Analyse quantitative des résultats
4. Résultats 1 Etude 1
4.3 Comparaison des résultats des études 2 et 3
Il s’agit à présent d’analyser dans quelle mesure les deux méthodes utilisées dans nos études aboutissent à une classification similaire des élèves. Le tableau 38 (p. 181) permet cette observation.
Il faut d’abord souligner que la comparaison n’est possible qu’en tenant compte des définitions des ensembles de types d’élèves et de regroupements. Cette opération consiste à vérifier le recouvrement conceptuel entre les définitions des ensembles et est réalisée grâce aux colonnes et lignes qui renvoient au comportement (C), aux résultats (R) et à l’attention-application (A). Ces indicateurs peuvent prendre une valeur négative (-), neutre (o) ou positive (-). Lorsqu’au moins deux indicateurs des définitions d’ensemble concordent, la classification est acceptée et, lorsque la concordance sémantique est moindre, elle est considérée comme acceptable ; elle sera considérée nulle lorsqu’aucun indicateur ne coïncide et sera dès lors refusée.
Cette opération montre que globalement la concordance entre les deux méthodes est de 23% si on ne considère que les concordances acceptables et de 60% si on considère également les concordances moins évidentes. Il faut souligner que ce recouvrement est significatif (χ2(15)=110,04; p<.001) et relativement fort (Vc=0,450; p<.001). L’observation du tableau 37 permet aussi de montrer que les concordances sont plus évidentes pour les groupes plus marqués tels que les perturbateurs/agités inattentifs peu performants avec 89% de recouvrement, les calmes attentifs peu appliqués en difficulté avec 100% de concordance. Les profils standards, dans la norme ou moyens sont moins bien identifiés par nos deux méthodes (entre 50% et 0%).
Tableau 38 : Comparaison entre les classements des élèves selon la méthode des fiches descriptives et des
performants Acceptable Accepté Refusé Refusé
C- ■ Classements acceptés
R- ■ ▪ 66.67
A- ■ ▪ Acceptables inclus
Nombre d'élèves 2 6 1 0 88.89
T2 : Perturbateurs attentifs
relativement bons élèves Refusé Acceptable Accepté Accepté
C- ■ Classements acceptés
Ro ■ ■ 23.53
A+ ■ ■ Acceptables inclus
Nombre d'élèves 25 14 7 5 50.98
T3 : Calmes attentifs peu appliqués
et en difficulté Accepté Acceptable Acceptable Refusé
C+ ■ ■ Classements acceptés
R- ■ ▪ 88.89
A- ■ ▪ Acceptables inclus
Nombre d'élèves 24 0 3 0 100.00
T4 : Appliqués attentifs et calmes en
difficulté scolaire et personnelle Acceptable Acceptable Acceptable Refusé
C+ ■ ▪ Classements acceptés
R- ■ ▪ 0.00
A+ ■ ▪ Acceptables inclus
Nombre d'élèves 18 3 19 13 75.47
T5 : Moyens inattentifs peu
appliqués Acceptable Refusé Refusé Refusé
Co ▪ ▪ Classements acceptés
la norme Acceptable Refusé Accepté Refusé
Co ▪ ▪ Classements acceptés
R+ ■ ▪ 0.00
A+ ■ ▪ Acceptables inclus
Nombre d'élèves 0 17 0 3 0.00
Concernant les distances entre les différents ensembles, la comparaison des méthodes est fournie dans la figure 10.
Cette figure montre que la méthode par description de types spontanés aboutit à des distances fort amples entre les différents élèves qui y sont associés tout en ayant des
méthode par regroupements obtient des distances prototypiques plus resserrées que la méthode par description de types mais qui restent relativement importantes (traits gris pointillés). Elle permet également une frontière plus nette entre la centralité à un cluster et l’éloignement à un autre cluster.
