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La prise en charge en institution: un état de la littérature

L IEUX DE VIE ET STRUCTURES D ' AIDE

2.3 La prise en charge en institution: un état de la littérature

Les premières études sur les personnes âgées vivant en institution datent des années 1960 (e.g., Brody et Spark, 1966; Lawton et Simon, 1968; Lieberman, 1969; Townsend, 1962, 1965). Ces travaux poursuivaient essentiellement deux objectifs: établir les caractéristiques de la population hébergée et, suite au travail de Goffman (1968 [1961]), mettre en évidence les conséquences (négatives) de l'institutionnalisation pour la personne âgée. Depuis, dans les sciences sociales et médicales, les recherches sur la prise en charge en institution se sont multipliées. Ce champ de recherche s'est surtout développé en Amérique du Nord, aux Pays-Bas ainsi que dans les pays scandinaves. Dans la plupart des cas, les chercheurs ont recours à une approche quantitative; par ailleurs, beaucoup de travaux consistent en des analyses secondaires de données tirées de grandes études longitudinales états-uniennes telles la National Long Term Care Survey (e.g., Headen, 1993; Liu, Coughlin et McBride, 1991; Newman et Struyk, 1990; Pearlman et Crown, 1992), la Longitudinal Study on Aging (e.g., Steinbach, 1992; Wolinsky, Callahan, Fitzgerald et Johnson, 1993) ou la New Haven Established Population for Epidemiologic Studies in the Elderly (e.g., Freedman, 1996;

Freedman, Berkman, Rapp et Ostfeld, 1994; Lachs et al., 2006).

Les études qualitatives, moins nombreuses, sont basées surtout sur l'observation participante, démarche parfois complétée par la réalisation de quelques entretiens approfondis (e.g., Brigand et al., 1984; Froggatt, 2001; Kayser-Jones et al., 2003; Rowles, 1996). Le faible recours aux entretiens semi-directifs s'explique par l'impossibilité d'interviewer les nombreuses personnes hébergées en institution qui sont atteintes dans leurs facultés cognitives. Certains ont essayé de contourner le problème en interrogeant des parents proches des résidents (e.g., Davies, 2005; Tuckett, 2007), voire en s'intéressant aux expériences des membres du personnel (e.g., Diamond, 1992; Jervis, 2006).

En Suisse, les études empiriques sur l'installation en EMS sont rares (Höpflinger et Stuckelberger, 1992). A ma connaissance, la seule recherche quantitative portant spécifiquement sur les personnes vivant en institution est celle que j'ai réalisée sur la base des données transversales récoltées au CIG en 1994 (Cavalli, 2002); parfois, la question de

l'entrée en EMS est abordée dans des études plus vastes sur les personnes âgées dépendantes (e.g., Du Pasquier et al., 1995). Du côté des travaux qualitatifs, signalons une monographie récente sur la qualité de vie en EMS (Christen-Gueissaz et al., 2005), des recherches sur la vie sociale en institution (Christe, Genton Trachsel, Hirsch Durrett et Mermoud, 1995; Christe et Hirsch, 1999), sur la relation entre personnel soignant et résidents (Coenen-Huther, 1983; Lalive d'Epinay et al., 1983, chap. 10), sur la fin de vie (Salis Gross, 2001), ainsi qu'un certain nombre de mémoires universitaires souvent intéressants mais limités dans leur ambitions (e.g., Amsler, 2005; Bon, 1998).

