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Géographie Économie Société : Article pp.135-142 du Vol.21 n°1-2 (2019)

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Géographie, Économie, Société 21 (2019) 135-141

Comptes Rendus

Yuna Chiffoleau, 2019, Les circuits courts alimentaires. Entre marché et innovation sociale, Toulouse, Erès, Collection Sociologie économique.

Face à l’essor multiforme des circuits courts, Yuna Chiffoleau présente à la fois une mise en perspective de leur généalogie dans le cadre français et une analyse plus théo- rique, appuyée sur la sociologie économique, des formes de leur diffusion.

Cet ouvrage est indissociable de la trajectoire de son auteure, chercheuse sur ces ques- tions au sein de l’INRA. Deux grands terrains émergent. Le premier renvoie à son rôle au d’experte d’abors au sein du « groupe Barnier » - qui réunit à partir de 2009 les prin- cipales organisations concernées par le développement des circuits courts- puis dans de multiples instances liées à ces questions. Le second est lié, là encore en position d’experte, à une expérience de mise en place d’un marché de plein air à Grabels, dans les environs de Montpellier. L’aller-retour entre ces deux terrains se révèle précieux pour l’ouvrage d’autant que les deux niveaux national et local se croisent lors de la mise en place d’un système de qualifi cation des produits au sein du marché de Grabels, qui deviendra une marque collective, Ici.C.Local, déposée par l’INRA.

La première partie « Comprendre le renouveau des circuits courts dans des modèles en crise » constitue le socle de l’ouvrage. Après avoir procédé à une généalogie de l’essor récent des circuits courts, l’auteure souligne qu’il ne s’agit pas seulement d’une rupture impulsée par des néopaysans en lien avec des consommateurs urbains mais également de l’expression de formes de résistances liées à la pauvreté et au mal-être au sein-même de la profession agricole. Le groupe Barnier constitue pour l’auteure un moment charnière – qui lui permet d’identifi er les « visions contrastées » (p. 34) des circuits courts et de réaliser une typologie de « modèles de développement » basée sur cinq critères (objectif, alliances, innovations, changement institutionnel revendiqué, champs d’action connec- tés). Elle oppose d’un côté un modèle « Métier » qui voit dans les circuits courts une opportunité de diversifi cation, notamment pour atteindre de nouveaux marchés comme la restauration scolaire, en s’ancrant dans la politique agricole française. La question de la qualité y semble marginale. Bien entendu, la FNSEA est centrale dans ce modèle. L’autre modèle, « Durabilité », inspiré en particulier par les AMAP, met l’accent sur l’idée d’une transformation plus importante, notamment en sécurisant les revenus et en soutenant ceux qui s’engagent vers plus de durabilité, ce qui pose la question des méthodes de production et de la taille des exploitations.

Ressort de ces travaux une défi nition des circuits courts comme « modes de vente mobilisant au plus un intermédiaire entre producteurs et consommateurs » mais égale-

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ment un plan d’action suffisamment large pour contenter les parties en présence. Par la suite, avec le changement d’échelle des circuits courts autour de 2010, les positions se complexifient. L’essor de start-up proposant des paniers sur internet et l’impact média- tique de La ferme du Sart à Villeneuve d’Ascq, véritable supermarché de circuits courts qui constitue une première à l’époque, remodèlent la typologie et trois nouveaux modèles émergent et coexistent avec les deux précédents. L’auteure les dénomme « Entreprise » (où l’importance des NTIC est décisive tout comme les modes de financements inédits) ;

« Projet » (cela renvoie à l’émergence de systèmes alimentaires territorialisés, appuyés par la participation de la société civile) ; et enfin le modèle « Communauté » qui hybride différents principes des autres modèles (rémunération décente des producteurs, fixation du prix par les producteurs, implication des citoyens malgré le biais plutôt entrepreneu- rial, la figure centrale étant La ruche qui dit oui !).

