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3. BRISER DES IDEÉS PRÉCONCUES

3.2 Elargir ses propres conceptions

« Malheur à l’homme qui, au moins une fois dans sa vie, n’a pas tout remis en question », écrivait Pascal (cité par Pradervand, 1998, p.69).

Dans la vie, il y a certaines choses que nous remettons en question beaucoup plus difficilement que d’autres : ce sont les définitions sur lesquelles nous fondons finalement toute notre vie. Neil Postman, professeur de communications à l’Université Columbia de New York, a bien cerné ce que sont vraiment les définitions quand il écrit :

« Les définitions, comme les questions et les métaphores, sont des instruments pour penser : leur autorité repose entièrement sur leur utilité, non sur le fait qu’elles seraient ‘correctes’ ou

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non… Une définition contient en elle un certain point de vue philosophique, sociologique ou épistémologique… La définition d’une chose est en général le point de départ d’un débat, non sa conclusion. » (Pradervand, 1998, p.69)

Nos définitions des choses sont des lunettes à travers lesquelles nous interprétons la réalité.

Sans revenir sur l’introduction de ce mémoire où j’ai notamment partagé avec le lecteur certaines de mes représentations sur la « richesse-pauvreté », je souhaite avant d’élargir mes conceptions personnelles, faire à nouveau un « état des lieux » de celles-ci. Elles se résumeraient à ce stade de la recherche de la manière suivante:

Selon moi, les notions de richesse et de pauvreté sont très relatives et dépendent beaucoup du contexte économique, social et même politique.

La richesse s’exprime pour moi en termes positifs car une infinité de belles choses en découlent comme la famille, les amis, la santé, la joie, les rires, le partage. Richesse évoque pour moi aussi le fait d’avoir un enthousiasme permettant d’apprécier les joies quotidiennes de la vie. Pour moi donc, la richesse est relativement accessible car je ne la définis pas par l’argent, même si le fait d’en avoir contribue à l’accès à certaines richesses.

Redéfinir la richesse dans un sens non matérialiste implique son corollaire : redéfinir la pauvreté. Il me semble que ce terme peut traduire une certaine ambivalence entre le pauvre

« heureux » et le pauvre « malheureux » mais pour moi, la pauvreté va de pair avec les notions d’abattement, de misère, de malheur, de tristesse et de désespoir. La pauvreté n’est pas le simple dénuement. Elle ne se résume pas au manque d’argent même si le fait de ne pas avoir assez d’argent pour assouvir des besoins primaires, comme la certitude de manger à sa faim ou de disposer d’un lit pour dormir et se protéger des intempéries, fait partie des pauvretés. Pauvreté signifie aussi la soif de possession, l’avidité, l’égoïsme et la solitude. Il ne s’agit pas que d’argent car des personnes peuvent posséder moins de choses et être plus

« riches » ailleurs. C’est donc une expérience, davantage qu’un état économique.

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Comme c’est le cas pour plusieurs autres phénomènes de société dont nous parlons parfois avec autrui, la richesse et la pauvreté ne font pas l’objet d’une définition clairement définie.

Elle n’est d’ailleurs pas la même pour tous.

Avant de partir à la conquête des représentations des élèves sur la « richesse-pauvreté », il convient d’abord de défricher davantage le terrain.

Curieuse de découvrir ce que d’autres personnes construisent comme significations autour des termes « richesse » et « pauvreté », je me suis lancée dans l'écriture d'un court e-mail sollicitant les idées immédiates, conceptions, citations, images de mes contacts à ce propos.

Mon message s'adressait à ceux-ci en ces termes:

« Que vous vient-il à l'esprit à l'évocation de ces termes:

RICHESSE? PAUVRETE?

Une image, une idée, un auteur, une citation, des mots-clés, une phrase, peu importe tant que cela traduit la manière dont vous les percevez! Merci! »

Les réponses ont été au fur et à mesure imprimées puis, lorsque j’ai estimé en avoir assez pour pouvoir aller plus loin dans la réflexion, j’ai effectué le tableau ci-dessous. Au total, 11 réponses me sont parvenues. A chaque personne correspond une ligne qui comprend les colonnes « richesse » et « pauvreté ».

