Master
Reference
Analyse des connaissances des enseignants sur les élèves et de leur structure : constats et critique des méthodes de recueil
ALIPRANDI, Marie-Louise, MOSSAZ, Angela Mariela
Abstract
Certains chercheurs ont démontré que les compétences diagnostiques des enseignants contribuent de manière puissante au développement des apprentissages des élèves. D'autres ont mis en exergue le fait que les compétences actuelles des enseignants en matière de diagnostic pourraient être plus pertinentes et précises. Par conséquent, afin de pouvoir améliorer ces dernières, il est nécessaire d'en connaître la structure interne. C'est la raison pour laquelle, nous nous sommes questionnées, dans le cadre de ce mémoire, sur les croyances et les connaissances des enseignants en ce qui concerne le(ur)s élèves...
ALIPRANDI, Marie-Louise, MOSSAZ, Angela Mariela. Analyse des connaissances des enseignants sur les élèves et de leur structure : constats et critique des méthodes de recueil. Master : Univ. Genève, 2014
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42801
TITRE/SOUS-TITRE
Analyse des connaissances des enseigants sur les élèves et de leur structure : constats et critique des méthodes de recueil
MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU/DE LA
MASTER EN SCIENCES DE L’EDUCATION ANALYE ET INTERVENTION DANS LES SYSTEMES EDUCATIFS (AISE)
Veuillez vous référer à la dénomination officielle des titres figurant dans le guide des étudiants
PAR (Prénom-Nom) Marie-Louise ALIPRANDI
Angela MOSSAZ
DIRECTEUR DU MEMOIRE (Prénom-Nom)
Philippe Wanlin
JURY
(Prénom - Nom) Marcel CRAHAY Olivier MAULINI
LIEU, MOIS ET ANNEE GENEVE AOUT 2014
UNIVERSITE DE GENEVE
RESUME
(maximum 150 mots)
Certains chercheurs ont démontré que les compétences diagnostiques des enseignants contribuent de manière puissante au développement des apprentissages des élèves. D’autres ont mis en exergue le fait que les compétences actuelles des enseignants en matière de diagnostic pourraient être plus pertinentes et précises. Par conséquent, afin de pouvoir améliorer ces dernières, il est nécessaire d’en connaître la structure interne. C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes questionnées, dans le cadre de ce mémoire, sur les croyances et les connaissances des enseignants en ce qui concerne le(ur)s élèves.
Pour ce faire, nous avons mis en œuvre un certain nombre de méthodes ayant déjà été utilisées par d’autres chercheurs avant nous, ceci dans l’objectif de déterminer si nous sommes à même d’obtenir des résultats proches des autres recherches en la matière, en terme de critères et en terme de
catégories. Nous souhaitons également répondre aux deux questions suivantes: (1) Existe-t-il des catégories d’élèves dans le bagage cognitif des enseignants ? Si oui, quelles sont leurs structures ? (2) Quelle est la meilleure méthode pour appréhender les catégories d’élèves et leurs structures ?
Nous avons pour cela, appliqué les quatre méthodes suivantes: descriptions de types, regroupement d’élèves, clusters de jugements et interviews.
Notre public est composé de 9 enseignantes de l’école primaire (Genève).
Nous avons procédé à l’analyse par deux approches : qualitative et quantitative.
Sur la base des analyses des entretiens (analyse de contenu classique), nous avons obtenus sept catégories d’élèves qui se retrouvent chez la plupart des enseignantes.
Les résultats de notre analyse quantitative, effectuée par algorithme informatique, nous ont permis d’obtenir, trois types d’élèves par le questionnaire de clustering de jugement, six types et quatre groupes d’élèves sur la base des interviews. Tous ces ensembles s’avèrent être proches de ceux obtenus par d’autres chercheurs, aussi bien en terme de catégories que de critères.
En outre, nous avons pu répondre à notre questionnement en gardant l’hypothèse qu’il y a bien une organisation dans le chef des enseignants, que celle-ci ne s’avère pas bonne pour tous les élèves, car certains d’entre eux se trouvent à l’intersection de plusieurs catégories. Toutefois, dans l’ensemble, on peut garder que la structure des connaissances des enseignants à propos de leurs élèves est centrale périphérique.
Remerciements
Nos chaleureux remerciements vont :
tout particulièrement, à Philippe Wanlin, notre directeur de mémoire, pour son
accompagnement tout au long de notre travail, pour sa disponibilité, ses précieux conseils, ses encouragements et surtout pour sa bonne humeur, qui nous a permis de vivre cette expérience fort agréable et enrichissante ;
aux neuf enseignantes qui ont accepté de nous offrir une part de leur temps si précieux pour répondre à nos questions et réaliser les tâches que nous leur avons soumises. Tout cela avec le sourire et dans une ambiance détendue et amicale ;
à nos enfants qui ont été patients durant toutes nos années d’études et qui ont appris à devenir autonomes à force d’entendre leur maman leur répondre « Débrouille-toi, je bosse ! » ou « Demande à ton père ! » ;
à nos courageux maris, qui ont pris en charge les enfants à chaque fois que nous les avons réexpédiés vers eux ;
à nos mamans qui ont su nous soutenir moralement ;
à Monsieur Marcel Crahay qui a eu l’excellente idée de nous mettre sur cette voie et qui a accepté de faire partie des membres du jury ;
aux membres du jury qui ont accepté d’apporter une lecture attentive à notre travail, qui, nous l’espérons, permettra d’alimenter la discussion lors de la défense de ce mémoire.
Sommaire
Introduction ... 5
Partie 1 Aspects théoriques ... 8
Partie 2 Aspects méthodologiques ... 34
Partie 3 Analyse des données et résultats ... 48
Partie 3A Analyse qualitative des résultats... 49
Partie 3B Analyse quantitative des résultats ... 122
Partie 4 Conclusion ... 187
Partie 4A Conclusion de la partie qualitative ... 188
Partie 4B Conclusion quantitative ... 199
Partie 4C Conclusion et discussion ... 205
Bibliographie ... 210
Annexes ... 222
Introduction
Certains chercheurs ont démontré que les compétences diagnostiques des enseignants contribuent de manière puissante au développement des apprentissages des élèves. Par la suite, d’autres ont mis en exergue le fait que les compétences actuelles des enseignants en matière de diagnostic pourraient être plus pertinentes et précises. Par conséquent, afin de pouvoir améliorer ces dernières, il est nécessaire d’en connaître la structure interne. C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes questionnées, dans le cadre de ce mémoire, sur les croyances et les connaissances des enseignants en ce qui concerne le(ur)s élèves.
