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Trajectoires de vie dans la grande vieillesse : rester chez soi ou s'installer en établissement médico-social?

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Trajectoires de vie dans la grande vieillesse : rester chez soi ou s'installer en établissement médico-social?

CAVALLI, Stefano

Abstract

La thèse est consacrée à l'étude d'une transition majeure de la dernière partie du parcours de vie, à savoir le passage d'un domicile privé à un établissement médico-social (EMS). Sur la base des données à la fois quantitatives et qualitatives de SWILSOO (Swiss Interdisciplinary Longitudinal Study on the Oldest Old), la trajectoire des résidents est suivie depuis l'amont de leur déménagement jusqu'à deux ans environ après l'installation en EMS;

de même, les trajectoires des personnes qui entrent en institution sont comparées à celles des contemporains qui continuent à vivre à domicile. Deux ensembles de facteurs prédisent l'entrée en EMS: l'un renvoie au processus de fragilisation, l'autre à des formes d'isolement qui se traduisent en un sentiment de solitude. Dans l'année du déménagement, la santé connaît une dégradation, pour se stabiliser voire s'améliorer par la suite; le bien-être des résidents reste stable et les visites de la famille s'intensifient.

CAVALLI, Stefano. Trajectoires de vie dans la grande vieillesse : rester chez soi ou s'installer en établissement médico-social?. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2008, no.

SES 672

URN : urn:nbn:ch:unige-6380

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:638

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:638

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TRAJECTOIRES DE VIE DANS LA GRANDE VIEILLESSE

RESTERCHEZSOIOUS'INSTALLERENETABLISSEMENTMEDICO-SOCIAL?

Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l'Université de Genève

Par Stefano CAVALLI pour l'obtention du grade de

Docteur ès sciences économiques et sociales mention: sociologie

Membres du jury de thèse:

Mme Claudine BURTON-JEANGROS, professeur, Université de Genève M. Jean KELLERHALS, professeur, Université de Genève

M. Christian LALIVE D'EPINAY, professeur, Université de Genève, directeur de thèse M. Gilbert RITSCHARD, professeur, Université de Genève, président du jury

M. Didier VRANCKEN, professeur, Université de Liège

Thèse n° 672 Genève, 2008

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La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé l'impression de la présente thèse, sans entendre, par là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s'y trouvent énoncées et qui n'engagent que la

responsabilité de leur auteur.

Genève, le 1er septembre 2008

Le doyen

Bernard MORARD

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On dit souvent que la réalisation d'une thèse de doctorat est un travail en solitaire. Mais si j'ai pu m'y atteler, c'est seulement à la suite d'un long parcours au Département de sociologie et au Centre interfacultaire de gérontologie de l'Université de Genève. Au cours de ces collaborations, j'ai bénéficié de la stimulation, des conseils et des encouragements d'enseignants et collègues, de générations et d'horizons différents, dont plusieurs sont devenus des amis. Je les remercie tous chaleureusement, et en particulier:

 Le professeur Christian Lalive d'Epinay pour m'avoir permis d'inscrire ce travail dans le programme de recherche SWILSOO, pour avoir retardé son « vrai » départ à la retraite afin de diriger ma thèse, mais surtout pour tout ce qu'il m'a transmis et appris au long de ces années.

 Les professeurs Claudine Burton-Jeangros, Jean Kellerhals, Gilbert Ritschard et Didier Vrancken, qui m'ont fait l'honneur de figurer dans mon jury de thèse et qui m'ont témoigné leur soutien à différents moments de mon parcours.

 Le Fonds national suisse de la recherche scientifique qui, en m'octroyant une bourse de candidat au doctorat, a permis de financer une partie de la thèse.

 Mes anciens et actuels collègues du CIG et notamment – par ordre d'apparition – Jean-François Bickel, avec qui j'ai partagé doutes et enthousiasme, notre très chère

documentaliste Tania Nagosky, les « jeunes » professeurs Dario Spini et Paolo Ghisletta, mes collègues de bureau Franca Armi et Myriam Girardin ainsi que

Grégoire Métral et Luc Guillet.

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 Une mention à part pour Karine Henchoz qui, après avoir subi les états d'humeur du doctorant pendant son stage au CIG, a renoncé à une partie des matchs de l'Euro 2008 pour relire et corriger le manuscrit.

 Une pensée enfin pour Corinne Borloz, dont la tasse « thésard préféré » me rappelait tous les matins son amitié mais aussi l'ordre du jour. Et tout simplement grazie à Laura, ne serait-ce que parce qu'elle a su résister à la tentation de casser ladite tasse, alors que, je l'avoue, elle aurait parfois eu des raisons de le faire…

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Introduction 11

PREMIERE PARTIE 15 13

Chapitre 1 L'entrée en EMS: une transition typique du grand âge 17

1.1 Parcours de vie et vieillesse 17

1.2 Modes de résidence et lieux de vie des personnes âgées 20 1.3 La perspective du parcours de vie: quelques rappels conceptuels 27

1.4 Objectifs et questions de la recherche 32

Chapitre 2 Lieux de vie et structures d'aide 35

2.1 Les lieux de vie des personnes âgées 35

2.1.1 Quelques définitions 36

2.1.2 Bref historique 37

2.1.3 Personnes âgées en ménage collectif: la situation en Suisse, 1960-2000 39

2.1.4 La tendance actuelle: le maintien à domicile 41

2.2 Le réseau socio-gérontologique à Genève et en Valais central 43

2.2.1 La structure du réseau 43

2.2.2 Genèse et organisation générale du réseau dans les deux régions 45

2.2.3 Les établissements médico-sociaux (EMS) 48

2.2.4 Les services d'aide et de soins à domicile (SASD) 53

2.2.5 Les structures complémentaires 56

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2.3 La prise en charge en institution: un état de la littérature 60

2.3.1 Les prédicteurs de l'entrée en institution 61

2.3.2 Les conséquences de l'entrée en institution 65

2.3.3 « Vieillards à domicile, vieillards en pension » 67

Chapitre 3 Les méthodes 71

3.1 Les principales options de la recherche 71

3.2 L'étude SWILSOO 73

3.2.1 Conception et objectifs de SWILSOO 73

3.2.2 Le contraste entre une région urbaine et une région alpine 74

3.2.3 Délimitation de la population de référence 76

3.2.4 Parcours historique de deux cohortes d'octogénaires 79

3.3 Le volet quantitatif 83

3.3.1 Un échantillon aléatoire stratifié 83

3.3.2 Le questionnaire et la récolte des données 85

3.3.3 L'évolution de l'échantillon 87

3.4 Le volet qualitatif 89

3.4.1 Une première vague d'entretiens: 1997-2002 89

3.4.2 Une seconde vague d'entretiens: 2004-2005 90

3.4.3 Caractéristiques des personnes interviewées 92

DEUXIEME PARTIE 95

Chapitre 4 Les trajectoires de vie dans la grande vieillesse 97

4.1 Statuts et trajectoires de santé dans le grand âge 98

4.1.1 Trajectoires de santé dans le grand âge: un bref état des connaissances 98 4.1.2 La notion de fragilité et la définition de trois statuts de santé 99 4.1.3 L'évolution des octogénaires selon les trois statuts de santé 101

4.1.4 Les trajectoires individuelles de santé 103

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4.2 Les bénéficiaires d'aide formelle 110

4.3 Les trajectoires de santé des nouveaux résidents 113

4.4 Les trajectoires de vie dans la grande vieillesse: un bilan 116

Chapitre 5 En amont de l'entrée en EMS 119

5.1 Les causes de l'entrée en EMS: approche quantitative 120 5.1.1 Caractéristiques au départ de l'étude et entrée en EMS 120

