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Géographie Économie Société : Article pp.115-135 du Vol.11 n°2 (2009)

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Géographie, économie, Société 11 (2009) 115-135

doi:10.3166/ges.11.115-135 © 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

géographie économie société géographie économie société

Socle de savoirs et savoir-faire, innovation et renouvellement des territoires.

Les cas du Canavese dans le Piémont et du bassin minier de la Provence

Caroline Lanciano-Morandat

1*

et Giampaolo Vitali

2

1 LEST /CNRS, Universités de la Méditerranée et de Provence, 13626 Aix-en-Provence / Cedex, 35 avenue Jules Ferry.

2 CERIS-CNR, 10024 Moncalieri (To) Via Real Collegio, 30.

Résumé

Cet article compare la capacité qu’ont deux anciens systèmes localisés d’innovation et leurs territoires, le Canavese situé dans le Piémont (Italie) et le bassin minier de Provence (France) , à se renouveler à partir de/ou en rupture avec le socle de savoirs et de savoir-faire qui avait fait leurs succès antérieurs et leur cohésion sociale. Il se demande si un socle de connaissances accumulées est un avantage pour innover ou s’il entraîne des irréversibilités qui rendent difficiles les modifications radicales de trajec- toire productive. Existe-t-il différentes façons d’innover et de renouveler un territoire qui a subi des évolutions radicales ou des ruptures dans sa dynamique ?

© 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

Territories revival, knowledges and know-how foundation and innovation. The cases of Canavese in Piedmont and Provence coalmining region: This paper compares the capacity of two local innovation systems and territories, Canavese located in Piedmont (Italy) and Provence coalmining region (France), to renew in continuity or by breaking up local knowledge and know- how that had settled their productive success and social cohesion. It questions advantage that a

*Adresse email : caroline.lanciano@univmed.fr

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cumulated knowlhow occurs to innovate or irreversibilities that it can generate and make difficult major evolution of a productive trajectory. Are there various ways to innovate and to renew a terri- tory that underwent radical evolutions or breaks in its dynamics ?

© 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Innovation, Savoir et savoir-faire, Renouvellement des territoires, Comparaison.

Keywords: Innovation, Kowledge and kow-how, Territories revival, Comparison.

De nombreux territoires européens subissent ou ont subi une ou plusieurs crises éco- nomiques et sociales causées par la conjonction de la globalisation des marchés et des évolutions technologiques. Pendant que la globalisation réduit la compétitivité des biens traditionnels produits dans les pays européens, c’est-à-dire dans les pays à coûts de pro- duction élevés, le progrès technologique est à l’origine d’une évolution de la demande qui substitue aux biens obsolètes de nouveaux produits.

Les aires productives de « tradition ancienne » qui s’étaient construites sur la cohé- rence et la cohésion entre le système industriel et le territoire sont particulièrement remi- ses en cause par ces évolutions.

Pour en réduire l’impact, les politiques publiques de développement, européennes, nationales et locales, et les stratégies entrepreneuriales ont tenté et tentent encore de revitaliser l’économie en accompagnant la restructuration des entreprises en déclin et le renouvellement des territoires. Ces actions consistent, d’une part à utiliser les socles de savoirs et savoir-faire et les compétences qui ont fait le succès du territoire dans les configurations productives antérieures et/ou dans d’autres activités écono- miques (renouvellement à partir des capacités endogènes), et d’autre part à favoriser l’appropriation de nouvelles connaissances et compétences par les acteurs, en par- ticulier grâce à l’installation ou la création de sociétés technologiques ou d’unités de recherche (renouvellement à partir de capacités exogènes). Ces différentes trans- formations peuvent permettre de revitaliser les territoires ou au contraire contribuer à leur dilution dans un espace social plus vaste, ou à leur division entre plusieurs nouveaux collectifs locaux.

L’objet de cet article est de comparer la capacité qu’ont ces anciens systèmes localisés d’innovation et leurs territoires à se renouveler à partir de/ou en rupture avec le socle de savoirs et de savoir-faire qui avaient fait leurs succès antérieurs et leur cohésion sociale.

Ce socle de connaissances accumulées est-il un avantage pour innover ou entraîne-t-il des irréversibilités qui rendent difficiles les modifications radicales de trajectoire productive ? Existe-t-il différentes façons d’innover et de renouveler un territoire qui a subi des évolu- tions radicales ou des ruptures dans sa dynamique ?

Il s’agira de centrer l’analyse sur la comparaison entre le Canavese, dans le Piémont (Italie), dont l’activité traditionnelle était la mécanique et le bassin minier de Provence (France) qui s’est construit sur la production d’énergie.

Dans une première partie, les notions de système local d’innovation et de socle de savoirs et de savoir-faire sont interrogées : est-il justifié de les utiliser pour effec- tuer une analyse comparative entre des territoires de tradition productive ancienne en

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cours de renouvellement ? Dans une seconde partie, est identifié et analysé le socle des savoirs et savoir-faire sur lesquels se sont construits les deux systèmes localisés d’innovation et les deux territoires. Dans la troisième partie, est décrite la remise en cause de ces savoirs et de ces savoir-faire. Finalement, la quatrième partie met en regard les politiques et les pratiques de développement local et s’interroge sur l’ave- nir des deux territoires.

1. La construction de la comparaison entre anciens « systèmes localisés d’innovation » 1.1. Le « système localisé d’innovation » (SLI)

La notion de « système productif localisé » désigne (Aydalot, Keeble 1988) des enti- tés spatiales comme les districts industriels ou technologiques, les milieux innovants, les systèmes industriels locaux, les systèmes localisés d’innovation, etc. Ces différentes formes d’organisations locales ont en commun de regrouper des unités productives comme des entreprises, des infrastructures et des institutions publiques, des moyens de transports, des écoles et centres de formation, des centres de recherche etc. Elles entretiennent entre elles des relations de concurrence, de coopération, de subordination etc. A l’intérieur de cette appellation générique, nous avons choisi d’utiliser le terme de « systèmes localisés d’innovation » (SLI) (Gilly, Grossetti, 1993 ; Colletis et al.

2001) en raison de l’importance donnée dans cette approche au lien entre l’organisation productive et le système social (Becattini,1979, Brusco, 1980) et au rôle joué par l’in- novation dans le renouvellement des aires productives.

1.2. Le socle de savoirs et de savoir-faire

L’inscription des entreprises dans un SLI favoriserait, les relations entre acteurs sociaux (« réseaux sociaux », Granovetter, 2000). Elle faciliterait l’utilisation du socle des savoirs et des savoir-faire et des connaissances tacites, mais permettrait aussi la création d’un contexte socioculturel favorable au croisement des compétences et des technologies, fondé sur des valeurs de réciprocité et de confiance (Von Hippel, 1989), sur une certaine

« cohérence » alliée à une cohésion entre acteurs (Colletis, Gilly, Pecqueur, 2001) qui serait à la source de la constitution d’un territoire (Storper, Salais 1997).

Mais a contrario, si ce socle de savoirs et de savoir-faire peut permettre le renou- vellement du SLI et du territoire, il peut aussi être à l’origine de son éclatement. Cette notion est à distinguer de la notion de capital humain utilisée aussi bien par les écono- mistes que par les sociologues. Le socle n’est pas un investissement explicite, stable, daté, mais un ensemble de connaissances collectives et individuelles qui se sont accu- mulées, qui se sont modifiées au cours du temps et qui peuvent continuer de l’être à tout moment. Les savoirs et les savoir-faire cristallisés ne sont pas seulement techniques mais ils sont aussi organisationnels, politiques, sociaux etc. Ce socle est, à travers les changements conjoncturels un référent commun d’une même population. Mais dans certains cas, les apports importés qui lui sont adjoints sont si éloignés des savoirs et des savoir-faire préalablement accumulés qu’ils ne peuvent s’y agréger, entraînant sa dilution ou une rupture au sein du SLI et parfois au sein du territoire.

