• Aucun résultat trouvé

L' ENTREE EN EMS

6.3 Le déménagement et l'accueil en EMS

Le jour de l'arrivée en EMS marque la dernière étape du processus. Comment s'est passé le déménagement ? Qui s'en est occupé ? La personne âgée a-t-elle pu garder des meubles ou objets personnels ? Commençons par signaler l'ambiguïté, du moins pour certains vieillards, du terme déménagement. Alors que, à la base, la question portait sur le changement de domicile des interviewés, une partie des réponses renvoie plutôt à la manière dont a été débarrassée l'ancienne habitation. « Les enfants ont déménagé l'appartement, et puis voilà. (…) J'ai dit aux petits-enfants: "Venez prendre ce que vous voulez prendre". Et puis voilà » (Mme Dayan).

Tous les établissements permettent aux résidents de personnaliser leur chambre en amenant quelques-uns de leurs meubles – à l'exception du lit et de la table de nuit –, des tableaux et des bibelots. Des limitations peuvent pourtant exister pour celles et ceux qui partagent leur chambre avec d'autres pensionnaires. Parmi les participants à SWILSOO qui se sont installés en EMS au cours de l'étude, 66% disposaient d'une chambre individuelle, 28%

d'une chambre à deux lits, tandis que six personnes (6%) devaient coexister avec au moins deux autres résidents. La situation est semblable dans les deux régions. Parmi les vieillards qui ont pris part au volet qualitatif, 21 occupaient une chambre particulière, les cinq autres partageaient une chambre double. A part les rares cas de couples vivant ensemble en

institution, les chambres avec plusieurs lits sont avant tout destinées aux personnes ayant des problèmes cognitifs.

Dans les faits, comment les vieillards s'y sont-ils pris lors du déménagement ? Certaines personnes – tous des Valaisans – se sont limitées à prendre avec elles le strict indispensable.

« C'était à la suite d'une chute que vous avez déménagé ?

Déménagé ? Oh, j'avais pas tant à déménager [rires]. C'était vite déménagé ! Prendre un peu d'habits et puis loin » (Mme Hofmann).

« Bon, moi j'ai pas… j'ai déménagé juste le nécessaire pour venir ici. J'ai pas… j'ai rien du tout, mes habits, c'est tout. On sait pas… je crois que je ne retourne plus [à la maison], mais sait-on jamais… » (Mme Henchoz).

Le comportement de Mme Henchoz peut s'expliquer par le fait qu'au départ elle pensait retourner chez elle. Tel n'est pas le cas de Mme Hofmann, ni de M. Roux ou encore de M.

Morard, qui m'ont surpris par leur choix de n'emmener avec eux quasiment aucun objet personnel. Leurs chambres étaient impersonnelles, les murs dépouillés, donnant l'impression de se trouver dans un hôpital plus que dans un EMS. Par exemple, les affaires de Mme Hofmann se résumaient à un petit téléviseur ainsi qu'à quelques photos du mari décédé, des enfants et… de l'équipe du CIG !71 Une possible clé d'interprétation réside dans le fait que, comme la plupart des Valaisans, ces personnes habitaient une maison dont elles étaient propriétaires et qui n'a pas été mise en vente à la suite du déménagement: soit le vieillard a conservé sa maison, soit il l'a cédée aux enfants, ce qui ne suppose pas l'obligation de la vider.

Différent est le cas des locataires qui doivent libérer leur ancien logement assez rapidement; ceci même s'il serait judicieux de ne pas résilier le bail de l'appartement tout de suite, mais de tenir compte d'une période d'essai dans le nouveau cadre de vie.

71 Il s'agissait d'une des carte de vœux, représentant l'équipe de chercheurs du Centre, envoyés à tous les participants de l'étude chaque fin d'année.

« Elle [la nièce] vous a aidés à vous installer ici ?

Oh, elle nous a aidés à déménager, à vider l'appartement, parce que… oh mon Dieu, mon Dieu.

Ca a été un gros travail ?

Quand on reste trente ans dans un appartement… mais si vous saviez.

[Intervient le mari] On a tous les meubles. A part les lits, on a tous les meubles.