5.1.2 Les déterminants de l'entrée en EMS 126

5.2 Les raisons de l'entrée en EMS: approche qualitative 137

5.2.1 « Je ne pouvais plus vivre seul/e à la maison » 139

5.2.2 « Je ne pouvais plus rester seul ». Mais pourquoi ? 142

5.3 Quelques trajectoires types d'entrée en EMS 152

5.3.1 La rupture de santé 152

5.3.2 Le déclin de la santé 156

5.3.3 La solitude et les angoisses 158

5.3.4 L'anticipation des difficultés de la grande vieillesse 160

5.4 En amont de l'entrée en EMS: un bilan 163

Chapitre 6 L'entrée en EMS 165

6.1 La prise de décision 165

6.2 Le choix de l'établissement et les démarches administratives 176

6.3 Le déménagement et l'accueil en EMS 186

6.4 Rester maître de sa vie… ou le croire 192

Chapitre 7 La vie en EMS 199

7.1 Les conséquences de l'entrée en EMS 199

7.1.1 Survol de l'état des connaissances 199

7.1.2 Les données et la démarche 202

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7.1.3 L'évolution de la santé 204

7.1.4 L'évolution du bien-être 209

7.1.5 L'évolution des relations sociales et des activités de loisir 209

7.1.6 Les conséquences de l'entrée en EMS: un bilan 214

7.2 Vécu, adaptation et réorganisation de la vie quotidienne en EMS 216

7.2.1 « Ca s'est fait tout seul » 217

7.2.2 « Au début c'était difficile, mais maintenant je suis bien » 222

7.2.3 « On n'est plus chez nous » 227

7.2.4 Des regards ambivalents sur la vie en EMS 234

Conclusion 237

Les objectifs et le parcours 237

Les résultats principaux 239

Les antécédents de l'entrée en EMS 240

L'entrée en EMS 242

Les conséquences de l'entrée en EMS 244

De quelques limites et pistes à suivre 247

L'entrée en EMS, quelle transition ? 249

Bibliographie 253

Annexes 275

Annexe 1 Domaines et dimensions du questionnaire 277

Annexe 2 Brève présentation des personnes interviewées 279

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Cet ouvrage propose de scruter les trajectoires de vie dans la vieillesse avancée et d'analyser tout particulièrement l'une des transitions qui peuvent venir rompre l'équilibre de la vie quotidienne du vieillard, à savoir le fait de quitter son domicile privé pour intégrer un établissement médico-social (EMS)1. La présente étude se situe dans la continuité des investigations que j'ai menées dans le cadre de la licence (1997), puis du diplôme en sociologie (1999). Le mémoire de licence a été l'occasion d'étudier l'évolution dans le temps des différentes formes de prise en charge des personnes âgées, celui de diplôme (qui a fait l'objet d'une publication, cf. Cavalli, 2002) de procéder à une comparaison systématique entre les personnes âgées de 75 ans et plus vivant à domicile et leurs contemporains résidant en EMS, et ce sur la base d'une analyse secondaire de données transversales récoltées en 1994 au Centre interfacultaire de gérontologie (CIG) de l'Université de Genève.

Les questions concernant l'entrée en EMS et la situation des personnes qui y résident n'ont fait l'objet que de peu d'études scientifiques en Suisse (Höpflinger et Stuckelberger, 1992).

En revanche, dans les pays anglo-saxons de nombreux sociologues et gérontologues ont contribué, dès les années 1960-70, au développement de la recherche dans ce champ (e.g., Brody, 1977 [1971]; Palmore, 1976; Tobin et Lieberman, 1976; Townsend, 1962). Depuis, nous le verrons, le monde des institutions pour personnes âgées a été analysé sous plusieurs facettes et par le biais d'outils aussi variés que l'observation participante,

1 Selon les lieux et les modes, plusieurs termes sont utilisés pour désigner les institutions qui accueillent pour de longs séjours des personnes âgées. Celui d'EMS est actuellement le plus utilisé en Suisse romande et est entré dans le langage officiel, mais d'autres termes sont parfois encore employés, notamment par les personnes âgées elles-mêmes: home, pension, maison de repos, maison de retraite, résidence, foyer, etc.

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l'entretien compréhensif ou le questionnaire standardisé. Si beaucoup de chercheurs choisissent d'interviewer les résidents eux-mêmes, d'autres se sont intéressés au point de vue des membres du personnel. Les travaux existants informent sur les causes de placement, établissent une sociographie de la population hébergée, dégagent les logiques sociales permettant de recréer une vie équilibrée en institution, ou encore décrivent les effets négatifs de la vie en collectivité. Pourtant, à ma connaissance, l'entrée en EMS n'a jamais été explicitement traitée en tant que transition du parcours de vie.2 A quel type de transition a-t-on affaire ? Quelles sont ses caractéristiques et en quoi se distingue-t-elle des autres transitions du parcours de vie ? Ou encore, comment cette rupture biographique s'insère-t-elle dans le modèle de parcours de vie en vigueur ?

Trois choix ont présidé à l'organisation de cette étude. Premièrement, elle s'inscrit dans la perspective générale du parcours de vie (Elder, 1998; Heinz et Marshall, 2003; Lalive d'Epinay, Bickel, Cavalli et Spini, 2005b; Sapin, Spini et Widmer, 2007). Deuxièmement, qui dit étude de trajectoires et de transitions, pour le sociologue qui s'intéresse aux parcours de vie, dit nécessité d'adopter une stratégie longitudinale, c'est-à-dire le suivi dans la durée d'une population donnée. Troisièmement, dans le but de tenir compte à la fois des expériences objectives et subjectives des vieillards qui entrent en institution ou qui, en dépit d'une détérioration de leur état de santé, peuvent continuer à vivre chez eux, j'ai pris le parti de combiner les approches quantitative et qualitative.

La présente étude fait partie intégrante du programme de recherche Swiss Interdisciplinary Longitudinal Study on the Oldest Old (SWILSOO), piloté par le CIG et dirigé par le professeur Christian Lalive d'Epinay.3 Pour la réalisation de cette étude – Trajectoires de

2 De même, lorsque des ouvrages collectifs sur le parcours de vie consacrent l'une de leurs parties à l'étude des transitions, il n'est jamais question de l'entrée en institution des personnes âgées. Les exemples retenus ont trait, le plus souvent, au passage de l'adolescence à la vie adulte, ou alors aux changements dans les trajectoires professionnelles et familiales (e.g., Heinz et Marshall, 2003; Levy, Ghisletta, Le Goff, Spini et Widmer, 2005b; Mortimer et Shanahan, 2003).

3 La recherche SWILSOO a été financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) et a également bénéficié de contributions des cantons de Genève et du Valais. Outre le professeur Christian Lalive d'Epinay, requérant principal, les membres du comité scientifique et corequérants du projet au FNS étaient les professeurs Anik de Ribaupierre (psychologue, première corequérante), Jean-Pierre Michel (médecin gériatre, premier corequérant), Gabrielle Antille (économètre), Alain Clémence (psychologue

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vie dans la grande vieillesse. Rester chez soi ou s'installer en établissement médico- social ? – le signataire de ces lignes a bénéficié d'une bourse de candidat au doctorat du FNS.

La recherche SWILSOO, à laquelle je collabore depuis 1998, comprend deux parties d'importance inégale: un volet principal quantitatif et un volet complémentaire qualitatif.