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1.3. La place de l’innovation dans le renouvellement des territoires

L’innovation a, de tous temps, existé et le développement de l’économie a toujours nécessité l’introduction de nouveautés dans la production de marchandises, de services, de connaissances etc. Elle peut être technique et/ou organisationnelle. Elle est un processus issu soit des savoirs et des savoir-faire internes à une entreprise, à un SLI, à un pays, soit d’une appropriation de ressources produites par l’environnement, de l’interaction entre l’en- dogène et l’exogène. Elle peut être lente et continue, peu différenciée, incrémentale ; elle peut nourrir le socle des connaissances traditionnelles ou bien être rapide, fondamentale, en rupture avec les pratiques antérieures. Par ailleurs, il a été montré que la capacité d’innover est liée au niveau de formation et de recherche (Abramovitz, David, 1996). L’introduction de nouvelles connaissances dans la production contribuerait plus que d’autres investisse- ments à la productivité du travail (Foray, 2000) et tiendrait le premier rôle dans le dévelop- pement des systèmes productifs. On peut faire l’hypothèse que les savoirs et les savoir-faire ont toujours, sous diverses formes, été à l’origine de la création de richesses : auparavant le passage de savoirs formalisés, acquis dans le système éducatif, aux savoirs non formalisés, aux savoirs « découverte », « invention » était plus explicite, contrôlé et lent. Les savoirs professionnels et académiques étaient clairement distingués les uns des autres et produits par des institutions distinctes. Aujourd’hui, l’innovation se nourrit, entre autres, de connais- sances non repérées, pas encore mesurables, ni encore appropriables par la hiérarchie d’une quelconque organisation (Lanciano-Morandat, Rolle 2004), de compétences non évaluables liées aux parcours spécifiques des individus, ce qui ouvre de nouveaux champs à l’acti- vité productive. L’innovation garderait ses caractéristiques antérieures mais incorporerait aussi de nouveaux savoirs et savoir-faire jusque-là cantonnés à la sphère de la communauté scientifique. Cette nouvelle tendance, sans supprimer les mécanismes d’innovation anciens, accentuerait le rôle des unités de formation supérieure et de recherche dans les proces- sus économiques (Ezkovitz, Leydesdorf, 2000), de plus, elle expliquerait l’implantation un peu systématique de ce type d’unités dans des systèmes productifs autrefois réservés aux seules entreprises, ainsi que la prégnance des SLI. La rapidité et les conditions de cette évolution pourraient entraîner la dilution du socle de connaissance sur lequel a évolué le territoire. Ainsi, les SLI « anciens » constitués sur un territoire comme le Canavese et le bassin minier de Provence n’ont subsisté jusqu’à présent, que parce qu’ils ont continué d’innover (Lanciano-Morandat et al., 1998), en incorporant de nouvelles connaissances à celles accumulées précédemment. Mais ce type de développement est-il toujours possible, dans le contexte de concurrence mondiale actuelle ?

Notre objectif est de comprendre si ces nouvelles connaissances vont s’agréger au socle des savoirs et des savoir-faire accumulés entraînant le renforcement du SLI et du territoire ou si elles vont se développer en créant un renouveau économique indépendant du précédent et en rupture avec lui.

1.4. L’effet heuristique de la comparaison

Ces mécanismes complexes sont analysés à partir de la méthode de la comparai- son. Cette approche, par son effet heuristique (Maurice et al., 1982), permet d’iden- tifier des processus difficilement appréhendables directement. Les deux territoires

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comparés appartiennent à la communauté européenne, mais ils interagissent avec des systèmes institutionnels, des usages nationaux encore différents. Les deux SLI étu- diés sont « de tradition ancienne » : l’industrie manufacturière du Canavese s’est développée au début du XXe siècle dans une économie italienne encore essentiel- lement agricole tandis que l’extraction marchande du charbon par des entreprises a commencé avec la révolution industrielle française. Au cours du temps, pour subsis- ter, ils ont du innover, se renouveler, faire évoluer ou incorporer de nouveaux savoirs et savoir-faire. A l’intérieur de ces cheminements continus, nous identifions deux périodes, 1999/2000 pour le Canavese, 2003 pour le bassin minier de Provence. Ces périodes peuvent symboliquement représenter la période de rupture, le moment où la trajectoire de chacun des territoires diverge, soit pour se renouveler en confortant la spécificité du territoire, soit s’ouvrir à son environnement économique au risque de se diluer dans un espace géographique plus vaste.

2. Les socles des savoirs et des savoir-faire anciens sur lesquels se sont construits les deux systèmes localisés d’innovation et les deux territoires

Les deux zones étudiées ne sont pas strictement appariées : elles sont à la fois com- parables par leur proximité avec une métropole nationale, Turin et Marseille, par leurs activités industrielles séculaires adossées à un secteur agricole et incomparables par leur taille, leurs spécialisations productives, leurs modes d’organisation et de gouvernement.

Le « Canavese » est une zone située dans le Piémont, au nord-ouest de la Province de Torino ; il est limité géographiquement par la Vallée d’Aoste au nord-ouest, par les provin- ces de Biella et de Vercelli à l’est, et par la ville de Turin au sud. Il réunit cent-vingt munici- palités sur une surface de 2 000 km. Il rassemble une population de 250 000 habitants.

Le bassin minier de Provence est issu d’un découpage administratif récent qui s’est appuyé sur l’histoire de cette zone géographique : il couvre les communes ayant abrité des activités d’extraction de lignite. Il est localisé en région Provence-Côte d’Azur, dans le département des Bouches du Rhône, au nord de Marseille; il regroupe plus de 90 000 habitants pour une superficie de 333 km2 et est donc beaucoup plus petit que le Canavese, quoique sa densité en habitants au km2 soit plus importante.

Ces deux zones géographiques ont en commun, d’une part leurs systèmes localisés d’innovation qui se sont constitués à partir de savoirs et de savoir-faire anciens, d’autre part l’interaction entre tissu économique et organisation sociale qui a défini le territoire.

Les changements, les redéfinitions, les crises etc. de l’un influencent donc l’autre et vice versa. Les deux SLI ont, semble-t-il, plus construit le modèle social et le mode de gouvernement local que l’inverse. Par ailleurs, ces deux zones ont chacune des caracté- ristiques propres par rapport à leurs modèles nationaux, même si les régimes sociétaux de l’Italie et de la France ont, eux aussi, contribué, par leurs différences, à les distinguer l’un de l’autre.

2.1. La construction différenciée des SLI

Les deux SLI étudiés se distinguent par leurs activités, leur organisation industrielle, leur marché du travail et leur mode de gouvernement.

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2.1.1. Des activités différentes

Le tissu industriel du Canavese s’est construit à partir d’une seule entreprise spéciali- sée dans l’activité mécanique, tandis que le bassin minier de Provence s’est développé en se diversifiant au sein de l’industrie lourde.

La tradition industrielle de la zone piémontaise s’est édifiée au début des années 1800 sur des territoires agricoles. Les premiers secteurs développés ont été le textile et l’extraction du fer. La spécialisation autour de la mécanique est née de cette activité, elle s’est concrétisée par la création en 1908 de l’entreprise Olivetti; son segment d’activité était la fabrication de machines à écrire, elle réalisait alors la totalité des opérations de fabrication, le travail des métaux, la découpe des pièces et l’assemblage. Très rapidement, cette entreprise était deve- nue le cœur de la dynamique productive locale et de la gouvernance du Canavese. Pendant tout le XXe siècle, ce territoire sera identifié à son entreprise phare.