Le second chapitre tente de décrire ce que sont les circuits courts dans les faits et d’identifier leurs impacts, dans une perspective de transition. Sans surprise, la réalité est très diverse et très différenciée notamment selon la taille des exploitations et le type d’agriculture. L’auteure questionne différents indicateurs, notamment les études comme celles de l’ADEME qui mettaient en cause les émissions de gaz à effet de serre des cir- cuits courts à cause d’une logistique inappropriée dans les derniers kilomètres (effec- tués en camionnettes). Elle propose des résultats alternatifs, par exemple en comparant des tomates venues d’Espagne et d’autres produites localement (dans le périurbain de Montpellier). Revenant sur « son » marché de Grabels, elle décrit les tensions et effets d’apprentissage liées aux discussions sur la définition d’une charte par les participants : elle met en évidence un processus d’approfondissement vertueux autour de la question de la définition du « court ». Au-delà des nombreuses thématiques passées en revue (nou- veaux indicateurs, nouvelles attentes des consommateurs, réflexions sur le prix juste, sur l’accès des moins aisés aux circuits courts), il nous semble que c’est la description de la coexistence de pratiques et modèles distincts qui est le point majeur de la démons- tration. En particulier, l’auteure rend compte de façon vivante du fait que les différents conseils/ discussions entre pairs - à propos des bonnes pratiques mais aussi des modalités de leur mise en œuvre - favorisent le développement de circuits courts mais permettent également de les orienter vers plus de durabilité. Certains producteurs bio jouent d’ail- leurs un rôle décisif dans ces évolutions. Dans d’autres contextes et recherches, ce sont des consommateurs engagés qui remplissent cette fonction d’orientation, mais dans les terrains qu’elle nous donne à voir, les agriculteurs et leurs organisations donnent le ton.

Le troisième chapitre, « S’appuyer sur les circuits courts pour penser et agir différem- ment », expose les modalités par lesquelles des expériences de circuits courts peuvent devenir des innovations sociales au sens fort, c’est-à-dire capables de promouvoir des transformations institutionnelles. À partir de deux exemples (le marché de Grabels et une expérience de distribution de produits frais issus des circuits courts par les Restos du cœur), l’auteure se livre à un plaidoyer en faveur des potentialités que recèlent les expériences de circuits courts, dès lors qu’elles incitent les participants à réfléchir sur leur consommation ou leurs pratiques de production. D’une certaine manière, dès que sont mises en discussion les pratiques d’alimentation – dans une perspective délibérative, l’idée n’étant pas de stigmatiser les participants – on observe une transformation des pratiques vers plus de durabilité. Si les initiatives, en outre, s’inscrivent dans des réseaux

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à des échelles supérieures (comme dans le cas de la création de la marque Ici. C. Local), elles entrent alors dans la catégorie des innovations sociales au sens fort. Pour autant, d’autres initiatives penchent davantage du côté du marché et du social business : c’est le cas de certaines expériences de l’ESS, plus désireuses de « construire un segment de marché » (p. 124) autour de la récupération des invendus que d’approfondir la démocratie alimentaire ; c’est également le modèle suivi par des structures comme Fermes d’avenir ou La Ruche qui dit oui !, voire les initiatives comme celles de « C’est qui le patron ? », très favorables aux grandes surfaces.

Le dernier chapitre, beaucoup plus théorique, met en évidence la façon dont les circuits courts peuvent s’inscrire dans les analyses de la sociologie économique et contribuer à une compréhension plurielle de l’économie. Clairement inscrite dans l’approche d’Har- rison White, pour qui les marchés sont des « magma(s) d’interactions » concrets où se stabilisent progressivement les relations entre producteurs, l’auteure ajoute que, dans ce processus, certaines institutions et organisations politiques qui encadrent ces producteurs jouent également un rôle déterminant, en créant de nouvelles règles ou en se livrant à une concurrence / coopération etc. En ce sens, la sociologie économique gagnerait à concevoir les marchés dans leurs divers encastrements politiques, sociaux, culturels – bref à s’ins- crire dans le sillon des travaux (notamment ceux de l’économie plurielle autour de Jean- Louis Laville) qui replacent les marchés dans les dynamiques institutionnelles. D’autres réflexions sur l’importance de la mise en place de dispositifs pour construire et consolider la confiance entre participants – comme ce fut le cas sur le marché de Grabels (d’un côté, charte et procédure de contrôle participatif, de l’autre, retours des consommateurs et contrôle social entre pairs producteurs) permettent à l’auteure de souligner l’importance d’une hybridation entre « régulation autonome » et « régulation de contrôle » (termes empruntés aux travaux de J.-D. Reynaud), ce qui évite les écueils d’une approche uni- quement conventionnelle. Finalement, l’auteure souligne que, au-delà des déterminants sociaux souvent mis en évidence dans les travaux sur l’alimentation, les circuits courts tendent à rebattre quelque peu la donne : « le circuit court non seulement est déclencheur de bonnes pratiques, mais devient aussi (…) support d’initiation à la critique sociale, en amenant progressivement, au fil des relations, à remettre en question l’ordre établi par les modèles de marchés dominants et les politiques publiques » (p. 150-151). Il favorise d’importantes bifurcations dans les pratiques alimentaires.