Conçue pour étudier les trajectoires de vie et de santé dans la grande vieillesse, SWILSOO a permis de suivre sur une période assez longue deux cohortes d'octogénaires: une première cohorte composée de 340 personnes nées entre 1910 et 1914, interviewées à neuf reprises, sur la base d'un questionnaire standardisé, de 1994 à 2004; une seconde cohorte comprenant 377 sujets nés entre 1915 et 1919, observés à cinq occasions entre 1999 et 2004. La population de départ résidait à domicile et a été sélectionnée de manière aléatoire dans deux environnements contrastés de Suisse: d'un côté le Canton de Genève, région métropolitaine et laïque; de l'autre le Valais central, région alpine, semi-urbaine aujourd'hui mais de tradition rurale et catholique. Sur les 717 personnes suivies, 101 ont été rencontrées au moins une fois lorsqu'elles résidaient dans un ménage collectif. Au total, entre 1994 et 2004, 2'890 questionnaires ont été remplis, dont 223 en institution.

Le volet qualitatif de SWILSOO s'est, quant à lui, déroulé en deux temps. Une première série d'une quarantaine d'entretiens semi-directifs a été menée entre 1997 et 2001 auprès de personnes participant à l'étude longitudinale et ayant vécu un événement perturbateur tel le veuvage, l'entrée en EMS ou un important déclin de la santé. Une seconde vague d'un peu plus d'une trentaine d'entretiens a été réalisée en 2004-2005 dans le but de saisir la perception subjective du processus de fragilisation vécu par les vieillards ainsi que la manière dont ils y font face tant sur le plan symbolique que pratique. Au total, entre 1997 et 2005, 74 vieillards ont été interviewés de manière approfondie; un tiers (n = 26) d'entre eux vivaient en institution.

social), Hermann-Michel Hagmann (démographe), Eugène Horber (méthodologue), Charles-Henri Rapin (médecin gériatre) et Dario Spini (psychologue social).

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Organisation de l'ouvrage

L'ouvrage est divisé en deux parties: la première vise à poser le décor, la seconde détaille les résultats de l'étude de terrain. Dans le chapitre 1, j'expose la problématique de la recherche. Le chapitre 2 est consacré aux lieux de vie des vieillards et aux structures mises en place pour venir en aide aux personnes âgées qui ne sont plus à même de gérer seules leur vie quotidienne. Le chapitre 3 est l'occasion de décrire les grandes lignes de l'étude longitudinale SWILSOO, de discuter les choix méthodologiques et de présenter la population étudiée.

La seconde partie, qui comprend quatre chapitres, est dédiée à l'analyse empirique des données, à la fois quantitatives et qualitatives, de SWILSOO. Le chapitre 4 permet de scruter les principales trajectoires de vie et de décès que suivent les participants à l'enquête.

Les chapitres suivants sont consacrés chacun à l'un des trois moments de la transition du domicile privé à l'EMS. Dans le chapitre 5, qui porte sur la période en amont de l'entrée en institution, je cherche à détecter les facteurs qui conduisent certains vieillards à s'installer en EMS tandis que d'autres restent à domicile. Le chapitre 6 porte sur le déroulement de la transition: de la prise de décision au choix de l'établissement, en passant par les démarches administratives, jusqu'au déménagement proprement dit. Avec le chapitre 7, le regard se déplace à l'intérieur de l'institution. D'une part, j'analyse les conséquences de l'entrée en EMS dans les domaines de la santé, du bien-être, des activités, des contacts et des relations sociales. D'autre part, en m'appuyant sur les données qualitatives, je m'intéresse à la manière dont les individus font face à leur déménagement et réorganisent leur vie quotidienne afin de s'adapter au nouveau cadre de vie.

La conclusion est l'occasion de revenir sur mes questions principales et de mettre en exergue les contributions que mon étude apporte à la connaissance de cette transition typique de la grande vieillesse, d'en montrer certaines implications théoriques et de souligner quelques interrogations qui restent sans réponse.

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PREMIERE PARTIE

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L' ENTREE EN EMS:

UNE TRANSITION TYPIQUE DU GRAND AGE

1.1 Parcours de vie et vieillesse

Trajectoires et transitions constituent des concepts clés dans l'étude sociologique des parcours de vie (Elder, 1998). La notion de trajectoire est surtout employée pour décrire les mouvements ou les développements au cours de la vie; le terme de transition, quant à lui, se réfère aux changements d'état ou de situation (Levy et al., 2005a). Certaines transitions sont normatives et désignent le passage d'une étape à une autre du parcours de vie, tel qu'il est institué et régulé dans une société donnée (Cain, 1964; Mayer et Schöpflin, 1989). En effet, à l'instar de la différenciation sexuelle, l'inscription dans la durée de l'existence est un fait qui appelle, en tout temps et en tout lieu, à un travail de construction et de définition sociale. Toute société produit un ou quelques modèles organisateurs du déroulement des vies humaines, des systèmes de normes dont découlent des rôles et des statuts d'âge ainsi que des transitions associées à des âges typiques (Lalive d'Epinay, 1996; Lalive d'Epinay et al., 2005b).

Dans les sociétés industrielles avancées, après avoir relevé, dans la première moitié du XXe siècle, la tendance à l'institutionnalisation et à la chronologisation de parcours de vie standard, avec des étapes et des transitions bien définies (Kohli, 1986; Modell, Furstenberg et Hershberg, 1976), depuis les années 1960-70, nous assistons à la dérégulation des trajectoires de vie, avec l'arasement des seuils d'âge. Sous l'impact des modifications dans

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la structure démographique de la population, des mutations récentes du système de production économique et du marché du travail, ou encore d'une conception du soi devenue plus individualisante et marquée par la prééminence de notions telles que l'autonomie et l'autodétermination, les biographies individuelles sont devenues plus incertaines et discontinues, ce qui amène à parler d'un processus de déstandardisation et d'individualisation des parcours de vie (Beck, 1992 [1986]; Castells, 1998 [1996]; Heinz et Krüger, 2001).4 En particulier, nous observons un allongement et un brouillage des deux transitions majeures que sont l'entrée dans la vie adulte (Buchmann, 1989; Galland, 1997;

Shanahan, 2000) et le passage à la retraite (Elder et Pavalko, 1993; Guillemard, 2003;

Henretta, 1992). Ces transformations concernent-elles l'ensemble du parcours de vie, de la naissance à la mort, ou y a-t-il des âges qui font exception ? Une thèse prétend en effet que, depuis quelques décennies, les « derniers chapitres » de la vie (Marshall, 1980) connaîtraient une forte tendance à la normalisation institutionnalisée (Lalive d'Epinay, 1996).

Au cours du XXe siècle, dans l'ensemble des pays occidentaux, la grande vieillesse a perdu son caractère d'exception pour devenir un âge normal de la vie. En Suisse, de 1880 à 2005, l'espérance de vie à la naissance a augmenté de manière spectaculaire, passant de 41.2 à 78.7 ans pour les hommes, de 44.2 à 83.9 ans pour les femmes (OFS, 2006b). Avec l'accroissement de la longévité, au fil des décennies et des cohortes, de plus en plus de personnes font l'expérience du grand âge. Il est aujourd'hui devenu raisonnable de s'attendre à vivre au-delà des 80 ans. En 2005, 49% des hommes et 71% des femmes décédés étaient âgés de 80 ans et plus (OFS, 2006b). En même temps que le grand âge s'inscrit comme un territoire nouveau sur la carte de nos sociétés, les moments clé qui

4 Certains auteurs avancent même que nous serions face à une désinstitutionnalisation du parcours de vie (cf.

Dannefer, 2003; Held, 1986). J'ai discuté ailleurs cette thèse, en défendant l'idée selon laquelle il peut y avoir des modèles de parcours de vie institutionnalisés, qui seraient en même temps individualisés (Cavalli, 2007).

