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6. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

6.2 Les entretiens de recherche

Pour aller à la quête des représentations sociales des élèves, j’ai choisi d’opter pour une démarche d’entretien. Elle est d’après moi, la plus appropriée dans le sens où :

« [elle] fait appel au point de vue de l’acteur et donne à son expérience vécue, à sa logique, à sa rationalité, une place de premier plan. (…) L’enquête par entretien est l’instrument privilégié de l’exploration des faits dont la parole est le vecteur principal. Ces faits concernent les systèmes de représentation et les pratiques sociales. » (Blanchet & Gotman, 1992, p.25)

A l’inverse du questionnaire, l’entretien, qui fait l’objet d’une rencontre, ne cherche pas à produire des réponses mais un discours, révélateur du sens que l’interlocuteur donne à une action.

Cette méthode me semblait ainsi la mieux répondre à mes objectifs de recherche. Il s’agissait ainsi d’offrir à travers ces entretiens de recherche, un cadre favorisant l’expression en détail des jeunes, leur permettant ainsi d’expliciter de façon aussi personnelle que collective leurs représentations.

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Plus précisément, mon choix penche pour un entretien compréhensif. Il y a plusieurs raisons à ce choix. Tout d’abord, comme le souligne Kaufmann(1996) :

«La démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples agents porteurs de structures mais des producteurs actifs du social, donc des dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus ; elle commence donc par l’intropathie ». (p.23)

Ensuite, cet entretien, n’étant ni totalement libre ni restreint, permet la construction d’un dialogue. En effet, l’entretien compréhensif favorise l’expression en profondeur de l’interviewé tout en permettant au chercheur de recadrer et recentrer l’interview en se référant à un canevas d’entretien. Ce dernier représente une des premières étapes dans la démarche d’entretien où le chercheur construit le guide en fonction des objectifs de son enquête, des hypothèses ou des résultats tirés de la littérature. L’intérêt de ce canevas est qu’il ne représente pas une pièce immuable à laquelle le chercheur doit absolument se tenir.

Le canevas peut ainsi être perçu comme une aide lorsqu’un entretien prend une forme inattendue et/ou que les discussions sortent des champs préalablement pensés.

Contrairement à d’autres dispositifs méthodologiques comme l’entretien non directif, l’entretien compréhensif donne des occasions au chercheur de relancer la personne interviewée et d’interagir avec elle, ce qui permet aussi de développer les sujets abordés car

« la meilleure question n’est pas donnée par la grille ; elle est à trouver partir de ce qui vient d’être dit par l’informateur » (Kaufman, 1996, p.48). Cette méthode comporte cependant une limite ou une difficulté importante car le chercheur doit parvenir à co-construire avec la personne en introduisant les thématiques qui l’intéressent sans pour autant casser la dynamique du discours. La personne interviewée joue un rôle central non seulement car elle possède un savoir que le chercheur n’a pas, mais aussi car les données qu’elle fournit au chercheur possèdent un statut bien précis. Les entretiens nous livrent le point de vue de l’acteur sur « son » monde et qu’il définit à sa manière. Il permet alors de révéler l’existence de représentations profondément inscrites dans l’esprit des personnes interrogées et qui ne peuvent que rarement s’exprimer au travers d’un questionnaire.

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La démarche d’entretien auprès d’enfants

Les démarches d’enquête auprès d’enfants possèdent certains aspects qu’il ne faut pas négliger. A ce propos, Danic, Delalande et Rayou (2006) affirment que ces particularités viennent du fait que les enfants sont des êtres en développement et ils sont, de ce fait, d’une maturité moins grande que les adultes. Il se pourrait donc qu’ils développent des normes et des valeurs qui ne sont pas forcément convergentes avec celles des adultes. Ce point éveille ma curiosité car ils ont comme tous les êtres humains « engagés dans des interactions, une vision partielle, mais néanmoins fondée, de la réalité qu’ils vivent. » (Danic, Delalande et Rayou, 2006, p. 98). Les enfants, selon Strauss (1992) « fournissent au chercheur, avec les catégories de leurs expériences, un matériau parfaitement fiable pour l’élaboration d’une « théorie enracinée » (cité par Danic, I., Delalande, J. et, Rayou, P., 2006, p. 99).