Pour ce faire, nous avons mis en œuvre un certain nombre de méthodes ayant déjà été utilisées par d’autres chercheurs avant nous, ceci avec deux objectifs : le premier étant de savoir si nous sommes à même d’obtenir des résultats proches des autres recherches en la matière, en terme de critères et en terme de catégories, notre deuxième objectif étant d’observer à l’aide d’un système, l’organisation interne du bagage cognitif des enseignants.
Nous avons pour cela, appliqué les quatre méthodes suivantes : descriptions de types, regroupement d’élèves, clusters de jugements et interviews. La comparaison des résultats obtenus via ces méthodes nous permet aussi d’obtenir une sorte d’évaluation des différentes approches utilisées.
Notre travail est composé de quatre parties. La première nous permet de poser le cadre théorique de notre sujet. Nous expliquerons, à travers celle-ci, les quatre méthodes mises au point par des chercheurs différents, ainsi que les constats qu’ils ont pu engranger grâce à elles. Dans cette partie nous présenterons aussi quelques raffinements de ces quatre méthodes, raffinements qui proviennent de la littérature de la psychologie cognitive et sociale et qui permettent d’examiner la structure interne des connaissances. La deuxième partie présente les enseignants de notre public, la méthodologie que nous avons employée, les outils que nous avons mis en place, ainsi que le traitement que nous avons réservé aux données qualitatives. En ce qui concerne, les traitements quantitatifs, ils seront expliqués au moyen de deux articles en voie de publication, dans la partie consacrée à l’analyse quantitative de ce mémoire. L’analyse des résultats est proposée en troisième partie et est scindée en trois sous-parties, dont la première est consacrée à l’analyse détaillée de nos
soumis pour la partie quantitative. Une quatrième partie est réservée à la conclusion sur la qualité des méthodes et des constats que nous avons pu obtenir. Nous terminons la conclusion par une discussion personnelle de notre travail en y ajoutant quelques propositions de pistes pour la recherche.
Bonne lecture.
Partie 1
Aspects théoriques
1. Compétences diagnostiques des enseignants
Un certain nombre de recherches, notamment celles de Hattie et Timperley (2007) et de Hattie et Gan (2011), démontrent que la bi-dimensionnalité des feedbacks est un élément- clé ayant un impact élevé sur l’efficacité des apprentissages des élèves.
Les feedbacks sont les informations que les enseignants envoient à leurs élèves ainsi que celles que les élèves renvoient à leurs enseignants. Il apparaît notamment, selon les recherches de Hattie et ses collaborateurs, qu’il appartient à l’enseignant d’exploiter l’information reçue afin d’établir un diagnostic lui permettant de déterminer le niveau et les difficultés de l’élève. L’étude longitudinale de Helmke et Schrader (1987) a permis de démontrer que la compétence diagnostique est une condition nécessaire pour établir des régulations pertinentes, efficaces et adaptées aux besoins des élèves, cela dans le but de contribuer au développement de leurs apprentissages. En d’autres termes, on peut relever qu’il existe un lien étroit entre les compétences diagnostiques des enseignants et les performances scolaires des élèves. Suite à ces constats, divers chercheurs, notamment Karing (2009) et McElvany et al. (2009) se sont penchés sur la qualité des compétences diagnostiques des enseignants. Malheureusement leurs résultats, démontrent que les compétences diagnostiques des enseignants pourraient être plus pertinentes et précises. Il semble donc crucial de favoriser le développement de cette compétence chez les enseignants. Néanmoins, il apparait que pour modifier les connaissances et croyances des personnes, et donc leurs compétences, il est nécessaire d’en connaître la structure (Roussiau
& Bonardi, 2001; Vosniadou, Vamvakoussi, & Skopeliti, 2008). C’est ce que nous tenterons d’effectuer dans ce mémoire réalisé dans le cadre d’une étude de validation des instruments de recueil de données du projet FNS 150316 « Les compétences diagnostiques des enseignants et leurs connaissances sur le(ur)s élèves: nature, structure et procédure de récupération cognitive » (http://p3.snf.ch/project-150316).
Nous proposons donc dans la suite de ce document de nous intéresser à ce que peuvent nous apporter les recherches à propos des connaissances et croyances des enseignants au sujet de leurs élèves.
Mais que savons-nous sur la structure des connaissances et croyances d’une manière générale ? Les travaux ayant été effectués sur cette question, tendent à défendre la même
idée. Notamment, Rokeach (1968), Green (1971), ainsi que Rosch (1973, 1975, 1978), Hofer (1986), Medin (2004) et Reed (2011) ont montré, malgré quelques divergences dans leurs théories, l’importance de viser le noyau central des croyances et connaissances pour contribuer à leur évolution. Ce faisant, tous postulent une gravitation d’éléments périphériques autour d’un noyau central mais, est-ce la cas ? Dans la suite de ce document nous présenterons ce que la recherche a pu constater en ce qui concerne les connaissances et croyances des enseignants sur leurs élèves et la manière dont certains chercheurs ont discuté la structure interne de ces connaissances.
2. Le concept « élève collectif » de Rainer Bromme
En 1989, suite à sa recherche dans laquelle il a interviewé et observé 19 enseignants chevronnés du secondaire inférieur, Bromme définit le concept de l’élève collectif. Il l’explique par le fait que les enseignants auraient tendance à condenser l’information en une unité globalisante, plutôt que de se référer à chaque élève en les traitant individuellement.
En effet, l’enseignant trierait les indices émanant de la compréhension ou non- compréhension des élèves, en rassemblant les diverses contributions de ces derniers, pour en faire un amalgame, créant ainsi une sorte d’élève virtuel : « l’élève collectif ». Ceci serait justifié par le fait que la multitude des indices et des interactions ayant lieu durant une leçon entrainerait une surcharge cognitive pour l’enseignant, d’où la nécessité de réduire ces informations en les condensant. Une fois les informations regroupées, l’enseignant est donc à même de prendre des décisions quant à l’avancement de sa leçon.