Plus qu'à un recul du formatage normatif des vies, nous sommes aujourd'hui confrontés à la reconnaissance et à la codification d'un parcours davantage déstandardisé et déchronologisé. Les conséquences de cette

« institutionnalisation de la flexibilité » (Leisering, 2003, p. 222) sont ambivalentes: les individus peuvent profiter de plus amples possibilités dans la poursuite de leurs buts ainsi que d'une extension du contrôle sur leur existence, mais en même temps ce droit de choisir sa vie se décline en une injonction à construire – et à réussir ! – son propre parcours biographique. Comme l'illustre bien Sennett (1998) à propos des nouveaux travailleurs, cette nouvelle donne est porteuse d'anxiété et peut générer un « sentiment d'insuffisance » ou une sensation de « ne pas être à la hauteur » (Ehrenberg, 1998).

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jalonnent les dernières phases de la vie font l'objet d'un travail multiple et complexe de codification et de régulation: définition et délimitation d'étapes distinctes de la vieillesse;

mise sur pied d'un réseau complexe de services, dans le but d'organiser la vie des personnes qui ne sont plus à même de la gérer de manière autonome; encadrement et médicalisation de la fin de vie, avec l'établissement de normes et de légitimités à propos de la mort; sans oublier le développement et la structuration qu'a connus la recherche scientifique sur le vieillissement. A un autre niveau, les travaux sur le timing des transitions et des événements ont mis en évidence que, au cours du XXe siècle, les changements qui avaient lieu dans la première partie de la vie étaient devenus moins prévisibles, alors que le décès des parents ou le veuvage, pour ne citer que ces deux exemples, sont aujourd'hui davantage liés à un âge typique que par le passé (Hagestad, 1990; Martin Matthews, 1987).

Comment se déroulent les trajectoires des personnes âgées et comment s'organisent les dernières étapes du parcours de vie ? Voilà des questions qui inspirent les réflexions et les recherches menées au CIG de l'Université de Genève depuis sa création en 1992. Dans un premier temps, Christian Lalive d'Epinay s'est attaché à dégager les modèles de parcours de vie propres à la société industrielle et à en suivre la transformation continuelle au cours du XXe siècle, en mettant l'accent sur la construction sociale de la vieillesse et l'émergence d'un « troisième âge » entre le moment de la retraite et celui de la sénescence (Lalive d'Epinay, 1994, 1996). Ensuite, avec ses collègues et collaborateurs, il a poursuivi, tant du point empirique que conceptuel, l'examen de l'architecture générale du grand âge ainsi que son évolution contemporaine. Après avoir récusé l'utilisation de seuils chronologiques, nous5 avons cherché des critères de classification de la population âgée au niveau de l'individu lui-même et de son ontogenèse. La grande vieillesse – ce que le sens commun nomme « quatrième âge » – a d'abord été définie en faisant appel à la santé fonctionnelle (Lalive d'Epinay, Bickel, Hagmann, Maystre et Michel, 1999; cf. aussi Lalive d'Epinay, Bickel, Maystre et Vollenwyder, 2000), puis en recourant à la notion complexe et multidimensionnelle de fragilité (Lalive d'Epinay, Cavalli et Guilley, 2005c; Lalive d'Epinay et Spini, 2008; pour une discussion théorique, cf. Spini, Ghisletta, Guilley et Lalive d'Epinay, 2007b).

5 J'emploie la première personne du pluriel puisque, associé au CIG depuis 1998, j'ai participé activement à ces discussions.

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De nos jours, vieillir implique de devoir affronter la fragilisation de son corps et de son esprit, mais atteindre le grand âge ne conduit pas nécessairement à devoir se résigner à vivre des formes chroniques d'incapacités lourdes (Lalive d'Epinay et Spini, 2008;

Romoren, 2003 [2001]). L'état de fragilité constitue, dans le parcours de vie actuel, une étape normale en ce qu'il affecte la très grande majorité des vieillards, avec des implications importantes sur leurs modes de vie (Lalive d'Epinay et Spini, 2008). La délimitation entre un troisième et un quatrième âge reste pourtant floue: d'une part, le passage de l'un à l'autre n'est pas institué socialement; d'autre part, il demeure difficile de repérer un ou des événements fondateurs de la transition, un individu pouvant même changer d'état sans connaître véritablement un événement.

Bien que la grande vieillesse ne soit pas synonyme de maladie et de dépendance, avec l'avance en âge, la santé devient un enjeu de plus en plus crucial et les vieillards doivent faire face à de nombreux défis – des changements qui se déclinent le plus souvent, mais pas toujours, en pertes (Cavalli et al., 2006; Heckhausen, Dixon et Baltes, 1989). C'est au moment même où le processus de sénescence affaiblit la capacité de l'individu à s'adapter aux changements – sa plasticité – tout comme son aptitude à préserver, voire à rétablir, un équilibre avec l'environnement matériel et social (Baltes et Smith, 1999), que le vieillard est confronté à une suite d'événements perturbateurs, tels le veuvage et d'autres décès de proches, des problèmes et des accidents de santé, des hospitalisations ou encore des déménagements.

1.2 Modes de résidence et lieux de vie des personnes âgées

Le logement acquiert une importance croissante chez les personnes âgées et représente un facteur essentiel de leur qualité de vie. En effet, avec l'arrêt de l'activité professionnelle et, plus tard, quand le poids de l'âge se fait sentir, le temps passé chez soi augmente (Brigand, Gres, Grimm-Holderith, Herberich-Marx et Raphael, 1984; Commission fédérale "Vieillir en Suisse", 1995; Warnes, 1992).

Le logement est l'habitat d'un ménage, lequel est constitué, en général, d'une cellule sociale, une famille, un couple. Or, depuis un siècle, ce ménage se transforme, sa taille diminue. En Suisse, en 1990, le ménage des personnes âgées de 65 ou plus comprenait, en moyenne, 1.8 personnes (Lalive d'Epinay, Brunner et Albano, 1998a, p. 91). En 2000, six femmes et huit hommes sur dix résident avec leur conjoint au moment de la retraite; au-

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delà de 80 ans, ce n'est plus qu'un tiers des personnes qui vit en couple (Sauvain-Dugerdil, 2005). Après le partage du quotidien en famille et une phase de vie où l'on cohabite avec le conjoint uniquement (« nid vide »), la vieillesse se caractérise souvent par un période de

« vie en solo » (Kaufmann, 1999). Environ un tiers des personnes ayant atteint 65 ans et demeurant dans des ménages privés vivent cette condition. Une proportion qui croît de façon continue avec l'âge et, en raison du taux élevé de veuvage féminin, concerne essentiellement des femmes. Ainsi, parmi les plus de 80 ans, 66% des femmes et 28% des hommes vivent seuls. Ce phénomène s'est accru de manière spectaculaire durant les trente dernières années: entre 1970 et 2000, la progression de la vie en solo chez les très vieux a été de 41 points pour les femmes, de 9 points pour les hommes. A l'opposé, la proportion de personnes âgées vivant avec un de leurs enfants a très fortement diminué au cours de la même période: aujourd'hui, la cohabitation intergénérationnelle ne concerne que 8% des jeunes retraités et 4% des personnes de plus de 80 ans (Sauvain-Dugerdil, 2005; sur la transformation des modes de résidence des personnes âgées, cf. aussi Sauvain-Dugerdil et al., 1997).6

Dans les sociétés modernes, vivre en solo correspond dans la règle à se situer dans une période de transition entre deux formes de communauté, par exemple de la famille d'origine à celle de procréation. De nos jours, la majorité des personnes vivant seules sont des veufs et, surtout, des veuves. Phénomène anthropologiquement nouveau, dans nos sociétés il devient normal de vivre seul chez soi une partie de sa vieillesse. Ce fait inédit est une conséquence de la séparation entre l'habitat et le lieu de travail ainsi que l'expression de la valorisation du maintien de l'autonomie et d'un plus grand désir d'indépendance résidentielle. Reste à savoir si la vie en solitaire des personnes âgées coïncide avec une aspiration ou si le choix, quand il y a choix, s'exprime par défaut, une fois le couple brisé par la mort. Dans leurs discours, les parents âgés motivent le souhait de ne pas aller vivre chez les enfants avant tout pour ne pas les importuner et respecter leur intimité (Groupe de travail "logement" de l'Université du 3e âge de Genève, 1988).