Dans le bassin minier de Provence, l’extraction du charbon est devenue une activité marchande au XVIIe siècle, elle a entraîné l’installation de cimenteries et d’entreprises de chimie. La mine avait préparé la zone à sa vocation industrielle dans le sens ou elle a permis la formation d’un salariat (les ouvriers-paysans) et où sa production d’énergie a attiré différentes entreprises de production lourde. Alors qu’avant la dernière guerre, les concessions minières étaient les seuls employeurs de la zone, à la Libération, ces derniè- res ont été nationalisées en un seul établissement1. D’autres entreprises se sont installées (Pechiney) ou se sont créées. Le SLI autrefois supporté par des PME-PMI dans une même spécialité, s’est ouvert à la production diversifiée de grandes entreprises tout en restant dans le domaine de l’industrie lourde. Parallèlement, ces firmes externalisaient certaines tâches considérées comme hors de leurs spécialisations. Leurs salariés quittaient les entre- prises donneuses d’ordre pour devenir leurs prestataires de service ou leurs fournisseurs, constituant ainsi un réseau d’entreprises « subordonnées » (Petit, Thévenot, 2006).

2.1.2. Deux types d’organisation industrielle distincts

Si Olivetti est un système intégré et innovant, ouvert sur les marchés mondiaux du fait de la stratégie de sa direction, les entreprises provençales se caractérisent par une coordination assurée au niveau national par les ingénieurs. L’avantage compétitif d’Olivetti s’était bâti, d’une part, sur des savoirs technologiques et des savoir-faire méca- niques issus d’un centre de R&D intégré et, d’autre part, par le développement d’un réseau commercial . Dés les années 1930, l’entreprise avait élargi sa production aux machines à calculer et autres appareils de bureau et s’était ouverte sur les marchés internationaux.

Son segment d’activité s’était peu à peu centré sur la mécanique de précision. Les inno- vations techniques essentielles à l’élargissement de la production avaient conduit celle-ci à s’ouvrir aux métiers proches de l’électromécanique puis de l’électronique.

A l’origine, les entreprises du bassin minier étaient des entreprises à forte intensité de main d’œuvre où la force physique était une des qualités demandées aux salariés. Mais, dès les années 50, grâce à l’intervention des ingénieurs, des constructeurs d’outils, les processus de production ont été mécanisés puis automatisés. La fabrication a été spécifiée selon les demandes du marché. Les savoirs, les savoir-faire et les qualifications nécessai-

1 Création de l’établissement public des houillères de Provence au sein du groupe national Charbonnages de France.

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res se sont trouvés ainsi renouvelés par un processus continu de formation des salariés.

Si l’entreprise italienne s’était développée en se créant une clientèle mondiale à partir de sa seule expérience et du dynamisme de sa direction, les entreprises du bassin minier s’étaient constituées au centre d’un réseau d’entreprises nationales, de sous-traitants, la coordination étant assurée et l’innovation diffusée par les ingénieurs.

2.1.3. Une main d’œuvre qualifiée et des marchés du travail internes

La main d’œuvre de l’entreprise Olivetti était, dès l’origine, hautement qualifiée par rapport au niveau national: le recrutement se faisait au niveau du cycle secondaire pour les ouvriers/techniciens; la formation spécifique à la mécanique était effectuée par une école professionnelle au sein de l’établissement et « sur le tas ». Les carrières se dérou- laient en son sein, le turnover était faible. La qualité des ressources humaines locales dans la réalisation des tâches était considérée comme un atout de l’entreprise. Se juxtaposaient le marché du travail interne, secondaire de la grande entreprise (Eyraud et al., 1990) et les conditions d’emploi très disparates de l’agriculture, du commerce, des entreprises arti- sanales du textile, etc., (marché du travail primaire et externe). Comme la main d’œuvre disponible était limitée, les entreprises installées sur la zone ne pouvaient recruter et se développer que lorsqu’Olivetti avait des difficultés économiques. Le développement des unes se faisait au détriment des autres.

Le bassin minier se caractérisait à la fin des années 60 par la puissance de deux marchés internes distincts l’un de l’autre, celui des Houillères de Provence et celui de Péchiney. Les mobilités entre les entreprises étaient quasiment inexistantes et jugées impossibles par les dirigeants comme par les salariés. Les systèmes de formation internes aux deux entrepri- ses étaient très développés. Les deux entreprises provençales disposaient pour accroître ou diminuer leur capacité de production d’un volant de main d’œuvre constitué soit par les salariés de prestataires de services, soit par des travailleurs précaires (femmes, sai- sonniers, émigrés). Les entreprises-premières et les sous-traitantes étaient reliées, soit professionnellement, soit par des relations privées (familiales) construites sur le territoire.

Ces liens permettaient d’étendre le système hiérarchique des entreprises à l’ensemble du bassin minier. La solidarité et la combativité ouvrière étaient particulièrement fortes.

Si le marché du travail du Canavese était dominé par le système interne d’Olivetti, celui du bassin minier l’était par ceux de deux entreprises, « marchés internes étendus » (Lam 2000) à la sous-traitance et à l’existence d’un volant de main d’œuvre (« exclusion sélective » Garonna, Ryan 1989). Dans le premier cas, la main d’œuvre disponible était limitée, dans l’autre, elle ne l’était pas : les conditions d’emplois étaient donc très diffé- rentes dans les deux SLI.

2.1.4. Des modes de gouvernements des SLI différents

Le gouvernement du SLI était celui de l’entreprise piémontaise et était personnalisé par la figure de l’entrepreneur familial, à la différence de celui de la Provence qui est organisé autour de l’Etat entrepreneur et de son corps d’ingénieurs.

Olivetti a continué d’être dirigée jusqu’au début des années 60 par un membre de la famille. Ses dirigeants successifs considéraient qu’ils avaient des responsabilités sociales et territoriales, mais qu’il était aussi de leur intérêt d’industriels d’innover et de faire en sorte que l’environnement humain de leurs activités soit serein. L’autorité

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était concentrée entre les mains du patron-propriétaire, l’organisation était stricte- ment hiérarchique et formalisée. En contrepartie d’une implication forte dans le tra- vail (intensité et horaire), la « famille » œuvrait pour le bien-être social des salariés : ainsi différentes mesures relatives à la gestion de la main d’œuvre avaient été mises en place, bien avant leur généralisation à l’ensemble de la population italienne. Ce

« modèle social » limité aux salariés de l’entreprise et à leur famille avait pour voca- tion d’influencer l’ensemble du territoire.

Jusqu’à, la Libération, le patronat des PME-PMI charbonnières avait une politique active de logements autour des villages grâce à la création de « cités minières ». Les directions encourageaient la solidarité au sein de la communauté par l’incitation à la création des caisses de secours en cas d’accident ou de maladie, à la construction d’écoles et d’églises, de coopératives d’achat. Parallèlement, les conflits sociaux et la concurrence entre entre- prises avaient très rapidement obligé les dirigeants à harmoniser les rétributions au sein du système localisé. Ces politiques sociales « intégratives » ont été poursuivies après la guerre, l’Etat nationalisant un système qui n’était que local. Les conditions de travail et d’emploi se sont améliorées en même temps qu’elles se sont fondues dans des règles négociées au niveau national (conventions collectives, statut du mineur, etc.). Le pouvoir était devenu une autorité déléguée par la capitale. Les ingénieurs, corps professionnel transversal au pays et contrôlé par l’Etat, assuraient la hiérarchie sur l’ensemble des unités et l’homogénéité du système national d’innovation grâce à leur propre mobilité entre les sites.

Les deux SLI étaient constitués d’unités de production où les savoirs et les savoir- faire s’étaient développés en interne et où la hiérarchie appuyait son commandement de la main d’œuvre sur un salaire social important. Dans le cas du Canavese, l’entreprise Olivetti avait développé sa suprématie industrielle sur un mode de gouvernement local, assuré par l’entrepreneur/propriétaire ; dans le cas du bassin minier, la compétence était segmentée entre deux entreprises refermées sur leurs compétences propres. Le gouver- nement de ces deux entités après avoir été régional, a été transféré au niveau national, le corps des ingénieurs en constituant le relais.