[Madame] Oui, on a tout là. On a tout là. Toutes nos affaires sont là, à part les lits qui appartenaient… et les tables de nuit, qui sont des machins médicaux. Alors, on n'a pas pris les lits. Et puis on avait un immense buffet par éléments, vous voyez, alors on a eu encore une attraction avec ce machin. On l'avait payé dix mille francs, ce machin. Un beau machin en noyer. Comme la table. Voyez, la table est pareille » (Mme Aubert).

Mme Aubert et son mari ont pu garder la plupart de leurs meubles, dont certains de qualité et revêtant une grande valeur affective. Mme Wyss a pu emporter son fauteuil et son buffet ainsi qu'une foule de photos et de petits objets. Mais le déménagement en EMS oblige souvent la personne âgée à faire le tri de ses affaires et à se séparer de nombreux objets familiers.

« [Ma sœur] était toute seule pour débarrasser l'appartement, avec ses deux belles-sœurs. Et j'avais ce souci… des choses que j'ai perdues, que je regrette. Il faut pas trop penser. Maintenant… ça va [rire amère]. (…) Alors il y a beaucoup de choses que je dis: "je n'ai plus ça et puis c'est fini, je verrai plus". Maintenant, il faut pas que je pense à ça moi. C'est pas la peine d'y penser. Ca vient quand même des fois, de temps en temps, et je dis: "oui, moi j'avais ça, puis ça j'ai plus" » (Mme Humbert).

En quittant son domicile de manière définitive, c'est tout un monde empreint de mille souvenirs qu'on laisse derrière soi. Détachement qui peut s'avérer encore plus douloureux lorsque, comme dans le cas de Mme Faas, on doit vendre la maison que l'on a bâtie et dans laquelle on a passé une grande partie de sa vie.

« Comment ça c'est passé votre déménagement ?

Alors ça… ça n'a pas été drôle. Parce que j'ai dû vendre la maison, et puis liquider tout le mobilier. Alors… (…) ça c'est dur.

De quitter la maison ?

De voir… tout, tout ce qui a fait notre vie… s'en aller. (…) Vous l'avez construite avez votre mari ?

Oui. Oui, on avait construit. A l'autre bout. Elle n'est pas très jolie à l'extérieur, mais à l'intérieur elle était bien » (Mme Faas).

Mme Lugon, qui – nous nous en souvenons – aurait préféré être hébergée par l'un de ses enfants, a mal vécu le changement, et notamment le spectacle de son appartement vide.

Elle a aussi souffert de la séparation avec son chat, son établissement n'acceptant pas les animaux de compagnie.

« Et le déménagement en soi, vous l'avez vécu comment ?

Oh mal, très mal. La deuxième fois je ne suis pas retournée chez moi dans mon appartement. Quand j'ai vu que tout était bousculé, que tout était rangé… je n'ai pas pu retourner chez moi » (Mme Lugon).

Le déménagement constitue l'une des épreuves les plus pénibles de tout le processus qui conduit en institution. C'est aussi le moment pendant lequel la personne âgée s'appuie volontiers sur ses proches. Le vieillard n'a plus la force de transporter ses bagages, il est vite dépassé par les tâches administratives – s'assurer de la garantie financière de son séjour, signaler le changement d'adresse, annuler certains contrats, etc. –, sans compter qu'il doit commencer à s'adapter à un nouvel environnement et à un nouveau rythme quotidien. La majorité des personnes jouent un rôle plutôt passif lors du déménagement et délèguent la plupart des tâches aux membres de la famille, le cas échéant à des amis.

Lorsque je demande à Mme Dechevrens de me raconter comment s'est déroulé son déménagement, sa réponse est lapidaire: « mes enfants se sont chargés de tout: je n'avais rien à faire ». Même Mme Faas, qui avait pris l'initiative de s'inscrire auprès de l'établissement à l'occasion d'une visite effectuée avec une cousine, affirme ne pas avoir dû s'occuper du déménagement.

« Si je reviens à votre déménagement. C'est vous qui avez fait les démarches ? Non, non, moi j'ai des enfants qui se sont chargés.

