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Parlons de richesse et de pauvreté... Regards croisés d'enfants de dix-onze ans sur leurs représentations de la richesse et de la pauvreté

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Academic year: 2022

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Reference

Parlons de richesse et de pauvreté... Regards croisés d'enfants de dix-onze ans sur leurs représentations de la richesse et de la

pauvreté

KATANA, Rachel

Abstract

L'objet de la présente étude se focalise sur les représentations sociales d'enfants de dixonze ans sur les notions de richesse et de pauvreté. Que découvre-t-on en les interrogeant sur cette thématique ? Que parviennent-ils à construire comme significations autour de notions donc la définition est aussi malaisée qu'imprécise. En effet, la définition de la richesse et de la pauvreté est mouvante et variable selon le contexte dans lequel on l'aborde, ce sont des notions complexes qui se construisant mutuellement dans le contrastes et qui s'opposent autant qu'elles se rejoignent. C'est en me basant sur une démarche de méthodologie compréhensive et sur l'outil de recherche qu'est l'entretien collectif que je souhaite rendre compte de ces interrogations au travers de ce mémoire. Les élèves se retrouvent, lors de l'entretien, confrontés aux représentations de leurs semblables ainsi qu'à celles qui sont véhiculées au travers de différentes images et histoire racontées par le chercheur, ce qui leur permet d'élargir leurs représentations premières et de les affiner. L'analyse se décline en deux temps, [...]

KATANA, Rachel. Parlons de richesse et de pauvreté.. Regards croisés d'enfants de dix-onze ans sur leurs représentations de la richesse et de la pauvreté. Master : Univ.

Genève, 2010

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12008

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PARLONS DE RICHESSE ET DE PAUVRETÉ…

Regards croisés d’enfants de dix-onze ans sur leurs représentations de la richesse et de la pauvreté

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU/DE LA LICENCE MENTION ENSEIGNEMENT

PAR Rachel Katana

DIRECTEUR DU MEMOIRE Marie-Noëlle Schurmans

JURY

Claire de Goumoëns Anne Perréard Vité

GENEVE Juin 2010

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION

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RESUME

L’objet de la présente étude se focalise sur les représentations sociales d’enfants de dix- onze ans sur les notions de richesse et de pauvreté. Que découvre-t-on en les interrogeant

sur cette thématique ? Que parviennent-ils à construire comme significations autour de notions donc la définition est aussi malaisée qu’imprécise. En effet, la définition de la

richesse et de la pauvreté est mouvante et variable selon le contexte dans lequel on l’aborde, ce sont des notions complexes qui se construisant mutuellement dans le contrastes

et qui s’opposent autant qu’elles se rejoignent.

C’est en me basant sur une démarche de méthodologie compréhensive et sur l’outil de recherche qu’est l’entretien collectif que je souhaite rendre compte de ces interrogations au

travers de ce mémoire. Les élèves se retrouvent, lors de l’entretien, confrontés aux représentations de leurs semblables ainsi qu’à celles qui sont véhiculées au travers de différentes images et histoire racontées par le chercheur, ce qui leur permet d’élargir leurs

représentations premières et de les affiner.

L’analyse se décline en deux temps, une première partie aborde les représentations

stéréotypées de la richesse-pauvreté et la seconde partie évoque quant à elle, celles qui ne sont pas considérées comme des représentations stéréotypées. L’ensemble de l’analyse révèle la diversité des réflexions menées autour de la « richesse-pauvreté ». Certaines des représentations des élèves se rejoignent, d’autres s’opposent et, d’autres encore poussent le questionnement plus loin.

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Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation Section des Sciences de l’éducation

Licence mention enseignement

PARLONS DE RICHESSE ET DE PAUVRETÉ…

Regards croisés d’enfants de dix-onze ans sur leurs représentations de la richesse et de la pauvreté

Rachel Katana

Directrice de mémoire : Marie-Noëlle Schurmans

Membres du jury : Claire de Goumoëns Anne Perréard-Vité

Pour moi, la pauvreté c’est comment va aller la planète dans 30 ans si on ne fait rien Au fait, la pauvreté et la

richesse c’est un peu pareil, ils sont toujours les deux

dans le besoin

La plupart des riches ils sont méchants alors que les pauvres, comme dans « Pékin Express », ils

n’ont presque rien mais ils vont quand même offrir des logements

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Résumé

RÉSUMÉ

L’objet de la présente étude se focalise sur les représentations sociales d’enfants de dix-onze ans sur les notions de richesse et de pauvreté. Que découvre-t-on en les interrogeant sur cette thématique ? Que parviennent-ils à construire comme significations autour de notions donc la définition est aussi malaisée qu’imprécise. En effet, la définition de la richesse et de la pauvreté est mouvante et variable selon le contexte dans lequel on l’aborde, ce sont des notions complexes qui se construisant mutuellement dans le contrastes et qui s’opposent autant qu’elles se rejoignent.

C’est en me basant sur une démarche de méthodologie compréhensive et sur l’outil de recherche qu’est l’entretien collectif que je souhaite rendre compte de ces interrogations au travers de ce mémoire. Les élèves se retrouvent, lors de l’entretien, confrontés aux représentations de leurs semblables ainsi qu’à celles qui sont véhiculées au travers de différentes images et histoire racontées par le chercheur, ce qui leur permet d’élargir leurs représentations premières et de les affiner.

L’analyse se décline en deux temps, une première partie aborde les représentations stéréotypées de la richesse-pauvreté et la seconde partie évoque quant à elle, celles qui ne sont pas considérées comme des représentations stéréotypées. L’ensemble de l’analyse révèle la diversité des réflexions menées autour de la « richesse-pauvreté ». Certaines des représentations des élèves se rejoignent, d’autres s’opposent et, d’autres encore poussent le questionnement plus loin.

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Remerciements

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier ma directrice de mémoire, Marie-Noëlle Schurmans qui a accepté de suivre mon travail de mémoire. Son aide et ses précieux conseils m’ont permis de faire progresser mon travail de recherche. L’intérêt qu’elle a porté à ce travail fut vraiment encourageant.

Merci à Claire de Goumoëns et à Anne Perréard-Vité d’avoir accepté de faire partie de ma commission de mémoire malgré qu’elles soient toutes deux très affairées.

Un autre bouquet de mes remerciements est offert, cette fois, aux élèves des Boudines, de Vandoeuvres, de Châtelaine et des Genêts qui ont fait émerger des discussions tout à fait passionnantes.

Je ne peux terminer cette liste sans témoigner toute la reconnaissance que je dois à mon inséparable pour son indulgence après avoir passé des mois et des mois à m’entendre parler de la « richesse-pauvreté » en tout temps. Merci pour ses relectures et ses encouragements qui m’ont donné toute l’énergie nécessaire pour débuter et mener à terme ce mémoire de recherche.

Sans oublier Amelia, ma « partenaire de mémoire », dont je souhaite souligner ici la grande capacité de soutien. Je lui dois une gratitude particulière car sans elle la tâche se serait avérée beaucoup plus ardue, sans pouvoir partager, en pleurant ou en riant, nos innombrables changements de sujet de mémoire, nos inquiétudes et nos hésitations. Et, sans se retrouver, ordinateurs portables en main, aux « Recyclables » ou à la « Sixième heure » pour avancer dans la rédaction de nos recherches. Le voyage prend fin, ouf… mais le suivant ne fait que commencer.