2.2. Deux territoires construits en interdépendance avec leurs SLI

Les deux SLI et les deux territoires se sont construits en interdépendance les uns avec les autres à partir de leurs socles de savoirs et de savoir-faire respectifs.

2.2.1. Le gouvernement d’un homme dans le Canavese

Le mode de gouvernement de l’entreprise s’est étendu, jusque dans les années 90, à l’ensemble du Canavese, d’abord parce que Olivetti était la ressource principale et le premier employeur du territoire, mais aussi parce que son modèle industriel et social conditionnait et organisait la vie de l’ensemble de ses habitants. La famille Olivetti était directement impliquée, elle orientait le développement du territoire, le représentait dans les instances industrielles et politiques nationales. Adriano Olivetti avait institutionnalisé sa position en créant un mouvement politique, « la communauté », dans les années 50 qui alliait une vision sociale avec celle d’une autonomie territoriale liée aux traditions montagnardes. Parallèlement, il avait constitué un syndicat indépendant des grandes cen- trales syndicales de l’époque. Cette « figure » était aussi un mécène qui finançait artistes

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et chercheurs. Le Canavese se distinguait par la superposition des systèmes industriel et social autour du (et par le) propriétaire/dirigeant de sa principale entreprise. Ce type de gouvernement et de représentation unique et cohérente contribuait alors à l’efficacité productive et à la richesse de la zone. Toutefois la personnalisation de la compétence entrepreneuriale et la confiance qui était accordée à la famille Olivetti pour le gouverne- ment du territoire, allaient aussi empêcher, et pour de nombreuses années, l’émergence d’autres acteurs.

2.2.2. Le passage de la communauté villageoise à la communauté de métier sur le bassin minier

L’activité minière rythmait jusqu’à la Libération la vie du territoire. Chaque village avait son puits de mine et le travail salarié était complémentaire du labeur des champs. Le travail de la houille a rapidement mobilisé l’ensemble de la famille, la hiérarchie minière ayant tou- jours fait en sorte que le salariat reste compatible avec le travail « au jardin ». L’organisation familiale et villageoise était utilisée comme support de la subordination dans l’organisa- tion productive. La famille d’abord, puis la communauté des gens de la mine, toutes deux ancrées sur le territoire intervenaient dans le « régime minier ». Le « salaire social » contri- buait à renforcer encore le lien matériel entre le mineur et le territoire. Les gens de la mine étaient regroupés dans une « communauté des villages ». La constitution du groupe des Charbonnages de France en 1945 a été à l’origine, par sa politique de rationalisation d’une nouvelle rupture entre un certain nombre de villages miniers et l’activité industrielle et de l’émergence du pôle Gardanne-Meyreuil. A cette rationalisation se sont ajoutées l’instal- lation de Pechiney et la construction de la Centrale thermique ce qui a encore renforcé le pôle gardannais. La nationalisation et la réglementation du travail ont, par ailleurs, remis en cause, au moins formellement, le poids du chef de famille dans l’obtention d’un emploi sur le territoire et ont augmenté celui des communautés professionnelles. Les syndicats ouvriers ont participé au rassemblement du bassin minier autour de sa classe ouvrière et de la ville de Gardanne. Cette ville-usine a commencé, ainsi, à construire sa position dans l’in- dustrie lourde en s’appropriant la représentation symbolique des travailleurs. Petit à petit, les « communautés de métiers » se sont substituées aux « communautés de villages », l’acti- vité industrielle et la classe ouvrière se regroupant réellement et symboliquement autour de Gardanne. Ainsi, jusqu’à la reconnaissance du bassin minier comme entité administrative, le gouvernement du territoire était assuré par les responsables de la commune de Gardanne, en tant que représentants des travailleurs de la zone.

Le SLI et le territoire du Canavese étaient organisés jusque dans les années 90 autour d’une seule entreprise, d’une seule spécialité, et étaient gouvernés par un seul individu, le propriétaire-patron d’Olivetti. Le bassin minier s’était construit autour de l’extraction du charbon même si cette activité s’était rapidement diversifiée. Il s’était recentré à la Libération sur la ville-usine de Gardanne (Garnier, Lanciano-Morandat 2006) et sur une co-gestion entre l’Etat et les représentants de la classe ouvrière, les ingénieurs assurant la coordination entre ces deux acteurs. La cohésion du territoire piémontais s’était effectuée sous l’autorité d’un individu, celle du territoire français au fil de nombreuses tensions et conflits entre le patronat et la classe ouvrière. Dans les deux cas, la cohérence industrielle était alors indissociable de la cohésion sociale au sein du territoire et vice versa. Par ailleurs, si le Canavese avait construit localement son socle de connaissances en interne

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en s’ouvrant sur les marchés mondiaux et en restant dissocié du reste de l’Italie, le bas- sin minier s’était aussi développé sur des connaissances endogènes mais avait bénéficié après-guerre de la seule ouverture nationale. Bien avant les dernières remises en cause de leurs socles de savoirs et de savoir-faire traditionnels, les territoires étudiés avaient donc subi des transformations de leurs systèmes productifs et avaient appris à s’y adapter.

3. La remise en cause progressive du socle de savoirs et de savoir-faire

Les deux SLI n’ont pas subi une crise brutale mais une détérioration progressive de leurs modèles antérieurs, associée à un processus de continuelle redéfinition (Garofoli 1992) de leurs trajectoires productives. Il existerait, pourtant, un basculement, daté des années 1999/2000 pour le Canavese, de 2003 pour le bassin minier, où les socles des savoirs et des savoirs-faire traditionnels n’ont plus eu la capacité d’incorporer de nouvelles connaissan- ces, et où de nouveaux apports et compétences exogènes ont contribué à reconfigurer le SLI et le territoire. Les tendances ou événements aboutissant à ce phénomène étaient présents avant et après ces périodes considérées comme nœud des transitions. Ce renouvellement progressif des systèmes localisés d’innovation s’est répercuté, par contre, dans les deux cas, de façon brutale sur les territoires qui n’avaient pas anticipé une telle remise en cause.

3.1. La remise en cause des trajectoires initiales des SLI

Les caractéristiques qui avaient fait la cohérence des modèles antérieurs, en termes d’activités, de gouvernement des entreprises, d’organisation productive et de marché du travail se sont transformées. Elles ont été à l’origine des redéfinitions des SLI.

3.1.1. Les transformations des activités

L’activité s’est transformée à partir d’une succession d’évolutions technologiques et productives pour le Canavese et à partir, pour le bassin minier de Provence, d’une rupture conduisant à l’abandon progressif de l’industrie lourde pour la microélectronique.

La force de l’entreprise Olivetti avait été, de sa création aux années 1996, sa capacité à pro- duire et à endogénéiser des nouveaux savoirs et savoir-faire et ainsi à renouveler ses activités, ses produits, ses marchés et ses ressources (innovations incrémentales). Trois tentatives ont été effectuées pour faire évoluer sa trajectoire technologique. A partir de 1959, l’entreprise s’était petit à petit reconvertie dans l’électromécanique, ce qui n’a pas empêché son rachat en 1978 par un industriel qui en devient actionnaire majoritaire. Celui-ci a infléchi la spécialisation de la société en investissant prioritairement dans la fabrication de matériels informatiques (mini- informatique et machine outil à commande numérique). L’échec de cette orientation a conduit les managers et les financiers, nouveaux propriétaires, à une réorientation radicale de l’activité de l’entreprise consistant en l’abandon de la spécialisation manufacturière pour s’orienter vers les services de télécommunications (téléphonie, centres d’appel, etc.). On peut estimer qu’Oli- vetti est démantelée en 1999/2000, toutefois un certain nombre d’activités profitent toujours indirectement des accumulations de savoirs et de savoir-faire réalisées par l’entreprise2.