6 Même si la cohabitation entre parents âgés et enfants devient rare, les liens entre générations restent forts (Armi, Guilley et Lalive d'Epinay, 2008a; Attias-Donfut, 1995; Coenen-Huther, Kellerhals et von Allmen, 1994). Parents et enfants vivent souvent dans des logements séparés mais voisins, ce qui permet une aide mutuelle tout en préservant l'autonomie de chacun. Plutôt que de disparition de la solidarité familiale, on peut parler d'un modèle d'« intimité à distance » (Rosenmayr et Köckeis, 1963).

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La vie en institution, quant à elle, est généralement perçue de manière négative et suscite bien des peurs chez la plupart des personnes âgées (cf. Billé, 2005; Johnson et Grant, 1985). Même en cas de maladie chronique ou de perte du conjoint, rester chez soi est ressenti comme plus satisfaisant que s'installer dans un EMS par la quasi-totalité des vieillards. Plusieurs facteurs contribuent à la construction et au maintien de cette image discréditée des maisons accueillant des personnes âgées. Tout d'abord, les raisons de ce rejet de l'institution sont à rechercher dans le fait que, en dépit de leur évolution, dans l'imaginaire les EMS sont parfois encore associés à l'idée d'asiles et d'hospices: « ghetto pour vieillards », « mouroir », « ambiance déprimante », la tâche pour ceux qui cherchent à se distancer de la mauvaise réputation des anciens asiles est loin d'être simple (cf. Cavalli, 1997). Ces inquiétudes sont également alimentées par des scandales relatés à des intervalles plus ou moins réguliers dans la presse ou dénoncés par des enquêtes sur le terrain (e.g., Labayle, 1995). Ces faits divers peuvent être liés à une gestion frauduleuse de certains établissements ou découler du mauvais traitement, quand ce n'est pas carrément de la maltraitance, que subissent des pensionnaires (sur la maltraitance en institution, cf. par exemple: Casman et Lenoir, 1998; Hugonot, 2000). Indépendamment de ces pratiques méprisables, la décision d'entrer en EMS est aussi pénible parce qu'elle implique de quitter son cadre de vie pour se rendre en terre inconnue, d'abandonner un lieu empreint de mille souvenirs et peuplé de visages familiers pour se retrouver dans un espace fermé où se côtoient les blouses blanches du personnel et les visages gris et décatis des résidents. Enfin, la pension est associée à l'idée de mauvaise santé, de dépendance. Pour ceux qui y entrent, elle symbolise l'échec du maintien à domicile et la reconnaissance de la perte d'autonomie.

Les nouveaux pensionnaires connaissent le caractère irréversible de la décision et savent que, sauf exception, le déménagement représente un éloignement préfigurant la séparation définitive. S'installer en EMS signale crûment que l'on a entamé la dernière ligne droite de la vie.

A première vue, ces craintes et angoisses ne peuvent qu'être partiellement apaisées par les avantages que l'institution apporte: des soins continus et de haut niveau, un personnel compétent, humain et chaleureux, le compagnonnage de pairs qui peut être mis en regard de la solitude parfois vécue chez soi, l'offre d'activités diverses, la sécurité enfin, valeur-clé de la vieillesse. Et pourtant, lorsque la parole est laissée aux vieillards vivant dans l'un de ces établissements spécialisés, le tableau se fait plus nuancé. Si certains résidents ont vécu la transition comme un traumatisme dont ils ne se sont pas remis, d'autres témoignages

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sont décidément plus positifs et leurs auteurs se disent satisfaits du nouveau cadre de vie (e.g., Dorange, 2005; Jervis, 2001). Les résultats d'une étude sur la perception des changements à différents âges de la vie, que j'ai réalisée avec des étudiants en sociologie, montrent par ailleurs que presque la moitié des personnes âgées de 80 à 84 ans qui sont entrées dans un EMS au cours de la dernière année évaluent ce changement de manière positive (Cavalli et al., 2006).

Malgré l'acception négative que revêt l'entrée en institution et la ferme volonté de rester chez soi propre à la plupart des personnes âgées, le besoin croissant d'aides au cours du grand âge et, corrélativement, la difficulté de voir assurée une prise en charge adéquate à domicile rendent le choix de l'EMS nécessaire, voire inévitable, pour un certain nombre de vieillards. Plus en général, l'exigence d'assister une part de la population âgée qui n'est plus à même de gérer seule sa vie a débouché sur la mise en place d'un réseau de plus en plus complexe de dispositifs d'aide. A l'EMS s'ajoutent les différents services d'aide et de soins à domicile (désormais désignés par les spécialistes par l'acronyme de SASD), les foyers de jour, les immeubles à encadrement médico-social ou encore les unités d'accueil temporaire.

En Suisse, au cours des trente dernières années, la proportion de résidents en ménage collectif au sein de la population de 65 ans et plus n'a guère augmenté, passant de 7.0% en 1970 à 7.2% en 2000.7 Néanmoins, derrière cette stabilité dans le taux de recours aux institutions, se dissimule une transformation radicale des caractéristiques sociodémographiques des pensionnaires. Anciennement destinées aux démunis de tout âge, les institutions ont connu dans la seconde moitié du XXe siècle une inversion des priorités d'accueil: le ménage collectif se transforme en une forme de cohabitation destinée principalement aux personnes âgées (Lalive d'Epinay et al., 1998a, p. 83). En 1970, les

7 Données de l'Office fédéral de la statistique (OFS), recensement 2000. Ces chiffres, calculés par moi-même, se référent aux personnes vivant dans les « ménages collectifs réels » (EMS, hôpitaux, foyers pour handicapés, prisons, couvents, hôtels, etc.). Selon les catégories que l'on retient, les pourcentages peuvent varier quelque peu, entre autres parce que l'OFS, en 2000, a procédé à un changement de méthode de relevé.

Je reviendrai plus en détail là-dessus dans la sous-section 2.1.3.

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personnes de 65 ans et plus représentaient un quart des résidents des ménages collectifs;

elles en composaient la moitié en 1990, près de 60% en 2000.8

Dans les années 1960-70, les hospices, qui accueillaient dans des conditions parfois douteuses surtout des indigents, deviennent socialement intolérables et sont peu à peu remplacés par, voire transformés en, des maisons de retraite. Ces dernières s'offraient comme des lieux de vie dans lesquels, l'âge venant, on s'installait avant même que la santé ne l'impose. La plupart des pensionnaires étaient valides ou conservaient, malgré un léger handicap, une relative autonomie; lorsque leur santé se détériorait, il était coutume de faire appel au secteur hospitalier (Schnegg, 2000).

Durant les dernières décennies, sous l'impulsion d'une politique visant le maintien à domicile de la personne âgée le plus longtemps possible, l'entrée en institution a pu être retardée.9 Les besoins des résidents, de plus en plus âgés et lourdement dépendants, se modifient à grande vitesse et le rôle même des institutions demande à être constamment redéfini (Bishop, 1999). Aujourd'hui, le label « maison de retraite » n'a plus cours, les nouvelles institutions s'appellent établissements médico-sociaux et la question des soins y est devenue primordiale. Les EMS se voient investis d'un double mandat: d'un côté, être un lieu de vie pour des vieillards souffrant d'atteintes physiques et/ou psychiques qui affectent lourdement leur autonomie; de l'autre, le jour venu, accompagner les résidents vers la mort (Cavalli, 2002; Lalive d'Epinay et Cavalli, 2005).