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Table des matières

TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES MATIÈRES ... 1

1. INTRODUCTION ... 3

2. PLANTER LE DÉCOR... 5

2.1 Richesse, Pauvreté : un espace de questionnement ... 5

2.2 Pourquoi ce mémoire en Sciences de l’éducation ? ... 8

2.3 A la quête de représentations sociales ... 16

3. BRISER DES IDEÉS PRÉCONCUES... 21

3.1 Premiers éléments d’étonnement... 21

3.2 Elargir ses propres conceptions ... 26

4. DES OUTILS THÉORIQUES ... 33

4.1 Les mots clés ou la clé des mots ... 33

4.2 Quand la Bible nous parle d’argent ... 37

4.3 A l’écoute des philosophes grecs... 40

5. HYPOTHÈSES DE TRAVAIL ... 44

6. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ... 46

6.1 Une démarche compréhensive... 46

6.2 Les entretiens de recherche ... 49

6.3 Population de la recherche ... 53

6.4 La grille de l’entretien ... 54

6.5 Analyse de contenu et analyse thématique ... 57

6.6 Construction de l’analyse... 58

7. ÉLÉMENTS DE DESCRIPTION... 62

7.1 Vers la singularité de chaque entretien ... 62

7.2 Dynamique ... 74

7.3 Plan des récurrences... 76

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Table des matières

7.4 Quelques précisions... 78

8. ANALYSE ... 80

8.1 Quand richesse et pauvreté s’entremêlent… ... 80

8.2 « Richesse-pauvreté » stéréotypée ... 82

8.3 « Richesse-pauvreté » non stéréotypée ... 100

9. SYNTHÈSE DES RÉSULTATS ... 119

10. EPILOGUE... 125

11. BIBLIOGRAPHIE ... 129

12. ANNEXES... 132

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Introduction

1. INTRODUCTION

Mémoire rime avec miroir. Ce mémoire, qui marque la fin de mon parcours en Sciences de l’éducation, est le fruit de questions qui m’ont souvent interrogée. Longtemps présentes dans mon esprit, elles se sont accentuées avec le temps et ont développé une vive curiosité se traduisant ici. C’est donc à partir de mon expérience singulière conjuguée à un désir, une volonté de dépasser une réflexion entamée sur le registre de l’émotionnel que cette recherche est née.

Ce travail est donc l’expression d’une rencontre entre, d’une part, mon vécu et mes intérêts personnels et, d’autre part, mon parcours académique et notamment les disciplines telles que l’éducation à la citoyenneté et les démarches d’initiation à la philosophie pour lesquelles j’ai cultivé, au fil des expériences sur le terrain scolaire, un attrait particulier.

Je désire comprendre, à l’aide de ce travail, les représentations que les élèves mettent derrière la thématique « richesse-pauvreté », notions complexes qui parfois s’opposent, parfois se rejoignent. De quelle manière les élèves parlent-ils de ces deux termes qui se construisent mutuellement dans leurs contrastes ? Quels sont les interactions que les élèves dégagent de « richesse-pauvreté » ? Quelles réalités, images, définitions recouvrent cette thématique? Voici les questions centrales qui serviront à l’élaboration d’outils de recherche, et qui me permettront ensuite de construire une typologie des représentations et de rendre compte de celles-ci au travers de ce mémoire.

C’est de mon point de vue singulier que cette étude commence. Les premières pages de mon mémoire font état de mes propres représentations, dans le but de faire partager mon regard avec le lecteur. Ainsi, partant de moi, je me dégage petit à petit de cette singularité afin d’accumuler la diversité.

C’est par une démarche de méthodologie compréhensive que j’ai souhaité effectuer cette recherche. Mon mémoire portant sur des représentations, il m’a paru judicieux d’opter pour une méthode telle que celle-ci.

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Introduction

Mon travail se situe dans la première phase d’une recherche compréhensive, c'est-à-dire : investigation progressive du terrain et investigation théorique qui se précisent et se nourrissent mutuellement, aboutissant ainsi à la formulation d’hypothèses. Faute de temps, ma recherche se clôt sur cette première partie. Je propose donc une démarche compréhensive non aboutie mais qui, à mon sens, conserve sa pertinence du point de vue des connaissances apportées.

A partir du choix de ma méthodologie de recherche, l’outil d’enquête qui m’a semblé le plus adapté est l’entretien. Ce sont donc quatre entretiens collectifs qui ont été menés durant le mois de février 2010 qui m’ont donné la matière principale à analyser.

Le fait que ma recherche s’inscrive dans une démarche « en compréhension » me permet de munir le lecteur de tous les outils nécessaires afin de comprendre mon travail, même s’il est vrai que cette proposition de structure est loin d'être celle préconisée par la plupart des étudiants en fin de parcours de licence en Sciences de l’éducation. La première partie du mémoire mettra donc en lumière un cheminement personnel ainsi que la progression de mon objet de recherche. La seconde partie, elle, consistera à plonger le lecteur dans la découverte des résultats obtenus après une démarche d'enquête sur le terrain. C'est là que débute la restitution des représentations, aussi passionnantes qu'étonnantes, recueillies auprès des élèves à qui la parole a été octroyée.

Plus haut, je disais que « mémoire rime avec miroir » mais, à travers les représentations des élèves, les élèves parlent aussi d’eux, de leur monde, de ce qui les interpelle, de ce qu’ils apprennent à l’école ou en d’autres lieux. Ce travail qui s’est construit de voix et regards pluriels est donc le fruit de « miroirs croisés ».

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Planter le décor

2. PLANTER LE DÉCOR

2.1 Richesse, Pauvreté : un espace de questionnement

« Toute recherche a une genèse, un point de départ à partir duquel un mouvement peut s’installer et un voyage ainsi commencer. » (Piguet, 2002)

Tendre l’oreille vers sa propre histoire pour comprendre ce qui inspire les choix du présent n’est pas à faire avec retenue car les événements passés influencent ce présent. Par ailleurs, sans éclaircissements, il peut aussi sembler étonnant d’aborder la thématique de cette présente étude dans un mémoire en Sciences de l’éducation.

Parce que mon projet s’oriente vers une approche compréhensive et que celle-ci part du principe que le chercheur ne peut s’extraire de sa recherche car « tout chercheur fait partie de la collectivité sociohistorique qu’il étudie» (Schurmans, 2008, p. 95), j’exprime ici la volonté d’écrire sur ma propre trajectoire.

Mon enfance est le point de départ de cette perspective analytique. Enfance heureuse et épanouie, celle-ci a toutefois été marquée par un divorce, événement qui est le point de départ d’une réflexion autour d’une certaine pauvreté. Nombre de questions ont alors gravité tout autour de cette thématique qu’est la « richesse-la pauvreté ».

Certains événements m’ont particulièrement interpelée, notamment certains récits que ma mère m’a rapportés. Trop jeune pour me souvenir de certains de ces épisodes, certaines paroles m’ont toutefois troublé. Peut être aussi parce que l’on a du mal à imaginer que cela puisse nous arriver une fois que la situation n’est plus d’actualité. D’un autre côté, cela vient peut être aussi du fait que jamais je ne me suis sentie précisément pauvre. Mais, même si notre mère faisait tout pour nous protéger du sentiment de pauvreté, nous avions bien conscience qu’il fallait compter minutieusement chaque sou. Nous avions pourtant bien d’autres choses. Nous étions peut être un peu en difficulté parfois quand il s’agissait d’argent ou de choses matérielles, mais cela ne m’a pas pour autant affectée (questionnée

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Planter le décor

oui !). Le fait de n’avoir que peu ou pas d’agent n’était pas grave en soi. Nous avions le plus important. Pour moi, nous avions tout ce dont nous avions envie - peut être parce que nous ne demandions que rarement des choses - et que nous étions habitués à ne pas être trop friands.

