Les travaux de Berliner, Bromme, Calderhead, ainsi que Mayer et Marland ou Thelen, Kagan et Tippins, Hösterman et al., de même que Morine-Dershimer ne proposent pas d’analyse approfondie sur la façon dont la globalisation des informations concernant les élèves se forme. Ceci ne permet donc pas d’adopter un positionnement clair au sein des théories de structuration des c9.
Lorsque Hofer, en 1981, propose une approche à travers laquelle le chercheur établit des typologies d’élèves à partir des jugements prononcés par les enseignants selon 31 variables, il adhère à la théorie de la prototypie (Hofer, 1986), en utilisant l’algorithme agglomératif de Ward pour obtenir une analyse par clusters. Cette analyse permet, en effet de regrouper des objets par leur proximité. Hofer estime étudier l’organisation interne des clusters en termes de proximité à leur centroïde (thèse de Rosch, voire de Rokeach). Mais il ne met en place aucune recherche pour vérifier cette organisation, pour contrôler si un élève en particulier pourrait être considéré comme le meilleur exemplaire de sa catégorie, à savoir s’il coïncide aux valeurs centroïdes du cluster ou pour vérifier la perméabilité de frontières des clusters qu’il met en lumière. Il ne questionne pas non plus les proximités que les enseignants ressentent entre chaque élève, non seulement au sein des catégories créées statistiquement (clusters), mais aussi au sein de typologies « spontanées » (eg. Morine-Dershimer, 1979 ou Höstermann et al., 2010) ou a priori (eg. Silberman, 1969, 1971). Pour terminer, il ne vérifie pas le poids de chaque élève au sein des prises de décision des enseignants ; poids qui pourrait être déterminé, par exemple, par la proximité centroïde de l’élève au sein des catégories opérées par les enseignants.
A travers notre travail de recherche, nous souhaitons nous pencher sur plusieurs questionnements engendrés par les constats de Bromme. Nous rappellerons, dans un premier temps, nos questions de recherche, nous tenterons ensuite de rapprocher ces questions des éléments de réponse disponibles dans les recherches qui nous ont précédées.
Nous exposerons, pour terminer, nos hypothèses des recherches qui prolongent le questionnement vers les études que nous avons menées (cf. p.32).
Rappelons que selon le constat de Bromme, point de départ de notre questionnement, les enseignants se réfèrent à un groupe d’élèves pour leurs prises de décision. Ce constat peut être traité selon deux axes : (1) les décisions sont prises en fonction des élèves, (2) les enseignants regroupent les informations sur les élèves. Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous nous intéresserons, pour la suite de cette conclusion, uniquement au deuxième axe, celui de la catégorisation (regroupement des informations), afin d’y ancrer nos questions et hypothèses de recherche.
Y a-t-il, en effet, une catégorisation produite dans les processus mentaux des enseignants ? Existe-t-il un ou plusieurs élèves collectif(s) dans le chef des enseignants ? Le constat duquel nous tirons notre questionnement va dans ce sens (Bromme, 1989). D’autres chercheurs mentionnent également que les enseignants possèdent un ou plusieurs regroupements d’élèves :
Dahllöf (1967, 1971), Lundgren (1972, 1973, 1977) postulent l’existence d’un steering group servant de référence décisionnelle ;
Calderhead (1983) mentionne des images d’élèves globalisées sur lesquelles les enseignants se baseraient pour connaître leurs élèves avant même de les avoir rencontrés ;
Hofer (1981, 1986) ainsi que Höstermann et al. (2010) constituent des regroupements d’élèves selon les jugements ou caractéristiques descriptives émis par les enseignants pour aboutir à une typologie selon l’idée que les enseignants possèderaient plusieurs types d’élèves dans leur bagage cognitif.
Le regroupement des élèves ne serait vraisemblablement pas le seul type de catégorisation émanant des processus cognitifs des enseignants. En se basant sur la théorie des schèmes, les enseignants procèderaient par comparaison du vécu avec les catégories disponibles en mémoire. Cette idée est véhiculée par Doyle (1986) avec le concept de chunking, par Morine et Vallance (1975) et Carter et al. (1987) avec leur théorie de globalisation, par Calderhead (1981, 1996) avec l’idée du case knowledge et son processus de comparaison également relevé par Corno en 1981, ainsi que par Berliner et al. en 1987 ou Peterson et Comeaux (1987) avec leurs schèmes comparatifs.
