moratoires (§ 148ss). Selon la pratique des tribu- naux internationaux, des intérêts compensatoires peuvent être alloués s’ils sont néces- saires pour assurer la réparation intégrale du préjudice causé par un fait internationa- lement illicite. Selon la Cour, le Costa Rica n’a pas droit à des intérêts com pensatoires pour les dommages environnementaux, l’approche globale et équitable que la Cour a

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suivie couvrant l’intégralité du dommage. Au contraire, la Cour alloue des intérêts compensatoires pour les frais et dépenses, à raison de 4%, pour le temps entre l’arrêt de 2015 et jusqu’à la date du présent arrêt, soit 20 150,04 USD. En cas de retard de paiement, des intérêts moratoires courront sur le total de l’indemnité due, à un taux annuel de 6%.

En conclusion, le montant total cumulé de l’indemnité à payer au Costa Rica est de 378 890,59 USD, payables dès le 2 avril 2018 au plus tard.

6. Dispositif (§ 157). La Cour adopte les divers chefs de dommages à des taux de vote oscillant entre l’unanimité et 15-1. Les Juges Gevorgian et Guillaume (ad hoc) joignent à l’arrêt une déclaration. Les Juges Cançado Trindade, Donoghue et Bhan- dari joignant à l’arrêt l’exposé de leur opinion individuelle. Enfin, le Juge ad hoc Du- gard joint à l’arrêt une opinion dissidente.

B. Commentaires

7. Il peut paraître surprenant que la Cour actuelle (à l’exclusion donc de la CPJI) n’ait eu dans sa longue carrière qu’à deux reprises à trancher dans un arrêt séparé des ques- tions relatives à la réparation due suite à son arrêt sur le fond d’un litige. Le premier précédent en ce sens s’est manifesté dans l’affaire du Détroit de Corfou (1949)23 et il aura fallu attendre l’arrêt Diallo de 201224 pour obtenir un deuxième précédent. Ces affaires concernaient d’un côté des dommages infligés à des navires par des mines (Détroit) et de l’autre côté des dommages dus à des violations du standard de traite- ment des étrangers et des droits de l’homme (Diallo). Nous voici désormais dans un précédent couvrant essentiellement les dommages environnementaux – c’est une pre- mière – et les frais et dépenses connexes. La jurisprudence internationale est toutefois extrêmement foisonnante en arrêts fixant des indemnités et exposant les principes juridiques applicables25.

Qu’observe-t-on du sort réservé aux dommages environnementaux par la CIJ ? Il se manifeste dans la présente affaire le malaise du juge face à des dommages parfois très diffus, aux enchaînements de causalité incertains, aux effets indirects peu sûrs, qui caractérisent souvent les atteintes à l’environnement, espace mouvant, vivant et complexe. Face à ces difficultés et aux risques d’encourager le contentieux, la Cour opte pour une double stratégie. En premier lieu, elle ne retient que des dommages suffisamment certains et caractérisés, avec effet causal certain. La définition des dom- mages compensables est donc étroite. Ce choix correspond à la politique juridique actuelle de la Cour, qui dans un monde mouvementé comme le nôtre s’adosse et

23 CIJ, Recueil, 1949, p. 244ss.

24 CIJ, Recueil, 2012-I, p. 325ss.

25 Voir l’analyse minutieuse de ces règles par I. Marboe, Die Berechnung von Entschädigung und Schaden- ersatz in der internationalen Rechtsprechung, Francfort-sur-le-Main e.a, 2009.

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s’abrite volontiers derrière les parois rassurantes d’une approche quelque peu précau- tionneuse. En second lieu, la Cour ne veut pas se laisser enfermer dans les batailles d’experts et dans les dédales échevelés de dommages « évanescents ». Elle lisse le pro- cessus, un peu comme elle lisse les frontières maritimes, en recourant ici aussi à l’équité intra legem (parfois praeter legem). Le droit de l’indemnisation permet d’adopter une approche globale, à l’instar des Etats qui concluent souvent des accords à somme forfaitaire (lump-sum agreements). L’appréciation du dommage indemni- sable se fond ici dans une perspective d’ensemble et l’étoile polaire du processus, du point de vue juridique, devient l’équité. C’est une fois de plus, comme dans la délimi- tation maritime, la règle de droit applicable qui renvoie à l’équité. C’est donc en ap- pliquant cette règle de droit international général, adoptée par la pratique des tribu- naux et acceptée par les Etats, que la Cour fait intervenir l’équité. La Cour avait déjà recouru à ce moyen équitable dans l’affaire Diallo mentionnée, par exemple au § 24 de l’arrêt de 2012, où la Cour rappelle que la détermination du montant d’un préju- dice immatériel repose nécessairement sur des considérations d’équité, ou au § 33 du même arrêt, concernant la perte de biens personnels, la preuve faisant évidemment défaut quant à chaque pièce considérée isolément. Ces indications par la Cour si- gnalent aux plaideurs de l’avenir qu’il faudra étayer les dommages par les preuves les plus solides et par ailleurs persuader la Cour de leur bien-fondé en équité.