Voici le contenu de leurs réponses :

Richesse Pauvreté

Bibliothèque nationale de France ; Bora Bora

Une école détruite ; Famille rwandaise en fuite Art ;

Confort ;

Voyages et découvertes ;

« Âme et esprit » (richesse intérieure)

Misère et salubrité ;

Sans complexité d’esprit (en opposition avec richesse intérieure) ; Malheur ou bonheur

Vacances ; Bien-être matériel ; Argent

Bidonvilles ; Exploitation

Château ; Malnutrition ;

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Bourgeoisie : le fric transforme les gens en stéréotypes de manières, codes sociaux ;

Opulence ;

Confort : installé dans la vie sans soucis ;

Désintérêt : Humainement le regard ne peut plus connecter avec celui des classes populaires, tant leurs problématiques de vie ne concernent plus les riches

Le cauchemar de Darwin ;

Je mets mon enfant dans la boîte à fringues pour qu'il attrape des habits ;

Je viens à l’école en tongs et chaussettes en plein hiver ; Une lutte pour survivre ;

Une révolte

Si elle est distribuée pourquoi pas ;

Peut servir à la collectivité mais est généralement individualisée et là elle s’apparente à de la pauvreté (tant sur le plan financier qu’intellectuel) ;

Le terme richesse évoque le terme pauvreté

Terme triste mais riche en humanité ;

C’est lorsque l’on est confronté à la pauvreté que l’on prend conscience de nos richesses ;

Misère et espoir de vie très fort;

Permet d’apprécier les petites choses Je pense que pour un enfant, être riche est simplement le fait

d’avoir tous les derniers jouets et gadgets, tout ce qui est bien et qui coûte de l’argent. Par la suite, on évolue et la richesse devient les connaissances, l’intelligence, la culture

La pauvreté, pour les enfants, je pense qu’ils n’en connaissent que ce que leurs parents leur en disent, donc : famines, enfants pauvres en Afrique, clochards, etc. et cela ne va pas plus loin

Argent ;

Le trésor d’Ali Baba ;

Richesse immatérielle d’une personne (son savoir personnel, ses relations amicales-familiales-amoureuses)

Mendiant dans la rue;

Image typique et stéréotypée d’un enfant en Afrique avec le gros ventre

Quelle chance d'être nés sur le bon coté de la planète;

La richesse en termes de culture, de savoir, de connaissance, d’environnement ;

La richesse ne veut pas forcément dire que l'on est heureux

Plus on est pauvre, plus on est généreux ;

La pauvreté amène des problèmes existentiels comme le manque de nourriture, d’eau, de moyens éducationnels

Richesse humaine (connaissances, culture, liberté, le voyage) ; Richesse matérielle (argent, apparence, etc.) ;

Richesse naturelle (terres fertiles, récoltes) ;

« Je suis riche des biens dont je peux me passer » Louis Vigée ; Notion de pouvoir, de compétition, d’égoïsme

Être pauvre à l’intérieur (seul, vide, sans ambitions, sans passion) ; Trouver la richesse en soi et dans les plus petites choses de la vie (sourire, nature) ;

Certains pays ne sont pas bien situés sur le globe et sont déjà condamnés ;

Boutiques de luxe à des prix d'un salaire d'ouvrier pendant 3 ans (ou d'un chômeur pendant 15 ans) ;

Voyages à l'autre bout du monde pour un week-end ; Grosses voitures qui polluent et consomment beaucoup

Personnes qui doivent vivre à 4 ou 5 ou plus dans un studio de 25 mètres ;

Personnes qui ne peuvent s'acheter des fruits ou légumes frais;

Personnes qui ne peuvent pas partir en vacances ou en sortie une journée

Quelles sont les dimensions qui ressortent de cette mini enquête ? Retrouve-on les mêmes thèmes évoqués par les élèves ? Y a-t-il des oppositions thématiques outre l’opposition

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majeure richesse et pauvreté ? Que retenir de cette enquête qui a pour but de m’emmener plus loin dans la réflexion ?

Tout d’abord, quelles que soient les différentes facettes de la pauvreté, elles sont souvent liées à des connotations que je qualifierai de négatives, tandis que la richesse est, elle, majoritairement rapportée en termes positifs. Les thèmes énoncés par les élèves dans la partie « premiers éléments d’étonnement » sont effectivement présents : relations ; attitude et comportement; biens matériels ; besoins fondamentaux. Mais ici, ils sont affinés, plus précis. Il y a beaucoup de références à des situations et évènements précis. Sans reprendre ce qui a déjà été mentionné plus haut, je vais à présent essayer de déceler les concepts et idées qui n’ont pas été mentionnés par les enfants.

