Analyse quantitative des résultats
5. Conclusion et discussion
2.1 Les typologies d’élèves au sein du bagage cognitif des enseignants
Nombre de chercheurs estiment que les enseignants regroupent les informations sur les élèves en des entités cognitives. Ces dernières sont des rassemblements d’élèves qui se ressemblent relativement aux informations condensées. Elles permettent aux enseignants d’interpréter les événements survenant en classe, de décider, donc d’enseigner (Bromme, 1987, 1989; Calderhead, 1981, 1983; Carter, Sabers, Cushing, Pinnegar, & Berliner, 1987;
Karst, 2012; Sabers, Cushing, Carter, & Berliner, 1988). Certains estiment que les enseignants utilisent des entités cognitives qui peuvent prendre la forme de catégories stéréotypées d’élèves qui sont mobilisées très tôt dans la carrière voire même avant l’entrée en profession (Berliner, 1987; Calderhead, 1983; Hofer, 1986; Mayer & Marland, 1997).
À notre connaissance, les recherches qui se sont intéressées aux catégories d’élèves ont principalement utilisé trois approches différentes. La première, que nous approfondissons
questionnaires de jugement (Hofer, 1981a, 1981b). Les deux approches que nous détaillerons ici sont celle basée sur des descriptifs de types d’élèves et celle des regroupements d’élèves.
2.1.1 L’approche basée sur les descriptifs de types d’élèves
Cette approche a notamment été utilisée par Thelen (1967). Ce chercheur a obtenu 300 descriptions de types d’élèves grâce au concours de 70 enseignants, formateurs et directeurs d’écoles des Etats Unis d’Amérique. Ces sujets étaient invités à décrire, dans des textes courts, des types d’élèves qu’ils ont rencontrés dans leurs salles de classe au secondaire. Suite à une analyse du contenu de ces textes, Thelen condense les 300 descriptions en 26 sous-types d’élèves qu’il a classés en quatre ensembles.
L’ensemble des « bons élèves » contient huit sous-types d’élèves que les sujets décrivent comme étant intéressés par les contenus traités en classe et volontaires tant dans les tâches scolaires que dans la prise de responsabilités sans perturber le groupe classe.
L’ensemble des « élèves indifférence » renferme six sous-types d’élèves inoffensifs en classe mais peu soucieux de l’éducation et du travail. Ils en font suffisamment pour passer et ne sont pas à l’origine de problèmes. Souvent, ils sont considérés comme étant plaisants et agréables.
L’ensemble des « mauvais élèves » contient huit sous-types d’élèves qui agacent les enseignants. Ils sont décrits comme étant durs à gérer et n’apportent rien à la classe.
L’ensemble des « élèves perdus » ou des « esprits égarés » comprend quatre sous-types d’élèves tranquilles mais retirés, malheureux et ayant peu d’estime d’eux-mêmes.
Kagan et Tippins (1991) ont demandé à 12 futurs enseignants (cinq candidats pour le primaire et sept pour le secondaire dans les branches histoire et anglais) de leur remettre des descriptions de types d’élèves. Sans effectuer de recherches spécifiques sur les élèves, mais en se basant uniquement sur leurs observations et interactions personnelles en classe et en dehors de celle-ci, les futurs enseignants étaient invités à décrire ces types selon plusieurs variables au choix parmi les suivantes : résultats et motivation scolaires, caractéristiques intellectuelles, intérêt, personnalité, background familial, comportements journaliers, relations avec les camarades de classe ou l’enseignant, style d’apprentissage,
compétences psychomotrices, caractéristiques physiques et leurs perceptions personnelles les concernant. Ces chercheuses obtiennent les résultats suivants après une analyse du contenu des descriptions produites par les futurs enseignants.
23% des descriptions des candidats au primaire mentionnent le type « élève modèle » et 77% le type « élève qui dérange, peu motivé et/ou possédant peu de compétences sociales » ;
24% des descriptions des candidats au secondaire décrivent le type « élève modèle non problématique », 24% le type « élève peu motivé peu préoccupant » et, 52% le type « élève aux comportements non scolaires ».