Dans le survol de la littérature, auquel sont consacrées les prochaines pages, je regroupe les travaux selon les deux interrogations principales de ma recherche: la première focalise l'amont de l'entrée en institution – pourquoi s'installe-t-on en EMS ? quelles sont les raisons du déménagement ? (cf. chapitre 5); la seconde en étudie l'aval, à savoir les implications du changement de lieu de vie sur la vie des résidents (cf. chapitre 7). Notons ici que très peu de recherches portent sur le moment du passage du domicile privé à l'institution ainsi que sur la prise de la décision d'emménager dans un ménage collectif (cf.

chapitre 6). En conclusion de ce chapitre, je résumerai la démarche et les principaux résultats de l'étude que j'ai menée il y a quelques années, sur la base de données transversales, afin de comparer les vieillards résidant en EMS et ceux vivant à domicile (Cavalli, 1999, 2002)

2.3.1 Les prédicteurs de l'entrée en institution

Dans les revues de gérontologie, les travaux sur les prédicteurs ou les causes de l'entrée en institution abondent. Il est cependant difficile de comparer et de résumer les résultats, tant les méthodes employées et les caractéristiques des populations étudiées divergent. Par ailleurs, certains résultats dépendent de la politique de la vieillesse de la région, ce qui rend hasardeuses les généralisations sur le plan international, voire au niveau interrégional.

Une bonne partie de ces travaux souffrent d'un certain nombre de limites méthodologiques.

Souvent, on se satisfait d'énumérer les caractéristiques des pensionnaires: sexe féminin, âge avancé, pauvreté, solitude, perte d'autonomie, état mental affecté et ainsi de suite.

Pourtant, dire que la population en institution présente, sur tel facteur, une prévalence plus importante que celle à domicile ne permet pas encore d'affirmer que le facteur en question est une cause de l'installation en EMS. De même, dans beaucoup de cas, on se limite à

exposer de manière hétéroclite les résultats; quelques auteurs seulement se sont efforcés, dans une optique systémique, de combiner les différents effets et de déterminer l'existence d'interactions afin d'obtenir des modèles plus complets sur les déterminants de l'entrée en long séjour (citons par exemple, les travaux de: Branch et Jette, 1982; Cohen, Tell et Wallack, 1986; Greene et Ondrich, 1990; Montgomery et Kosloski, 1994; Steverink, 2001). L'hétérogénéité des variables utilisées dans les analyses complique encore plus la mise en perspective des résultats.

Une autre difficulté est due au fait que plusieurs recherches se basent sur de petits échantillons, le plus souvent non-représentatifs de la population âgée: parfois ils sont composés de volontaires, parfois ils ne ciblent que les personnes aptes à répondre elles-mêmes ou encore se concentrent sur une catégorie de résidents (par exemple, les bénéficiaires d'une prestation sociale particulière ou les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer).

Jusqu'au début des années 1990, la plupart des études sur l'entrée en institution étaient basées sur des données transversales. Mais même si le recours à des dessins longitudinaux s'est répandu, on ne profite pas toujours de la richesse de ces données: il est rare que plus de deux vagues d'enquête soient prises en considération et, d'habitude, les analyses consistent à séparer l'échantillon en deux groupes – ceux qui entrent en institution au cours de la période examinée (en général, quelques années) d'un côté, ceux qui restent chez eux de l'autre – et à comparer leurs caractéristiques respectives au départ de l'étude. Ce procédé pose des problèmes, surtout si la recherche porte sur une longue période, puisque des individus peuvent par exemple être à risque d'institutionnalisation au début de l'enquête mais ne plus l'être après quelques années, soit parce qu'ils vont mieux soit parce qu'ils sont décédés entre temps (sur ces critiques, cf. Finlayson, 2002; Freedman, 1996; Wolinsky et al., 1993).

Si nous essayons de synthétiser les conclusions des travaux réalisés sur l'entrée en institution des personnes âgées, nous sommes tout de suite frappés par la profusion des raisons avancées pour expliquer l'installation en hébergement collectif. Après une lecture plus attentive, nous pouvons cependant ordonner ces causes en deux grandes catégories:

les raisons de santé d'une part, les raisons sociales de l'autre; souvent, mais pas obligatoirement, nous observons une combinaison des deux. A l'origine du recours à l'institution gériatrique se trouverait donc une interaction entre la vulnérabilité individuelle – i.e. les atteintes à la santé – et la perte ou l'inadéquation des supports sociaux, par

exemple suite au décès du conjoint, à l'absence ou à l'épuisement de la famille (e.g., Branch et Jette, 1982; Cohen et al., 1986; Finlayson, 2002; Greene et Ondrich, 1990;

Kahana, 1987; Wan et Weissert, 1981).