L’ouvrage pose question pour certains choix sur le déroulé du raisonnement et l’exposé de la méthode. En particulier, on peine à suivre l’évolution des deux modèles (Métier, Durabilité) devenus cinq et on regrette qu’une forme de cartographie synthétique des dif- férents (gros) acteurs ne soit pas tracée, en particulier pour les dernières années. Ensuite on s’étonne que l’auteure ne tire pas suffisamment de conclusions sur son propre rôle, quand bien même son positionnement est longuement décrit (p. 11-17). Si comme elle le souligne, sa recherche est engagée, on aurait apprécié que l’auteure explique davantage certains choix ou décisions qu’elle a pris ou auxquels elle a contribué sur ses terrains.

En particulier, la description de son rôle dans le dépôt d’une marque par l’INRA – et les conséquences de ce dépôt sur l’institution auraient mérité développements.

On l’aura compris, l’auteure souligne les potentialités des circuits courts dans la construction « d’autres possibles » (p. 156). « Quelle que soit la forme du circuit court a priori », des effets de transformation peuvent s’opérer, sur les marchés, les politiques

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publiques ou la science elle-même (l’INRA n’était pas a priori destinée à s’ouvrir à ces modèles). Cette lecture, très optimiste sur les effets possibles d’une relocalisation de la production, fournit de précieux arguments, à ceux qui, chercheurs comme militants, plaident en faveur d’une rapide transition écologique. Elle constitue une illustration autant qu’un élargissement des thèses de l’économie solidaire – si on les comprend comme J.-L. Laville comme un ensemble de pratiques permettant de questionner/démocratiser l’économie à partir d’engagements citoyens. Cependant, comme le souligne l’auteure, les poids lourds de l’économie de marché, notamment la grande distribution, ont bien saisi l’intérêt à développer ce créneau des circuits courts et la floraison de multiples initiatives comme « La Nouvelle Agriculture » peut laisser sceptique l’observateur. En outre, on peut se demander jusqu’à quel point la discussion locale des problématiques liées à l’ali- mentation est nécessairement porteuse de transformations socialement inclusives : si des supermarchés coopératifs existent, par exemple, ils peinent bien souvent à toucher des populations plus précaires et à porter un modèle de transformation sociale comme l’a bien souligné El Karmouni dans le cas de La Louve1. En ce sens, l’effet presque « mécanique » des transformations impulsées par les circuits courts sur la démocratisation des pratiques (comme mise en discussion et diversification des publics) renvoie peut-être à un excès d’optimisme de l’auteure. Enfin, on notera que cet ouvrage est une contribution impor- tante aux travaux sur l’innovation sociale. En mettant l’accent sur les institutions, sur les bifurcations des trajectoires, l’auteure réfléchit aux formes non-linéaires de diffusion de ces innovations. Elle souligne aussi que l’approche de l’innovation sociale par les fina- lités (combler des besoins non satisfaits) ne suffit pas à caractériser une transformation institutionnelle.

Pour conclure, cet ouvrage est un jalon important dans la compréhension des circuits courts et dans leur appréhension théorique par la sociologie économique. Si toutes les analyses n’emportent pas nécessairement la conviction, force est de reconnaître que l’au- teure, par ses recherches engagées, a su allier l’optimisme de la volonté à l’intelligence de la raison.

Paul Cary Univ. Lille, EA 3589 – CeRIES F-59000 Lille, France

© 2019 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Gérard Chouquer & Marie-Claude Maurel (dir.), 2019, Les mutations récentes du fon- cier et des agricultures en Europe, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté et Presses universitaires Sun Yat-sen de Guangzhou, 294 p.