Höstermann, Krolak-Schwerdt et Fischbach (2010) adoptent également une démarche basée sur des descriptions de types d’élèves tout en suppléant la méthode d’analyse du contenu par une analyse en clusters. Quatre-vingt-deux étudiants luxembourgeois en 1ère et 2ème année de formation initiale pour devenir instituteurs en école primaire ont participé à cette étude. Bien qu’elle soit restreinte, tous les participants avaient déjà eu une expérience avec les élèves grâce à la réalisation d’un stage pratique obligatoire durant leur formation. La récolte des données s’est déroulée durant les séminaires de la formation initiale. En plus des instructions (décrire les types d’élèves rencontrés durant leur expérience pratique), l’outil de recueil distribué aux enseignants comportait un tableau à deux colonnes. Dans la première colonne, les individus étaient invités à proposer une étiquette pour décrire chaque type d’élèves rencontrés et, dans la deuxième, ils devaient énumérer les caractéristiques spécifiques à chaque type d’élèves. Les sujets étaient informés du fait que ces caractéristiques pouvaient renvoyer à de multiples domaines tels que la personnalité, les comportements typiques, les attitudes, les intérêts, l’environnement social, le statut socioéconomique, les caractéristiques physiques, les compétences, etc.
Les chercheurs luxembourgeois répertorient ainsi 352 types d’élèves. Par deux opérations de condensation successives réalisées lors d’une analyse de contenu « manuelle », ce sont 106, puis 20 types qui ont été retenus. Enfin, la triangulation des méthodes de clustering hiérarchiques agglomératives à partir des fréquences des caractéristiques descriptives des
L’élève modèle hautement motivé et concentré ayant un bon rendement scolaire et des conduites de travail adéquates ;
1. L’élève bruyant et bavard ;
2. Le « Monsieur-je-sais-tout » qui aime contrôler les autres et les commander ;
3. L’élève clown perturbateur que l’on remarque et qui recherche d’attention des autres ;
4. L’élève agressif irritable, violent, renfermé et désobéissant ; 5. L’élève hyperactif agité et inattentif ;
6. L’élève rêveur aux notes insuffisantes ;
7. L’élève fainéant ayant de mauvaises notes parce qu’il ne mobilise pas ses compétences pour atteindre un rendement scolaire minimal ;
8. L’élève je-m’en-foutiste qui n’a rien envie de faire, qui manque de motivation et qui n’a pas son matériel scolaire avec lui ;
9. L’élève socialement retiré dont l’isolement peut résulter soit d’un choix personnel soit de blocages ou d’inhibitions relationnel(le)s.
2.1.2 L’approche basée sur les regroupements d’élèves
Morine-Dershimer (1978) propose à 10 enseignants d’effectuer une tâche de tri d’élèves selon les critères de leur choix, et ce, à cinq moments de l’année scolaire: septembre, novembre, janvier, mars et fin mai. Pour procéder à ces regroupements, des étiquettes avec le prénom des élèves pour chaque enseignant ont été préalablement confectionnées par la chercheuse. À l’aide de ces cartes, il était ensuite demandé aux enseignants de rassembler les prénoms des élèves pour former des groupes en se référant à une caractéristique. Ils pouvaient former autant de groupes avec autant d’élèves qu’ils le souhaitaient. Les enseignants devaient donner la caractéristique une fois le regroupement effectué, puis étaient invités à répéter l’opération en se basant sur un autre critère qu’ils devaient également mentionner. Plusieurs regroupements basés sur plusieurs critères différents étaient ainsi opérés pour chaque moment de l’année.
Les données ont été analysées pour déterminer plus particulièrement quelles caractéristiques les enseignants utilisent pour catégoriser leurs élèves, mais aussi les tendances normatives et la stabilité de ces caractéristiques au court du temps.
Morine-Dershimer regroupe les caractéristiques utilisées par les enseignants en six ensembles : compétences et réussite, participation dans l’enseignement, personnalité, relations avec les pairs, orientation des activités et enfin, développement et progrès.