2 En particulier les entreprises d’estampage à chaud (3 000 salariés), de mécatronique, les fournisseurs de l’industrie automobile (Pininfarina…).

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La fin de l’extraction du charbon dans le bassin minier de Gardanne était prévue et organisée de longue date au niveau national lorsqu’elle a effectivement eu lieu en 2003.

Dès les années 1960, l’Etat centralisé avait décidé d’une politique de rupture programmée avec l’industrie lourde. Ainsi, dès les années 1970, dans la dynamique de la planification française, des entreprises de microélectronique ont été aidées par l’Etat à s’installer dans la zone est du bassin, dans le triangle Peynier-Rousset-Fuveau (PRF) (Gardanne se trou- vant à l’ouest). La zone de Gardanne est alors promise à un lent déclin industriel tandis que celle de la PRF a vocation à se développer. Le premier des établissements qui s’est installé est issu du groupe nationalisé français Thomson. Il met au point et produit des puces électroniques pour les producteurs d’ordinateurs. Il s’est développé rapidement et compte en 1993 plus de 1000 salariés puis en 2003 plus de 3000. A partir de connais- sances internes au groupe et d’un lien fort avec les unités de recherche publiques natio- nales et régionales, il a innove en interne et a développé des relations avec les unités de recherche académiques de la région. Ses ingénieurs ont été à l’origine de la création de spin offs : les unes en tant que fournisseurs ou prestataires de services, les autres sur des segments d’activités concurrents ou parallèles. Ce mouvement aboutit rapidement à la constitution d’une zone regroupant des établissements de grands groupes multinationaux3 et des PME dépendantes.

Alors que le SLI du Canavese a évolué d’une mono-industrie vers une diversification, le bassin minier qui s’était diversifié après guerre a été l’objet d’une politique d’investis- sement sur une seule filière.

3.1.2. Vers une même suprématie des managers du capitalisme financier

A l’origine, les capitaux des entreprises étaient soit familiaux, soit détenus par l’Etat.

Le gouvernement de l’entreprise était désigné par chacun des propriétaires .Dans le cas d’Olivetti, le propriétaire en assurait la direction ; dans celui du bassin minier, la puissance publique nommait des managers issus pour la plupart du corps des ingénieurs d’Etat.

Depuis, les deux systèmes ont eu besoin, du fait de la concurrence et de leur obligation d’investir et d’innover, de capitaux supplémentaires que ne pouvaient leurs procurer les propriétaires, ce qui les a obligés à avoir recours à des financiers extérieurs. Ce tour- nant est caractéristique du passage d’un capitalisme industriel à un capitalisme financier (Vercellone, 2003), le premier essayant de construire une entreprise sur le long terme en comptant sur des plus-values régulières réinvesties, le second sur la rentabilité rapide du capital investi permettant de satisfaire les actionnaires4 non industriels.

Ainsi dès les années 1964, la « famille » Olivetti a choisi de se retirer de l’entreprise en vendant ses actions à certaines banques et à des industriels régionaux. Malgré cette subs- titution des capitaux industriels et bancaires à un capital familial, les ressources finan- cières réunies n’ont pas suffi à la réalisation des projets en cours. Des investissements nouveaux ont été nécessaires en 1978. Ils ont conduit à l’ouverture du capital industriel à des capitaux financiers représentés par le manager De Benedetti; l’entreprise a été, ainsi, cotée en bourse, ce qui lui a permis de lever de nouveaux fonds et de se donner une nou-

3 Une des spin offs de l’établissement Thomson Micro-électronique devenue un concurrent a eu une croissance rapide. Elle a été rachetée par une multinationale américaine Atmel et dispose en 2003, d’environ 900 salariés.

4 Notons que certains de nos interlocuteurs nous ont fait remarquer que les « industriels » étaient originaires de Piémont alors que, selon le modèle berlusconien, les « financiers » étaient milanais.

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velle capacité d’investissement. L’organisation et le gouvernement de l’entreprise ont été totalement modifiés. Puis, en 1996, l’actionnaire principal Colaninno a effectué diverses opérations financières en vendant par segments d’activité le patrimoine d’Olivetti et a institutionnalisé ainsi son démantèlement dans les années 1999-2000.

Le bassin minier a lui aussi beaucoup évolué, La centrale thermique qui appartenait préalablement au groupe nationalisé minier a été privatisée au sein d’un groupe éner- gétique espagnol. Pechiney est devenu, suite à une OPA, la propriété d’une multinatio- nale canadienne. Les grandes entreprises de microélectronique ont été intégrées dans des groupes multinationaux cotés en bourse, dont les actionnaires sont souvent des fonds de pension américains ce qui leurs a donné des capacités d’investissements mais les a obligés à une rentabilité rapide. Ces conditions de financements, l’automatisation des procédés qui a rendu la qualification des travailleurs moins indispensable qu’auparavant, les bas coûts de la main d’œuvre dans les pays émergents ont fragilisé la pérennité de ces entreprises sur le territoire : ainsi, les crises « structurelles » se sont multipliées. Une menace pèse en permanence sur les entreprises de microélectronique, les conduisant à un marchandage vis-à-vis des acteurs publics : des avantages toujours supérieurs contre le maintien de l’entreprise et des emplois existants sur le territoire. Au sein de chaque entreprise, le centre de décision paraît toujours plus lointain : si les ingénieurs se satisfont de leur apparente autonomie par rapport à l’autorité centrale et de l’internationalisation des relations de travail, les ouvriers craignent la concurrence mondiale. Le passage du capitalisme industriel au capitalisme financier modifie ainsi radicalement les relations entre les acteurs au sein du SLI.

3.1.3. Vers une même organisation en réseau pour les deux SLI ?

L’organisation verticale et intégrée d’Olivetti a été remise en cause à partir de la fin des années 70, une partie des tâches de production a été abandonnée aux fournisseurs et certains services ont été sous-traités. La logique de compétitivité par les prix est devenue la politique exclusive de l’entreprise, provoquant la fermeture de certaines unités. Les modifications de trajectoires (1959, 1978) ont conduit à un premier démantèlement du

« système » Olivetti et ont obligé certains salariés techniques à « sortir » de l’entreprise et à créer leurs sociétés (fournitures de matériel électronique et informatique), rachetées par la suite par les concurrents d’Olivetti. Lors de la vague de licenciements en 1996, des boutiques d’informatique ont été créées mais ont rapidement disparu. Ces PME-PMI ont été des pourvoyeurs d’emploi pour les salariés licenciés de la grande entreprise. Au fil de ces restructurations, le SLI s’est lui-même diversifié en termes de secteur et de taille avec, d’abord, l’émergence d’entreprises sous-traitantes d’Olivetti, puis avec des sociétés totalement indépendantes (Désintégration productive, Brusco 1980).

Le bassin minier s’était ré-organisé, soit autour de la vieille industrie à Gardanne, soit autour de la microélectronique à PRF. La première zone a une activité relativement variée, elle regroupe actuellement deux établissements appartenant à des multinationales, leurs sous-traitants et des PME indépendantes. La seconde, mono-industrielle, reste totalement dépendante de l’activité de grands établissements. Mais l’intégration de ces sociétés dans des groupes multinationaux les ont toutes conduites d’une part, à adopter une organisation de type réticulaire où chaque unité interne est mise en concurrence avec un prestataire et d’autre part, à stabiliser la complémentarité prestations de service/recours à la main d’œu-

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vre précaire. Dans le premier cas, le réseau est composé d’un tissu d’entreprises très varié, dans le second d’un faisceau de sociétés dépendant de deux donneurs d’ordre.

Les deux SLI n’ont plus une organisation hiérarchique aussi identifiable qu’aupara- vant, l’importance d’une sous-traitance de nature très variée brouille les chaînes de com- mandement et remet en cause leurs cohésions.