Dans le contexte de la mondialisation, l’agriculture serait devenue « une activité économique comme une autre » (p. 9) au même titre que l’industrie ou les services.

Cependant, l’actualité témoigne des difficultés auxquelles font face les agriculteurs dans les domaines économiques, sociaux ou environnementaux. Pour éclairer ce décalage, l’ouvrage codirigé par Gérard Chouquer et Marie-Claude Maurel propose un panorama

1 El Karmouni H., 2017, Le travail du consommateur pour la mise en place d’une alternative : cas du super-

marché coopératif La Louve. Thèse de doctorat Gestion et management, Université Paris-Est.

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des changements sociaux récents – depuis 1945 environ – survenus dans ce secteur d’acti- vité en Europe. Pour répondre de manière originale à ces enjeux, les transformations de l’agriculture sont abordées au prisme du foncier. Ce terme, entendu au sens large, désigne ce qui « est relatif à un fond de terre et à son exploitation » (p. 10). Gérard Chouquer et Marie-Claude Maurel, auteurs de l’introduction, précisent que le foncier « s’applique au statut juridique de la terre, à la relation qui s’établit entre la propriété et l’exploitation (…) qui se trouve au cœur des rapports sociaux » (p. 10). Cette focale a été choisie par les auteurs puisque, selon eux, la gestion du foncier s’inscrit dans des traditions juridiques et historiques de longue durée. Ces dernières sont d’ailleurs restituées au fil de différentes contributions.

Cet ouvrage repose sur une approche pluridisciplinaire où sociologues, politistes, juristes, géographes, historiens et économistes apportent, en fonction de leurs compé- tences disciplinaires, un regard original et complémentaire sur ces questions. Il se divise en deux parties de tailles inégales. Dans la première, six chapitres sont consacrés aux transformations des agricultures françaises (chap. 1, 2 et 3) et européennes (chap. 4, 5 et 6). La seconde partie, plus théorique, présente différents questionnements autour des modèles d’agriculture (chap. 7, 8 et 9) et de la gestion du foncier (chap. 10).

Dans une première partie, les auteurs proposent une présentation générale des chan- gements survenus au sein des politiques agricoles en France et en Europe. Ainsi, dans le premier chapitre, Sophie Devienne revient sur les évolutions de l’agriculture en France depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. À la fin de celle-ci, la mécanisation du tra- vail a joué un rôle important dans la modernisation de l’agriculture et les systèmes de pro- duction se sont progressivement spécialisés. Cela a eu pour principale conséquence une augmentation de la productivité physique du travail toujours en vigueur aujourd’hui. Le recours à de nouvelles technologies poursuit cet effort mais, si l’agriculture traverse une

« révolution industrielle contemporaine » (p. 41), cela n’est pas sans effet aux échelles sociales (dégradation des conditions de travail des agriculteurs par exemple) et environ- nementales (pollution des sols).

Ces transformations s’inscrivent en parallèle des recompositions de l’espace poli- tique agricole (chap. 2). Clémence Guimont et Bruno Villalba montrent ainsi qu’entre les années 1945 et 1960, l’objectif politique principal était de transformer l’agriculture familiale en un secteur économique à part entière pour pouvoir subvenir aux besoins ali- mentaires du pays. Entre 1960 et 1980, la modernisation de l’agriculture est soutenue par les différents syndicats agricoles (Centre National des Jeunes Agriculteurs et Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles notamment) qui entendent contribuer aux politiques agricoles. Un système de cogestion avec l’État et les organisations profes- sionnelles a été mis en place dans ce but. À partir des années 1990, les alternances poli- tiques droite/gauche ont affaibli ce système. Schématiquement, la droite voulait maintenir ses liens avec la FNSEA alors que la gauche souhaitait une pluralité syndicale. De plus, les nouveaux traités européens des années 1990, les crises sanitaires et les nouveaux modes de production inspirés de l’agro-écologie ont concouru à remettre en cause cette politique de cogestion. Pour compléter ce portrait, Hubert Bosse-Platière (chap. 3) pro- pose une présentation de l’évolution des différentes politiques foncières françaises depuis 1804, date du Code Napoléon. Il montre qu’entre 1804 et 1980, le droit de la terre est un droit de la propriété, passant progressivement d’un droit centré sur l’individu à un droit

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centré sur la famille. À partir des années 1980, ce droit devient centré sur le patrimoine, via notamment l’émergence de pratiques de portage. Cela a eu un impact sur les usages des sols et a fait, par exemple, l’objet de différents questionnements politiques autour de la protection de l’environnement ou du développement du tourisme. Ces interrogations ont donné lieu au développement d’espaces protégés mais également à des mesures pour

« maîtriser l’activité déployée [sur le foncier] » à des fins écologiques (p. 93). Il s’agit aussi de développer des pratiques respectueuses de l’environnement et de les encourager juridiquement.