La plupart des études médicales mettent évidemment l'accent sur le premier aspect, à savoir l'atteinte dans les ressources physiques et psychologiques de la personne vieillissante (voir, entre autres: Friedman, Steinwachs, Rathouz, Burton et Mumakel, 2005;

Liu et al., 1991; Miller, Longino, Anderson, James et Worley, 1999; Wolinsky, Callahan, Fitzgerald et Johnson, 1992). Les incapacités à accomplir seul les actes de base de la vie quotidienne jouent un rôle important dans la détermination du type de domicile, mais les déficits fonctionnels ne suffisent pas à expliquer l'entrée en institution (Newman et Struyk, 1990): remarquons, à ce propos, que des nombreuses personnes atteintes dans leur santé fonctionnelle – même sévèrement – continuent de vivre à domicile (Lalive d'Epinay et al., 2000; Morris, Sherwood et Vincent, 1984). Au même titre que les handicaps physiques, les incapacités mentales semblent être décisives dans le processus qui amène certains vieillards à recourir à l'hébergement en institution: selon des estimations, près d'une nouvelle admission sur deux serait principalement due à des problèmes cognitifs (Tobin, 1995; Vellas, Albarède et Garry, 1997; Zimmerman et Sloane, 2007). La démence sénile est très difficile à traiter en dehors du milieu institutionnel et est donc peu compatible avec le maintien à domicile, même si l'aide de l'entourage est importante (Du Pasquier et al., 1995; Hagmann et Fragnière, 1997). D'après ces travaux, la plupart des résidents sont donc des individus souffrant de poly-pathologies et exigeant une surveillance constante.

Un deuxième grand courant de recherche insiste plutôt sur les facteurs sociaux – tels le fait de vivre seul, l'absence d'entourage, l'état de pauvreté, les conflits relationnels, etc. – entraînant une installation en institution (Brody, Poulshock et Masciocchi, 1978; Freedman et al., 1994; Kahana, Kahana et Young, 1984; Palmore, 1976). Il a été montré à plusieurs reprises que la cohabitation (quelle que soit la relation avec le cohabitant, mais il s'agit avant tout du conjoint) favorise le maintien à domicile. Le couple fonctionne alors comme une cellule d'entraide efficace (Knipscheer, 1995; Lalive d'Epinay, Bickel, Maystre, Riand et Vollenwyder, 1997; Michel, Gold, Di Polina et Rapin, 1997). Dans les années 1960 déjà, une étude pionnière mettait en évidence qu'en pension résident plus de personnes sans enfant et moins de mariés (Townsend, 1962). Freedman (1996) montre par ailleurs que le risque d'institutionnalisation diminue de moitié pour les personnes âgées qui ont un conjoint (d'un quart pour ceux qui ont un enfant ou un membre de leur fratrie en vie). De

plus, la volonté de soulager les enfants et de ne pas constituer un fardeau peut conduire à une meilleure acceptation (ou résignation) de l'installation en EMS.

Le tissu social et relationnel de la personne âgée comprend des réseaux dits informels (ou naturels) – qui se réfèrent à la famille, aux amis et aux voisins – et le réseau dit formel (ou professionnel) – qui englobe l'ensemble des services gérontologiques et sociaux. La question de l'articulation de l'aide entre ces deux réseaux a fait couler beaucoup d'encre.

Selon certains politiciens et économistes, une forte présence de services médico-sociaux inciterait les familles à ne plus s'occuper de leurs parents âgés. Pourtant, la recherche a montré que, si la dépendance va de pair avec une professionnalisation des services (intervention plus importante du réseau formel), ceci n'implique pas un retrait des proches;

nous remarquons, au contraire, une complémentarité dans l'intervention entre les deux réseaux, voire un renforcement mutuel (Armi, Guilley et Lalive d'Epinay, 2008b; Attias-Donfut, 1993; Du Pasquier, 1997; Lalive d'Epinay et al., 2000).

