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Ma question de recherche m’a permis d’étudier, chez des enfants de mêmes âges, le contenu de leurs représentations sur la thématique de la « richesse-pauvreté ». Cette recherche est donc une « tentative » de donner la parole à des enfants sur une thématique qui est généralement abordée par des personnes plus âgées, afin d’élaborer avec eux les significations que prend la « richesse-pauvreté ».

Pour essayer de répondre à cette question, je me suis engagée dans ce projet de recherche en faisant état des outils que je possédais déjà: les représentations des élèves d’une école à Genève et au Kenya. Partant de là, j’ai investigué dans mon environnement proche en sollicitant certaines personnes afin de me rendre compte de leurs manières de percevoir la

« richesse-pauvreté » et de m’éloigner des mes propres représentations. Après mes premières investigations sur terrain, j’ai été puiser dans d’autres ressources afin de nourrir la partie pratique de ce travail.

Mes investigations livresques m’ont permises, dans un premier temps, de comprendre le regard de la pensée judéo-chrétienne porté sur l’argent, les riches et les pauvres. Dans un deuxième temps, après avoir effectué les entretiens avec les élèves, j’ai remarqué que de nombreuses allusions se rapprochent de la perspective judéo-chrétienne. Il semblerait, en effet, que certaines caractéristiques de cette perspective soient présentes au sein même de ce travail. Loin d’affirmer que celle-ci est la source principale d’influence, je tiens à souligner le fait que certaines représentations, telle que celles en lien à la méfiance à l’égard de la personne dite riche ou encore l’apologie de la figure du pauvre, auraient pu être imprégnés de cette culture.

Quant aux philosophes grecs dont les pensées ont été exposées au chapitre quatre de ce mémoire, il est intéressant de souligner que certains enfants se rapprochent de la pensée d’Aristote pour qui la richesse matérielle n’est pas nécessaire pour atteindre le bonheur.

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Le recours à l’étymologie m’a permis de saisir le sens des termes importants de cette recherche et m’a donné matière à l’établissement d’une première hypothèse, selon laquelle l’opposition « richesse-pauvreté » évoque pour les élèves, en premier lieu, le stéréotype dominant axé autour de l’argent et des biens matériels. Cette hypothèse a été confirmée : les premières assertions des élèves, lorsque nous avons notamment procédé à des associations libres autour du thème «riche-pauvre », le démontrent.

Pourtant, il est nécessaire de préciser que les débuts des entretiens suivent une logique de progression. En effet, on remarque une complexification dans les représentations des enfants qui deviennent de plus en plus fines et nuancées. Une évolution s’est également manifestée, dans le sens où ces entretiens sont faits de « va-et-vient » constants entre représentations stéréotypées et représentations non stéréotypées. Cette logique de progression va, à mon avis, de pair avec la structure de l’entretien collectif qui a d’une part, un effet dynamisant et qui permet d’autre part, la confrontation d’idées nouvelles. La dynamique de l’entretien à plusieurs voix, le brainstorming qui fait émerger les idées chez les élèves, les images et ensuite les histoires constituent à mon sens des outils forts permettant aux élèves de se laisser imprégner par différentes manières de concevoir la

« richesse-pauvreté ». Ces outils peuvent également remettre en question certaines idées des élèves ainsi que certain à priori qu’ils avaient au départ, ou encore, leur permettre d’entrer dans un processus de réinterprétation de la « richesse-pauvreté » pour ainsi étoffer leurs propres représentations.

La démarche de photo-langage a par ailleurs, selon moi, le mérite d’ouvrir sur le monde et sur des réflexions parfois complètement opposées à celles auxquelles les élèves auraient songé. En effet, les images par lesquelles les élèves se laissent imprégner, qui les incitent à s’ouvrir à une certaine profondeur de sens et à élargir leurs horizons tiennent une place capitale dans la progression de leurs représentations. Pour faire écho à ces propos, je souhaiterai citer Debray (1992, p.11) qui dit des images:

« qu’elles soulagent ou ensauvagent, qu’elles émerveillent ou ensorcellent, manuelles ou mécaniques, fixes, animées, en noir et blanc, en couleurs, muettes, parlantes – c’est un fait avéré, depuis quelques dizaines de milliers d’années, que les images font agir et réagir. »