8. Un autre aspect intéressant de la présente affaire, qui ne se retrouve pas dans la jurisprudence antérieure des arrêts sur l’indemnisation, est le soin avec lequel la Cour distingue les frais extraordinaires encourus à cause du fait internationalement illicite et les frais ordinaires qui auraient de toute manière dû être soutenus. C’est le cas, par exemple, quand l’Etat diligente sur place des fonctionnaires pour des tâches qui tombent dans leurs attributions professionnelles et pour lesquelles le salaire leur est (de toute manière) payé. C’est manifestement un problème de lien causal : seuls les frais supplémentaires émargeant au budget uniquement parce que le fait illicite a été commis peuvent être indemnisés. Pour le reste, l’Etat continue à être tenu par les règles de bonne gouvernance et de diligence, si bien qu’il doit remplir ses fonctions ordinaires même en cas de dommages causés par un fait illicite. Les frais « ordi- naires » qui en découlent ne peuvent pas faire l’objet d’une indemnité allouée par un tribunal. Sans doute, des considérations d’équité pourraient exceptionnellement faire pencher la balance partiellement dans un autre sens, par exemple si un Etat pauvre a dû faire face à des dommages d’une grande ampleur infligés par un autre Etat de manière délibérée et avec une intention de nuire. Il ne serait pas impensable que dans ce cas, une fraction de ces frais ordinaires puisse équitablement être mise à la charge de l’Etat fautif. Les principes juridiques concernant l’indemnité sont suffi- samment flexibles pour des cas très atypiques, même si les règles générales sont plus strictes, comme le présent précédent le démontre une fois de plus. Ce n’est pas para- doxal : c’est au contraire le schéma classique de la règle et de l’exception.

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III. L’affaire relative aux Immunités et procédures pénales (Guinée-Equatoriale c. France), Exceptions préliminaires, arrêt du 6 juin 2018

A. Résumé

1. Par une requête du 13 juin 2016, la Guinée équatoriale a porté un différend contre la France devant la CIJ. Il porte sur l’immunité de juridiction pénale du second vice-Président de Guinée équatoriale ainsi que sur le statut juridique d’un immeuble qui selon la Guinée équatoriale abrite des locaux diplomatiques. La base de compé- tence invoquée est l’article 35 de la Convention des Nations Unies contre la crimina- lité transnationale (Convention de Palerme de 2000) et le Protocole de signature fa- cultative à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961. La France a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la requête. Le contexte factuel est rappelé par la Cour aux § 23ss. L’origine de l’af- faire se situe dans le dépôt de plaintes en France par des associations et des personnes privées à l’encontre de chefs d’Etat africains et des membres de leurs familles ayant pour objet le détournement de fonds publics dont les produits auraient été investis en France.

2. Questions générales (§ 42ss). La compétence de la Cour est fondée sur le consen- tement des parties et dans la seule mesure reconnue par celles-ci. La Cour doit d’abord établir l’objet du différend en circonscrivant le véritable problème en cause et en pré- cisant l’objet de la demande. La Cour observe que l’objet du différend est multiple : notamment l’immunité de juridiction pénale du second vice-Président ; l’immunité de mesures de contrainte pour l’immeuble sis au 42 de l’Avenue Foch ; et le grief d’un excès de compétence que la France aurait commis. La Cour examinera ces questions d’abord à travers les deux bases de compétence invoquées.

3. Compétence en vertu de la Convention de Palerme (§ 74ss). L’article 35 de la Convention de Palerme (ci-après CP) contient une clause compromissoire conférant compétence à la Cour sous certaines conditions. La Cour note d’abord que les condi- tions procédurales de cette clause ont été satisfaites en l’espèce : il y a eu des négocia- tions préalables et la non-acceptation par la France d’une offre d’arbitrage. Reste la question de la compétence ratione materiae : est-ce que les griefs formulés tombent dans le champ d’application matériel de la CP ? L’article 4 de cette Convention pré- voit la protection de l’égalité souveraine et la non-intervention dans les affaires inté- rieures. Selon la Cour, l’article 4 impose une obligation juridique et ne se borne pas à formuler un but général, comme le montrent les termes ‹exécutent leurs obliga- tions’ / ‹shall carry out their obligations’. Ces obligations de respect de la souverai- neté sont toutefois liées aux obligations concrètes contenues dans la CP. L’article 4 ne fait pas référence aux règles du droit international coutumier, en incorporant les règles sur l’immunité des Etats et de leurs agents dans le domaine matériel de la CP.