Puis, avec le temps, on ouvre les yeux sur le monde qui nous entoure. Sans s’en rendre compte, on porte des jugements normatifs. Sans en avoir réellement conscience, j’ai donc petit à petit développé une image négative du riche. Pour moi, le riche représentait celui qui se plaint de futilités, l’air supérieur. J’ai construit autour de la femme riche l’image d’une

« m’as-tu vu » sans goût, superficielle, qui « évolue » dans un milieu complètement déconnecté de la réalité. La femme riche que j’assimilais à la « nouvelle riche » désire des hommes opulents, a des attitudes de princesse, du mépris pour le « petit peuple » et adopte l’attitude de ceux qui feignent d’aimer les choses non pas parce qu’ils les aiment mais parce qu’ils croient flatteur de les aimer. Encore récemment, ma mère a attiré mon attention sur le fait que nous avions autrefois côtoyé une mère de famille qui ne souhaitait pas que nous passions du temps avec ses enfants car nous ne faisions pas partie du même milieu social qu’eux et que nous aurions peut être une influence néfaste sur ces derniers. Cette anecdote m’a beaucoup touchée et déçue. Quoi qu’il en soit, celle-ci est aussi venue m’apporter la confirmation qu’il existe différentes richesses.

Un exemple de richesse serait par exemple la richesse de caractère des personnes qui ont une grande force et qui ne se laissent pas abattre car ils savent que ce n’est pas au moment où les vagues sont les plus hautes que les piroguiers doivent cesser de ramer.

C’est plus tard, en observant la vie des gens autour de moi, que les ambiguïtés concernant la richesse et la pauvreté m’ont été révélées dans certaines dimensions. Fille d’un immigré kenyan, et ayant eu la chance à l’adolescence de me rendre à plusieurs reprises dans ce pays d’Afrique, mes interrogations sur la thématique de « richesse-pauvreté » se sont élargies à d’autres contextes que celui dans lequel j’ai baigné dans mon enfance.

Le père de mon père vit dans ce que l’on appelle communément « la brousse ». Pour lui rendre visite, nous roulions sur une terre d’un beau rouge sombre, le long de chemins tapissés d’une belle verdure éclatante, luxuriante et fertile. Dans ce petit coin perdu nommé

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Planter le décor

Mbarakechembe, pas d’électricité ni de route bétonnée… Quelques passants : les personnes âgées, maigres, à la peau du visage et aux mains parcheminées, marchant voûtés, silencieux, soucieux et probablement fatigués d’une vie de labeur ; de jeunes enfants souriants habillés de vêtements parfois déchirés; des femmes portant leur bébé sur le dos à l’aide d’un pagne, etc. Lorsque nous arrivions à destination, la lumière du soleil, les bêlements de ses chèvres, la vache qui meugle, le cri de la poule et de ses poussins, la verdure étaient au rendez-vous dans cette cour extérieure et toujours, une voix heureuse nous souhaitait la bienvenue. Quel sentiment de bien-être, de bonheur ! Pourtant cette maison manquait des choses dites

« essentielles » : eau courante, électricité et autres commodités mais personne ne semblait se plaindre. Bien au contraire, les gens semblaient heureux et plus satisfaits que d’autres qui, vivant en ville, tendent la main aux touristes.

De retour en ville, le paysage de la pauvreté ne ressemblait en rien à celui qui s’imposait lorsque l’on pénétrait les sentiers de la brousse.

Les mots de Rahnema (2003) reflètent mon expérience personnelle :

« L’un de ces visages portait un masque laid qui fait peur en même temps que pitié. Le faciès qu’il affichait était souvent dur et hargneux. Il m’épiait comme s’il se préparait à m’agresser pour m’entraîner dans des lieux sombres et sales, pareils à ses vêtements déchirés. L’autre, en revanche (…) représentait pour moi l’incarnation même de l’amour et de la bonté. » (p.37)

Dans ma jeunesse et ce, jusqu’à aujourd’hui, j’ai fait des « allers-retours » fréquents entre le monde de la pauvreté et celui de la richesse. Mais en définitive, qu’est-ce que la richesse et qu’est-ce que la pauvreté ? Cette thématique renvoie au bonheur, aux inégalités, au superflu, à la société de consommation, à l’argent mais surtout, à mon avis, à son caractère ambivalent qui bien souvent s’exprime. En effet, la pauvreté telle que je la vois, n’a rien à voir avec ce que je retrouve à Mbarakechembe, elle n’est pas non plus l’adjectif par lequel je qualifie mon enfance. Au contraire… Il semble surprenant de nommer « pauvreté » une pauvreté heureuse : ne faudrait-il pas alors inventer un autre terme ? La question se pose.

Restons-en pourtant là, à ce stade du cheminement.

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Planter le décor

A la fois reflet de mes intérêts, de mes défis et de mon histoire, mon pari, consiste à visiter la thématique de la « richesse-pauvreté » et d’y découvrir les multiples représentations qu’elle évoque.

2.2 Pourquoi ce mémoire en Sciences de l’éducation ?

Quelle est la place de ce mémoire dans l’ensemble du champ des Sciences de l’éducation ? Telle est l’une des premières questions que je me suis posée alors que mon mémoire ne se précisait que gentiment, sans avoir réellement de direction précise.

En guise de premier élément de réponse, suivons les propos énoncés par Legardez et Simonneaux (2006) dans leur ouvrage qui aborde l’enseignement des questions vives :

« (…) former les élèves sur les questions socialement vives renvoie à la formation de citoyens.

L’enjeu éducatif est de permettre aux élèves de développer une opinion informée sur ces questions, d’être capables de faire des choix en matière de prévention, d’action, d’utilisation et d’être en mesure d’en débattre. Etant donné l’importance croissante de nombreuses questions socialement vives (…) dans notre société moderne, elles jouent un rôle primordial dans l’enseignement. Chaque élève est, ou sera, confronté à des prises de décision sur des questions socialement vives ; l’école doit les y préparer. » (p.13)

La « richesse-pauvreté » est une thématique d’actualité qui est souvent assimilée à l’économie ou encore à la politique. La question de la légitimité à constituer un mémoire à ce propos dans le cadre de mon parcours universitaire se pose. Pour le comprendre, il faut d’emblée relever l’aspect pluridisciplinaire qui caractérise ce mémoire. En effet, cherchant à comprendre le sens que certains élèves mettent derrière les termes richesse et pauvreté, mon objet de recherche rencontre à la fois l’éducation à la citoyenneté et l’éducation au politique, et la philosophie.

Par ailleurs, parce que mon objet de recherche vise à comprendre le monde dans lequel évoluent les enfants sollicités en les interrogeant sur leurs représentations, cette recherche a, je le pense, toute sa place en Sciences de l’éducation. Pourquoi des enfants de dix-onze ans me direz-vous ? A cette question, je réponds tout simplement : parce que cet âge, c’est

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Planter le décor

ce passage, cette période qui clôt l’enfance, prépare et précède l’adolescence. Parce que l’identité de ces jeunes « mi-enfants », « mi-ados » mêle jeux enfantins et raisonnements d’adultes, mais surtout parce que sans génie particulier, ils sont l’occasion de dire leur vérité.

Lorsque l’on fait le choix de mettre au centre de sa recherche la parole d’enfants, c’est vouloir dire que leur parole est crédible. Cela implique également de considérer ces enfants comme des acteurs capables de produire du sens à propos de ce qu’ils disent. Ce mémoire reconnait leur énergie et leur personne en devenir. De plus, s’intéresser à leurs représentations et à leurs opinions parfois enfantines relève d’une curiosité insatiable de leur compréhension du monde.