Stéréotypes

En premier lieu, je souhaite évoquer un trait des représentations reçues par e-mail, qui ne surprendra guère : une vision stéréotypée de « richesse-pauvreté ». Bien que les personnes qui ont renvoyé leurs représentations montrent au travers de leurs réponses bien d’autres visages de « richesse-pauvreté » que celui rattaché à l’argent, je note effectivement le poids du stéréotype. Ils évoquent ainsi l’argent matériel et palpable qui passe de mains en mains, qui permet notamment d’assurer la satisfaction de besoins élémentaires ou qui s’épuise en plaisirs faciles obtenus sur-le-champ. Si on cherche bien, on voit d’ailleurs qu’une personne constate ce stéréotype au sein même de sa réponse :

« Image typique et stéréotypée d’un enfant en Afrique avec le gros ventre».

De manière générale, on note des représentations des adultes, ce mélange entre vision stéréotypée et vision plus nuancée.

Parmi les réponses non stéréotypées, un registre autour de la « richesse-pauvreté » culturelle se crée. Fait partie de ce registre toutes les allusions au savoir personnel et à la culture générale. S’il parait évident que cette connaissance et ce savoir sont assimilés à la richesse, cette richesse n’est pas seulement accessible aux riches. Les pauvres aussi peuvent être dotés de cette qualité.

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Outre la connaissance, on retrouve chez certains adultes des représentations qui pourraient être imprégnées de certains philosophes tels que Socrate, Platon et Aristote. En effet,

« riche en humanité », « espoir de vie très fort », « trouver la richesse en soi et dans les petites choses de la vie », ou encore « plus on est pauvre, plus on est généreux » fait clairement référence au fait que les richesses sont en nous. La dernière allusion rappelle par ailleurs les « pauvres en esprits », tel que Ghandi, qui font de la frugalité leur plus grande richesse.

Responsabilité ou destin ?

Ce qui me frappe d’emblée et qui n’a pas eu de place dans le discours des enfants de Châtelaine ou de Mikoroshoni est la question de la responsabilité ou inversement du hasard de la condition de « richesse-pauvreté. »

Cette opposition n’a pas tenu une place colossale parmi les réponses, mais ce thème a retenu toute mon attention. En effet, les réponses suivantes poussent à penser que le statut de richesse ou de pauvreté serait le résultat du destin :

« Quelle chance d’être né du bon côté de la planète »

« Certains pays ne sont pas bien situés sur le globe et sont déjà condamnés »

On est forcé de constater que les êtres humains ne sont pas égaux. Selon le milieu où ils sont nés, certaines personnes sont privilégiées ou pas. Cette constatation aussi terrible soit elle est pourtant vraie. Ainsi, un enfant issu d’un milieu pauvre, dans un pays du Sud, vivra en moyenne moins longtemps qu’une personne issue d’un milieu aisé. Sujet aux maladies, à l’insécurité peut être ou encore à la violence, parfois même sujet à la famine, ces conditions de vie seront de manière générale plus difficiles.

Aucun des répondants ne fait allusion à une responsabilité directe attribuée à la personne.

Pouvoir versus vulnérabilité

Vollmann (2008) rapporte, à propos de la vulnérabilité, la métaphore suivante :

« La vie est une longue excursion. Si votre tente fuit et qu’elle est de mauvaise qualité, vous ne risquez pas plus qu’un autre tant qu’il ne pleut pas ; mais s’il pleut, du fait de votre tente

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imparfaite, vous risquez d’avoir votre sac de couchage trempé, voire de mourir d’hypothermie. » (p. 141)

On retrouve dans celle-ci, cette opposition entre pouvoir et vulnérabilité. En effet, nombre des réponses évoquent ce que subissent les pauvres : « famille rwandaise en fuite »,

« exploitation », « bidonville » et ce que peuvent se permettre les riches par le pouvoir qu’ils peuvent acquérir grâce à l’argent. Que les thèmes évoqués soient l’argent, les relations ou la santé, le pauvre est par définition assimilé à un être vulnérable alors que le riche est assimilé au puissant qui détient les rennes.

A présent, pour poursuivre dans l’exploration de mon objet de recherche, tournons notre regard vers la littérature.

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