Parmi les autres facteurs entraînant l'installation en ménage collectif, mentionnons les événements perturbateurs et stressants, qui provoquent fréquemment la rupture d'un équilibre déjà fragile (ce qui explique que beaucoup d'admissions en institution se fassent dans l'urgence). Ces épisodes de crise ont un caractère parfois médical (accident de santé, chute, maladie, hospitalisation), parfois relationnel (veuvage, situation de conflit) (Du Pasquier, 1997; Fior, 1997; Hirsch Durrett et Christe, 1994). Une situation d'anxiété, un état dépressif, un sentiment d'insécurité ou la crainte d'un accident physique peuvent à leur tour accélérer le choix de l'entrée en pension (Büla, Wietlisbach, Burnand et Yersin, 2001;

Harris et Cooper, 2006). La satisfaction par rapport à son propre logement, le fait d'être locataire ou propriétaire, les liens affectifs avec sa maison ou son appartement (et donc le prix symbolique à payer en cas de déménagement), le confort et la possibilité d'effectuer des travaux d'adaptation (par exemple, agrandir la salle de bain pour pouvoir y accéder en chaise roulante), sont autant d'aspects qui influencent les chances de pouvoir rester à domicile (Greene et Ondrich, 1990; Headen, 1993; Wehrli-Schindler, 1986). Ces facteurs agissent de manière indissociable avec le statut social et la situation économique du vieillard: les personnes âgées aux ressources modestes ont moins de chances d'être propriétaires de leur logement et habitent souvent dans des immeubles anciens, peu favorables au maintien à domicile lorsque des difficultés surviennent.

Le recours à l'hébergement en institution dépend des caractéristiques des individus, mais aussi du contexte dans lequel ils sont insérés: le nombre et le type d'établissements dans les

environs, les lits disponibles, les modalités de remboursement des frais, ou encore l'état des services d'aide et de soins à domicile (Aykan, 2002; Greene et Ondrich, 1990; Headen, 1993). En Suisse, le développement d'une politique privilégiant le maintien à domicile le plus longtemps possible a eu comme conséquence de diminuer l'impact des facteurs sociaux et de repousser l'installation en EMS à un moment où la dégradation de la santé de la personne demande des soins ne peuvant plus être assurés à domicile ainsi qu'un lieu de vie plus sécurisé (cf. infra, sous-section 2.3.3). L'efficacité d'une politique axée sur le maintien à domicile n'est pas la même selon que l'on se situe dans une région urbaine ou rurale. D'après les travaux réalisés aux Etats-Unis, le taux de recours aux institutions est plus élevé en milieu campagnard (Coward, Netzer et Mullens, 1996), où les personnes hébergées sont moyennement plus jeunes et moins dépendantes que celles des villes (Greene, 1984). Cela suggère une installation en pension plus précoce dans les régions rurales. Deux explications ont été avancées: l'une est à chercher dans la moindre disponibilité de services d'aide à domicile (Nelson Bolin, Phillips et Hawes, 2006; Rowles, Beaulieu et Myers, 1996b), l'autre dans une attitude plus positive des vieillards à la campagne face à l'idée de s'installer en pension, les barrières entre l'institution et la communauté y étant plus perméables et les pensionnaires plus régulièrement associés aux activités de la communauté (Rowles, Concotelli et High, 1996); ce dernier argument est contesté par Peek et ses associés (1997) qui ont observé que les personnes qui résident en milieu urbain sont plus favorables l'idée de s'installer en institution.