Dans le chapitre suivant, seront développés quelques enjeux qui s’accrochent à ma problématique : la mission de l’école, l’éducation à la citoyenneté et l’éducation à la philosophie. Cette recherche aborde ces enjeux non pas dans le sens où mon analyse portera sur les effets de ces domaines dans le quotidien des élèves, mais parce que c’est la porte par laquelle je souhaite entrer pour aborder la thématique de la « richesse-pauvreté » avec eux. Mes entretiens de recherche s’inspirent des deux « éducations » mentionnées plus haut et plus précisément encore, d’un guide pédagogique nommé « Riche, pauvre, ça veut dire quoi ? » (De Goumoëns et Jeannot, 2006). La manière dont j’appréhende le guide d’entretien diffère dont légèrement de la démarche habituelle de « questions-réponses ».

Mission de l’école

« Si tu as faim, et que tu ne penses qu’à aujourd’hui, alors tu manges un fruit. Si tu penses à demain, tu plantes une graine. Si tu penses à d’ici quelques années, tu plantes un arbre. Mais si tu penses à l’avenir, tu t’engages à éduquer la jeunesse. » Proverbe asiatique

Notre société n’échappe pas à nombre de changements qui la poussent à se repositionner : grande mixité culturelle, évolution rapide des technologies, interdépendance de nos sociétés, etc. L’instruction publique est également touchée par ces évolutions. Il lui incombe, dès lors, de réévaluer ses objectifs et ses finalités. Le développement de la capacité de positionnements éthiques et librement choisis étant une des conditions sine qua non pour devenir un citoyen conscient et responsable, l’éducation des enfants doit désormais aussi viser à :

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Planter le décor

« inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales(…) à inculquer à l’enfant le respect(…) des civilisations différentes de la sienne (…) à préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples (…) à inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel. » (Art. 29, Convention relative aux droits de l’enfant, 1989)

Selon la Déclaration de la Conférence Intercantonale de l’Instruction Publique de la Suisse Romande et du Tessin (CIIP) (2003), l’école aurait pour mission d’entraîner les élèves à la réflexion. Celle-ci « vise à développer chez l’élève sa capacité à analyser, à gérer et à améliorer ses démarches d’apprentissage ainsi qu’à formuler des projets personnels de formation ». Les enseignants devraient par ailleurs entraîner les élèves « à la démarche critique, qui permet de prendre du recul sur les faits et les informations tout autant que sur ses propres actions » (p.3).

La loi sur l’Instruction Publique (LIP) du canton de Genève stipule également, dans son article 4.E que

« l’enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun, de rendre chaque élève progressivement responsable de son appartenance au monde qui l’entoure, en éveillant en lui le respect d’autrui, l’esprit de solidarité et de coopération et l’attachement aux objectifs du développement durable ».

Tout comme pour la CIIP (2003), certains articles font clairement référence à l’éducation à la citoyenneté ou à l’éducation philosophique.

L’école a également un rôle primordial à jouer dans le cadre de la découverte de l’altérité et des réalités du monde qui l’entoure étant donné qu’elle constitue un espace où l’expérimentation de la ressemblance et de la différence dans un rapport à l’autre est possible. Herbert (1973) développe l’idée que ce serait faillir à une des missions de l’école de ne pas éduquer les élèves dans une perspective globale dans le sens où elle est censée

« aider à préparer les jeunes à assumer leurs responsabilités d’adultes dans le «Village mondial» où ils sont appelés à vivre et qu’ils administreront un jour.» (p. 11)

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Planter le décor

Vivant dans une époque d’interdépendance, l’existence d’une quantité de problèmes complexes, comme la question de l’environnement, des migrations ou la problématique de la mondialisation, se répercutant les uns sur les autres, nous oblige à appréhender notre société de manière globale. L’histoire prouve bien d’ailleurs bien que des événements qui se produisent au niveau local ont souvent des incidences à l’échelon mondial.

Les objectifs de l’éducation globale, qui visent notamment à la prise de conscience de son appartenance et de sa participation au monde, la faculté de se faire une opinion en tant que membre de la communauté, la prise en compte de la responsabilité de chacun ainsi que la capacité d’exercer une influence en tant que membre de la communauté globale, sont des moyens de préparer les jeunes au monde de demain afin qu’ils participent à la vie sociale, économique, politique et culturelle et jouent pleinement leurs rôles de citoyens. A ce propos, Rey-Von Allmen (1996) affirme que « si nous voulons construire un monde plus viable, nous n’avons pas d’alternative, il nous faut passer d’une logique mono à une logique de l’inter1. » (p. 11)

La provenance multiple des élèves, le devoir de rendre ces derniers citoyens et aptes à s’insérer dans une société qui requiert des aptitudes différentes de celles d’autrefois sont autant de défis auxquels l’école publique est confrontée aujourd’hui.

Pour une éducation à la citoyenneté

Selon la Fédération Education et Développement (FED), l’éducation à la citoyenneté doit permettre à chacun de devenir acteur de la société. Or, il n’y a pas d’acteur qui n’ait une place, un rôle, des droits reconnus et des responsabilités. Jouer un rôle dans la société et assumer des responsabilités implique de construire des compétences pour comprendre les enjeux actuels de société qui s’inscrivent dans un système mondial complexe. L’éducation à la citoyenneté fournit à l’élève des moyens pour se situer face à ces enjeux et pour devenir acteur de la société.

1Ce terme désigne une logique d’éducation internationale dans la société, pour plus de place pour une éducation aux solidarités locales et planétaire dans l’éducation.

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Planter le décor

A l’école, la citoyenneté a les objectifs suivants : vivre ensemble et s’impliquer à l’échelle du groupe, de la classe et de l’établissement scolaire à travers des structures participatives et la pratique du débat démocratique. Connaître les droits et les responsabilités des acteurs de l’institution scolaire et les mettre en œuvre.

Tout en soulignant que les champs de pratique citoyenne en sont indissociables, la FED développe un autre aspect de la citoyenneté. La manière dont la FED conçoit l’éducation à la citoyenneté est plus en lien avec les enjeux de société. En effet, elle développe des activités pédagogiques qui portent en priorité sur les points suivants :

- analyser des situations qui constituent des débats de société ; - connaître les institutions au niveau local, national et international ;

- exercer des pratiques citoyennes : débat, argumentation, gestion des conflits ;

- porter un regard critique et autonome, se positionner en fonction de connaissances, de savoir-faire et de valeurs explicites ;

- changer de perspective d’analyse et repérer les interdépendances ; - imaginer des possibilités d’action et les mettre en œuvre.

Dans son ouvrage « L’école, lieu de citoyennetés », Galichet (2005) met en lumière trois modèles de citoyennetés, dont un qui s’allie à la conception de l’éducation à la citoyenneté énoncée par la FED. Il s’agit de la citoyenneté vue comme « vigilance critique ». Ce modèle définit la citoyenneté comme une démarche visant à une prise en charge active des problèmes liés à la vie collective dans tous les domaines (sociaux, culturels, écologiques, etc.). Dans le modèle énoncé par Galichet, la citoyenneté se présente comme le souci de défendre les intérêts de la collectivité dont on fait partie mais aussi celui d’autres collectivités proches (les exclus par exemple) ou plus éloignées (défense des droits de l’homme partout où ils sont menacés). Ce modèle promeut l’attention à la défense des problèmes encore non existants (la défense de l’environnement comme préservation des droits de générations futures à un monde vivable et viable). On retrouve par ailleurs sous cet aspect l’ensemble de ce que la FED nomme le « bazar des z’éducations » qui concerne l’éducation à la santé, l’éducation à l’environnement, l’éducation aux médias, l’éducation à la paix, l’éducation aux droits humains, etc.

