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4. DES OUTILS THÉORIQUES

4.1 Les mots clés ou la clé des mots

« Les mots ne sont jamais innocents ou neutres. Ils sont au contraire des outils décisifs dans les jeux et les mécanismes de pouvoir. » (Rahnema, 2003, p.131)

Jusqu’ici, nous avons pu voir des deux enquêtes mises en lumière dans la partie précédente, que les termes « richesse » et « pauvreté » ont plusieurs significations.

Face à l’exploration du terrain, la définition progressive de mon objet de recherche s’effectue aussi par « l’exploration du théorique ; détour historique, ethnologique, recours à l’étymologie et à la philosophie, ainsi qu’aux regards différents que portent l’objet d’autres disciplines » (Schurmans, p.101). C’est dans l’étymologie que je vais maintenant creuser pour développer mon objet de recherche afin de mieux comprendre le sens profond des termes importants de cette recherche, leurs connotations, leurs usages, leurs histoires et l’évolution de leurs emplois et de leurs sens.

Voici les principaux résultats qui ressortent de cette investigation sur les mots « richesse »,

« riche » et « pauvreté », « pauvre ».

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Richesse

D’après le Robert, dictionnaire pratique de la langue française (2006), le nom « riche » vient du francique « rîki », c'est-à-dire puissant. Quatre définitions de sens différent sont attribuées à ce terme.

La première définition se rattache à la fortune et à l’opulence. Le riche est quelqu’un qui a de la fortune et possède des richesses. Une référence est faite au terme « nouveau riche » définissant les personnes récemment enrichies qui étalent leur fortune sans modestie et sans goût. Sans pouvoir l’affirmer, il me semble que certains propos recueillis se rattachent à l’image des riches arrogants, se permettant certaines attitudes de mauvais goût sous prétexte de leur opulence. Le riche serait en effet, de « mauvais caractère », aurait de

« mauvaises manières » ou encore se permettrait, par son « pouvoir », d’abuser de certaines personnes. Il est intéressant de souligner que ces stéréotypes sont exprimés par les enfants mais pas par les adultes. A cette première définition, suit celle qui suppose la richesse

« dans les choses » tel un objet coûteux, somptueux et beau. Par exemple, de riches tapis. La troisième définition évoque la richesse en quelque chose, c'est-à-dire une chose qui possède beaucoup de, comme un aliment riche en vitamines, un livre riche d’enseignements. Puis, le dernier sens assimilé au terme riche exprime le fait de contenir de nombreux éléments, ou des éléments en abondance. C'est-à-dire une terre fertile, ou encore une bibliothèque comportant de nombreux ouvrages serait considérée comme une riche bibliothèque. Notons également que ces quatre définitions sont toujours d’usage aujourd’hui.

Le dictionnaire des notions de l’Encyclopaedia Universalis (2005) nous apporte d’autres éléments qui concernent plutôt l’évolution du terme « richesse » au cours de l’histoire. Il est toutefois intéressant de remarquer que, dans le dictionnaire de la langue française (2006) aucune allusion n’est faite aux philosophes tels que Platon, Aristote ou Socrate qui pourtant ont des choses à dire à ce propos. Nulle allusion non plus à l’enrichissement individuel.

Dès l’Antiquité grecque, l’école socratique critique vivement la position des sophistes sur l’enrichissement individuel. Platon, dans sa cité idéale, interdit à la classe supérieure toute richesse personnelle et privée. Pour Aristote, les richesses recouvrent tout ce qui est utile et sert à la satisfaction des besoins humains, mais il faut savoir distinguer les « vraies

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richesses » des autres. Seuls les biens nécessaires à l’existence courante et à la « vie bonne » sont de vraies richesses. En revanche, l'accumulation des biens et surtout de la monnaie, lorsqu'elle devient un but en soi, fait sortir de l'économie naturelle et entrer dans une

« chrématistique » non naturelle : on n'a plus affaire alors à de vraies richesses, même si

« on fait communément consister les richesses dans la grande quantité d'argent ». En outre, cette accumulation déçoit forcément celui qui s'y livre puisqu'elle n'a jamais de fin.

Ces significations se révèlent particulièrement intéressantes car elles peuvent venir faire écho à certains propos recueillis chez les enfants ou les adultes (voir chapitre précédent) qui affirmaient que « l’argent ne fait pas le bonheur » et que bien qu’en étant fortuné, il peut arriver que l’on soit malheureux.

Dans la pensée chrétienne, la richesse en termes de biens et objets matériels n’est pas seulement une illusion, elle est celle qui détourne des vraies richesses qui se trouvent au ciel. Ainsi s’imposera, pendant toute la période médiévale, une attitude réservée et soupçonneuse envers les richesses matérielles, et critique envers l’enrichissement individuel.