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Je suis convaincue que les images peuvent jouer le rôle d’un tremplin et amener les élèves vers des idées plus nuancées. Il faut cependant se garder de penser qu’une même image a les mêmes significations pour tous. La majorité des images exposées aux élèves, les poussent à une rencontre à l’autre. Cette découverte de l’altérité, peut selon Lévi-Strauss (1952/1987, p.89) « brouiller les perspectives, mais elle élargit les horizons. Si elle remet en question l’idée qu’on se fait de soi et de sa propre culture, c’est précisément parce qu’elle nous fait sortir du cercle restreint de nos semblables. »

Avant d’évoquer d’autres points, il faut savoir qu’il y a eu, lors de certains entretiens, des élèves qui ne semblaient pas particulièrement mobilisés par le thème abordé. En effet, autant à l’école des Boudines qu’à l’école des Genêts, il y a eu des enfants « effacés ». Lidia et Pierre se sont très peu exprimés et ont montré peu d’enthousiasme au fait de participer au « débat ». En référence à ma définition d’une représentation « riche », je pourrai ainsi qualifier leurs représentations de pauvres pourtant cela impliquerai de ne pas être sensible à d’autres facteurs qui ont pu engendrer cette quasi invisibilité. On peut en effet se demander si c’est le sujet qui ne les inspire pas ou encore, s’il s’agit des modalités d’entretiens à plusieurs voix qui ne leur conviennent pas. Il faut admette que la structure de l’entretien collectif peut, avec certains élèves, faire disparaître les réticences de l’interviewé en situation d’entretien individuel mais elle peut également produire l’effet inverse. On pourrait donc imaginer que la réflexion de ces élèves s’est vue limitée par un manque d’affirmation de soi et par la gêne, ce qui aurait pu impliquer une certaine peur d’exprimer davantage son point de vue et donc de mettre en avant ses propres représentations. Je souligne également que, dans le cadre de ces entretiens de groupes, un phénomène de suivisme est apparu et s’est notamment manifesté par les deux élèves mentionnés. Pris individuellement, les opinions exprimées n'auraient peut être pas pris les même connotations.

En revisitant maintenant le contenu de certaines représentations d’élèves qui s’éloignent des stéréotypes, une interrogation est survenue. Je me demande si, plutôt que d’être enjoué et enthousiaste de certaines représentations de la « richesse-pauvreté » qui vont au delà des stéréotypes, on ne pourrait pas interpréter autrement les dires des élèves? En effet, des élèves scolarisés au sein d’une société, où les besoins matériels de l’essentiel de la

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population sont largement satisfaits, peuvent selon moi s’offrir le « luxe » de dépasser une réflexion axée sur les besoins primaires. Ne possèdent-ils, en effet, pas tous les ingrédients nécessaires à formulation de représentations non stéréotypées ? Par conséquent, n’est-il pas banal que les élèves issus de pays occidentaux parviennent à dépasser ces stéréotypes ? Ces questions induisent l’interpellation suivante : ne serait-il pas légitime que des enfants de pays du Sud aient des représentations plus axées autour du stéréotype de l’argent ?

Effectivement, dans la société dans laquelle nous vivons, nous avons en général dépassé le souci du bien-être minimal. Nous sommes dans une société dite post-matérialiste. Bien sûr, la dynamique d’expansion des besoins se prolonge mais elle a changé de visage et se voit chargée de nouvelles significations : nous pouvons désormais donner la priorité à la qualité de vie, à l’expression de soi, aux préoccupations relatives au sens de la vie, de même que revendiquer pour des causes plus qualitatives tels que le souci de l’écologie par exemple, ce qui n’est pas forcément le cas dans les pays du Sud.

Ce que je retiens des allusions des élèves de l’école de Mikoroshoni, c’est que leurs représentations touchent à une « richesse-pauvreté » qui est souvent matérielle malgré le fait que leurs exemples sont empreints d’une finesse et d’une singularité particulière. Mais, bien que des représentations stéréotypées aient été relevées en majorité au Kenya, il va de soi que je ne suppose pas que les enfants issus de pays du Sud ne peuvent s’éloigner des stéréotypes.