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Planter le décor

L’éducation au politique

Certaines caractéristiques de l’éducation à la citoyenneté, telles que décrites ci-dessus, apparaissent dans ce qu’on appelle « l’éducation au politique ». Mais avant de repérer les similitudes, il convient de définir le politique avec précision, de manière rigoureuse afin de ne pas le confondre et pour le différencier de tout autre projet avec lequel il serait susceptible d’être confondu, comme la politique.

Le but de l’éducation au politique, c’est d’informer et former la capacité de réflexion permettant à l'élève de forger en toute liberté sa propre position et devenir un citoyen actif.

Par « forger » ou « former concrètement le citoyen », Mougnotte (1999) entend qu’il faut rendre les élèves progressivement conscients qu’ils ne sont pas simplement détenteurs d’un statut civique et de droits civiques, mais qu’ils sont capables d’une attitude caractérisée par la perception claire des responsabilités qui leur incombent, du fait même de ce statut et de ces droits. En ce sens, l’éducation au politique s’efforcerait de développer le désir de comprendre et de débattre des problèmes, de fournir les techniques d’expression et d’argumentation indispensables à cette fin. Elle aiderait ainsi à voir à long terme, à constater que l’intérêt bien compris ne se réduit pas au plaisir immédiat, à faire percevoir l’idée de bien commun et d’intérêt général. « Mais son objectif n’est pas de préconiser un choix ; il est d’aider à choisir.» (p.31) Ainsi entendue, l’éducation au politique est différente de l’ « éducation politique », elles ne se situent pas au même niveau. Cette dernière suppose qu’ait déjà été effectué le choix du système auquel elle s’efforce de susciter l’adhésion, alors que l’éducation au politique se situe en amont de toute adhésion en adoptant une posture réflexive et critique :

« non, certes, pour freiner ou empêcher les adhésions ou rendre sceptique à leur égard mais, au contraire, pour enraciner et approfondir les convictions, dans la mesure où elle les ferait précéder et procéder d’un questionnement plus fondamental. » (Mougnotte, 1999, pp.31-32)

Les objectifs visés par l’éducation à la citoyenneté tels que : porter un regard critique et autonome, se positionner en fonction de ses connaissances, opérer des choix en tant qu’acteur individuel, se rallient à la vision qu’a Mougnotte (1999) de l’éducation au politique. Le but n’étant non pas de dicter à l’élève l’opinion qu’il devrait adopter, mais lui permettre de dépasser une centration sur le fonctionnement social (comprendre les règles

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de la société, les accepter) pour les amener tous à travailler et à agir en vue d’une société idéale.

Apprendre à l’élève à vivre et agir dans une société mondialisée, caractérisée par des enjeux à l’échelle locale et mondiale (répartition des ressources, migrations, globalisation économique), de même que savoir analyser ces enjeux; être en mesure de se situer et d’opérer des choix en tant qu’acteur individuel et en tant que citoyen d’un Etat est donc l’une des finalités de l’éducation à la citoyenneté. La société, aujourd’hui plus que jamais, est confrontée à des changements rapides et à des défis qui s’inscrivent dans des systèmes complexes à l’échelle mondiale. Ces défis exigeant des choix de société auxquels le citoyen doit être en mesure de participer, l’éducation à la citoyenneté doit permettre d’exercer de nouvelles compétences : entrer dans la complexité, gérer l’incertitude, se situer, imaginer des solutions nouvelles et participer à leur mise en œuvre.

Ce n’est de loin pas une tâche facile. De nombreuses attitudes et compétences sont demandées aux élèves. L’éducation à la citoyenneté ou au politique constitue un pari ambitieux.

D’un point de vue personnel, je pense que la philosophie pour enfants peut aider à l’éducation à la citoyenneté dans la mesure où elle montre que, par delà nos différences, nous pouvons nous poser les mêmes questions. Tel que le décrit Galichet (2005),

« par-delà le rapport à l’espace, au temps, à la culture et aux valeurs communes, la citoyenneté s’enracine (…) dans la prise de conscience que cette culture et ces valeurs constituent des réponses à des questions fondamentales, fondatrices de l’humanité. Questions que l’on peut appeler « philosophiques »». (p. 30)

La pratique de la philosophie serait donc un pré-requis à la citoyenneté. Pour appuyer ce propos, je me joins à Hannah Arendt qui fait de l’incapacité à penser, l’origine du mal.

La pratique de la philosophie avec des enfants

« … faire de la philosophie, c’est d’abord s’étonner de ce que sont les choses. Et c’est pourquoi les philosophes pensent souvent que les hommes adultes, en s’éloignant de l’enfance,

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s’éloignent de la philosophie. C’est pourquoi je me demande si, au fond, il n’est pas plus facile de parler de philosophie à des enfants qu’à des adultes, bien que la philosophie soit faite de choses difficiles. » B. Stiegler (2006)

La pratique de la philosophie avec les enfants est une tentative d'éduquer les plus jeunes à penser de plus en plus par et pour eux-mêmes, de manière plus critique et plus créative.

Dans les faits, l'exercice philosophique avec les enfants et les adolescents ne consiste pas à refaire avec eux le chemin réflexif des grands auteurs de la philosophie. Il s’agit plutôt de les inviter à s'engager dans une aventure intellectuelle où ils pourront eux-mêmes faire leur propre chemin réflexif, construire leur propre raisonnement et développer leur argumentation. Il y a là un enjeu important de l’éducation actuelle.

Il est intéressant de relever la citation de Stiegler (2006) qui préconise la pratique de la philosophie avec les enfants. Il s’oppose à la conception répandue selon laquelle seuls les adultes, ayant déjà étudié une grande partie de leur vie et ayant atteint un certain niveau de connaissance, seraient à même de penser de manière philosophique. Les enfants auraient donc d’après Stiegler, une curiosité naturelle, une innocence qui leur permettrait d’être plus proches des questions essentielles. On retrouve cette allégation dans le célèbre « Petit Prince » de Saint-Exupéry (1946) qui s’exprime ainsi : « Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications. » (p.14) L’auteur ne voulait-il pas, par ces propos, avancer l’idée que les adultes perdent peu à peu la curiosité naturelle de leur enfance contre une rationalité exagérée ?

Stiegler n’est pas le seul à croire au grand potentiel de pensée des enfants. L’émergence de la pratique de la philosophie avec les enfants est due à Matthew Lipman (1995) qui a crée certains outils performants permettant aux élèves d’exercer une pensée critique. Ces outils se constituent en des ateliers de discussion à caractère philosophique, le tout étant soutenu par des romans philosophiques et des manuels d'exercices.

A travers ces outils philosophiques, c’est la mise en place d’un dialogue qui est préconisé.

Par la mise en œuvre d'un discours argumenté entre les jeunes, il se construit une recherche commune, un espace d'investigation dans lequel les enfants et les adolescents pratiquent

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ensemble des habiletés cognitives et affectives qui méritent l’attention des adultes. Certains seront en effet surpris de la capacité à penser des enfants. En filigrane de cette formation intellectuelle, se dévoilent aussi des enjeux qui ont trait directement à la formation morale des jeunes. Par la transformation d'une classe ordinaire en une communauté de recherche philosophique, les jeunes apprennent à s'écouter, à se respecter, à coopérer et deviennent de plus en plus tolérant face à la différence. La philosophie renforcerait donc l’éducation à la citoyenneté de par son dispositif permettant le débat et, de ce fait accomplit une éducation à la démocratie.

Le dialogue philosophique devient alors un instrument pour la construction et l'appropriation du savoir, pour l'apprentissage d'un savoir-faire dans la communication par le dialogue et l'investigation commune. Enfin, pour le développement d'un « savoir être » réfléchi car comment traiterions-nous les autres si nous ne prenions pas parfois le temps de prendre de la distance et réfléchir sur nos actes?