Cette recherche met en évidence l’évolution du contenu des perceptions des enseignants sur leurs élèves au cours de l’année scolaire. En septembre, les enseignants sont centrés sur la personnalité de leurs élèves (23% de toutes les catégories formées), en novembre, ils se focalisent sur leur participation en classe (22%), puis, au mois de juin, ils les catégorisent selon leurs progrès (15,6%) et leurs relations entre pairs (15,6%). La compétence ou la réussite de l'élève ne fait pas partie des caractéristiques dominantes données par les enseignants (3% en septembre, 5% en novembre, et 12,5% en juin). Bref, selon le moment de l’année scolaire, les enseignants ne se focalisent pas sur les mêmes paramètres pour effectuer leurs regroupements d’élèves. Ces résultats sont répliqués dans une étude portant sur 40 enseignants du primaire (Morine-Dershimer, 1979) : les critères auxquels se réfèrent les enseignants évoluent au cours de l’année scolaire.
2.1.3 Synthèse comparative et critique des deux approches, leurs constats y-compris
Les trois études de l’approche par descriptif possèdent des résultats proches; il y a recouvrement relativement large des types d’élèves dans des contextes variables. Les quatre catégories de Thelen répondent aux profils identifiés par Höstermann et al. (2010). Bien que les descriptifs des bons élèves soient davantage tournés vers des éléments liés à la performance chez Hösterman et consorts, et vers l’autonomie et la conformité aux règles scolaires chez Thelen, les deux études présentent des descriptifs de mauvais élèves centrés sur des aspects comportementaux. Pour ces mêmes études, nous notons un recouvrement quasi parfait de la catégorie des élèves «perdus». De plus, les élèves « indifférences » dans l’étude de Thelen sont proches des « je m’en-foutistes » dans l’étude d’Hösterman et son équipe. Enfin, les résultats de Kagan et Tippins sont également proches car, hormis la catégorie des « perdus », elles obtiennent des catégories de bons et de mauvais élèves proches des descriptifs de Thelen et donc de Hösterman et associés.
Hélas, Morine-Dershimer ne donne pas les étiquettes utilisées pour nommer les
Ceci rend toute comparaison difficile avec l’identification de types d’élèves à laquelle aboutit la méthode précédente. Néanmoins, les critères mentionnés par les enseignants ne sont pas sans liens avec ceux mentionnés dans les études ayant utilisé l’approche par descriptions : les rôles centraux de la motivation, des comportements, de la personnalité et de la sociabilité sont conservés.
On regrettera dans le cas des approches par description que les chercheurs n’ont pas tenté de vérifier si les types nommés spontanément étaient représentés dans les classes des répondants. En effet, aucun lien avec les élèves effectifs des enseignants n’est proposé et, encore moins, les potentielles différences de traitement lors de l’interaction en classe. La méthode par regroupement est également sujette à la critique de l’absence de lien entre les catégories d’élèves et les interactions en classe ou les processus de prise de décision des enseignants. Par ailleurs, aucune de ces approches ne s’est intéressée à la structure interne des connaissances des enseignants sur les élèves. Or, connaitre la structure interne des connaissances est important si on veut les modifier (Roussiau & Bonardi, 2001; Vosniadou, Vamvakoussi, & Skopeliti, 2008). En effet, il est primordial de s’intéresser à cet aspect car les recherches montrent que les enseignants ayant de bonnes compétences diagnostiques contribuent plus efficacement à l’apprentissage des élèves (Hattie, 2003, 2012; Helmke &
Schrader, 1987) mais hélas que ces dernières n’étaient pas suffisamment développées tant pour les aspects cognitifs (Südkamp, Kaiser, & Möller, 2012) que pour les aspects motivationnels (Praetorius, Lipowsky, & Karst, 2012). La suite de ce texte présente donc différentes théories qui ont été avancées pour expliquer l’organisation interne des connaissances dont celles sur les élèves.