2.3.2 Les conséquences de l'entrée en institution

Les travaux sur les implications de l'installation en institution peuvent être séparés en deux ensembles. Un premier groupe rassemble des études de type holiste, réalisées essentiellement dans les années 1960-70. Les chercheurs s'inscrivant dans ce courant ont souvent adopté des approches ethnographiques et qualitatives; les pensionnaires font l'objet d'observations approfondies, mais ils sont étudiés pour eux-mêmes, sans les comparer aux personnes âgées vivant à domicile. L'ouvrage classique de Goffman – Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux (1968 [1961]) – a eu une grande influence sur ces travaux, que ce soit sur le plan théorique ou méthodologique. Ces recherches dressent un tableau sombre de la vie en institution: dissolution des liens sociaux, perte d'estime de soi,

apathie, dépression, etc. (e.g., Benoit-Lapierre et al., 1980; Isaacs, Livingston et Neville, 1972; Townsend, 1962; Vladeck, 1980).

Un second ensemble, composé d'enquêtes quantitatives et sectorielles plus récentes, aboutit à des résultats bien distincts. En effet, ces travaux montrent que l'institutionnalisation engendre un certain nombre d'améliorations et favorise souvent la stabilisation de la santé des résidents (e.g., Engle et Graney, 1993; Linn, Gurel et Linn, 1977; Walk, Fleishman et Mandelson, 1999), de leur état psychologique (Kahana et al., 1984; Krichbaum et al., 1999) ou conduit même à un resserrement des relations familiales (e.g., Gaugler, Zarit et Pearlin, 2003; Smith et Bengtson, 1979; Tobin, 1995; Yamamoto-Mitani, Aneshensel et Levy-Storms, 2002). Cette vision plus positive est la conséquence d'un changement de regard dans le champ gérontologique: le choix de traiter de l'individu (plus que de l'institution) favorise, par exemple, la mise en évidence de la diversité des réactions à l'entrée en établissement, ce qui renvoie à la pluralité des trajectoires antérieures (cf.

Caradec, 2008; Oldman et Quilgars, 1999). Ces résultats peuvent également découler en partie des transformations qu'ont connues les institutions pour personnes âgées au cours des dernières décennies.

Plusieurs phénomènes sont susceptibles d'expliquer des changements dans la situation d'une personne qui vient de faire son entrée en institution (cf. Johnson et Grant, 1985; Kasl, 1972; Tobin et Lieberman, 1976). Prenons l'exemple de la santé et faisons l'hypothèse que cette dernière se détériore suite à l'entrée en EMS. Tout d'abord, le déclin peut être du à un effet de sélection, dans la mesure où les personnes faisant recours à ces structures peuvent être engagées dans un processus de débilitation qui suit son cours indépendamment du fait qu'il y ait ou non transfert en institution. Il importe ensuite de distinguer les effets de l'environnement institutionnel (« institutional effects ») de ceux liés au déménagement (« relocation effects »).

Pour ce qui est des premiers, rappelons que les structures hébergeant des personnes âgées ont souvent été considérées comme une variété d'« institution totale » (Goffman, 1968 [1961]). L'« institution totale » est définie par Goffman comme:

« Un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (p. 41).

Ces établissements se définissent par une prise en charge globale de tous les aspects de la vie des hôtes. Si d'ordinaire dans les sociétés modernes l'individu dort, se distrait et travaille en des lieux divers, dans ces institutions tous les aspects de l'existence s'inscrivent dans le même cadre.

Au cours des années 1960, de nombreux chercheurs se sont inspirés de Goffman pour étudier les institutions servant de « dernier recours » (Townsend, 1962) pour les personnes âgées. La description qui en résulte rappelle plus le cadre austère et misérable des hospices d'autrefois que la situation des EMS que nous connaissons aujourd'hui. Dans cette perspective, l'institution est perçue comme un microcosme social où l'existence est vécue négativement par rapport à la vie normale. Les effets de l'environnement institutionnel se traduisent alors dans la capacité réduite à s'adapter, la résignation, la dépression, l'ennui, les comportements apathiques, l'isolement et la raréfaction des contacts avec l'extérieur (e.g., Lieberman, 1969; Sommer et Osmond, 1961; Townsend, 1962).