2.3 A la quête de représentations sociales

Dans une perspective personnelle et professionnelle, je constate que la société dans laquelle nous vivons est de plus en plus diversifiée. Cette évolution peut être traduite par les représentations des enfants ou des adultes. C’est donc bien cette diversité de représentations, et non pas l’uniformisation, que je me réjouis de recueillir. En espérant bien entendu, qu’elles seront parlantes et me permettront de dégager des hypothèses de travail et de développer une problématique plus ciblée.

Mais avant de s’armer d’outils qui me permettront de recueillir les représentations des élèves sur la richesse et la pauvreté, faisons tout d’abord un tour d’horizon sur les

« représentations sociales ».

Dans cette partie théorique, je vais tout d’abord m’intéresser aux travaux de Durkheim et de Moscovici, puisqu’ils sont les précurseurs incontournables dans la conceptualisation des représentations sociales.

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Mon point de vue compréhensif implique en effet de considérer les phénomènes sociaux sous l’angle du lien social : ce qui lie entre eux les individus, ce sont les significations qu’ils partagent et contribuent à construire autant qu’à reproduire (objets, normes et valeurs, langue, rituels, etc.).

Par ailleurs, selon Schurmans (2003, p. 56-57),

« l’étude des représentations, et au premier chef celles de l’être-seul, est donc activité collective à laquelle chacun participe et constituent les unités d’analyse d’un processus constant de communication par lequel sont produites et transmises, altérées ou actualisées, les significations qui constituent le sens commun d’une collectivité sociohistorique. »

Dürkheim fut le premier à identifier le concept de « représentation collective » en 1895. Il voulait distinguer la pensée sociale de la pensée individuelle, affirmant la prééminence de la première sur la deuxième. Ces dernières (représentations individuelles) sont des manifestations cognitives qui concernent la vie psychique et donc le domaine psychologique, alors que les représentations collectives sont des représentations partagées par une même communauté, telles que la religion et les mythes, et qui concernent plus particulièrement les faits sociaux. On parle aussi souvent de « concept oublié » lorsque l’on aborde les représentations sociales, car celles-ci ont connu une éclipse de plus d’un demi-siècle jusqu’à ce que Moscovici reprenne le terme en 1961.

Depuis une vingtaine d’années, la représentation sociale est devenue un concept-clé en sciences sociales, plus particulièrement en psychologie sociale, puisqu’elle se situe « au carrefour d’une série de concepts sociologiques et de concepts psychologiques» (Moscovici 1976, cité par Jodelet, 1989, p.41). La théorie des représentations sociales vise en effet à faire le lien entre les dimensions cognitives et sociales de la connaissance.

Différentes approches sont possibles dans l’étude du champ des représentations sociales. Il est toutefois important de préciser que le choix du concept de « représentations sociales » dans ma question de recherche ne signifie pas que la théorie des représentations sociales occupera une place centrale dans mon étude. Le but de cette recherche n’étant pas de

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déterminer la dynamique, les processus de formation ou les fonctions des représentations sociales, mais bien leurs contenus.

En guise de première approche du concept des représentations sociales, il faut savoir qu’on le désigne aussi sous les appellations suivantes : « savoir de sens commun », « savoir naïf » ou « naturel », pour souligner le fait que c’est une manière d’interpréter et de penser la réalité qui se distingue des savoirs scientifiques. C’est la façon dont nous, sujets sociaux, nous appréhendons les événements de la vie courante, les informations qui y circulent et les personnes de notre entourage. On peut définir les représentations sociales comme « le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique » (Jodelet, 1989, p.188).

En outre, les représentations présentent certaines caractéristiques générales, notamment le fait que la représentation sociale est toujours représentation de quelque chose (un objet) et de quelqu’un (le sujet). Elle « re-présente », c’est à dire qu’elle « tient lieu de », qu’elle « est à la place de » quelque chose. Elle est une « symbolisation de l’objet », une interprétation qui lui confère « des significations » ; elle n’est pas une simple reproduction, mais « une construction » et une expression de la personne qui l’exprime. C’est également une forme de savoir, une « modélisation » de l’objet que l’on peut lire par exemple à travers les discours ou les comportements. On qualifie souvent ce savoir de « pratique », car la représentation sert aussi à agir sur le monde et sur autrui. Les représentations sont en effet des systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientant et organisant les conduites et les communications sociales. La représentation sociale est une sortie de « préparation à l’action », pas seulement dans la mesure où elle guide le comportement, mais surtout dans la mesure où elle remodèle et reconstitue les éléments de l’environnement où le comportement doit avoir lieu. Elle appartient à donner un sens au comportement, à l’intégrer dans un réseau de relations où il est lié à son objet. Ainsi, les enfants interrogés parviendront peut être à mettre en lumière de quelle manière ils se comportent face à des élèves qui sont considérés comme « riches » ou d’autres qui sont plutôt « pauvres ». Il se pourrait que certaines de leurs représentations soient traduites au travers de leurs actes et attitudes.

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Comme nous l’avons vu, la représentation est déterminée par le sujet lui-même (son histoire, son vécu), mais aussi « par le système social et idéologique dans lequel il est inséré », et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce système social. On pourrait dire que les conduites que chaque individu adopte, qu’il naisse homme ou femme, Bouddhiste ou Chrétien, prolétaire ou bourgeois, sont souvent marquées par leur appartenance sociale. Il s’agit donc d’une connaissance socialement élaborée et partagée, le social intervenant de plusieurs manières : par le contexte concret où sont situés personnes et groupes ; par la communication qui s’établit entre eux, par les cadres d’appréhension que fournit leur bagage culturel ; par les codes, valeurs et idéologies liés aux positions ou appartenances sociales spécifiques. (Jodelet, 1984, p.360) Toutefois, comme le souligne Schurmans (2001, p.160) :

« les acteurs ne sont perçus, ni comme confrontés à la force coercitive du social, ni comme porteurs de normes intériorisées. Le déterminisme n’est pas de mise : les situations au sein desquelles prennent place les interactions sont floues et l’acteur dispose d’une large marge d’improvisation».

Nos représentations sociales ne sont donc pas nécessairement empruntés à une culture, un groupe, une classe, etc. mais elles peuvent être connotées par ces appartenances.

Quant aux représentations sociales construites par les enfants, Chombart de Lauwe rejoint les propos précédemment énoncés en s’exprimant comme suit:

« Les systèmes de représentations qu’acquièrent les enfants, leur vision du monde qui se forment progressivement en leur propre image de soi résultent d’interactions avec leur environnement. » (citée par Doise & Palmonari, 1986, p.102)

Puis, l’auteure ajoute encore que dans nos sociétés industrielles contemporaines, multiples sont les informations et les images qui sont transmises aux enfants par les médias. Ces derniers ont notamment été qualifiés d’ « école parallèle ».

Audigier (cité par Doise & Palmonari, 1986, p.102), qui s’est également penché sur la question, confirme que le cadre de référence de l’enfant, sa façon s’appréhender et de résoudre les problèmes (opérations mentales), sa façon de construire un sens (réseau sémantique), de même que les outils qui lui servent à exprimer sa pensée (signifiant),

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seraient déterminés partiellement par la société de référence. L’auteur ajoute toutefois que ses représentations sont également déterminées par l’expérience propre de l’enfant.

Pour en revenir à la présente étude, on peut donc supposer que les représentations des enfants au sujet de la richesse et de la pauvreté seront influencées par des facteurs liés à leur histoire personnelle mais aussi à leurs valeurs de références.

« Pour rendre compte des réalités sociales, les enfants et les jeunes doivent être pris en compte dans l’école, dans les familles, dans la société en général, et ce, non pas seulement comme élève ou comme fils ou filles, comme membre de tel ou tel groupe social pris dans un processus de socialisation mais plus largement comme acteurs déjà dotés de compétences pour agir et réagir aux situations qui leur sont faites. »

lit-on dans l’ouvrage de Danic, Delalande et Rayou (2006, p.11).