Au cours des prochaines décennies, la Suisse comme les autres pays développés devra faire face à un important vieillissement de la population. Selon les projections de l'OFS (2006a), les personnes de 80 ans et plus, qui se chiffraient à 328'200 en 2005, seront plus 500'000 en 2025. Cela entraînera inévitablement un accroissement de la demande de lits en EMS et, par la même occasion, une augmentation pour les individus et la collectivité des coûts des soins de longue durée. D'après une estimation, au niveau suisse, les coûts des EMS

8 OFS, recensement 2000. Chiffres calculés par moi-même. Ici dans les ménages collectifs ne sont pas inclus les « autres ménages collectifs » (hôtels, foyers pour requérants d'asile, etc.). Sont considérées sans distinction les trois catégories de résidents (pensionnaires, personnel et autres).

9 Récemment, Höpflinger et Hugentobler (2006) ont remis en question l'existence d'un mécanisme de substitution entre les deux formes de prise en charge, estimant que le soutien des proches jouerait un rôle plus important que la disponibilité de SASD dans le retardement de l'hébergement (cf. aussi Jaccard Ruedin, Weber, Pellegrini et Jeanrenaud, 2006).

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devraient passer de quelque 5.6 milliards de francs en 2001 à 12.9 milliards en 2030; plus de 15 milliards si l'on englobe les dépenses pour les SASD (Pellegrini, Jaccard Ruedin et Jeanrenaud, 2006, p. 25).

Le développement, sous l'égide de l'Etat, d'un réseau complexe de structures d'aide fait qu'il existe aujourd'hui une réponse institutionnelle à chacune des situations typiques de la vieillesse. En même temps, l'application d'un moratoire sur la construction de nouveaux établissements d'habitat collectif dans un certain nombre de cantons est à l'origine d'une pénurie de lits en EMS qui appelle une réponse urgente. A Genève, en mai 2002, plus de 200 vieillards séjournaient dans des sites hospitaliers en attente de placement; des personnes dont l'état de santé ne justifiait pas une hospitalisation, mais rendait néanmoins impossible un retour à domicile. Ce nombre est en constante augmentation depuis 1997 (DASS, 2002).10 Le Valais n'est pas épargné par ce problème et le manque de lits en EMS a amené les autorités cantonales à encourager la construction de logements indépendants adaptés aux personnes âgées (Pralong, 2004).

Quel type de transition constitue aujourd'hui l'entrée en EMS ? En Suisse, selon les données du recensement de 2000, 13% des hommes et 24% des femmes âgés de 80 ans ou plus vivent en ménage collectif.11 Après l'âge de 80 ans, un déménagement sur quatre conduit en institution; presque la moitié dès 90 ans (Wanner, 2005). Ces chiffres suggèrent qu'aujourd'hui l'entrée en EMS ne concernerait qu'une minorité de vieillards et ne serait donc pas une transition « normale »12 du parcours de vie. Le conditionnel est dû au fait que les taux de personnes en institution sont calculés à partir de données transversales et rendent compte d'une situation à un moment donné, mais ils n'informent pas sur le risque

10 Pour faire face à la demande pressante de nouvelles places en EMS, en décembre 2000, le Conseil d'Etat genevois a levé le moratoire sur la construction de nouveaux établissements qui avait été introduit en 1992.

Depuis, la réalisation d'une vingtaine d'EMS a été planifiée (DASS et DAEL, 2001).

11 Cf. supra, note 7.

12 En anglais, on emploie généralement l'expression de « normative transitions » pour désigner les transitions qui sont vécues par le plus grand nombre d'individus au sein d'une population donnée (par exemple: Hareven et Masaoka, 1988, p. 272). Cet usage est néanmoins ambigu car le terme « normative » renvoie à deux réalités bien différentes: d'un côté la « normalité », c'est-à-dire – dans le sens que lui attribue Durkheim (1988 [1894], chap. 3) – la très forte probabilité statistique pour un individu de faire l'expérience de la transition; de l'autre, la « normativité », à savoir le fait que le changement en question soit normé par la société, donc en quelque sorte institutionnalisé (cf. Lalive d'Epinay et al., 2005c; Reese et Smyer, 1983).

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que courent les membres d'une cohorte d'utiliser un jour ces établissements. Aux Etats- Unis, Murtaugh, Kemper et Spillman (1990) ont montré que 37% des personnes de 65 ans et plus décédées entre 1982 et 1984 avaient résidé à un moment ou un autre dans une institution; plus de la moitié des personnes disparues après 85 ans s'étaient installées en pension, contre 20% des personnes décédées entre 70 et 74 ans.

Il s'agit ensuite d'évaluer si l'entrée en EMS débouche sur une situation stable et irréversible. Autrement dit, est-ce qu'on se rend en ménage collectif pour vivre une nouvelle étape de sa vie, en sachant que cette étape est la dernière et que son terme est la mort, ou, comme c'est le cas en Amérique du Nord (Gelfland, 1999; Zimmerman et Sloane, 2007), les retours à domicile demeurent possibles, voire sont fréquents ? La transition vers l'EMS ne doit pas être comprise de manière isolée, car elle est toujours enchâssée dans une trajectoire qui lui donne sens. Dès lors, nous devons nous demander comment l'installation en institution s'insère dans une séquence plus large d'événements et de changements qui ont lieu au cours de la grande vieillesse: fragilisation, maladie chronique et dépendance, hospitalisations, recours à des services d'aides à domicile, décès de proches, etc. Il s'agit donc de déterminer quand cette transition a lieu, et l'on imagine facilement que, selon le moment, les causes tout comme les conséquences du placement peuvent différer.

En Suisse, l'EMS se retrouve en quelque sorte à payer le prix des choix politiques et du succès de la priorité donnée au maintien à domicile. La tendance à retarder l'admission se poursuit et les institutions doivent gérer des cas de plus en plus lourds. Le risque est alors que l'aspect médical et l'accompagnement des mourants prennent le dessus sur l'autre grande mission de l'EMS, à savoir l'accompagnement des vivants. Quels sont les choix de société à l'égard de l'émergence d'une population âgée qui n'est plus à même de gérer sa vie ? Est-il acceptable, à l'aube du troisième millénaire, de réduire les EMS à des mouroirs, bien que dorés, ou veut-on qu'ils restent avant tout des lieux de vie, le dernier sans doute, mais un lieu où l'existence des vieillards doit pouvoir se déployer ? Questions qui nous renvoient à des interrogations plus générales sur les fondements et la validité d'une prise en charge collective de la dépendance dans une société qui accorde le primat à l'individu (Dumont, 1985 [1983]; Elias, 1991 [1987]) et à la norme de l'autonomie (Fuchs, Lalive d'Epinay, Michel, Scherer et Stettler, 1997). Bien sûr, il ne s'agit pas de répondre ici à ces interrogations ni de proposer des solutions pour l'avenir. Néanmoins, une meilleure compréhension des trajectoires menant certains vieillards à s'installer en EMS et d'autres à

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rester chez eux ainsi que de la manière de s'adapter à la vie en institution, devrait apporter des connaissances utiles pour faire face à ces défis.

1.3 La perspective du parcours de vie: quelques rappels conceptuels

Dans la réalisation de cette étude, j'emprunte les principaux outils théoriques au paradigme du parcours de vie. C'est au cours de la seconde moitié du XXe siècle que différentes traditions disciplinaires ont convergé dans l'élaboration de ce que l'on appelle le

« paradigme du parcours de vie » (sur son émergence, cf. Lalive d'Epinay et al., 2005b). En particulier, quatre courants de recherche sont directement liés à la perspective du parcours de vie: les travaux sur les notions d'âge, de cohorte et de génération (e.g., Mannheim, 1990 [1928]; Ryder, 1965); la psychologie développementale du « life span » (e.g., Baltes, Lindenberger et Staudinger, 2006; Baltes, Reese et Lipsitt, 1980; Baltes, Staudinger et Lindenberger, 1999; Lecerf, De Ribaupierre, Fagot et Dirk, 2007); la sociologie qui scrute l'articulation entre l'histoire et les vies individuelles (e.g., Clausen, 1993; Elder, 1999 [1974]); enfin, la sociologie qui étudie l'aménagement social et culturel du déroulement de la vie humaine (e.g., Kohli, 1986; Lalive d'Epinay, 1994; Mayer, 2001).