3.1.4. Vers une diversité identique des marchés du travail

Les évolutions technologiques successives d’Olivetti ont obligé à revoir les lignes et les processus de production : les machines outils à commande numériques ont été intro- duites dans les ateliers et la fabrication a été automatisée. L’entreprise a donc été amenée à recruter des jeunes ingénieurs et techniciens formés dans le système éducatif à l’électro- nique et à l’informatique. Si les écoles professionnelles internes ont continué d’opérer la reconversion des techniciens et des ouvriers qualifiés, elles n’ont plus eu l’entière maîtrise de la formation des salariés. De façon concomitante, faute de capacité de recrutement de personnel spécialisé suffisant, Olivetti a commencé à avoir recours à des petites entrepri- ses de sous-traitance possédant des savoirs et des savoir-faire en électronique. Ces évolu- tions difficiles ont entraîné, à la fois, de nouveaux licenciements, des créations de sociétés par les salariés, sociétés qui sont devenues concurrentes les unes des autres, et le déve- loppement du travail précaire et indépendant. Le démantèlement de la grande firme à la fin des années 90 a eu comme conséquences, d’une part, la suppression du marché interne du travail et des ses emplois périphériques, d’autre part, une ré-affectation de l’ensemble des emplois du Canavese entre différentes entreprises. Globalement, les salariés licenciés ont, pour les plus âgés, bénéficié des mesures nationales liées aux difficultés économiques ou de retraites anticipées. Les plus jeunes ont relativement facilement retrouvé un emploi dans les nouvelles entreprises du territoire ou dans la conurbation de Turin. Le marché du travail « interne » d’Olivetti a éclaté sans avoir été préalablement été flexibilisé. Les nouveaux emplois sont plus fragiles, plus précaires qu’à la période précédente et régulés sur le marché externe. Les emplois du secteur industriel manufacturier ont été réduits (51% fin des années 90) au profit du tertiaire (45%). Alors qu’autrefois, Olivetti était le principal employeur du territoire, les PMI-PME sont aujourd’hui devenues les principaux pourvoyeurs d’emplois. Par ailleurs, l’ampleur des licenciements et la disparition des ren- contres et négociations régulières entre direction et syndicats ont multiplié les tensions et les petits conflits non régulés sur le territoire. Consécutivement, l’Etat italien a amélioré son système sanitaire, assuranciel et éducatif minorant ainsi le caractère exceptionnel du système social local.

La stratégie étatique de reconversion du bassin minier était de remplacer le marché interne du travail des entreprises de l’industrie lourde par des marchés du même type dans la microélectronique. Lorsque la mine a fermé, aucune politique de reconversion vers d’autres emplois n’a donc été mise en place, ses salariés ont été mis à la retraite avec la totalité de leurs rémunérations à moins de quarante cinq ans. La politique publique était de concentrer les efforts sur les jeunes du bassin : il était prévu que les emplois qui avaient été supprimés seraient compensés par des créations de postes dans les entreprises nouvellement instal- lées. Pour adapter la main d’œuvre des jeunes du bassin minier aux emplois qualifiés de la microélectronique, des formations ont été mises en place. Mais les crises « cycliques » de l’industrie microélectronique ont modifié l’offre de travail. Alors qu’auparavant, la produc-

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tion était assurée par le couple ingénieur-technicien/ouvrier très spécialisé sur une chaîne semi-automatique, la robotisation a conduit les entreprises à privilégier une main d’œuvre d’une part, de haut niveau (ingénieurs, chercheurs) pour adapter le produit à la clientèle d’autre part, non qualifiée pour accompagner la production. Le recrutement d’ouvrier ou de technicien qualifié n’a plus été nécessaire. Par ailleurs, ces entreprises ont augmenté leur motricité en augmentant la part de leurs activités effectuées par des prestataires de services et par de la main d’œuvre intérimaire. Cette nouvelle configuration doit permettre d’alléger ou de faire croître l’appareil de production sans modifier le nombre des employés permanents. La flexibilité semble, maintenant, être plus supportée par l’environnement des entreprises (petites entreprises, sous-traitantes, territoires, salariés non permanents etc.) que par les firmes elles-mêmes. Mais, dans le même temps, celles-ci sont devenues plus dépen- dantes de compétences qui leurs sont extérieures.

Les marchés internes du travail aux entreprises se sont ouverts sur le marché externe dans le but d’acquérir plus de flexibilité. La disparition de la suprématie du marché interne est directement liée au démantèlement d’Olivetti dans le Canavese ; l’ouverture sur des marchés externes s’est réalisée sur le bassin minier par les entreprises elles-mêmes. Dans le premier cas, le socle de savoirs n’a été utilisé que pour reconvertir l’ancienne mécani- que en un nouveau segment d’activité, de nouvelles connaissances exogènes ont permis une diversification de la zone. Dans le second cas, le socle des savoirs constitué autour de l’industrie lourde a été abandonné pour en créer un autre autour de la microélectronique.

Dans les deux cas, alors que la main d’œuvre était qualifiée et composée de compétences qui interagissaient et évoluaient les unes avec les autres, on observe une tendance à la segmentation de la main d’œuvre entre des travailleurs très qualifiés employés dans des nouvelles entreprises et ceux de bas niveaux de qualification, salariés dans les entreprises traditionnelles issues des anciennes compagnies.

3.2. Les effets des évolutions du système localisé d’innovation sur le territoir

Les modifications dans l’activité productive des deux SLI ont interagi directement sur les territoires en remettant en cause leur cohésion sociale.

3.2.1. Dilution du territoire Canavese dans la province

Dans une population en faible croissance (+ 0,77 %), le déclin des activités de l’entre- prise Olivetti n’a pas entraîné, sur le territoire, de suppression nette d’emplois entre 91 et 95 : il a accru le chômage (6 % en 1996, 8,5 % en 1999), en particulier celui des jeunes, et a entraîné de façon prématurée des départs à la retraite. Selon certains de nos interlocuteurs, ce recul relatif5 n’aurait pas provoqué de crise sociale, le poids de la famille « italienne » ayant amoindri le traumatisme du chômage pour les jeunes et de la retraite pour les plus âgés. D’autres considèrent que la généralisation de la crise au niveau national et européen a atténué la capacité des salariés du Canavese à réagir. L’effet le plus visible de l’éclatement de l’entreprise, outre les conséquences sur l’emploi et le niveau de vie des citoyens, a tenu à la disparition de l’acteur propriétaire-dirigeant d’Olivetti et unique représentant et organi- sateur du territoire. Pendant plus de 50 ans, les intérêts et les projets de l’entreprise étaient

5 Pas de solde négatif d’emplois d’après le secrétaire général de la CIS du Canavese.

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confondus avec ceux du territoire. Les crises successives ont dissocié les un s des autres.

Ainsi, après la disparition d’Adriano Olivetti, d’autres managers ont repris le gouvernement de l’entreprise, ont tenté avec plus ou moins de réussite de conduire une stratégie indus- trielle pour le groupe et d’imaginer la survie de l’activité manufacturière mais aucun n’a pu ou voulu succéder « à la famille » en tant qu’acteur structurant le Canavese L’absence de ce catalyseur d’énergies a été analysée par nombre de nos interlocuteurs comme une cause du manque de projet unificateur sur la zone.. Cette gouvernance personnalisée et centralisée autour d’un seul acteur, l’image qui continue d’être prégnante de l’entrepreneur de la grande industrie, conducteur de la « communauté », les conditions du démantèlement de l’entre- prise ont exacerbé la concurrence entre les PME-PMI et rendu difficiles les coopérations entre les différents acteurs du développement économique territorial.