Selon Strauss (in Danic, Delalande et Rayou, 2006, p.99), les enfants ont, comme tous êtres humains engagés dans des interactions, une vision partielle, mais néanmoins fondée, de la réalité qu'ils vivent. Leurs compétences paraissent ainsi très semblables à celles des adultes qui fournissent au chercheur, avec les catégories de leurs expériences, un matériau parfaitement fiable pour l’élaboration d’une « théorie enracinée » dans leurs représentations.

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Briser des idées préconçues

3. BRISER DES IDEÉS PRÉCONCUES

« Le sociologue, immergé dans l’univers qu’il étudie, ou dans lequel se situe son objet d’étude, dispose bien-sûr, tout comme le non sociologue, d’un tas d'opinions toutes faites, de réponses naïves aux questions qu’il se pose, de jugements de valeurs sur ce qui l’intrigue… bref, comme le disait Durkheim, de ces prénotions qui voilent l’objet que l’on souhaite découvrir, d’autant plus efficacement qu’elles ne sont pas objectivées. L’une des premières opérations méthodologiques qu’il convient de faire, consiste donc à exprimer ces prénotions et à rechercher, dans notre environnement immédiat, de premiers éléments d’étonnement » (Schurmans, 1997, p.24)

3.1 Premiers éléments d’étonnement

L’origine de mon intérêt pour la thématique abordée remonte à la mise en place, avec plusieurs classes, de certaines activités du dossier pédagogique « Riche, Pauvre…ça veut dire quoi ? » élaboré par De Goumoëns et Jeannot (2006). Au cours de ces activités, certains élèves développèrent leurs conceptions autour des notions de richesse et pauvreté de manière très intéressante. A plusieurs reprises, j'ai été surprise de leur capacité à penser et à dépasser le sens premier. Leurs représentations m'ont interpellée et étonnée. Rapidement, je ne me suis plus uniquement limitée à écouter et apprécier leurs idées. J’ai commencé à relever les éléments que les élèves construisaient autour de « richesse-pauvreté », à les écrire et à les conserver précieusement. Cela, sans réellement savoir ce que j'en ferai par la suite.

Aujourd’hui, je découvre que mes prises de notes lors de ces activités constituent en quelque sorte les premiers éléments d'étonnement qui sont à la base de mon cheminement.

Les traces des représentations des élèves ont été recueillies une première fois au cours d’un long remplacement dans une classe de 5ème primaire à l’école de Châtelaine. Puis, plus tard, lors d'un stage que j’ai effectué dans une école primaire à Mombasa, au Kenya, où l’âge des élèves correspond à celui d’une classe de 5 ou 6ème primaire. Les contextes des pays où sont

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Briser des idées préconçues

RICHESSE

Médicaments, hôpitaux Plus de problèmes avec l’argent

Beaucoup d’argent Ils ont tout ce qu’ils veulent

Vivre dans un palais

Quand on est riche on s’en fiche des amis On a mangé en suffisance

PAUVRETE

Ne pas être en sécurité Pas de luxe

En opposition à la richesse

Les gens qui ont peu d’argent peuvent être heureux

Pas d’argent Personnes qui n’ont rien implantées ces deux écoles sont très différents : à droite, un pays du Sud, à gauche, un pays du Nord. Modes de vie et contextes totalement différents donc. D’un côté, les élèves ont l’opportunité d’aller à l’école parce que de généreux donateurs ont aidé les locaux à fonder une école communautaire, de l’autre les élèves ont tous accès à l’éducation obligatoire.

Notons encore que l’école de Mikoroshoni se situe dans un village à proximité de l’Océan Indien quant à l’école de Châtelaine, elle, se situe dans un quartier urbain de la ville de Genève. Tout, en apparence, oppose ces deux écoles.

Dans ces deux écoles, j’ai récolté les représentations des élèves par la méthode du brainstorming (remue-méninges). C’est la première activité proposée par le guide « Riche, Pauvre, ça veut dire quoi ? » et c’est celle sur laquelle je me suis appuyée pour la prise de notes.

Munie à chaque fois de deux feuilles grand format et d’un stylo feutre, j’ai introduit mon activité par deux questions posées en ces termes : « À quoi vous fait penser la richesse ? »

«À quoi vous fait penser la pauvreté ? ». J’ai pris note des réponses des élèves au fur et à mesure qu’ils prenaient la parole, en les classant dans deux répertoires. Voici les résultats de ces premières représentations, qui ont nourri en moi l’envie d’aller plus loin, à la recherche de ces réflexions juvéniles.

A l’école de Châtelaine…

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Briser des idées préconçues

RICHESSE

Avoir l'uniforme / Attraper facilement le HIV / Famille / Égoïste / Études / Eau/

Fier de soi / Mauvaises manières Les amis te suivent / Pas de jalousie Les enfants peuvent Bien apprendre Abuser des gens parce qu’on a de l'argent

Etre heureux / bonnes manières Ne pas avoir besoin de voler

PAUVRETE

Voleur

Emprunter des livres de classes aux autres élèves

Mendiant / travail des enfants Pas d’argent pour payer l’école

Solitude / Pas de famille Faim / Pas de famille / Peu d’amis

Abus de drogues / Tout manger A l’école de Mikoroshoni…

L'absence de logement, les mendiants, les enfants affamés ou, à l’inverse, des jouets par milliers, l’abondance matérielle, telles sont les immédiates associations d'idées que l'on s'attend généralement à obtenir des enfants au sujet de la « richesse-pauvreté ». Et pourtant...

La thématique « richesse-pauvreté » est-elle largement considérée dans son rapport à l’argent? Il ne semble pas, même s’il faut admettre que les premiers associations d’idées évoquées par les élèves sont généralement en lien avec ce que l’on peut obtenir avec de l’argent, par exemple « vivre dans un palais » ou inversement ce que l’on ne peut pas avoir si on n’a pas les moyens, par exemple « pas de luxe ». Les élèves évoquent d’abord des éléments du registre « argent », mais très vite, ils s’éloignent du sens premier et dévoilent, par leurs interventions, des représentations qui vont au-delà de la « richesse-pauvreté » stéréotypée.

A partir d’un simple survol de ces panneaux plusieurs questions ont émergé:

- La pauvreté fait-elle forcément référence au mal être?

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Briser des idées préconçues

- Que peut-on apprendre des paroles de ces enfants? Leurs exemples et idées se rapportent-ils toujours au même domaine?

- Quelles dimensions thématiques ressortent de leurs interventions? Quelles espèces de « richesses-pauvretés » font-ils transparaître de leurs propos ?

Voyons si l’on peut apporter des éléments de réponse à ces questions au travers des registres qui sont mis en lumière par leurs représentations.

On voit tout d’abord apparaître des références au domaine des relations et de l’entourage.

Ainsi, pour certains élèves, « richesse » va de pair avec la famille. Quant à la pauvreté, elle est liée à un manque au niveau familial et de la solitude.

Selon eux, certains riches seraient indifférents à la création de liens avec d’autres car

« quand on est riche on s’en fiche des amis ». Cet exemple sous-entend en quelque sorte que l’argent, seul, suffirait à combler les riches. C’est le cas pour certains riches mais pour d’autres, comme le montre un élève de l’école de Châtelaine, quand on est riche « on peut être malheureux, les riches peuvent tout acheter mais on n’achète pas l’amour ». Cet élève semble voir un certain pouvoir dans le fait de posséder de l’argent mais ce pouvoir aussi grand puisse-t-il être, ne permet pas de tout acquérir.