Figure 10: Comparaison, par superposition, des distances aux clusters de types ou de groupes – en cercle, les proximités au cluster attribué, en segment, les distances aux autres clusters ; traits pleins et/ou noirs pour les
types et pointillés gris pour les regroupements
5. Conclusion et discussion
D’un point de vue conceptuel, nos deux analyses en clusters aboutissent à des catégorisations proches. Néanmoins, elles ne sont évidentes que dans deux cas : celui des perturbateurs inattentifs peu performants (T1) et des agités peu performants (E2) d’un côté et, de l’autre, si on ne tient compte que des comportements et de l’application, celui des calmes attentifs peu appliquées et en difficulté (T3) et des bons peu appliqués et tranquilles (E1). Dans le cas du premier croisement, on obtient des résultats proches de ceux de Hösterman et al. (2010) et notamment leurs élèves bavards-bruyants, clowns-perturbateurs, agressifs, hyperactifs. En ce qui concerne le deuxième recouvrement évident, il rappelle les
E1 E2E4
E3 E1 E2
E3 E4
T2 T4
T1
T2 T1
T3
0 2.5 5.0 7.5 10
T3
T5 T4
T5 T6 T6
discrets (E4) et perturbateurs attentifs relativement bons (T2) constituent une concordance moins évidente puisque le cluster T2 peut aussi être associé aux bons élèves (E3). En regard de la typologie de Hösterman et al. (2010) on serait tenté de les rapprocher de leurs élèves modèles bien que cette association ne soit elle aussi que très peu évidente. Les recouvrements conceptuels entre les clusters T4 et T5 avec les clusters issus de l’étude basée sur les regroupements ne sont pas pertinents. L’association de nos catégories avec celles de Kagan et Tippins (1991) est plus nette en ce qu’elle renvoie à des élèves modèles (nos clusters T6 et E3) correspondant aux bons élèves de Thelen (1967), à des élèves perturbateurs (nos clusters T1 et E2) correspondant aux mauvais élèves de Thelen (1967) et, à des élèves peu motivés (nos clusters T3 et E1), une catégorie que Thelen (1967) n’a pas mis à jour. Enfin, le système de catégorie de Thelen (1967) renferme un groupe d’élèves indifférence que nous pouvons rapprocher de nos clusters T5 et E1 et des autres clusters peu appliqués ainsi qu’un groupe d’élèves perdus que l’on peut rapprocher de nos clusters T4 et E4.
Bien que le recouvrement conceptuel soit encourageant, il faut se rendre à l’évidence que nos deux méthodes n’aboutissent pas à des catégorisations identiques. C’est en tous cas ce que permettent de soutenir les traitements quantitatifs puisque les taux de recouvrement sont de 23% et de seulement 60% en adoptant un point de vue optimiste. D’un point de vue méthodologique il s’agit dès lors d’étudier si ces approches mesurent des entités cognitives différentes avec pour l’une une mesure des représentations sociales (méthode des types) et pour l’autre une mesure de l’association effective des élèves dans les cognitions enseignantes en vue d’une simplification de la réalité de la classe correspondant à la théorie des heuristiques (méthode des groupes).
Concernant la structure centrale-périphérique des connaissances sur les élèves deux analyses nos ont permis de nous positionner. Premièrement, l’application d’un échelonnement multidimensionnel sur les estimations de distance perçues entre les différents types d’élèves permet de supposer une organisation des connaissances sur les élèves en strates plus ou moins isolées. Ainsi, d’après les schémas bidimensionnels obtenus, les connaissances et croyances des enseignants sur les élèves sont compartimentées en
comportementale si on se réfère à l’approche des descriptifs ou par une composante renvoyant à la performance si on se réfère à l’approche par regroupement. Ces composantes renvoient critères de jugements détectés par Morine-Dershimer (1978). À ce stade, on pourrait considérer que les connaissances des enseignants sont compartimentées en catégories isolées. Mais les choses ne sont pas si simples comme nous l’ont montré le reste de nos analyses.
Ainsi, les moyennes de distance de chaque élève aux clusters permettent de supposer une catégorisation des élèves à l’intérieur des profils identifiées par l’analyse en clusters. Nos tests statistiques montrent toutefois que les classifications à l’intérieur de certains profils sont plus unanimes qu’au sein de certains autres. L’analyse des distribution de distances permet d’estimer qu’il existe au sein de nos données des élèves qui sont des représentants parfaits des différents clusters d’élèves identifiés et que certains autres élèves sont plus éloignés du prototype de leur cluster pour adopter des valeurs proches des prototypes des autres clusters. Bref, les frontières entre les clusters ne sont pas hermétiques. La classification de certains élèves semble plus aisée que pour certains autres. Pour ceux-là, le choix est fait quasiment en termes de conditions nécessaires et suffisantes alors que pour d’autres, la classification est plus incertaine puisqu’elle adopte des valeurs intermédiaires entre plusieurs clusters.
Ces résultats contribuent significativement à la compréhension de la théorie sur l’organisation interne des croyances et connaissances des enseignants. Nos résultats vont dans le sens des différentes théories en la matière: organisation typologique en clusters prototypiques, existence d’exemplaires des prototypes, structure centrale-périphérique autour du prototype du cluster et, association en termes de distance aux prototypes. Nos analyses montrent aussi que les associations aux prototypes de clusters ne sont pas évidentes dans le cas de certains élèves dont la perception semble être localisée dans des zones se situant à l’intersection de plusieurs profils. Cette dernière observation abonde dans le sens de l’idée d’isolement entre les croyances et connaissances, telle que formulée par Green (1971) qui acceptait une certaine perméabilité des frontières entre les clusters de croyances et connaissances.