C'est les enfants…

Oui, j'ai un beau-fils en or. Non non, ils se sont… ils se sont occupés de tout.

Aussi pour le déménagement ?

Le déménagement… je ne me suis occupée de rien. C'est tout eux qui ont fait » (Mme Faas).

Appelés à nous faire part de leurs souvenirs concernant leur arrivée en EMS et l'accueil qui leur a été réservé, les interviewés s'accordent sur deux points: la présence des proches et la gentillesse du personnel de la maison. La personne âgée est toujours accompagnée et entourée par divers membres de la famille, voire des amis. Intéressant, à ce sujet, est le cas des vieillards qui ont plusieurs enfants. Si au moment de l'inscription ou de la recherche d'un établissement l'un des enfants est généralement désigné pour assister le vieux parent, le jour de l'entrée en pension la famille se déplace au grand complet, et il n'est pas rare que des petits-enfants soient aussi présents.

Le nouveau résident est attendu par quelques membres du personnel soignant et, dans le mesure du possible, par le directeur de l'établissement, ce qui est fort apprécié: « Ils sont tous gentils, oui. Le directeur, il est bien… c'est bien, de sa part, qu'il vient… très bien.

Non, j'ai été bien accueillie » (Mme Humbert). On fait visiter au vieillard la résidence;

dans la chambre, il retrouve parfois un bouquet de fleurs comme signe de bienvenue;

certains EMS organisent une petite réception conviviale; les parents peuvent être invités à partager un repas.

« Vous vous souvenez de l'accueil que vous avez eu ici ?

Ah, oui. Eh bien là on a eu l'accueil. Quand moi j'ai dû rentrer ici… donc, je suis arrivé ici. Mais j'ai d'abord été en bas à la…. à la cafétéria. Puis ils ont monté des tables, et puis alors là j'avais le beau-frère… le neveu avec sa femme.

C'est lui qui vous a accompagné ?

Oui. Et puis la femme, celle qui a le bébé maintenant. Et puis après vous aviez celui qui était en chef ici. Et puis tu as… il y a l'autre qui est là. Alors, on avait

fait… moi je suis rentré le même jour dîner. On a dîné tous là en ligne » (M.

Roux).

Le bilan est donc très positif et les éloges envers le personnel abondent: « J'ai été très très bien accueillie » (Mme Hofmann), « Comment j'ai été accueillie ? Oh, formidable » (Mme Humbert), « Très bien, très très bien, elles sont vraiment… elles sont vraiment dévouées » (Mme Galland). Cette première impression ne doit pourtant pas tromper. Le temps de l'adaptation à la vie en ménage collectif ne fait que commencer et le chemin est hérissé de difficultés (cf. infra, section 7.2). Dès son arrivée en pension, Mme Faas est confrontée à la réalité de la maladie et de la perte des facultés mentales qui touchent de nombreux résidents.

« Vous vous souvenez des premiers jours, de l'accueil ?

Ecoutez, je m'étais juré que je ne pleurerais pas. Et puis quand je suis arrivée en bas dans le corridor, j'ai rencontré la femme d'un collègue de mon mari. Une personne mignonne, et tout… intelligente. Elle a l'Alzheimer. Moi j'ai pleuré. Je n'ai pas pleuré sur moi, j'ai pleuré sur elle.

Elle ne vous avait pas reconnue ?

Non, elle ne m'a pas reconnue du tout. Du reste… même avec ses enfants. Elle a un fils qui vient toujours la trouver, mais elle croit que c'est son mari. (…) Ah mais moi, quand j'ai vu, ça m'a fait un chagrin… Je ne pensais pas la trouver là… et puis dans cet état. (…)

Et pour vous les premiers jours…

Oh, je n'ai pas pleuré. Je ne pleure pas facilement. Je n'ai peut-être plus d'eau dans les yeux… Non, ça m'a bouleversée. Ca m'a fait réaliser… qu'est-ce que c'était la vieillesse. Parce qu'au fond, jusqu'à ce moment-là, je ne m'en étais pas tellement aperçue » (Mme Faas).