Bromme pense que les processus cognitifs des enseignants tendent à faire référence à un élève collectif lors de repérages de difficultés ou de progressions durant une leçon, et non de repérages de difficultés ou de progressions individuelles des élèves.
Bromme laisse place à un questionnement intéressant qui peut être structuré en deux axes complémentaires : celui de la « référenciation ou des facteurs d’influence » ainsi que celui de la « catégorisation ou de la structuration des connaissances sur les élèves ». Dans notre mémoire, nous n’approfondirons que le deuxième axe, tout en analysant les méthodes qui ont permis de rassembler les constats de cet axe.
Nous voulons savoir si les enseignants globalisent les informations relatives aux élèves, s’ils
partielle sur certains élèves en ignorant certains apprenants. D’un point de vue théorique, ces idées renvoient à la littérature de case knowledge (Calderhead, 1996) se référant aux connaissances et croyances des enseignants, ainsi qu’au jugement qu’ils portent sur la valeur scolaire de leurs élèves. Cet axe renvoie également aux travaux effectués par Silberman (1969, 1971) et Hofer (1981a, 1981b) démontrant que les enseignants tendent à hiérarchiser leurs connaissances des élèves pour en produire des catégories. Ils établiraient donc des typologies d’élèves. Cet axe inclut aussi d’autres travaux dont nous traitons plus bas.
3. Que savent les enseignants sur le(ur)s élèves ?
Il existe quatre méthodologies qui ont été utilisées pour étudier les connaissances que les enseignants ont des ou de leurs élèves. La méthode par description d’élèves types, la méthode par clusterisation de données de questionnaires de jugements, la méthode par interviews souvent complétés par des observations et la méthode de regroupement de fiches d’élèves.
3.1 La méthode par descriptifs d’élèves types
Parmi les études ayant utilisé les descriptions d’élèves rédigées par des enseignants, nous tenons à citer notamment celle de Höstermann, Krolak-Schwerdt et Fischbach (2010). Ces chercheurs ont réalisé leur analyse de contenu en deux étapes. Tout d’abord par association manuelle de 352 types générés par les élèves et 20 profils associés, puis, pour la deuxième étape, ils effectuent un clustering statistique sur la base de la fréquence des expressions et aboutissent à la conservation de 10 types d’élèves. Selon eux, les enseignants disposeraient des 10 types d’élèves suivants : les modèles, les vivants tonitruants, les « monsieur-je-sais- tout », les clowns, les agressifs irritables, les hyperactifs inattentifs, les rêveurs médiocres, les fainéants médiocres, les non motivés, les socialement retirés. Ces chercheurs mentionnent que les enseignants ont recours à des stéréotypes qu’ils définissent, d’après Hofer (1981), comme étant des représentations cognitives d’ensembles d’élèves que l’enseignant estime similaires sur une ou plusieurs caractéristiques. Pour Höstermann et al.
(2010), le processus de catégorisation serait en quelque sorte « naturel ». Afin de tirer des conclusions et définir des conduites d’enseignement, l’enseignant structure et organise ses connaissances préexistantes en faisant des liens avec les nouvelles informations. Cependant,
conduire à des distorsions du traitement de l’information et des comportements qui en découlent.
Thelen (1967) mène une recherche auprès de 70 enseignants chevronnés, en utilisant également le recueil de descriptions de types d’élèves par des enseignants. Ces derniers étaient amenés à décrire différents types d’élèves du secondaire rencontrés durant leur carrière. Suite à l’analyse de ces descriptions, le chercheur obtient 26 types d’élèves qu’il répertorie ensuite en quatre groupes :
- Les « bons élèves » (regroupant huit types d’élèves), montrant de l’intérêt pour les activités menées en classe, réalisant volontiers les tâches scolaires, apportant de l’aide à d’autres élèves et étant volontaires pour prendre des responsabilités sans perturber le groupe classe.
- Les « élèves indifférence » (regroupant six types d’élèves) inoffensifs en classe, mais n’étant pas intéressés par l’éducation et le travail. Ils travaillent suffisamment pour réussir scolairement et ne posent pas de problèmes dans la classe. Ils sont considérés comme étant plaisants et agréables.
- Les « mauvais élèves » (regroupant huit profils) agaçants pour les enseignants, difficiles à gérer et n’apportant rien à la classe. Les enseignants ont du mal à avoir de l’empathie pour ces élèves afin de les comprendre.
- Les « élèves perdus » ou les « esprits égarés » (regroupant quatre profils) sont tranquilles, retirés, malheureux et ayant peu d’estime d’eux-mêmes.
En 1991, Kagan et Tippins se sont intéressées à la manière dont les futurs enseignants du primaire et du secondaire décrivent leurs élèves. Ces chercheuses ont demandé à 12 futurs enseignants (5 du primaire et 7 du secondaire) de remettre des descriptions de profils d’élèves à trois moments différents : au début, au milieu et à la fin de leur période de pratique professionnelle. Ces descriptions pouvaient se référer à des variables telles que : compétences scolaires, comportement, motivation, caractéristiques intellectuelles et personnelles, intérêt, aspects relationnels, etc. Les futurs enseignants devaient se baser sur leurs observations et interactions personnelles en classe et en dehors de celle-ci. Les deux types d’enseignants décrivent des élèves modèles puis des élèves peu motivés et/ou ayant des problèmes de comportement.
Les résultats de ces travaux ont démontré que les futurs enseignants du primaire ont une meilleure connaissance de leurs élèves et utilisent des raisonnements plus psychologiques, alors que ceux du secondaire se focalisent plus sur les caractéristiques des performances scolaires et les comportements perturbateurs. De même, les candidats du primaire ont des perceptions plus multidimensionnelles que celles de leurs collègues du secondaire. Elles font l’hypothèse que cela s’explique par le fait que les futurs enseignants du primaire sont plus souvent en contact avec leurs élèves que ceux du secondaire. En outre, ces derniers abordent la pratique d’enseignement avec des profils stéréotypiques d’élèves plus arrêtés, plus superficiels et moins pertinents, ainsi qu’avec des attentes moins réalistes que ne le font leurs collègues se destinant à l’enseignement primaire. Il ressort également, d’une manière générale, que pour ces deux catégories de futurs enseignants, ceux qui sont le plus développés professionnellement mentionnent plus de caractéristiques différentes que ceux qui le sont moins.