Une autre observation concerne les compétences diagnostiques des enseignants dont nous avons souligné plus haut l’importance dans la qualité de l’apprentissage des élèves. Les caractéristiques associées à la compréhension et la performance obtiennent des valeurs nulles dans la description de la plupart des types d’élèves. Nos analyses montrent que nos enseignantes ont tendance à décrire les types d’élèves essentiellement à l’aide d’éléments comportementaux et de caractéristiques de l’exercice adéquat du métier d’élève voire de traits de personnalité. Si le recours à ces éléments ne nous semble pas dénué de sens dans le cadre de la relation pédagogique, on peut s’étonner de la faible utilisation de descripteurs associés à la performance scolaire. Une hypothèse peut être avancée pour expliquer ce fait au moins pour l’approche par descriptifs. Pour l’étude 2, nous avons demandé aux enseignantes de décrire des types d’élèves rencontrés au cours de leur carrière. Elles ont probablement décrit des types d’élèves abstraits correspondant à la vie en classe et à l’atmosphère propice à l’apprentissage. Nous aurions peut-être obtenu des résultats très différents si nous leur avions demandé de décrire des types d’élèves au sein de leur classe et/ou en association avec un contenu d’enseignement spécifique. Peut-être auraient-elle davantage recouru à des caractéristiques liées à la compréhension telles que, par exemple, des points de difficultés au sein de la matière, des blocages autour de certains concepts, etc.
Les répercussions pour la recherche sont évidemment multiples. Pour n’en retenir qu’une, il conviendrait d’analyser quels clusters d’élèves sont utilisés par les enseignants pour quels types de décisions pédagogiques. Si on en croit la théorie de la structure interne des connaissances et croyances, les personnes utiliseraient les éléments qui se rapprochent le plus des prototypes pour décider. Des recherches devraient donc être menées pour analyser quels élèves – ceux proches de leur cluster ou ceux qui s’en éloignent – sont pris en compte par les enseignants pour décider concernant la gestion de la discipline en classe ou pour choisir le rythme à donner à l’enseignement, les dosages des consignes, des explications et des guidages. Il conviendrait aussi d’analyser dans quelle mesure les enseignants utilisent une typologie basée sur des éléments de compréhension pour asseoir leurs choix pédagogiques en matière de gestion des apprentissages ou une typologie basée sur les comportements et l’attention pour motiver leurs décisions en matière de gestion de la discipline. Il s’agirait également de comparer des enseignants qui démontrent d’excellentes
difficultés dans le domaine (les outils développés par l’équipe de COACTIV permettraient de distinguer ces deux types d’enseignants – voir par exemple Brunner et al., 2011) sur les éléments suivants: processus de planification et conduites d’enseignement, indices sur lesquels ils basent leurs décisions et diagnostics, etc.
De ces observations découle une répercussion évidente pour la formation initiale ou continue des enseignants. En effet, l’analyse des indices sur lesquels se basent des enseignants présentant des compétences diagnostiques optimum pourrait aboutir sur des outils d’observation de la compréhension des élèves lors de l’enseignement auxquels les enseignants en formation et en fonction pourraient être sensibilisés. La comparaison entre l’exactitude du diagnostic et les performances des élèves d’enseignants ayant été formés à ces outils comparativement à des enseignants qui n’y auraient pas été sensibilisés pourrait alors être envisagée. Il s’agit d’un champ de recherche qui mériterait l’attention des chercheurs en sciences de l’éducation étant donné que la recherche tend à montrer que l’exactitude des diagnostics des enseignants pourrait être améliorée. Vu que la qualité des compétences diagnostiques des enseignants joue un rôle important dans la qualité des apprentissages des élèves, des modules de formation au diagnostic en situation devraient être élaborés sur base des résultats de recherches et testés dans le cadre de formations pédagogiques initiales et/ou continues.
Partie 4 Conclusion
Cette section de notre mémoire complète les précédentes en ce qu’elle permet de comparer les méthodologies que nous n’avons pas encore contrastées dans ce qui précède. Elle est scindée en trois parties. La première partie, répond tout d’abord à deux de nos hypothèses, puis contraste les deux classifications obtenues via nos traitements qualitatifs avec les trois classifications obtenues grâce aux données quantitatives. La deuxième, reprenant les traitements quantitatifs, compare les classifications des élèves obtenues par la méthode de clustering des scores de jugements et par le clustering des fiches descriptives. Enfin, la troisième partie fait le point sur la qualité des recouvrements des classifications obtenues par l’intermédiaire des différentes méthodes que nous avons mises en œuvre. Ces parties nous permettront de tirer des enseignements concernant non seulement les connaissances des enseignants sur les élèves et leur structure interne, mais aussi sur la qualité des approches d’investigation et sur leur éventuelle complémentarité.