L'expression de « parcours de vie » (« life course ») est utilisée tant pour définir un paradigme scientifique multidisciplinaire, qui étudie le déroulement de la vie humaine dans son extension temporelle et dans son cadrage socio-historique, qu'un concept sociologique (cf. Dannefer, 2003; Lalive d'Epinay et al., 2005b). En ceci, elle marque une rupture face à l'expression de « cycle de vie » qui renvoie aux représentations collectives du déroulement biologique de la vie humaine (Attias-Donfut, 1991; Lalive d'Epinay et Bickel, 1996).

Le paradigme13 du parcours de vie peut être défini comme:

« L'étude interdisciplinaire du déroulement des vies humaines (de l'ontogenèse humaine), c'est-à-dire l'analyse et l'intégration dans un cadre théorique commun des interactions et des interdépendances entre:

13 Par paradigme il faut entendre ici, au sens de Merton (1968), une orientation théorique qui établit un champ commun d'études et qui guide l'analyse aussi bien théorique qu'empirique (en termes de formulation de concepts, d'identification de questions pour la recherche, de choix des stratégies d'enquête et des modes de traitement des données) (cf. Elder, 1998; Lalive d'Epinay et al., 2005b).

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a) les processus développementaux, biologiques et psychologiques;

b) le contexte socio-historique et les dynamiques qui l'affectent, ainsi que ses médiations institutionnelles, dont en particulier les modèles de parcours de vie comme formes de régulation sociale;

c) les trajectoires individuelles qui se développent dans le cadre des contraintes et des possibilités délimitées par les processus développementaux (a) et par le contexte socio-historique (b), cela en fonction des ressources propres à chaque individu, du travail de réflexivité qu'il opère et de son "identité narrative" propre » (Lalive d'Epinay, Bickel, Cavalli et Spini, 2005a).

Cette définition souligne la nécessité en premier lieu de considérer le développement humain comme un phénomène multidimensionnel (à la fois biologique, psychologique et social), englobant les différentes sphères dans lesquelles se déroule l'existence (famille, travail, éducation, etc.). A ce titre, l'étude du parcours de vie ne peut pas se faire à partir d'une seule discipline, mais appelle à une approche interdisciplinaire. Deuxièmement, les trajectoires des individus doivent être ancrées dans des contextes sociaux particuliers. L'un des objectifs de la sociologie du parcours de vie consiste alors à étudier l'articulation entre les vies des individus et une société en perpétuel changement ou, pour reprendre les termes de Mills, à « saisir histoire et biographie, et les rapports qu'elles entretiennent à l'intérieur de la société » (1997 [1959], p. 8).

Le sociologue américain Elder est sans doute celui à qui l'on doit la formulation la plus systématique de la théorie du parcours de vie (e.g., Elder, 1994; Elder, 1998; voir aussi:

Marshall et Mueller, 2003; Settersten, 1999, 2003). Dans ses publications les plus récentes, il énumère cinq principes heuristiques fondamentaux du paradigme du parcours de vie (Elder et Kirkpatrick Johnson, 2003; Elder, Kirkpatrick Johnson et Crosnoe, 2003).

1. Life-span development

Tout d'abord, dans la perspective du parcours de vie, le développement des individus doit être considéré comme un processus qui ne s'arrête pas une fois atteint l'âge adulte, mais qui s'étend tout au long de l'existence, de la naissance à la mort (Baltes, Lindenberger et Staudinger, 1998). Chaque période de la vie peut difficilement être comprise adéquatement de manière isolée, sans prendre en considération la trajectoire passée. A ce propos, plusieurs études ont montré que les expériences qui ont eu lieu tôt

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dans la vie influencent la suite du parcours de vie (e.g., Dannefer et Uhlenberg, 1999;

Hagestad et Dannefer, 2001).

2. Time and place

Il importe aussi de tenir compte de l'insertion des vies dans des temps historiques et des lieux. En effet, les parcours de vie des individus sont enchâssés dans, et façonnés par, les temps historiques et les événements dont les individus font l'expérience au cours de leur existence ainsi que par les espaces qu'ils traversent.

3. Human agency

Les existences ne sont cependant pas complètement façonnées ou déterminées par le contexte social, mais les individus contribuent à construire leur propre parcours de vie à travers les choix et les actions qu'ils entreprennent à l'intérieur des opportunités et des contraintes imposées par les circonstances sociales et historiques. Cette capacité à faire des choix et à orienter son propre parcours dépend des ressources disponibles, de l'accumulation d'expériences et de savoirs.

4. Timing

L'impact sur le déroulement d'une vie d'une transition ou d'un événement diffère selon le moment de leur survenue (leur timing) dans le cours de l'existence des individus. Ce principe est applicable tant aux transitions et événements personnels qu'aux changements socio-historiques. Par exemple, pour une femme, devenir veuve au-delà de 80 ans est une épreuve certes douloureuse mais en quelque sorte prévisible, tandis que vivre ce même événement au moment où les enfants sont en bas âge entraîne des conséquences bien différentes.

5. Linked lives

Enfin, les actions d'un individu influencent – et sont influencées par – celles de ses proches (parents, conjoints, enfants, amis, etc.). Les existences sont vécues dans l'interdépendance et les influences socio-historiques s'expriment au travers de ce réseau de relations partagées.

L'expression de « parcours de vie » ne renvoie pas seulement à un paradigme théorique à vocation interdisciplinaire, mais désigne aussi un concept sociologique. Un concept qui peut prendre deux acceptions selon que l'on se place sous l'angle sociétal ou au niveau

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individuel. Dans le premier cas de figure, le parcours de vie fait référence à la manière dont la société – via l'Etat, le système économique, etc. – organise la vie humaine à travers des modèles de curriculum (cf. Kohli, 1986; Lalive d'Epinay, 1994). Le parcours de vie individuel, quant à lui, se compose d'un ensemble de trajectoires plus ou moins liées entre elles et renvoyant aux différents champs (ou sphères) dans lesquels se déroule l'existence (Lalive d'Epinay et al., 2005b). Les différentes trajectoires composant le parcours de vie individuel se présentent comme des séquences plus ou moins ordonnées de positions plus ou moins durables, souvent associées à des ressources, normes et rôles spécifiques.

Les trajectoires sont ponctuées par des événements, des transitions et des tournants. Ces notions, qui ne font pas l'objet de définitions consensuelles et sont parfois utilisées de façon interchangeable, désignent toutes des ruptures et des discontinuités dans les parcours de vie individuels. La notion de transition est souvent évoquée pour expliquer comment les individus progressent à travers les principales périodes de changement de leur vie (Chiriboga, 1995; Hagestad, 1990). Une transition comporte un changement d'état qui combine l'abandon de rôles familiers et l'acquisition de nouveaux rôles (Elder, 1998;

George, 1993; Hagestad, 2003); elle peut également comporter des changements de statut et d'identité (Glaser et Strauss, 1971). Parfois assimilés à des transitions, les événements peuvent être vus comme des marqueurs, voire comme des causes d'une transition (Reese et Smyer, 1983). De même, une transition peut englober plusieurs événements. Par exemple, la transition vers la vie adulte peut intégrer la fin des études, l'entrée dans le marché du travail, l'installation dans un ménage indépendant, le mariage et la naissance du premier enfant (Hogan et Astone, 1986; Shanahan, 2000). Les événements de vie (« life events ») ont été définis comme des changements objectifs qui perturbent, ou menacent de perturber, les activités habituelles des individus (Dohrenwend et Dohrenwend, 1969p. 133), ou comme des changements discrets et identifiables dans les modèles habituels de comportement (George, 1982, p. 27). Certains événements ou transitions sont particulièrement cruciaux et peuvent infléchir la trajectoire de vie: ils sont alors identifiés comme des tournants (« turning points »), c'est-à-dire des moments dans lesquels l'existence change significativement et durablement de direction (e.g., Abbott, 1997;

Bidart, 2006; Clausen, 1995; Elder, 1998; Sampson et Laub, 1993).