Suite à cette présentation centrée sur la France, les auteurs proposent d’étudier ces mêmes changements au niveau européen. Aurélie Trouvé et Gilles Bazin (chap. 4) retracent l’histoire de la Politique Agricole Commune (PAC) dans le contexte politique et économique européen de la deuxième moitié du XXe siècle. Ils rappellent qu’elle a été bénéfique aux agriculteurs jusque dans les années 1980, mais la concurrence inter- nationale sur le marché des biens alimentaires a conduit à des réformes, en particulier, celle de 1992. Celle-ci a permis la dérégulation des marchés et a été contrebalancée par la mise en place d’un système d’aide directe (les agriculteurs peuvent choisir les produc- tions en fonction des aides qu’ils toucheront). En 2003, ce système est interrompu et les producteurs sont amenés à choisir leurs productions en fonction des prix pratiqués sur le marché. Enfin, depuis les réformes de 1992, la PAC induit des obligations de respect de l’environnement. Cela se traduit concrètement par la mise en place du « second pilier », dédié au développement rural, à l’installation des jeunes agriculteurs ou encore au déve- loppement de l’agriculture biologique. Si, en apparence, la politique agricole commune s’est développée de manière uniforme, les chapitres consacrés à l’Europe centrale et aux agricultures méditerranéennes viennent nuancer ce constat. Dans les pays d’Europe cen- trale (chap.5), Marie-Claude Maurel montre que la décollectivisation a rétabli la propriété privée en restituant les terres confisquées ou en privatisant le capital d’exploitation. Cela n’a, paradoxalement, pas permis de « réappropriation individuelle de la terre, ainsi que de moyens de production » (p. 134). Deux cas de figures sont alors distingués. Des terres ont été accordées à de petits propriétaires qui étaient employés non-qualifiés sous les régimes collectivistes. Celles-ci, peu viables, sont aujourd’hui minoritaires. D’un autre côté, de nouvelles formes de coopératives ou d’exploitations agricoles de formes sociétaires ont vu le jour, gérées par d’anciens gérants de coopératives. Ce dualisme s’est renforcé par l’arrivée de la PAC qui tend à privilégier les secondes, notamment parce que les surfaces des premières sont trop petites pour faire l’objet d’aides. Dans le cas des pays médi- terranéens (Espagne, Italie, sud de la France et Portugal) (chap. 6), Pascal Chevalier et Guillaume Lacquement montrent que ces agricultures sont marquées par les décisions politiques ayant eu cours durant le XXe siècle (conservatisme en Italie avant 1945 et en Espagne, libéralisme en Italie après 1945, expériences collectivistes au Portugal). Il n’y a pas eu de révolution agricole proprement dite et l’adhésion à l’Union Européenne et la mise en place de la PAC ont fait rentrer ces pays en concurrence avec leurs voisins du nord, en particulier autour de la règle de la préférence communautaire. On observe une augmentation rapide du taux de mécanisation et d’intrants dans ces pays mais, paradoxa- lement, on constate un recul de l’agriculture dans ces espaces. Ces derniers sont, en effet, de plus en plus consacrés au tourisme, au déboisement (Pays Basque), au reboisement (montagne) ou à la construction de résidences secondaires.

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La deuxième partie de l’ouvrage expose les différents modèles théoriques agricoles et fonciers contemporains. François Purseigle, Guilhem Anzalone, Geneviève Nguyen et Bertrand Hervieu (chap. 7) présentent un premier modèle intitulé « l’agriculture de firme ». Ce dernier se caractérise par une importance de plus en plus grande des entre- prises agricoles, remplaçant progressivement les exploitations agricoles individuelles.