3.2 La méthode par questionnaire de jugements
Parmi les études réalisées à partir de questionnaires, nous tenons notamment à citer Hofer qui, lors de son étude en 1981, a demandé à quinze enseignants d’allemand du secondaire de juger leurs élèves en fonction de diverses caractéristiques sur une échelle de Lickert à 7 points. Cette étude lui a permis de relever, par une analyse en clusters, cinq types d’élèves. Il a pu distinguer deux bons et deux mauvais groupes d’élèves et un groupe d’élèves moyen.
Le premier groupe contient des élèves que les enseignants qualifient d’intelligents, d’appliqués, de disciplinés et d’actifs. Ils se consacrent plus au travail et à l’enseignant, sont contrôlables, prennent l’initiative et obtiennent de bonnes notes.
Le deuxième groupe se compose d’élèves qui obtiennent également de bons résultats scolaires ainsi que des hautes valeurs de talent, de perspicacité et de discipline. Ces élèves se distinguent du groupe précédent notamment de par leur retenue sociale. Ils sont qualifiés de sensibles, calmes, modestes et simples. Ce groupe serait moins bien évalué par les enseignants que le groupe précédent, à cause de leur manque de participation.
Le troisième groupe est considéré comme étant « moyen ». Les élèves sont qualifiés de fermés, peu sûrs d’eux-mêmes, timides, calmes et distants ; ceci allant de pair avec des valeurs de talent plutôt bonnes, des valeurs d’efforts d’application plutôt
moyennes, une bonne discipline et un niveau de performance scolaire en dessous de la moyenne.
Le quatrième groupe est composé d’élèves démontrant une mauvaise discipline et une intelligence plutôt moyenne, une haute activité sociale et un mauvais comportement face au travail. Il peut s’agir ici d’élèves qui, malgré un don estimé suffisant n’ont pas conscience de leurs chances. Les troublions et des dérangeurs font partie de ce groupe. Ce sont généralement des élèves difficiles qui compliquent l’enseignement du maître.
Les élèves du cinquième groupe sont perçus comme étant peu intéressés, avec un don insuffisant et n’ayant aucune ambition ni perspicacité au travail. (Hofer, 1981a et 1981b)
Afin de constater si la même typologie pouvait se vérifier dans d’autres niveaux scolaires, ce chercheur a utilisé le même procédé auprès de cinq classes de deuxième primaire, en 1981 comportant 167 élèves, il obtient grosso modo des résultats similaires. Hofer pense qu’il peut y avoir une haute superposition dans la manière de regrouper leurs élèves, selon leur ressemblance, chez les enseignants de différents niveaux. Ayant utilisé le même questionnaire qu’Hofer, Wanlin obtient en 2007, quatre groupe d’élèves allant des très bons lecteurs très favorablement évalués sur les autres variables, aux lecteurs moyens plutôt perçus négativement.
3.3 La méthode par interviews (et observations)
Rainer Bromme propose plusieurs textes soutenant la thèse du recours à l’élève collectif (Bromme, 1987, 1989, 2005 – voir point 2. ci-dessus). Pour rappel, il défend cette idée suite à des observations effectuées en classe et de rappels stimulés de 19 enseignants de mathématique du secondaire inférieur ayant en moyenne huit ans d’expérience. Bromme constate que les enseignants mentionnent plutôt des groupes d’élèves ou, font référence à la classe toute entière pour expliquer leurs choix pédagogiques, mais font rarement référence à des élèves individuels. Il propose donc la notion d’élève collectif pour expliquer cette référenciation. Il définit ce concept comme étant une entité mentale qui condense l’information concernant les élèves, une unité cognitive globalisante qui, en quelque sorte, synthétise les contribution individuelles des élèves. Afin de justifier ce recours à l’élève
multidimensionnalité des informations disponibles au sein de la classe. L’individualisation de la référenciation constituerait, selon lui, une surcharge cognitive pour l’enseignant, c’est pourquoi la simplification par la réduction des indices au sujet des élèves s’avèrerait nécessaire. Nous reviendrons plus loin sur cet argument proche de la théorie des heuristiques.
En 1983, Calderhead mène une étude auprès de 18 enseignants ayant divers niveaux d’expérience professionnelle, via diverses techniques dont notamment des interviews et des rappels stimulés. Il démontre que ces sujets possèdent quatre types qualitativement différents d’informations sur les élèves :
les connaissances sur les enfants en général (background familiaux, expériences avant l’entrée à l’école, activités pratiquées en dehors du contexte scolaire, etc.,
les connaissances communes sur les élèves de la classe (compétence cognitive, capacités relationnelles et comportement en classe),
les connaissances spécifiques sur les élèves (caractéristiques particulières et qui les distinguent des autres élèves de la classe),
les connaissances, non associées à des élèves spécifiques, sur les difficultés rencontrées par les élèves lors du traitement de contenus particuliers et sur les pratiques permettant d’y remédier.
Il en conclut que les enseignants chevronnés ont amassé une grande quantité de connaissances relatives aux enfants en général et, dans un certain sens, ils connaissent leur classe avant même de l’avoir rencontrée.
La recherche de Mayer et Marland (1997) présente un dispositif qui a permis de rassembler des donnés à partir de deux séries de plusieurs interviews de cinq enseignants chevronnés au sein de trois écoles primaires. Durant la première série d’interviews, les enseignants étaient amenés à faire part de leurs connaissances et perceptions de la classe de manière globale, de quelques groupes d’élèves et de trois ou quatre élèves particuliers. Au cours de la deuxième série, les enseignants étaient invités à visionner des extraits de leurs enseignements et à les commenter en se focalisant sur leurs connaissances des élèves qu’ils ont utilisées lors de leur prise de décision.
Suite à cette expérience, les chercheurs ont pu constater que lorsque les enseignants parlent des élèves du groupe classe, ils utilisent souvent des comparaisons entre des ensembles d’élèves. En ce qui concerne les descriptions des élèves individuels, les enseignants utilisent les mêmes types de catégorie que ceux qu’ils utilisent pour décrire les groupes, en revanche la nature des variables étudiées s’affine. Les enseignants décrivent les élèves en termes de compétences, de personnalité, d’attitude face au travail, d’origine familiale et de comportement en dehors de la classe.