Souhaitant que les élèves se sentent le plus à l’aise possible, j’ai choisi de mener des entretiens de groupe, c'est-à-dire de conduire des entretiens avec plusieurs jeunes d’une même classe. Etant persuadée que les élèves se sentiraient plus libres de parler, moins gênés, s’ils sont en présence d’acteurs proches de ceux qu’ils ont dans la vie ordinaire, j’ai tout de suite opté pour cette méthode. En outre, la situation d’entretien à plusieurs voix constitue une possibilité d’observation privilégiée en suscitant des échanges entre pairs qui parfois débouchent sur certains débats. Les informations fournies sont de nature différente de celles que l’on peut prélever lorsqu’on interviewe un enfant isolé. Mis à part le point relevé ci-dessus, Danic, Delalande et Rayou (2006) relèvent l’intérêt des dispositifs multiples d’entretien « dans le fait que chacun des interviewés montre des facettes de l’existence sociale des enfants que le travail de synthèse du chercheur s’essaiera de mettre en perspective. » (p.104)

La posture du chercheur

Le canevas prêt, les groupes constitués, il est temps d’aller à la rencontre des élèves et conduire avec eux les entretiens de recherche. C’est un moment que certains chercheurs novices appréhendent. Les premiers entretiens sont parfois difficiles : briser la glace, crispations du début, rompre la hiérarchie ; ces moments ne sont pas forcément évidents mais dès que l’entretien gagne en profondeur, assis autour d’une table, les enfants

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paraissent à l’aise, « le cadre de l’entretien est comme oublié : on bavarde autour d’un sujet » (Kaufmann, 1996, p. 47). Briser la hiérarchie est l’un des buts de l’entretien compréhensif mais il faut se garder de tomber dans une équivalence de positions car chacun des partenaires a un rôle différent.

En effet,

« L’enquêteur est le maître du jeu, il définit les règles et pose les questions ; l’informateur au début se contente de répondre. C’est ensuite que tout se joue : il doit sentir que ce qu’il dit est parole en or pour l’enquêteur, que ce dernier le suit avec sincérité, n’hésitant pas à abandonner sa grille pour lui faire commenter l’information majeure qu’il vient de livrer trop brièvement. L’informateur est surpris de ce sentir écouté en profondeur (…) il n’est pas interrogé sur son opinion, mais parce qu’il possède un savoir précieux (…). (Kaufmann, 1996, p.48)

La tâche du chercheur est ardue. L’enquêteur qui se livre à l’exercice de recueil de données doit se sentir mobilisé pour essayer d’aller toujours plus en profondeur, avoir une écoute active de ce qui est dit par l’informateur, formuler les bonnes questions, réagir sur une idée que l’informateur a soulevé, lui demander des précisions sans qu’il sente interrompu, etc.

Aux yeux d’Anne Gotman (1985) « rien ne sert de s’effacer, de regarder de biais, de baisser les yeux, de prendre un air modeste, de se faire tout petit et oublier, nul ne croira que vous n’avez pas d’opinion sur le sujet qui vous occupe, ni préférence aucune. » (cité par Kaufmann, 1996, p.52). Il est vrai que l’épistémologie de la compréhension critique la notion d’extériorité du chercheur par rapport à son objet et ce pour trois raisons. Selon Schurmans (2008, p. 95) la première relève du fait que :

« le chercheur fait partie de la collectivité sociohistorique qu’il étudie. (…) La deuxième est immédiatement reliée à la première : l’identité du chercheur est fruit de « son expérience vécue », tout au long de sa trajectoire biographique. La troisième raison est une conséquence des deux premières : le mouvement d’intériorisation de l’extériorité affecte à son tour l’extériorité par le fait de la participation de la personne à l’interaction ; celle-ci est, pour autrui, un autrui qui affecte. Le chercheur en sciences socio-humaines, de ce point de vue, ne peut s’extraire de ce mouvement et de cette implication : par sa participation expérientielle à l’interaction sociale, le sujet épistémique perçoit l’objet de l’intérieur. Cela signifie que, quel que soit son objet d’étude et quelles que soient ses techniques méthodologiques, sa

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démarche, tout à la fois, l’affecte lui-même, affecte autrui, et affecte le monde auquel il participe. »