Considérons maintenant les effets liés au déménagement (« relocation effects »). Un changement de résidence, comme toute rupture biographique, est source de stress pour la personne qui en fait l'expérience (Schulz et Brenner, 1977). Le passage du domicile à l'EMS serait d'autant plus difficile à vivre que la transition est, sauf exception, irréversible et que les individus qui doivent y faire face sont particulièrement vulnérables et, par là, très sensibles aux changements de cadre de vie ainsi qu'à des conditions environnementales adverses (Kahana et Brittis, 1992). Si les effets liés au déménagement devraient être circonscrits sur le court terme, avec la possibilité pour la personne âgée de les surmonter, ceux associés à l'environnement institutionnel tendraient à se renforcer dans le temps (Johnson et Grant, 1985).

2.3.3 « Vieillards à domicile, vieillards en pension »

Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion de procéder à une comparaison entre les personnes âgées résidant en EMS et celles qui vivent chez elles. Les résultats de cette étude, basées sur des données transversales, ont été publiés dans l'ouvrage Vieillards à domicile, vieillards en pension. Une comparaison (Cavalli, 2002). Dans les lignes qui suivent, je vais récapituler ma démarche ainsi que les principaux résultats.

L'objectif était d'établir le profil spécifique des pensionnaires, par distinction des vieillards restant chez eux, et de m'interroger sur les facteurs qui prédisposent à vivre à domicile ou en institution. La comparaison selon le type de domicile a été complétée par une confrontation entre une région métropolitaine (Canton de Genève) et une région alpine (Valais central). Pour ce faire, j'ai procédé à une analyse secondaire des données de la recherche Autonomie de la personne vieillissante et environnement socioculturel, réalisée au CIG sous la direction du professeur Christian Lalive d'Epinay. Les données ont été récoltées en 1994 auprès d'un échantillon aléatoire représentatif de la population âgée de 60 ans et plus, stratifié selon la région, l'âge et le sexe. Pour mon travail je n'ai retenu que les personnes âgées de 75 ans et plus (près de 200 résidant en EMS et environ 900 vivant à domicile). Après avoir comparé systématiquement les personnes âgées résidant en EMS et celles qui vivent à domicile, au moyen d'analyses bivariées, j'ai cherché à expliquer la nature de différences observées au moyen d'analyses de régression et d'analyses de chemins adaptées pour des variables catégorielles (cf. Ritschard, Kellerhals, Olszak et Sardi, 1996), afin de représenter le schéma causal des facteurs liés au type de domicile.

L'objectif était d'établir le profil spécifique des pensionnaires, par distinction des vieillards restant chez eux, et de m'interroger sur les facteurs qui prédisposent à vivre à domicile ou en institution. La comparaison selon le type de domicile a été complétée par une confrontation entre une région métropolitaine (Canton de Genève) et une région alpine (Valais central). Pour ce faire, j'ai procédé à une analyse secondaire des données de la recherche Autonomie de la personne vieillissante et environnement socioculturel, réalisée au CIG sous la direction du professeur Christian Lalive d'Epinay. Les données ont été récoltées en 1994 auprès d'un échantillon aléatoire représentatif de la population âgée de 60 ans et plus, stratifié selon la région, l'âge et le sexe. Pour mon travail je n'ai retenu que les personnes âgées de 75 ans et plus (près de 200 résidant en EMS et environ 900 vivant à domicile). Après avoir comparé systématiquement les personnes âgées résidant en EMS et celles qui vivent à domicile, au moyen d'analyses bivariées, j'ai cherché à expliquer la nature de différences observées au moyen d'analyses de régression et d'analyses de chemins adaptées pour des variables catégorielles (cf. Ritschard, Kellerhals, Olszak et Sardi, 1996), afin de représenter le schéma causal des facteurs liés au type de domicile.