A partir de la Renaissance, richesses matérielles et enrichissement sont perçus plus favorablement mais continuent d’être considérés comme des moyens et non comme des fins : les vraies richesses sont toujours ailleurs.

Il faut noter que cette manière de penser n’est pas derrière nous. Le consommateur d’aujourd’hui est un demandeur exponentiel d’harmonie intérieure, de confort psychique et d’épanouissement, ce que peuvent témoigner la floraison des techniques du développement personnel ainsi que le succès des sagesses orientales et autres spiritualités, de même que les

« guides du bonheur » (Lipovetsky, 2006, pp.13-14).

Si l’on regarde son évolution, ses significations différentes, on remarque que la richesse, aujourd’hui comme hier, est une notion polysémique et évolutive.

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Pauvreté

L’adjectif « pauvreté » vient du latin « pauper », de la famille de « paucus » qui signifie peur.

Six définitions sont associées à cette notion. A nouveau, nous pouvons lire une première définition axée sur l’argent, le pauvre étant celui qui n’a pas (assez) d’argent, qui est indigent et nécessiteux. La définition évoque également l’exemple des pays pauvres qui sont sous-développés. Tout comme pour son antonyme, la deuxième définition est axée sur la pauvreté dans les choses, qui a donc l’apparence de la pauvreté. La troisième définition représente la pauvreté comme quelque chose ou quelqu’un qui est dénué, dépourvu et privé de quelque chose. Par exemple, une personne qui serait un peu « pauvre d’esprit » ou alors une ville qui n’a guère de distractions serait une ville « pauvre en distractions ». Le terme pauvre peut également s’utiliser lorsqu’il s’agit de quelque chose qui fournit ou produit trop peu comme une terre pauvre qui serait stérile. La pauvreté renvoie aussi à l’idée de pitié et de malheur tel que l’exemple de l’expression « pauvre bête » ou « pauvre malheureux ». De plus, le terme pauvreté se rallie négativement aux termes pitoyables et lamentables.

Le nom « pauvre » nous apprend dans un deuxième temps qu’un pauvre est une personne qui vit de la charité publique, tel un mendiant. Il concerne alors les personnes sans ressources. Puis, il est intéressant de remarquer qu’il y a un contraire à l’expression

« nouveau riche », qui est « nouveau pauvre » et qui définit les victimes récentes de crises économiques ou du chômage.

Rahnema (2003) nous livre également de précieuses informations dans son ouvrage « Quand la misère chasse la pauvreté ». Il nous apprend notamment que la notion de pauvreté et les réalités qu’elle recouvre ont sans cesse été réincarnées, réinventées, altérées et il tente donc de répondre à la manière dont ce terme a évolué au cours des âges. Il cherche à comprendre quels rapports il y a entre les mots « pauvre » et « pauvreté » tels qu’employés par nous aujourd’hui et tels qu’utilisés dans d’autres cultures et à d’autres époques.

D’après cet auteur, le mot pauvre aurait en quelque sorte eu trois « vies » : une à l’âge de pierre, où les hommes ne possédaient rien, vivaient de très peu, sans savoir ce qu’était la pauvreté. Dans une deuxième vie, le mot naît pour marquer la qualité souvent inadéquate

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ou inférieure d’une chose ou d’un être vivant. Puis, la naissance du pauvre qualifié en soi par la forme substantivée représente la troisième vie du mot pauvre.

Rahnema explique cette troisième « vie » par le fait que le mot pauvre aurait été utilisé comme un adjectif durant des millénaires jusqu’à l’apparition des sociétés d’échange. Était ainsi considérée comme pauvre toute chose dotée de qualités qui ne répondaient pas à ce que la société attendait d’elle. Un homme fortuné mais mesquin était ainsi considéré comme pauvre, de même que l’était un roi africain n’ayant pas suffisamment de bétail ou de domestiques. Par contre, ce même roi n’aurait jamais été considéré comme pauvre s’il avait toutes les qualités nécessaires à son rang mais qu’il ne portait pas de chaussures. Ainsi, durant très longtemps, les notions de « richesse » et de « pauvreté » n’ont pas relevé obligatoirement de la possession d’argent ou de biens.

De mon point de vue, il en est de même aujourd’hui. En effet, en me basant sur les propos recueillis lors des premières vagues d’interviews, je ne peux que constater que de multiples autres domaines sont mis en lumière, en dehors du domaine financier.

Cette perception, la perception basée sur la fortune, a évolué au fur et à mesure qu’augmentait la place accordée par les sociétés « économiques » à l’argent. Rahnema (2003) affirme que ce changement provoqua à son tour une rupture radicale dans la perception de la « richesse-pauvreté ».