L’expérience réalisée par l’équipe gravitant autour de David Berliner en 1987 a comparé les
« performances » de trois groupes d’enseignants composés de 9 experts, 6 novices et 6 candidats moins expérimentés que les deux premiers groupes, n’ayant pas d’expérience formelle d’enseignement dans des classes. Ces groupes ont effectué diverses tâches dont une activité de planification complétée par des interviews et des rappels stimulés. En ce qui concerne l’attitude face au traitement des informations concernant les élèves, les résultats démontrent que la préoccupation première des experts est d’assurer l’enseignement au niveau du groupe classe, ils accordent donc moins d’importance aux informations spécifiques concernant chaque élève, sauf lorsqu’il s’agit d’élèves présentant de grandes difficultés (p.ex. handicap). Ils semblent fusionner les informations sur les élèves dans une image groupale. Les enseignants experts démontrent également une meilleure mémorisation des informations pertinentes. Selon Berliner et son équipe, les experts élaborent des schèmes riches leur fournissant une structure pour interpréter et filtrer l’information pertinente (filtrage), la pondérer et déterminer rapidement leur utilité et leur importance. D’après Berliner, ces enseignants rassemblent les informations des élèves individuels en une représentation collective du groupe classe. En revanche, les enseignants novices s’intéressent à des éléments spécifiques concernant chaque élève en particulier, pour les cataloguer en quelques catégories. Ces éléments sont considérés comme non pertinents par les experts pour la réalisation de la tâche à effectuer en classe. Relevons, cependant, que les enseignants des trois groupes possèdent des représentations des élèves organisées en plusieurs catégories. Néanmoins, pour les experts, les profils d’élèves portent non seulement sur les apprenants, mais englobent également des éléments faisant partie de la multidimensionnalité de la classe, alors que les catégories des enseignants moins
expérimentés ne sont pas complétées par des éléments contextuels, disciplinaires et situationnels.
3.4 La méthode par regroupements de fiches élèves
Au cours de sa recherche, Morine-Dershimer (1978, 1979) utilise une technique de recueil inhabituelle dans le domaine. Elle invite dix enseignants primaires à regrouper leurs élèves selon leur ressemblance, à cinq reprises durant l’année scolaire, en leur soumettant une tâche selon une méthode proche du Q-Sort, appelée le Card-sorting-test. Les résultats de son étude montrent que les enseignants classent leurs élèves selon les divers critères suivants : performance, aptitude, niveau scolaire, participation, motivation, engagement, personnalité, caractère, relations et interactions sociales. La focalisation sur certains critères diffère selon le moment de l’année scolaire. En effet, elle constate que l’intérêt pour la personnalité est plus important au début de l’année, au moment de la prise de connaissance, alors que l’engagement dans les tâches prime en milieu d’année et que les critères concernant les progrès ressortent en fin d’année. Elle constate que les jugements sur les élèves, tout en étant relativement stables, peuvent évoluer au fil du temps.
3.5 Que pouvons-nous retenir de cela ?
Pour ces chercheurs, d’une manière générale, et à des degrés divers, tous les sujets semblent posséder des catégories ou typologies mentales pour classer les élèves.
Les experts ont plus tendance à regrouper les informations concernant les élèves particuliers en une représentation collective du groupe classe, alors que les plus novices tendent plutôt à se focaliser sur des éléments plus spécifiques concernant chaque élève pour les catégoriser.
Tenant compte des recherches mentionnées précédemment, on pourrait retenir que les croyances et connaissances des enseignants sur le(ur)s élèves sont hiérarchisées en deux dimensions. La première, selon Calderhead, situe les connaissances sur un continuum allant du général au spécifique (de l’abstrait au concret), de même que l’on peut le lire chez Bromme ou Berliner et son équipe, des spécificités individuelles au regroupement cognitif globalisé. En ce qui concerne la deuxième dimension, selon les observations réalisées par
connaissances des enseignants soient composées de différentes catégories d’élèves au sein de ce continuum abstrait-concret, auxquelles se sont intéressés Hofer, Silbermann, Thelen, Kagan et Tippins ainsi que Höstermann et al.
Des études de Hofer (1981) et de Höstermann et al. (2010) résultent des typologies d’élèves faisant office d’étalons, auxquels les enseignants se réfèreraient afin de prendre des décisions au cours de leur enseignement. L’étude de Hofer (1981) propose des typologies a posteriori découlant d’un questionnaire de jugement type Lickert. Elle démontre que les connaissances des enseignants au sujet des élèves sont compartimentées en plusieurs clusters dont la structure est une périphérie gravitant autour d’un noyau central. Cependant rien ne démontre avec certitude qu’il s’agit des connaissances réelles que les enseignants ont de leurs élèves. En outre, les variables sur lesquelles se basent les jugements des enseignants ont été choisies par le chercheur, ce qui ne démontre pas forcément que les enseignants auraient utilisé ces mêmes variables pour regrouper leurs élèves. Quant à Höstermann et al. (2010), elle propose à de futurs enseignants de produire des typologies d’élèves à partir de descriptions, ce qui semble plus approprié pour parler des connaissances des enseignants. Toutefois, cette recherche ne démontre pas non plus que les typologies suggérées correspondent réellement à ce qui est contenu dans le répertoire cognitif des enseignants. Par ailleurs, ces deux recherches partent du principe que les enseignants condensent l’information concernant les élèves, qu’ils ont des sortes d’images cognitives d’élèves. Or, cette procédure cognitive n’est pas certifiée par leurs travaux. La recherche de Calderhead (1983) permet quant à elle de conserver l’hypothèse de ce regroupement cognitif.
Ni Hösterman et al. (2010), ni Hofer (1981) n’ont testé le lien entre les conduites d’enseignement et les typologies d’élèves auxquelles ils aboutissent. Toutefois Hofer (1981), se basant sur une des ses études personnelles dont il ne mentionne pas les références, explique qu’il a montré que les types d’élèves font l’objet de conduites d’enseignement différenciés. Comme bon nombre de recherches classiques dans ce domaine, les types d’élèves les plus favorablement évalués par les enseignants faisaient l’objet des comportements les plus favorables. A noter que Wanlin (2007) aboutit à des constats
Par ailleurs, la littérature peine à expliquer le modus operandi inhérent à la prise de décision ainsi qu’au regroupement des informations provenant des élèves. Au vu de ces constats, nous proposons donc, dans le cadre de notre recherche, de répliquer l’approche de Hofer en suggérant un second raffinement de sa méthodologie, inspiré par les recherches sur la catégorisation des objets et des personnes, qui, nous espérons, nous permettra d’éclairer cette zone d’ombre. Nous compléterons cette approche par celles d’autres chercheurs avec la méthode par descriptions et la méthode par regroupements. Toutes ces méthodes seront appliquées lors d’interviews semi-dirigés.