Les travaux démontrent que, parmi les critères de jugement des élèves pris en compte par les enseignants, certains renvoient à des éléments scolaires et d’autres non. Ces critères concernent notamment, la performance, la motivation, la participation, etc. telles que perçues par les enseignants ou à la beauté, les comportements sociaux, etc. Hofer (1981) mentionne que les typologies d’élèves sont composées par les enseignants à partir de ces critères. Il n’est cependant pas certain que les enseignants recourent de manière systématique à des algorithmes précis. Nous avons pu noter à traves la littérature l’existence de diverses théories de la catégorisation qui expliquent la création et la structure des regroupements catégoriels.
Selon la théorie classique des conditions nécessaires et suffisantes, les catégories se font sur la base de propriétés communes. A savoir que pour appartenir à une catégorie, les éléments doivent posséder en tous points les mêmes caractéristiques.
Selon la théorie de la prototypie, il s’agit de regroupements centroïdes d’éléments selon leur proximité avec des critères précis, à noter que ce noyau central pourrait être « virtuel » ou représenté par un membre considéré comme son meilleur exemplaire.
Les processus comparatifs seraient donc à la base du modus operandi des êtres humains.
D’après les théories concernant les systèmes comparatifs que nous venons d’exposer, il est vraisemblable, mais non certain, que les enseignants procèdent de la sorte pour fonctionner lors de leur enseignement ou de leurs prises de décisions. En outre, il n’est pas certain, compte tenu des procédures statistiques de Hofer ou de Höstermann et al. que les enseignants « typologisent » leurs élèves et qu’ils utilisent ces catégories comme des case knowledge ». Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’étude de Hofer (1981), proposant des catégories a posteriori, déterminées par le chercheur, montre que les connaissances des enseignants concernant leurs élèves sont organisées en plusieurs clusters.
Toutefois rien ne certifie qu’il s’agit de leurs connaissances réelles, car il n’est pas certain que les enseignants auraient utilisé ces mêmes critères pour catégoriser leurs élèves. D’où notre première série de question et hypothèses de recherche.
Les enseignants utilisent-ils des regroupements d’élèves comme des heuristiques pour les prises de décisions pédagogiques ? Quelle est la nature et la structure de ces regroupements : noyau central, moyenne, meilleur exemplaire, etc. ?
Hypothèse 1 : « Les enseignants regroupent les informations sur les élèves en des cas prototypiques dont l’organisation interne est centrale-périphérique. »
Quels sont les indices pris en compte par les enseignants afin d’établir des catégories ? Se basent-ils uniquement sur la valeur scolaire de leurs élèves ou prennent-ils en compte des variables d’ordre non scolaire ?
Hypothèse 2 : « Les enseignants se basent uniquement (surtout) sur les connaissances qu’ils ont de la valeur scolaire de leurs élèves afin de les catégoriser. »
Les distances estimées par les enseignants entre les types mentaux spontanés et/ou regroupements d’élèves équivalents, se recouvrent-elles ? En d’autres termes, les enseignants s’accordent-ils pour attribuer des distances analogues entre les ensembles concordants ?
Hypothèse 3 : « Les distances estimées par les enseignants entre les types mentaux spontanés et/ou regroupements d’élèves équivalents se recouvrent.»
La suite de notre travail se penchera sur ces hypothèses et sera organisé en fonction de ces dernières.
Par ailleurs, la littérature peine à expliquer le modus operandi inhérent à la prise de décision ainsi qu’au regroupement des informations provenant des élèves. Au vu de ces constats, nous proposons donc, dans le cadre de notre recherche, de répliquer l’approche de Hofer en suggérant un second raffinement de sa méthodologie, inspiré par les recherches sur la catégorisation des objets et des personnes, qui, nous espérons, nous permettra d’éclairer cette zone d’ombre. Par ailleurs, nous complèterons cette approche avec les autres
méthodes d’analyse des connaissances sur les élèves que nous avons relevées dans la littérature.
La partie suivante de notre travail est donc consacrée aux démarches méthodologiques que nous avons entreprises.