Mais revenons à la notion de transition, centrale dans mon étude. Les transitions peuvent être cataloguées de différentes façons, par exemple selon le type de changement qu'elles engendrent ou suivant leurs caractéristiques et les modes dont elles se manifestent. Elles

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peuvent renvoyer à des transformations macrosociologiques, désignant le passage d'une société à une autre ou entre deux régimes démographiques, tout comme à des changements dans les parcours de vie individuels. Considérons ces derniers. Certains découlent de l'organisation sociétale du parcours de vie et en délimitent les principales étapes; ils ont un caractère inéluctable, sont inscrits dans un calendrier socialement partagé et, dans un lieu et un contexte historique donnés, concernent une majorité de personnes; l'entrée dans la vie adulte et la retraite en font sans doute partie. D'autres transitions, tout en étant à l'origine de changements importants dans la vie, présentent un degré plus ou moins fort de probabilité ou ne touchent que des groupes spécifiques de la population; par exemple, le veuvage est courant pour les femmes âgées, possible mais relativement peu probable pour les hommes.

L'examen des propriétés des transitions et des événements de vie a donné naissance à une vaste littérature. Les psychologues développementalistes ont proposé une série de taxinomies en mettant l'accent soit sur les propriétés per se des événements, soit sur les types d'effets engendrés (Brim et Ryff, 1980; Diehl, 1999; Reese et Smyer, 1983). Les sociologues, de leur côté, en sont venus à s'intéresser aux caractéristiques des transitions à travers l'étude des changements de statut qui se produisent lors des différentes phases de socialisation ou tout au long des carrières professionnelles (Ferraro, 2001; Glaser et Strauss, 1971). Malgré la diversité des approches, les critères retenus sont grosso modo les mêmes: prévisibilité et degré d'anticipation, type de contrôle que le sujet peut exercer sur le changement, désirabilité, réversibilité, corrélation avec l'âge chronologique, etc. De nos jours, les chercheurs s'inscrivant dans la perspective du parcours de vie s'accordent sur un nombre limité de paramètres qui, à leur sens, devraient toujours être pris en compte dans la description des transitions et des trajectoires des individus: l'âge ou le moment auquel une transition du parcours de vie ou un événement a lieu (« timing »); l'ordre, ou la succession, dans lequel les changements sont vécus (« sequencing »); le temps écoulé entre deux ou plusieurs expériences (« spacing »), ainsi que leur entassement dans un intervalle limité (« density ») et le temps passé dans un état particulier (« duration ») (Settersten, 1999, 2003; Settersten et Mayer, 1997). Les significations et les conséquences d'une transition dépendent étroitement de ces caractéristiques (Elder, 1998). Par exemple, vivre des transitions « on time », c'est-à-dire en accord avec les normes d'âge et les calendriers sociaux culturellement partagés, permet d'en anticiper les conséquences et facilite l'adaptation ainsi que l'acquisition des nouveaux rôles (Hagestad, 1990; Neugarten, Moore et Lowe, 1965).

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1.4 Objectifs et questions de la recherche

L'objectif de cette étude est d'analyser les trajectoires de vie dans la grande vieillesse en m'interrogeant sur la place générale, les causes et les implications de l'installation en EMS.

Je pars de l'idée que, à l'instar de l'accès à la vie adulte (Hogan et Astone, 1986; Shanahan, 2000) mais aussi du passage à la retraite (Guillemard et Rein, 1993; Moen, 2003), l'entrée en EMS n'est pas un simple événement mais un processus complexe pouvant être associé à une série de changements; un processus qui prend une forme et une signification spécifiques à l'intérieur d'une trajectoire (Elder, 1995, 1998). L'exigence est donc de considérer un segment du parcours de vie qui commence en deçà et qui s'achève bien au- delà du simple déménagement.

Dans cette démarche, je distingue analytiquement trois moments de la transition. D'abord, en amont du déménagement, j'étudie les critères qui président à la décision de s'installer en EMS (cf. chapitre 5). Pourquoi certaines personnes âgées y entrent et qu'est-ce qui permet à d'autres, malgré la détérioration de leur état de santé, de demeurer chez elles ? Parmi les raisons qui conduisent à privilégier l'un ou l'autre de ces lieux de vie, quel est le poids des déficits physiques ainsi que de l'accumulation des incapacités fonctionnelles, respectivement des facteurs sociaux, comme l'absence d'entourage, l'inadéquation des supports sociaux ou l'état de pauvreté ? Dans un deuxième moment, j'analyse les modalités à travers lesquelles la décision de s'installer en EMS est mise en œuvre par le vieillard lui- même ou par son entourage (cf. chapitre 6). Comment se déroule le passage du domicile à l'EMS ? Comment s'opère le choix de l'établissement ? Qui s'occupe des démarches administratives et du déménagement ? Quel contrôle garde le vieillard sur ces différents instants ? Enfin, j'étudie les suites de cette rupture biographique qui déstructure radicalement la vie quotidienne ainsi que les tentatives de la réinventer dans un nouvel environnement (cf. chapitre 7). Quelles sont les conséquences de l'entrée en EMS dans les domaines de la santé, du bien-être, des contacts et des relations sociales ainsi que des activités ? Ces établissements, comme l'expriment certaines idées reçues, sont-ils des lieux où la dysfonction l'emporte sur la fonction, caractérisés par l'ambiance déprimante, l'accélération du déclin et la marginalité sociale ou, au contraire, le résident, après une période d'adaptation, peut-il reconstruire un nouvel équilibre de vie qui fasse sens ?

Ces différentes phases ne sont pas séparées par des cloisons étanches mais sont étroitement liées entre elles. Une expérience spécifique, telle une transition ou un épisode de celle-ci, ne peut pas être comprise de manière isolée, sans faire référence aux expériences

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antérieures et aux événements passés (Elder, 1998; Settersten, 2003). Par exemple, la manière de s'adapter à la vie en institution dépend, entre autres, de la trajectoire antécédente du résident: sur le court terme, des conditions dans lesquels s'est déroulée l'entrée en EMS; plus en général, de son histoire de vie.

Les trajectoires individuelles – ou les « carrières » dans les termes de Hughes – peuvent être envisagées de deux manières: objectivement comme des enchaînements de statuts et de positions sociales occupées par un individu durant la vie (ou une partie de celle-ci);

subjectivement comme des changements dans la perspective selon laquelle un individu perçoit son histoire personnelle et interprète ses actions et ses pensées (Hughes, 1937).

Cette distinction renvoie à deux manières d'analyser les trajectoires individuelles. Les trajectoires objectives sont généralement mesurées au moyen de catégories statistiques, les trajectoires subjectives s'expriment dans des récits biographiques (Dubar, 1998). Dans ce travail, j'étudie les pratiques et les expériences des vieillards qui entrent dans un établissement spécialisé, tant du point de vue objectif – comment ça se passe au niveau factuel ? – que subjectif – comment cela est vécu et évalué par la personne ? C'est en ce sens, par exemple, que je distingue les causes de l'entrée en EMS et les raisons, à savoir l'interprétation que les individus donnent à ces causes.

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