L’argent pourrait par contre, selon les propos rapportés par un autre élève : faire « aimer et aider les autres » plus facilement. J’entends ce propos comme le fait qu’une certaine aisance financière permet de se préoccuper des autres et de les aider s’ils se trouvent dans des situations difficiles. Il est intéressant de souligner le fait que cet exemple vient contrebalancer celui du haut qui affirme que les riches « s’en fichent des amis ». On voit là deux perspectives qui s’opposent. Ici, le terme richesse n’est pas l’opposé de la pauvreté. En effet, les riches peuvent être « malheureux ». Donc « richesse » n’est pas toujours le contraire de « pauvreté ». A croire que tout dépend des contextes dans lesquels on utilise ces termes.

On peut en outre, d’emblée, voir s’ériger un deuxième registre qui concerne l’attitude et l’allure générale relatif au milieu social aisé ou défavorisé. Ce que certains élèves mettent

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Briser des idées préconçues

derrière « riche » comme le fait d’avoir un « mauvais caractère », d’être « égoïste », ou se permettre « d’abuser des gens parce qu’on a de l’argent » se rallie à la perception que l’on peut avoir du « nouveau riche » même s’il est admis par certains élèves que les riches ont de

« bonnes manières » (tenue en société, langage utilisé). D’un autre côté, l’attitude des pauvres n’est pas plus valorisante entre les « abus de drogues », ceux qui sont « jaloux des autres » et qui font naître « bagarres », et « conflits ».

Sans classer de manière exhaustive les propos des élèves dans cette première partie, mon attention a toutefois été attirée sur le registre des émotions ressenties. Entre le riche qui peut à la fois être malheureux ou heureux et le pauvre qui peut être triste et seul mais qui ne l’est pas nécessairement, on sent déjà diverses perceptions de la richesse et de la pauvreté. Il n’y a donc pas une seule pauvreté qui serait malheureuse et qu’une seule richesse qui serait heureuse. La pauvreté n’a pas la même signification pour tous ; la richesse non plus. Il y a des pauvretés. Il y a des richesses. Ce constat rejoint Rahnema (2003) qui a cherché à faire comprendre que beaucoup de sociétés jugées pauvres ont en fait tout simplement une conception différente de la richesse car, comme son antonyme, la pauvreté est un concept enraciné profondément dans les perceptions culturelles. En Perse, par exemple, est pauvre celui qui n’a personne pour s’occuper de lui.

Puis, il y a effectivement le registre qui concerne l’argent qui a aussi sa place dans les représentations des élèves. Il y a notamment l’évocation des besoins primaires et secondaires. Parmi, les besoins primaires n’étant pas assouvis on peut lire par exemple

« travail des enfants » ou encore en lien avec ceux-ci : « on a mangé en suffisance »,

« médicaments » et « hôpitaux ». Petite parenthèse concernant la santé, sur les propos d’un élève kenyan qui m’ont laissé sans voix quand il m’a expliqué que, lorsqu’on est riche, on peut attraper facilement le VIH. N’étant pas sûre d’avoir bien saisi le contenu de ses propos, je l’ai repris en lui demandant s’il parlait bien de pauvreté et il m’a répondu négativement.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il parlait bien de richesse parce que d’après lui, quelqu’un de riche est incontestablement une personne qui fera l’objet de nombreuses convoitises auxquels elle ne pourra résister et celle-ci sera de ce fait, amenée à attraper plus facilement le VIH. Comme quoi les connaissances sont loin d’être les mêmes sur cette maladie !

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Briser des idées préconçues

Du côté des besoins secondaires on peut lire dans les encadrés : « vivre dans un palais »,

« ne pas voyager » et « avoir des habits de couleurs différentes ».

Il est intéressant de relever dans les propos des élèves kenyans, la forte présence d’éléments qui concernent l’école. Comme l’éducation n’est pas nécessairement accessible à tous les enfants de ce pays, on peut lire, dans le panneau « richesse », le fait d’avoir l’uniforme, d’aller dans une bonne école ou encore pouvoir bien apprendre. Du côté de la pauvreté, ce sont des termes comme « emprunter des livres de classes aux autres » ou « ne pas réussir les examens car on pense à ce que l’on va manger » que l’on retrouve.

Au terme de ce petit débroussaillage, on remarque notamment en lien aux différentes anecdotes que, selon le contexte dans lequel ils vivent, leurs idées et leurs personnalités, la représentation des enfants par rapport à la richesse et la pauvreté n’est pas la même. Leurs représentations relèvent parfois des conceptions inattendues et c’est une source d’insatiable curiosité.

Ici s’achève cette première partie mais ce n’est que le point de départ. L’exploration, le désir du savoir et le constat d’insuffisance me poussent à aller plus loin. « Le cycle se poursuit jusqu’à ce que lecture et écoute se structurent, lentement et dans l’effort… » (Schurmans, 2003, p.33)

3.2 Elargir ses propres conceptions

« Malheur à l’homme qui, au moins une fois dans sa vie, n’a pas tout remis en question », écrivait Pascal (cité par Pradervand, 1998, p.69).

Dans la vie, il y a certaines choses que nous remettons en question beaucoup plus difficilement que d’autres : ce sont les définitions sur lesquelles nous fondons finalement toute notre vie. Neil Postman, professeur de communications à l’Université Columbia de New York, a bien cerné ce que sont vraiment les définitions quand il écrit :

« Les définitions, comme les questions et les métaphores, sont des instruments pour penser : leur autorité repose entièrement sur leur utilité, non sur le fait qu’elles seraient ‘correctes’ ou

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Briser des idées préconçues

non… Une définition contient en elle un certain point de vue philosophique, sociologique ou épistémologique… La définition d’une chose est en général le point de départ d’un débat, non sa conclusion. » (Pradervand, 1998, p.69)

Nos définitions des choses sont des lunettes à travers lesquelles nous interprétons la réalité.

Sans revenir sur l’introduction de ce mémoire où j’ai notamment partagé avec le lecteur certaines de mes représentations sur la « richesse-pauvreté », je souhaite avant d’élargir mes conceptions personnelles, faire à nouveau un « état des lieux » de celles-ci. Elles se résumeraient à ce stade de la recherche de la manière suivante:

Selon moi, les notions de richesse et de pauvreté sont très relatives et dépendent beaucoup du contexte économique, social et même politique.

La richesse s’exprime pour moi en termes positifs car une infinité de belles choses en découlent comme la famille, les amis, la santé, la joie, les rires, le partage. Richesse évoque pour moi aussi le fait d’avoir un enthousiasme permettant d’apprécier les joies quotidiennes de la vie. Pour moi donc, la richesse est relativement accessible car je ne la définis pas par l’argent, même si le fait d’en avoir contribue à l’accès à certaines richesses.

Redéfinir la richesse dans un sens non matérialiste implique son corollaire : redéfinir la pauvreté. Il me semble que ce terme peut traduire une certaine ambivalence entre le pauvre

« heureux » et le pauvre « malheureux » mais pour moi, la pauvreté va de pair avec les notions d’abattement, de misère, de malheur, de tristesse et de désespoir. La pauvreté n’est pas le simple dénuement. Elle ne se résume pas au manque d’argent même si le fait de ne pas avoir assez d’argent pour assouvir des besoins primaires, comme la certitude de manger à sa faim ou de disposer d’un lit pour dormir et se protéger des intempéries, fait partie des pauvretés. Pauvreté signifie aussi la soif de possession, l’avidité, l’égoïsme et la solitude. Il ne s’agit pas que d’argent car des personnes peuvent posséder moins de choses et être plus

« riches » ailleurs. C’est donc une expérience, davantage qu’un état économique.

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