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Les travaux préparatoires corroborent cette manière de voir. Des questions d’immu- nité n’ont pas été retenues lors de la rédaction de l’article 4. Etant donné que les règles générales sur l’immunité des personnes et des biens ne sont pas incorporées dans la CP, la Cour n’a pas compétence pour connaître de ce volet du différend. Quant à l’argument que l’incrimination du blanchiment d’argent dans la législation française attribuerait une compétence excessive à la France en violation de l’article 4 CP, la Cour constate qu’ici encore les violations alléguées ne tombent pas sous le coup des prévisions de la CP. Celle-ci prévoit des règles sur la poursuite du blanchiment selon le droit interne. Les répercussions internationales de cette compétence ne sont pas envisagées par la CP. La Cour conclut donc qu’elle n’a pas compétence selon la CP.

4. Compétence en vertu du Protocole à la CVRD de 1961 (§ 120ss). Le différend porte ici sur l’immeuble de l’Avenue Foch et son statut diplomatique. Les conditions procédurales de l’article I du Protocole de signature facultative (ci-après PSF) sont réunies. Reste à vérifier la compétence matérielle liée au champ d’application de la CVRD, car le différend porté devant la Cour doit concerner l’interprétation ou l’ap- plication de cette Convention. En l’espèce, les parties divergent sur le statut de l’im- meuble et donc sur la question de savoir s’il faut lui accorder la protection prévue à l’article 22 CVRD. Cette question est manifestement relative à l’interprétation ou l’application de la Convention. La compétence inclut le sort du mobilier sis dans l’im- meuble. La Cour a donc compétence sur la base de l’article I du PSF. 

5. L’exception préliminaire portant sur l’abus de droit et l’abus de procédure (§ 139ss). Il s’agit d’une exception d’irrecevabilité de la requête. Un abus de procé- dure se rapport au stade préliminaire et peut y être examiné. Seules des circonstances exceptionnelles justifient de repousser une demande pour abus de procédure dès le stade préliminaire. Dans le cas d’espèce, la Cour ne voit pas d’éléments qui attestent manifestement un tel abus. Quant à l’abus de droit, il touche au fond de l’affaire et doit être examiné à ce stade. Ainsi, la Cour rejette la troisième exception préliminaire française.

6. Dispositif (§ 154). La Cour dit qu’elle n’a pas compétence sur la base de la CP et retient ainsi la première exception préliminaire française par 11 voix contre 4 (contre : les Juges Xue, Sebutinde, Robinson et Kateka (ad hoc)). La Cour dit qu’elle a compé- tence en vertu du PSF à la CVRD de 1961 et rejette ainsi la deuxième exception pré- liminaire française à l’unanimité. Enfin, la Cour rejette l’exception basée sur l’abus de procédure et abus de droit et décide qu’elle a compétence sur la base du PSF par 14 voix contre 1 (contre : la Juge Donoghue). – Les Juges Xue, Sebutinde, Robinson et Kateka (ad hoc) joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune. La Juge Donoghue joint à l’arrêt une opinion dissidente. Le Juge Gevorgian joint à l’ar- rêt une opinion individuelle. Enfin, les Juges Owada, Gaja et Crawford joignent cha- cun une déclaration à l’arrêt.

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B. Commentaires

7. L’aspect saillant du présent arrêt tourne sur la détermination du champ matériel d’une clause compromissoire contenue dans une convention particulière. La compé- tence que cette clause octroie à la Cour n’est pas générale, mais limitée par le domaine des prévisions du texte qui la porte. C’est dire que la compétence qu’offre une telle clause est « fragmentée »26. La Cour peut connaître de certaines questions mais pas d’autres. En particulier, le droit international général, mis à part certaines de ses branches (comme les règles sur l’interprétation des traités) ne pénètre que très parci- monieusement dans le domaine de compétence reconnu. L’équilibre à trouver entre la fermeture des clauses compromissoires pour ne pas importer trop de « droit exté- rieur » au sein de la Convention et l’ouverture des clauses compromissoires au « droit extérieur » pour assurer une saine application du droit comme système cohérent est la question la plus délicate de la politique judiciaire en matière de ces clauses conte- nues dans une grande multitude de traités internationaux.