3.2.2. Rupture au sein du bassin minier conduisant à l’émergence de nouvelles con- figurations territoriales

Le bassin minier a bénéficié d’un taux de chômage inférieur à celui du département et de la région, mais cet avantage s’est amoindri au fil des ans: en 1999, le taux de chômage est de 14 % en 1999 contre 19,5 % pour le département et de 17,3 % pour la région ; entre 1990 et 1999, il atteint 22,5 % tandis que l’augmentation de celui du département était de 5,9 % et de la région de 6,2 %. Par ailleurs, le nombre des emplois aidés ou des individus soutenus financièrement par l’Etat (RMI) n’a cessé de croître. La fermeture de la mine a signifié le désengagement de l’Etat national de la zone ce qui a bousculé les représentations que les habitants avaient du territoire et de son avenir. Dès les années 1970, le « nouveau », les secteurs « high tech », les qualifications techniques élevées, la zone de PRF ont été valorisés au détriment de l’ancien, de la vieille industrie, des capa- cités ouvrières, de la zone de Gardanne. L’image diffusée du futur du bassin était tout entière tournée vers cette « modernité » et vers cette nouvelle stabilité où le bassin minier disparaît au profit d’une nouvelle configuration locale, « les pays d’Aix ». Les premières crises de la microélectronique ont remis en cause cet avenir radieux. Ainsi, alors qu’avait été promis la fin des conflits avec le passage « des gueules noirs aux blouses blanches », les tensions et les grèves se sont multipliées dans la zone PRF au gré des fermetures et des restructurations d’entreprises. Le territoire était auparavant gouverné par une coalition réunissant les ingénieurs représentants de l’Etat et les représentants des travailleurs. Le désengagement de l’Etat, les bouleversements subis par le tissu industriel ont remis en cause cette alliance. Chacun prône l’émergence d’acteurs publics et privés locaux mais pour le moment et en leur absence, surgissent, selon les enjeux des « personnalités » qui se saisissent ponctuellement des problèmes en cours.

Les évolutions des deux SLI ont largement remis en cause la stabilité des deux territoi- res et entraîné une rupture qui a contribué à faire éclater le socle de connaissances com- munes construites au cours du temps. Alors qu’ils étaient nettement distinguables l’un de l’autre dans la façon dont ils s’étaient construits, ils tendent maintenant à converger : remise en cause du territoire en tant qu’entité économique, manque d’acteurs capables de proposer des projets et de gouverner, déliquescence de l’unité sociale, etc. Le Canavese et le bassin minier semblent rentrer dans le droit commun propre à leurs pays respectifs : tentative de constitution d’un gouvernement local uni pour l’Italie et volonté de faire émerger des acteurs publics locaux pour la France.

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4. Les politiques de renouvellement des territoires

Les années 1999/2000 ont marqué le début du dépeçage de l’entreprise et le retour du Canavese dans la « normalité italienne » ; la date de 2003 est celle de la fermeture de la mine et l’époque où le bassin minier enterre la co-gestion Etat-travailleurs et l’emploi à vie. Ces deux basculements ont en commun de faire éclater le socle de connaissances et de compétences communes qui constituait la cohérence et la cohésion sociale du territoire, de casser la superposition entre les SLI et les territoires. Pour y faire face et pour créer un avenir à ces territoires, différents acteurs mettent en œuvre des dispositifs variés.

4.1. Des dispositifs de reconversion

La stratégie des collectivités locales part de l’idée que les deux SLI n’ont plus en eux-mêmes la capacité de se renouveler et qu’il est nécessaire d’intervenir directement grâce à une politi- que coordonnée a priori faisant interagir des ressources internes et externes aux territoires.

4.1.1. Le Canavese convoque la quasi-totalité des outils publics

Devant le vide provoqué par la disparition de l’acteur-organisateur et par la dissociation entre les intérêts de la grande entreprise et ceux du territoire, les institutions régionales, en utilisant les aides de l’Etat, tentent de mettre en place des instances de partenariat et de négociation public-privé capables de définir comme de conduire la reconversion et le renou- vellement du territoire. Ces initiatives se déclinent entre de multiples actions: certaines ont facilité la modernisation et le développement des entreprises déjà installées sur la zone, d’autres ont attiré de nouveaux centres d’activités, d’autres encore ont été à l’origine de l’amélioration des infrastructures locales. Trois axes principaux sont mis en œuvre :

• Une aide à l’innovation pour les PME-PMI.

A l’initiative de la province, de la commune d’Ivréa, de l’association industrielle du Canavese et de la société Olivetti, le consortium du District technologique du Canavese a été constitué en 1994. Sa vocation initiale était de favoriser le développement économique de la zone en permettant la diffusion des innovations technologiques effectuées par Olivetti et en promouvant les nouveaux agencements d’aide publique. Il a effectivement mis à la disposition des PME-PMI des biens collectifs et une infrastructure publique leur permettant de réaliser des économies d’échelle: création de laboratoires spécialisés ou centres tech- niques réalisant à façon des projets de recherche en liaison avec les compétences de la région, financement de plates-formes instrumentales, supervision d’unités de certification des produits et de qualité. Il contribue à actualiser les savoirs et les savoir-faire techniques qui étaient le support de la spécialisation du Canavese et permet ainsi à des entreprises d’implantation ancienne de continuer à être compétitives sur les marchés. Il soutient le tissu industriel médian du territoire qui, d’une part, assure la pérennité de l’activité économique et d’autre part, occupe une proportion non négligeable de la main d’œuvre locale de qualifi- cation « moyenne ». Toutefois, le consortium n’a été jusqu’ici ni le catalyseur de l’entrepre- neuriat territorial, ni une force de projets pour le développement local.

• Le développement de nouveaux centres d’activités high tech.

Créé à partir de la collaboration entre la filiale d’une multinationale suisse du médica- ment et un enseignant de l’université de Turin, le parc de bio-technologies du Canavese

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propose différents services à des entreprises innovantes (valorisation, incubation, locaux, plate-forme d’instruments à la pointe des techniques biologiques). Ces investissements ont attiré, à ce jour, des entreprises de la chimie, de la pharmacie, du diagnostic vétéri- naire, de l’agroalimentaire, de bio-ingenierie, d’informatique, etc. Autour de ce parc, se réunissent des compétences de très haut niveau provenant de l’université (doctorants, post-doctorants…) et de l’entrepreneuriat individuel. L’objectif est de transformer des connaissances génériques en savoirs et savoir-faire spécifiques pour concevoir des nou- veaux produits, par exemple, pour les grandes entreprises pharmaceutiques ou pour assu- rer un segment de cette production. Ces nouvelles activités attirent à la fois de nouveaux entrepreneurs de la région mais aussi de l’ensemble de l’Italie et de l’Europe, tout comme des compétences scientifiques et organisationnelles variées, de toutes origines. L’impact d’un tel parc sur le développement local et l’emploi est actuellement non mesurable et ce n’est que dans quelques années qu’une réelle évaluation pourra être réalisée. Toutefois, il attire de nouvelles entreprises et des nouveaux savoirs et savoir-faire et contribue à créer un milieu innovant. Mais le parc est en rupture avec le socle des compétences tra- ditionnelles de l’industrie canavese et a peu de chances de développer un mouvement de fertilisation croisée entre l’ancien et le nouveau.

• La promotion de la coopération locale permettant de développer les infrastructures publiques et l’emploi.

La loi sur les pactes territoriaux incite les communes, les partis politiques, les syndicats professionnels et de travailleurs, les agences de développement à se concerter et négocier différents projets visant à la fois le système éducatif et les infrastructures locales. Le pro- jet de pacte territorial consiste à substituer un collectif d’acteurs au conducteur unique de la période précédente. Le pacte est à l’origine de certaines opérations dont les résultats sont contestés par certains. Ainsi, alors que pour de nombreux habitants, il représente une initiative positive pour reconstruire une capacité de gouvernement économique et social du territoire, il engendre aussi de nombreuses déceptions et apparaît parfois seulement comme un lieu de débats publics.