Face à l’agriculture familiale prédominante durant la deuxième moitié du XXe siècle, « la figure de la grande entreprise de type industrielle ou financière a toujours constitué un horizon à atteindre pour une partie de la profession agricole » (p. 169). Cela s’est traduit par une volonté de dissocier la terre, le capital et la famille en créant des statuts spé- cifiques d’entreprises (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun par exemple), sans toutefois que cela ne soit un réel succès. La Loi d’Orientation Agricole de 2006 a mis en place deux mesures majeures : le bail cessible hors-cadre-familial - qui permet de transmettre un bail rural en dehors du cadre familial - et le fonds agricole, grâce auquel

« [l’] exploitation [peut être] reconnue comme unité juridique et unité économique » (p. 267). Ces deux mesures ont permis de transformer des exploitations agricoles fami- liales en entreprises agricoles et ces formes d’agriculture ont donné à voir une nouvelle division sociale du travail par l’externalisation de ce dernier, ou même, par exemple, par le recours à des sociétés de prestations de services.

Pour autant, en France, l’agriculture familiale ne serait-elle qu’un souvenir du XXe siècle ? Hubert Cochet (chap. 8) ne le pense pas et rappelle qu’un débat opposant

« agriculture familiale » et « agriculture capitaliste », remontant au début du XXe siècle revient à l’ordre du jour. La seconde supplanterait-elle la première ? Pour l’auteur, si les exploitations agricoles familiales ne disparaissent pas, on observe de nouvelles formes d’agriculture dont l’agriculture de firme fait partie et qui tendent à coexister. Mais qui sont les travailleurs de ces exploitations agricoles ? Gérard Chouquer rappelle (chap. 9) que si la main-d’œuvre familiale tend à diminuer en Europe, elle est remplacée par de la main- d’œuvre saisonnière, souvent d’origine étrangère, pour des tâches spécifiques (culture de fraise en Andalousie, récolte de tomate en Italie du sud…). Ce type d’embauche est rendu possible par le biais « d’entreprises intermédiaires qui mettent en contact l’employeur et l’employé » (p. 225), ce qui se traduit par de nouvelles normes juridiques visant à encadrer ce type d’emplois (contrats Office des Migrations Internationale en France par exemple). Malgré ces dispositifs, les droits des saisonniers sont peu respectés (conditions de travail difficiles, atteintes aux droits de l’homme…).

Le dernier chapitre de l’ouvrage, détaché des précédents, propose une réflexion théo- rique sur « la notion de propriété » (p. 229). Gérard Chouquer montre qu’il y aurait trois grandes traditions foncières en Europe : la première, anglo-saxonne, basée sur la juris- prudence. La deuxième, romano-germanique, est codifiée et formalisée. Enfin, dans les pays d’Europe de l’est, les systèmes fonciers sont héritiers de diverses traditions (grands domaines, collectivisme…). Malgré ces trois modèles, il y aurait une « crise de la pro- priété » qui s’expliquerait par une remise en cause de la « science du droit » (p. 239). La définition de la propriété, telle qu’elle est fixée dans les normes, ne serait plus adaptée au contexte économique et politique contemporain (libéralisme, décentralisation, mon- dialisation…), ce qui tend à faire éclater les différents systèmes fonciers classiques et à dépasser les différents cadres juridiques.

Cet ouvrage, pluridisciplinaire, est relativement facile d’accès pour les lecteurs non-

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spécialistes. Les chapitres sont fluides malgré les aspects techniques développés dans chacun d’entre eux et le lexique contribue à rendre ce livre abordable. Différentes limites – ou absences – du livre sont soulignées par les auteurs qui expliquent ne pas avoir pu évoquer les « politiques paysagères », les « enjeux environnementaux » ou encore les

« souffrances paysannes » (p. 16). En complément de ces aspects, deux principales limites peuvent être soulignées : en dehors du chapitre 9, nous ne trouvons aucune réflexion déve- loppée sur la main-d’œuvre salariée agricole au sens large. Il aurait été, intéressant de présenter les évolutions du travail salarié au sein des différents pays européens afin de combler un point trop peu développé dans les travaux en sociologie de l’agriculture.

Germain Bonnel, Doctorant en Sociologie, ATER en Sociologie Univ. Lille, EA 3589 - CeRIES Centre de recherche « Individus Épreuves Sociétés »,

F-59000 Lille, France

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