8. Pendant un certain temps, la Cour a eu une jurisprudence qui tendait à aérer les clauses compromissoires par des vents du large, en particulier par certaines normes du droit international général. Ces derniers temps, elle semble plus restrictive, ce qui s’inscrit dans le droit fil de la tendance actuelle « conservatrice » qu’elle croit appro- priée à un monde géopolitiquement très tendu.

La phase d’aération des clauses compromissoires s’ouvre dès la CPJI. Ainsi, pen- dant longtemps, les deux Hautes Juridictions de La Haye, la CPJI et la CIJ, par leurs liens institutionnels avec l’Organisation mondiale et par le rôle qu’elles se voyaient octroyer dans le règlement des différends internationaux comme condition profonde du maintien de la paix, ont manifesté une certaine tendance à l’extension des clauses compromissoires. Boni judicis est ampliare jurisdictionem. A cette lumière, la Cour a inclus dans la sphère de sa compétence des instruments conventionnels liés au traité porteur de la clause (sans en constituer toutefois des protocoles)27 ou encore des normes de droit international général sur l’utilisation de la force alors qu’elle devait appliquer un traité d’amitié, de commerce et de navigation28. En schématisant cette jurisprudence, on trouve diverses catégories de questions qui ont été rattachées à des traités aux objets les plus divers, c’est-à-dire le plus souvent comme normes de droit international général nécessaires à la bonne application du traité. Le traité a ainsi été

26 Voir E. Cannizzaro / B. Bonafé, « Fragmenting International law Through Compromissory Clauses ? Some Remarks on the Decision of the ICJ in the Oils Platforms Case », EJIL, vol. 16, 2005, p. 481ss.

27 Affaire Ambatielos (Exceptions préliminaires), CIJ, Recueil, 1952, p. 39. Voir J. I. Charney, « Compro- missory Clauses and the Jurisdiction of the International Court of Justice », AJIL, vol. 81, 1987, p. 873–

876.

28 Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Compétence et recevabi- lité), CIJ, Recueil, 1984, p. 426 ; idem, fond, CIJ, Recueil, 1986, p. 115–117, 135ss ; affaire des Plates- formes pétrolières (Exceptions préliminaires), CIJ, Recueil, 1996–II, p. 810.

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désenclavé et rattaché à l’environnement juridique dont il fait jusqu’à un certain point indissolublement partie.

8.1 Interprétation abstraite ou déclaratoire d’une disposition du traité. Il n’est pas nécessaire que l’interprétation porte directement sur une application du texte.

Comme la Cour l’a affirmé en l’affaire de Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise (fond, 1927) : « [Les clauses compromissoires] semblent viser aussi des in- terprétations indépendantes d’applications concrètes. [...] On ne voit pas pourquoi les Etats ne pourraient pas demander à la Cour de donner une interprétation abstraite d’une convention »29.

8.2 Détermination du champ d’application d’une disposition. Il s’agit ici encore d’une question classique d’interprétation. L’applicabilité d’une norme se distingue ainsi de la question de son application concrète, la première étant préliminaire à la seconde et faisant partie de l’interprétation plutôt que de l’application. La Cour l’a bien noté dans l’affaire de Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise (1925), quand elle affirme que le différend peut porter aussi sur « l’étendue du champ d’application de ces articles... »30.

8.3 La responsabilité internationale pour violation d’une clause du traité. La ques- tion de savoir s’il y a eu violation d’une disposition du traité et les conséquences qui découlent de cette violation en vertu du droit de la responsabilité internationale est couverte par la clause compromissoire, bien qu’il s’agisse d’une question de droit in- ternational coutumier. La Cour l’a affirmé dans les affaires de l’Usine de Chorzów (1927)31, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond, 1986)32, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie, Exceptions pré liminaires, 1996)33 et

29 CPJI, sér. A, no 7, p. 18.

30 CPJI, sér. A, no 6, p. 16.

31 CPJI, sér. A, no 9, p. 25 : « Une interprétation qui obligerait la Cour à s’arrêter à la simple constatation que la Convention a été inexactement appliquée ou qu’elle est restée sans application, sans pouvoir fixer les conditions dans lesquelles les droits conventionnels lésés peuvent être rétablis, irait à l’encontre du but plausible et naturel de la disposition, car une pareille juridiction, au lieu de vider définitivement un diffé- rend, laisserait la porte ouverte à de nouveaux litiges ».

32 CIJ, Recueil, 1986, p. 142, § 283 : « En vertu du traité d’amitié, de commerce et de navigation de 1956, la Cour a compétence pour se prononcer sur ‹tout différend entre les parties quant à l’interprétation ou l’application du présent traité› (art. XXIV, par. 2) et, comme la Cour permanente de Justice internatio- nale l’a dit dans l’affaire de l’Usine de Chorzów : ‹Les divergences relatives à des réparations, éventuelle- ment dues pour manquement à l’application d’une convention, sont, partant, des divergences relatives à l’application› (Compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 21.) ».