4. Etudes sur la tendance à la catégorisation
Sachant que l’être humain a naturellement tendance à établir des catégories, dans un but de simplification de l’information, il semble important de comprendre quelle forme prennent ces références dans la tête des enseignants. Nous allons, par la suite, tenter de déceler la présence ou non de processus de catégorisation, ainsi que l’impact qu’ils pourraient avoir sur l’enseignement. Nous énoncerons également quelques études décrivant les critères utilisés par les enseignants pour classer leurs élèves ainsi que les différentes typologies d’élèves établies par certains auteurs.
4.1 Les êtres humains catégorisent-ils pour penser ?
Piaget postule que l’origine des connaissances est à la fois empirique et rationnelle, ceci sous l’influence des thèses de Kant, de Darwin et de Hegel. Contrairement à ce que postulent les philosophes empiristes, les rationalistes expliquent que les connaissances ne proviennent pas uniquement du contact du sujet avec le réel. En effet, celles-ci se construisent à travers la cohérence de la pensée, grâce à la capacité du sujet à structurer l’expérience. En dépassant les analyses empiristes et rationalistes, Kant prétend que la raison dispose de catégories permettant de structurer l’expérience, afin d’organiser les informations provenant de l’extérieur. Ainsi d’après lui,
pour nous repérer dans ce fourmillement de phénomènes aux aspects changeants, notre esprit table sur des invariants, c’est-à-dire sur des dimensions permanentes qui transcendent les paramètres en
et réglé par les catégories a priori de l’esprit humain qui, en quelque sorte donnent signification aux informations extérieures en les insérant dans une structure de concepts fondamentaux. Bref, pour que quelque chose soit connu, il faut que le sujet soit affecté par un donné sensible, sur lequel il va appliquer des schèmes organisateurs ou une structure logique qui lui permette de rendre l’information extérieure significative » (Crahay, 1999, pp. 174-175).
Selon Piaget, les connaissances se construisent et évoluent à travers les opérations mentales provenant des actions du sujet. Influencé par le point de vue de Dewey, Piaget affirme que les connaissances permettent à l’individu de s’adapter aux connaissances nouvelles. « Les activités cognitives procèdent d’abord du souci qu’a l’individu d’ajuster ses actions aux contraintes de la réalité, et ce dans une perspective plus générale d’adaptation biologique » (Crahay, 1999, p. 176). L’individu transforme ses schèmes d’action et/ou de cognition lorsqu’il est confronté à la réalité, ce que Piaget appelle des schèmes d’assimilation, ceci lui permet d’accroitre son potentiel intellectuel en inventant de nouvelles connaissances (Crahay, 1999).
Les psychologues cognitivistes suggèrent que les humains traitent les informations notamment en les comparant aux connaissances et croyances dont ils disposent. Ils formulent l’idée que les croyances et connaissance sont stockées en mémoire de travail sous forme de schèmes servant notamment à grouper les éléments d’information et à les catégoriser ; les schèmes pouvant eux-mêmes être des catégories ou groupes d’information concernant des éléments déclaratifs, procéduraux ou épisodiques (Bideaud, Houdé &
Pedinielli, 1993 ; Canquoy, Tricot & Sweller, 2007 ; Crahay, 2010).
Lorsque l’on parle de catégorisation, la littérature fait référence à l’opération mentale consistant à regrouper des choses différentes se retrouvant dans nos activités de pensée, de perception, de parole et également dans nos actions. La catégorisation s’opère en permanence et de manière inconsciente. A chaque fois que l’individu observe quelque chose comme une « sorte de chose », il est en train de catégoriser dans le but d’organiser l’expérience (Kleiber, 1990). La catégorisation s’effectue sur la base de propriétés communes.
4.2 Théories inhérentes à la catégorisation
Après avoir défini le concept de prototype, nous exposerons quelques théories concernant la notion de catégorisation.
Le prototype est très souvent défini comme une représentation mentale correspondant à la tendance centrale des membres déjà rencontrés d’une catégorie. Cette tendance centrale peut correspondre à une moyenne, mais ce n’est pas toujours le cas. Un attribut prototypique peut être celui qui est le plus répandu dans cette catégorie plutôt que la moyenne des attributs de la catégorie. Par exemple, le nombre typique d’enfants par femme en France est de 2 et non de 1.99, ce dernier nombre étant la moyenne en 2009. Dans d’autres cas encore, le prototype correspond à un idéal qui n’existe pas. Par exemple, pour le prototype de la boisson light, il s’agirait d’un breuvage contenant zéro calorie et aurait bon goût, même si aucune boisson n’atteint cet idéal. Il y a donc une certaine flexibilité dans la façon de caractériser ce qui est un prototype. Néanmoins, dans tous les cas, le prototype est vu comme une sorte de point de repère. Lorsque nous utilisons notre connaissance conceptuelle, nous traitons de l’information en nous référant à ces prototypes (Brédart, 2008, p. 61).
Suite à cet extrait, nous pouvons retenir trois informations. Tout d’abord, les regroupements mentaux pourraient être issus de diverses combinaisons d’éléments différents, selon des règles spécifiques d’association (moyenne, fréquence, caractéristique saillante, etc.).
Ensuite, cela pourrait correspondre parfois à un idéal virtuel. Enfin, l’amalgame cognitif pourrait être une sorte de point de repère dans la prise de décision des individus. Ce rôle pourrait être vu comme similaire ou identique aux rôles que prennent les schèmes dans la théorie piagétienne.