4.1.2. Le bassin minier cible différentes actions et différentes populations

Les acteurs publics locaux ont pris le relais de l’Etat dans la conduite de la stra- tégie de reconversion en l’absence de réelles possibilités de coopérations avec les entreprises. Leurs interventions se répartissent entre mesures défensives et offen- sives. Dans le premier cas, elles visent à améliorer l’environnement des entreprises pour les empêcher de se délocaliser ; dans le second, elles tendent à créer de nouvel- les interactions entre elles et le territoire.

La principale mesure défensive est l’allégement des charges des entreprises de micro- électronique. De crainte de voir les deux grandes firmes de microélectronique délocaliser leurs activités, l’Etat a participé au financement de nouveaux locaux industriels, les com- munes ont accordé des exonérations d’impôts. Ces mesures n’ont eu, dans le meilleur des cas, qu’un effet ponctuel, et ne semblent pas être en mesure de lutter contre les stratégies financières des holdings internationaux.

Le dispositif offensif est centré sur trois mesures :

• L’aide à la création et l’installation de PME-PMI de haute technologie.

Dès les années 70, l’entreprise minière encouragée par l’Etat et la communauté euro-

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péenne, a créé sur chacun des bassins miniers des cellules de reconversion. Grâce aux fonds nationaux d’Etat et européens, la cellule du bassin minier de Provence a accompa- gné, depuis une quinzaine d’années, la création de PME-PMI de haute technologie. Son bilan peut apparaître statistiquement positif mais on peut aussi constater que la plupart des entreprises créées se sont installées sur le territoire pour profiter d’effets d’aubaine.

Ces localisations ont été souvent temporaires, elles n’ont pas entraîné de création d’em- ploi, les créateurs n’étaient que rarement originaires de la zone.

• Une aide à l’innovation pour les PME de la microélectronique.

Les établissements de microélectronique provençaux sont dédiés à la production stan- dard mais aussi spécifique. Le conseil régional, grâce à des crédits de recherche euro- péens, finance une association chargée de mettre en relation les petites entreprises et les laboratoires de recherche académique : des projets innovants sont ainsi financés, des jeunes chercheurs sont mis à la disposition des entreprises etc. Selon ses évaluateurs, ce dispositif fonctionne et il est prévu dans le futur qu’il soit développé.

• L’installation d’un appareil de formation de haut niveau.

La direction des écoles des mines (Etat/ corps des ingénieurs) a décidé de l’implanta- tion d’un établissement à Gardanne spécialisé dans la microélectronique; cette école va à la fois former de jeunes ingénieurs et accueillir des unités de recherche public-privé.

Cette opération complète le dispositif précédent.

Malgré leurs différences, dans les deux cas, les outils de reconversion ont été prioritaire- ment utilisés pour attirer ou créer du « nouveau » à partir de ressources exogènes. Les savoirs et les savoir-faire accumulés collectivement et qui avaient su faire évoluer les SLI jusque dans la fin des années 1990 et 2000 n’ont pas été explicitement utilisés pour la reconversion de ces territoires. Ils n’ont été employés que de façon tacite et partielle sans qu’il soit fait publicité de leur participation à la nouvelle dynamique économique et sociale. Seuls l’exogène et le high tech ont été présentés comme porteurs de renouveau. Pourtant, il semble que certaines qualités de la main d’œuvre et des acteurs du territoire puissent être considérées comme des aménités contribuant à attirer de nouveaux acteurs économiques. Ces qualités de productivité, de régu- larité, de connaissance du monde du travail, de solidarité au sein d’une communauté produc- tive, etc. ont été acquises à la période précédente. Comme on a pu dire que le travail du pay- san-mineur avait préparé le bassin minier aux activités des salariés de la période précédente, ne peut-on dire que les redéfinitions continuelles des deux SLI étudiés et de leurs territoires ont permis la formation, chez les habitants et les travailleurs, d’une capacité d’adaptation ?

4.2. L’avenir de ces territoires

Le privilège accordé aux ressources exogènes par rapport aux socles de connaissan- ces accumulées prédispose les deux territoires à sortir de leurs frontières antérieures.

Toutefois, alors qu’ils avaient tous les deux, et de façon différente, une trajectoire aty- pique par rapport au développement de leur pays, la redéfinition de leurs contours est conforme au mouvement que l’on observe en Italie et en France.

4.2.1. Vers une intégration du Canavese dans la zone métropolitaine turinoise D’après certains acteurs de la zone, le rôle de l’entreprise Olivetti dans le passé, son lent démantèlement, la disparition de la famille comme guide et acteur-manager du

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territoire auraient mis à mal sa stabilité et son développement. Les résultats économiques et sociaux ne paraissent pas si détériorés que ce qu’il en est dit, mais le SLI construit autour de l’entreprise Olivetti a éclaté. Les entreprises sont attirées par le Canavese plus en raison de son intégration dans la zone métropolitaine turinoise que par sa spécificité locale, les habitants de la zone ont une activité professionnelle étendue à la région, tandis que nombreux sont les turinois qui viennent travailler sur le site. Pourtant, une partie de la population ne semble pas accepter que le Canavese se fonde dans le reste de la province, de la région et du pays et qu’il perde son statut d’exception. Et il est vrai que certaines firmes recherchent le savoir-être particulier du territoire. Mais, jusqu’à présent, aucun gouvernement territorial cohérent n’a pu se substituer au pouvoir local et lutter contre la dilution du Canavese dans la zone métropolitaine turinoise.

4.2.2. L’intégration possible dans un pôle de compétitivité institutionnalise la fin du bassin minier en tant que territoire ?

Les crises successives de la microélectronique ont montré la fragilité de la spécialisation sur un seul secteur. Les communautés villageoises et professionnelles du bassin minier, leurs acteurs publics soutiennent donc actuellement un développement mieux réparti et plus durable associant nouveau et ancien, grande entreprise et PME, s’appuyant sur les compétences « moyennes » des individus. Elles regardent vers les nouvelles configurations productives et administrativo-politiques qui pourraient permettre d’assurer la stabilité du territoire et d’encaisser les à-coups conjoncturels. Ainsi avec la fin des aides publiques qui avaient contribué à institutionnaliser le territoire « bassin minier », celui-ci ne semble plus avoir d’avenir devant lui en tant que tel. Toutefois, l’installation de l’école des mines et d’unités de recherche public-privé sur la zone autrefois circonscrite à des activités « ancien- nes », l’insertion du SLI « microélectronique » dans le pôle de compétitivité « Solutions Communicantes Sécurisées (SCS) » qui réunit les activités des Bouches du Rhône à celles de Sophia Antipolis, lui ouvre une nouvel espace géographique d’intervention.

Conclusion

Les deux systèmes productifs étudiés ont évolué dans un processus de continuelle redé- finition, de restructuration, et de ré-localisation de leurs activités (Garofoli, 1992; Raveyre, 2005) au cours des vingt dernières années. Les socles de savoirs et de savoir-faire qui les constituaient se sont modifiés par endogénéisation de nouvelles connaissances, le tissu pro- ductif a été modifié de façon incrémentale. Ces changements ont interagi avec les territoires dont les configurations ont été peu à peu remaniées, tout en gardant leur patrimoine cognitif spécifique. Puis, une rupture dans la cohérence de ces systèmes économiques et sociaux est intervenue, en raison de l’introduction massive de connaissances et de compétences trop éloignées du socle traditionnel de savoirs et de savoir-faire pour pouvoir y être intégrées dans des délais très courts. Cette rupture est gage de ce que la constitution d’un socle de connaissances communes au sein d’un SLI de tradition ancienne ne crée pas automatique- ment des irréversibilités contraignant ses évolutions. Mais elle ne signifie pas, pour autant, que les ressources anciennes n’aient pas été reconverties et qu’elles n’aientt pas profité au développement de nouvelles activités. Dans la stratégie de valoriser toujours le « nou- veau », les savoirs et les savoir-faire anciens ne sont plus visibles. Ils ne peuvent plus être

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