33 CIJ, Recueil, 1996–II, p. 616, § 32 : « La Cour en vient maintenant à la seconde proposition de la Yougos- lavie, relative au type de responsabilité d’Etat qui serait visée à l’article IX de la convention. D’après la Yougoslavie, seule serait couverte la responsabilité découlant du manquement d’un Etat à ses obligations de prévention et de répression telles qu’envisagées aux articles V, VI et VII ; en revanche, la responsabilité d’un Etat à raison d’un acte de génocide perpétré par 1’Etat lui-même serait exclue du champ d’applica- tion de la convention. La Cour observera qu’en visant ‹la responsabilité d’un Etat en matière de génocide

(22)

encore LaGrand (2001)34. Certaines clauses compromis soires le rappellent par ail- leurs expressis verbis, comme c’est le cas de l’article IX de la Convention contre le gé- nocide à travers les mots ‹y compris ceux [les différends] relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide›. La violation du traité, et surtout ses conséquences, ne relèvent pas à strictement parler du traité lui-même. Elles ressortissent au droit international général de la responsabilité internationale. Toutefois, ces questions sont étroitement connexes au traité et se greffent sur lui. Elles tombent dans le domaine de

‹l’application› du traité et sont à ce titre couvertes par la clause compromissoire.

Comme le montre l’affaire du Génocide précitée, sauf indication expresse contraire, toutes les formes de responsabilité internationale, c’est-à-dire toutes les conséquences de l’acte illicite, sont couvertes par la clause, probablement y compris d’éventuelles contre-mesures.

8.4 Questions relatives à la terminaison et à la suspension du traité. Ces questions sont également liées à ‹l’application› du traité puisqu’elles mettent fin à son applica- tion. La Cour a tranché en ce sens dans l’affaire concernant la Compétence du Conseil de l’OACI (1972)35.

8.5 Questions connexes à une ou plusieurs dispositions du traité. Si une question de droit international général ou particulier est connexe à une disposition du traité et sert à lui donner une application juridiquement correcte, la Cour a tenu le droit géné- ral ou particulier régissant cette question comme étant couvert par la clause compro- missoire. Cette connexité a été interprétée de manière assez libérale. La Cour a ainsi favorisé, dans la mesure du possible, l’unité de l’ordre juridique international, l’inté- grité de l’article 38, § 1, du Statut et la faculté de donner au litige une solution juridi-

ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III›, l’article IX n’exclut aucune forme de res- ponsabilité de l’Etat ».

34 CIJ, Recueil, 2001, p. 485, § 48 : « La Cour considère qu’un différend portant sur les voies de droit à mettre en œuvre au titre d’une violation de la convention qu’invoque l’Allemagne est un différend concer- nant l’interprétation ou l’application de la convention et qui de ce fait relève de la compétence de la Cour.

S’il est établi que la Cour a compétence pour connaître d’un différend portant sur une question détermi- née, elle n’a pas besoin d’une base de compétence distincte pour examiner les remèdes demandés par une partie pour la violation en cause (Usine de Chorzów, C. P. J. I. série A no 9, p. 22) ».

Voir aussi l’Op. ind. Jiménez de Aréchaga, affaire concernant la Compétence du Conseil de l’OACI, CIJ, Recueil, 1972, p. 147.

35 CIJ, Recueil, 1972, p. 64–65, § 32 : « Soutenir cela [que la clause compromissoire n’est pas applicable à la revendication de terminer ou de suspendre le traité] équivaudrait à dire que des questions qui peuvent à première vue mettre en jeu un traité et qui, si tel était le cas, relèveraient de sa clause juridictionnelle peuvent en être exclues du simple fait d’une déclaration unilatérale selon laquelle le traité n’est plus en vigueur. Accepter une telle proposition serait s’orienter vers une situation telle que l’on pourrait ôter toute valeur pratique aux clauses juridictionnelles en permettant à une partie de mettre fin à un traité ou d’en suspendre l’application puis de déclarer que, ce traité ayant pris fin ou étant suspendu, sa clause juridic- tionnelle devient nulle et ne saurait être invoquée aux fins de contester la validité de l’extinction ou de la suspension, alors précisément que l’un des objectifs d’une telle clause peut être de permettre qu’il soit judiciairement statué en la matière. Un tel résultat, qui détruirait l’objet même d’un règlement judiciaire, serait inacceptable ».

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