La théorie des heuristiques partage un point de vue similaire. D’après le texte proposé par Shah et Oppenheimer (2008) sur cette théorie. Dans le cadre de la prise de décision et de l’émission de jugements, il semblerait que l’individu utilise des processus de réduction de la complexité, dans le but d’aboutir à des solutions décisionnelles ou évaluatrices satisfaisantes, à travers un nombre restreint d’itérations dans le traitement des informations disponibles. Les personnes pourraient donc émettre des jugements ou des décisions à partir d’un nombre réduit d’informations, voire parfois même d’un seul indice disponible au
moment du jugement ou de la décision. Il serait donc possible que, dans des situations multidimensionnelles nécessitant une rapidité de jugement, les individus prennent des décisions en substituant les données difficilement accessibles, très nombreuses, etc., par un indice unique plus facilement disponible. Le texte de Shah et Oppenheimer (2008) suggère également une organisation structurelle du processus de traitement heuristique. La réduction des efforts mentaux, selon ces auteurs, se déroulerait selon plusieurs principes. Il semblerait notamment, que les individus auraient tendance à réduire le nombre d’indices afin de se centrer uniquement sur ceux qui semblent être les plus importants ou les plus valides. Les personnes n’exploitent donc qu’une petite partie des informations disponibles, correspondant à des critères et sous critères, pour prendre des décisions ou émettre des jugements. Ceci pourrait signifier que chaque élève ou qu’une combinaison d’élèves pourrait jouer le rôle d’indice. De plus, lorsque plusieurs indices sont pris en compte, ils sont pondérés. La recherche psychologique démontre également que la valeur des indices joue un rôle dans les prises de décision, les indices à valence positive sont généralement considérés comme familiers et seraient donc plus fréquemment utilisés.
Il semble donc hypothétiquement bien, d’après les théories citées ci-dessus, que les processus cognitifs des enseignants reflètent une prise en compte condensée des informations à propos des élèves, ainsi qu’une fusion de divers éléments, afin de réduire les indices par l’estimation de leur valeur stratégique. Il apparaît également que les enseignants pondèrent les indices dans la condensation cognitive.
Au sein de la littérature, les règles de regroupement des éléments en représentants mentaux (prototypes) varient selon la définition qui est donnée à l’ensemble regroupé. Nous allons nous pencher sur les diverses théories d’associations catégorielles existantes dans la littérature en psychologie cognitive et sociale. La notion de prototype1 peut, en effet, varier d’un auteur à l’autre.
4.3 Que savons nous sur la structure interne des connaissances ?
Nous avons mentionné précédemment qu’il existe un lien entre l’apprentissage des élèves, la compétence diagnostique des enseignants et les compétences adaptatives de ces derniers face aux différences et aux difficultés individuelles des élèves. Il en résulte que la compétence diagnostique est une condition nécessaire pour choisir des traitements instructionnels pertinents, adaptés et efficaces (Helmke & Schrader, 1987). Afin de faire évoluer les cognitions des individus, leurs structures internes, il faut connaître la manière dont elles sont organisées, ce qui nous a amené à étudier les croyances et connaissances que les enseignants possèdent concernant le(ur)s élèves. Maintenant, nous allons nous intéresser aux études ayant analysé la structure des connaissances en règle générale et plus spécifiquement celles relatives aux élèves.
Organisation interne des catégories : deux théories dominantes
Les théories relatives à la catégorisation apportent un éclairage à propos de la structure des connaissances. On peut distinguer dans la littérature deux axes théoriques principaux représentant l’organisation des structures internes (Hofer, 1986 ; Reed, 2011 ; Sternberg, 2007). Le premier repose sur la théorie classique des conditions nécessaires et suffisantes (Hofer, 1986 ; Sternberg, 2007). Cette théorie considère que toute catégorie est définie en un ensemble présentant en tous points des caractéristiques identiques, tous les membres de la catégorie sont représentatifs de celle-ci et sont donc tous des représentants égaux. A l’opposé, la théorie des prototypes (Rosch, 1973, 1975, 1978), défend l’idée que l’esprit humain manipule des pseudo-catégories, au sein desquelles les éléments sont regroupés selon des degrés de proximité ou de ressemblances. La construction de ces catégories est basée sur des traits caractéristiques ou des critères décrivant le modèle typique, réel ou virtuel, de la catégorie. Selon la conception prototypique, la meilleure manière de reconnaître une catégorie est de déterminer son centre plutôt que ses frontières. A partir du moment où il y a une ressemblance importante entre plusieurs éléments, ils peuvent appartenir à la même catégorie. Il est possible de catégoriser des objets en les comparants à des prototypes stockés en mémoire. La catégorisation fonctionne selon un degré de proximité, les éléments peuvent être plus ou moins proches du centre. Autrement dit, certains membres de la catégorie seraient de meilleurs représentants que d’autres sans qu’il
n’existe forcément de représentant parfait. Le nombre de critères est variable et pourrait même se résumer à un seul critère. Il semble important de relever que cet axe théorique implique l’idée de hiérarchisation des caractéristiques. Certaines d’entres elles sont inférieures et n’ont pas le même degré de représentation de la catégorie, alors que d’autres peuvent être supérieures et avoir un meilleur pouvoir d’exemplarité prototypique en situation décisionnelle.
Chacune de ces approches théoriques présente selon un point de vue précis, la manière dont le processus de récupération des indices d’appartenance catégorielle pourrait fonctionner. La base du modus operandi des êtres humains se déroulerait selon des processus comparatifs des indices avec les catégories ou leurs représentants.
Selon l’optique de la théorie des conditions nécessaires et suffisantes, pour appartenir à la catégorie, le vécu doit correspondre en tous points avec le(s) critère(s) qui la définissent. Le processus de récupération est celui du « tout ou rien », autrement dit de la présence ou l’absence du (des) critère(s) nécessaire(s) et suffisant(s).
En ce qui concerne l’approche des prototypes, le processus de récupération se ferait par ressemblance ou proximité au noyau central ou au(x) membre(s) de la catégorie qui en est (sont) le(s) meilleur(s) représentant(s). C’est pourquoi, le vécu appartiendrait plus ou moins intensément à une catégorie par son centre de gravité, virtuel ou non.
Cette dernière approche rejoint les visions de Rokeach et de Green, à propos de la structure interne des croyances et connaissances, qui correspond à l’idée de l’organisation centrale périphérique. Rokeach défend, en 1968, une structure des croyances qui s’apparente à une galaxie ayant plusieurs soleils (noyaux centraux), autour desquels gravitent des planètes ayant des satellites (éléments périphériques). Toutes les croyances seraient interreliées au sein de cette galaxie. D’après les travaux de Green en 1971, les croyances et connaissances seraient également organisées selon une structure centrale périphérique, mais il ajoute une dimension supplémentaire, celle de l’isolement. Il estime que les croyances ne sont pas interreliées, celles-ci s’agglutinent sous la forme de clusters d’éléments plus ou moins isolés,
4.4 Les processus de catégorisation/globalisation pourraient-ils expliquer le modus operandi des enseignants ?
Un certain nombre d’études tendent à démontrer que les enseignants disposent de schèmes afin de traiter l’information au cours de leurs prises de décision, durant leur enseignement.