On remarque d’ailleurs, si l’on se réfère aux images et légendes empruntées au guide

« Riche, Pauvre, ça veut dire quoi ? » que certaines d’entre elles, prises dans des pays du Sud, véhiculent une idée qui dépasse largement le caractère matérialiste. C’est par exemple le cas de l’image prise par cette élève guatémaltèque qui a pris une photo d’arbres car, pour elle, la nature est une richesse. Si l’on reprend la totalité des images du guide, il est intéressant de remarquer que les photos prises par les élèves « suisses » mettent majoritairement l’accent sur ce qui est matériel ou sur ce que l’on peut obtenir à l’aide d’argent.

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Le questionnement évoqué plus haut est donc un peu simpliste car les représentations sociales construites par les enfants sur la « richesse-pauvreté » sont multiples et complexes.

La question de savoir ce qui nourrit leurs représentations reste donc sans réponses.

Je souhaite à présent revenir sur la deuxième hypothèse énoncée dans ce travail. Cette dernière spécifiait, en effet, que les représentations des élèves seraient plus riches si leur système de représentations se fondait sur des aspects non stéréotypés de la « richesse-pauvreté ».

A ces fins, il me semble tout d’abord important de qualifier ce que j’entends par une représentation « riche ». Il s’agit des représentations d’enfants qui se réfèrent à plusieurs occurrences thématiques et dont certaines d’entre elles revêtent un caractère inhabituel voire rare. Cette définition peut toutefois être en partie contestée en raison de la pluralité que peut sous-tendre le terme « riche », elle a cependant été adoptée dans le cadre de ce travail.

En me référant à la définition qui vient d’être évoquée, il s’avère que la deuxième hypothèse est invalidée. Il me semble en effet que les représentations que les enfants fondent à partir d’aspects non stéréotypés de la « richesse-pauvreté » peuvent toutefois posséder en elles certaines caractéristiques d’un système de représentation « riche ». Il serait en effet indu d’affirmer que seules les représentations dites non stéréotypées soient « riches », car certaines d’entre elles, fondées malgré tout sur ce qui est caricatural et stéréotypé, vont plus loin. En effet, au sein des stéréotypes apparaissent des nuances : certaines représentations sont basées stricto sensu sur l’argent et les biens matériels tandis que d’autres sont simplement influencées par le stéréotype.

Illustrons ces propos avec l’exemple de cet élève kenyan qui affirme que la richesse est d’avoir le VIH. D’après lui, les personnes fortunées sont davantage convoitées en amour et donc plus sujettes à contracter ce virus. Même si cette représentation est pour moi clairement influencée par le stéréotype de l’argent, je la qualifie pourtant de représentation

« riche ».

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Thaïs, une élève de l’école de Châtelaine, donne aussi un bon exemple de ce type de représentation. Bien que cette élève ait fondé pratiquement toute son argumentation sur des éléments caricaturaux, ses représentations ne peuvent être, selon moi, considérées comme pauvres. La finesse de son argumentation amène une perspective allant au-delà du simple stéréotype de l’argent et des possessions matérielles. En effet, cette élève choisi de mettre l’accent sur l’impact que peut produire l’argent sur les gens, sur leurs attitudes et sur leur vie. Même si son discours amène souvent des idées influencées par le stéréotype, il me semble que ses représentations détiennent des caractéristiques rares et surprenantes.

Voilà certaines raisons qui m’amènent à considérer cette deuxième hypothèse comme vaine.

Toutefois, une nouvelle interpellation s’est manifestée sur la définition même du terme

« stéréotype ». Il me semble en effet que les frontières sont floues et que l’on pourrait se questionner sur ce qui est réellement stéréotypé et ce qui ne l’est pas.

Certaines représentations qualifiées initialement de non stéréotypées telles que par exemple « la vraie richesse, c’est le bonheur » (Anthony, Ecole de Vandoeuvres), ne reflète-t-elle pas en fait une idéologie devenue banale et dépourvue d’originalité dans nos sociétés occidentales axées sur le « mieux être » (Lipovetsky, 2006)? J’ai fondé mon analyse en m’appuyant sur une définition spécifique du stéréotype qui pourrait être à présent déconstruite. En effet, au terme de ce travail, l’adoption d’une nouvelle définition me semble être envisageable. Je tenais à le souligner bien que cela appartienne dorénavant à une autre recherche, Le débat reste donc ouvert…

Epilogue