On constate également que ces schèmes diffèrent selon le niveau d’expérience des enseignants.
L’étude de Morine et Valence (1975) montre que les enseignants les plus efficaces mentionnent des indices plus globalisés dans leurs prises de décision que les enseignants moins efficaces qui se réfèrent à des aspects plus spécifiques.
Doyle démontre en 1977 que les enseignants les plus efficaces possèdent des capacités cognitives telles qu’un jugement plus rapide, une capacité de chunking plus élevée (capacité de groupement d’unités discrètes en unités plus larges) et une meilleure capacité de discrimination (aptitude à repérer les éléments selon leur urgence et leur utilité à long terme). Les enseignants efficaces sont plus aptes à transformer la complexité environnementale de la classe en un système conceptuel leur permettant d’interpréter les événements spécifiques des activités menées en classe ainsi que d’anticiper leur direction et leur flux.
Les travaux de Calderhead en 1981 ont permis de faire des distinctions au niveau de la nature et la sophistication des interprétations dans la compréhension des événements de la classe. D’après lui, les novices manquent de structures conceptuelles leur permettant de comprendre les événements en classe, leurs structures sont simples et moins affinées que celles des enseignants expérimentés, ils n’extraient pas le même degré de signification lors d’incidents critiques. Ceci rejoint les propos de Corno (1981) d’après lesquels les enseignants efficaces sont aptes à séparer l’information selon leur importance durant l’enseignement ainsi que de transformer pertinemment l’information au cours de leur enseignement.
Plusieurs recherches ont démontré que les enseignants expérimentés ont des connaissances
quantité de connaissances relatives aux enfants en général. En effet, les constats de Calderhead (1983) démontrent notamment que les enseignants expérimentés possèdent un bon nombre de connaissances à propos de leurs élèves, tels que le background du domicile des élèves, le nombre d’élèves qui pourraient vraisemblablement avoir besoin d’une aide particulière, les types de comportement inappropriés qui peuvent avoir lieu, les types d’expériences que les élèves peuvent avoir eues avant l’école et les types d’activités que les élèves pratiques hors temps scolaire.
Selon Clark et Peterson en 1986, les schèmes des enseignants chevronnés sont mieux développés que ceux des novices, cette différence est considérable au cours des interactions en classe. Ces schèmes affectent la perception, la compréhension, le souvenir, l’apprentissage et le processus de résolution de problèmes, ce qui permet aux enseignants d’améliorer leur compréhension des événements durant les interactions et les aide ainsi, dans leurs résolutions de problèmes et leurs prises de décision.
En 1987, Peterson et Comeaux démontrent également que l’architecture cognitive des enseignants, notamment leurs schèmes relatifs aux événements de la classe, diffèrent selon l’ancienneté. D’après ces deux chercheuses, les enseignants expérimentés ont des structures de connaissances mieux développées que celles des enseignants novices. Ces différences seraient marquées à la fois sur leur habileté à se remémorer la fréquence et l’exactitude des évènements en classe ainsi que dans le niveau d’élaboration de l’analyse qu’ils en fournissent. Comparées à celles des enseignants novices, les analyses des experts montrent l’existence probable de connaissances bien structurées, composées notamment de connaissances procédurales et de principes d’ordre supérieur. Les enseignants chevronnés ont des schèmes cognitifs plus complexes en ce qui concerne les situations interactives.
L’influence de leurs schèmes porte notamment sur la perception des élèves et la compréhension des événements, ce qui les aide dans la résolution de problèmes. Berliner, Stein, Sabers & Brown (1987) obtiendraient des résultats similaires.
Le case knowledge mentionné par Calderhead (1996) serait un savoir qui contient des précédents, des définitions de pratiques typiques et appropriées, des routines. D’autres
vie personnelle permet également à l’enseignant de se constituer un répertoire de connaissances et de croyances auxquelles il peut faire recours pour agir durant l’action (Calderhead, 1996 ; Woolfolk Hoy, Davis et Pape, 2006 ; Borko et Putnam, 1996). Les enseignants construiraient ainsi leur propre case knowledge qui serait une base de connaissances incluant des personnes et événements significatifs, des incidents leur permettant d’identifier des situations nouvelles pour guider la pratique enseignante. Le case knowledge serait donc un bagage cognitif composé de cas prototypiques découlant de résolutions de problèmes quotidiens liés à l’enseignement. Pour Calderhead (1996), les nouvelles situations rencontrées sont amenées à un « cas » qu’il compare ensuite aux entités correspondantes de ce répertoire cognitif. Afin d’apporter une réponse appropriée à ce « cas », l’enseignant l’analyse pour savoir en quoi il diffère des autres cas rencontrés.
On peut retenir ici, que les enseignant chevronnés sont plus efficaces en ce qui concerne le repérage d’indices pertinents visant à la résolution de problèmes D’après les résultats de ces recherches, les enseignants plus expérimentés attachent moins d’importance aux informations spécifiques et se focalisent sur des paramètres généraux. On constate également que le teacher thinking tend à observer une certaine propension à la catégorisation (chunking, case knowledge,…) chez les enseignants. Ces catégories ou schèmes leurs permettraient d’analyser les situations d’enseignement-apprentissage et de prendre des décisions notamment à travers un processus comparatif. Ces schèmes permettraient également à l’enseignant de puiser des alternatives comportementales à adopter.
4.5 Les critères utilisés par les enseignants pour juger les élèves
On constate, selon divers travaux, que les élèves sont une référence importante des enseignants au cours de leur instruction et que les critères qu’ils prennent en considération pour juger leurs élèves sont d’origine multiple et intègrent à la fois des éléments scolaires et non scolaires.
Comme l’indique le tableau 1, ci-dessous, plusieurs recherches se sont intéressées aux critères utilisés par les enseignants pour juger leurs élèves en vue de prendre des décision.
Elles ont utilisé des méthodes de recueil de données différentes : interviews, Q-Sort,