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Géographie Économie Société: Article pp.251-274 of Vol.11 n°3 (2009)

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Géographie, économie, Société 11 (2009) 251-274

doi:10.3166/ges.11.251-274 © 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

géographie économie société géographie économie société

Mutations dans l’industrie aéronautique française et nouvelles localisations au Maroc

Vers l’émergence de nouveaux territoires de l’aéronautique ?

French Aeronautic Industry Transformations and new localizations in Morocco

Towards the emergence of new aeronautics territories ?

Malika Hattab-Christmann

*

Université de Toulouse, UPS, IUT de Tarbes, Lereps EA 4212 Manufacture des Tabacs, 21 allée de Brienne, 31 000 Toulouse

Résumé

Cet article montre comment les transformations du secteur aéronautique français ont rendu l’externalisa- tion et les implantations à l’étranger nécessaires dans un contexte de recherche de coûts de plus en plus compétitifs. De nouvelles localisations de proximité dans les pays du sud de la Méditerranée attirent de plus en plus de sous-traitants français. Le Maroc qui fait partie de ces nouvelles destinations a placé l’aé- ronautique parmi les secteurs prioritaires qui sont au centre de sa nouvelle politique industrielle déclinée dans le Plan Emergence. Celle-ci est construite autour des besoins d’externalisation de l’industrie fran- çaise et offre un certain nombre d’avantages aux investisseurs étrangers. Le secteur aéronautique, dont les principaux acteurs sont des filiales de grands groupes français, connaît un développement rapide. Les entreprises sont surtout concentrées à Casablanca et dans sa région. À partir d’une enquête qualitative, nous nous interrogeons sur les facteurs d’attractivité qui ont été déterminants dans le choix du Maroc et sur les impacts territoriaux du développement des activités aéronautiques à Casablanca.

© 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

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Summary

This paper shows how the French aeronautic industry transformations made necessary outsour- cing and subsidiaries creation abroad to seek for competitive costs. New proximity localizations in South Mediterranean countries are attractive to French subcontractors. Among these countries, Morocco had placed aeronautics as a priority in its new industrial policy as it appears in Emergence Program. This new industrial Policy is built around French industry outsourcing needs and provides a lot of advantages to foreign investors. Moroccan aeronautic sector whose main actors are French subsidiaries, is growing rapidly. Aeronautic firms are concentrated in Casablanca and its region. We used a qualitative survey to know the attractivity factors that have been determinant in choosing Morocco and to analyze the territorial impacts of aeronautic industry development in Casablanca.

Mots-clés : cluster, aéronautique, Maroc, attractivité, territoire, délocalisation Keywords: cluster, attractiveness, territorial dynamics, delocalization, Morocco

Comme beaucoup d’activités industrielles stratégiques, l’aéronautique est restée long- temps concentrée dans les pays d’origine. Cependant, le rythme d’internationalisation de l’amont s’est accéléré et les nouveaux espaces d’accueil se sont diversifiés.

Ces dernières années, on a observé au Maroc jusqu’à dix implantations d’entreprises par an en moyenne. Il s’agit essentiellement d’entreprises sous-traitantes d’Airbus qui ont décidé d’implanter une filiale au Maroc. Les capitaux transférés demeurent encore relati- vement modestes, mais on assiste à l’émergence d’une véritable dynamique industrielle étroitement liée aux besoins de l’industrie aéronautique française. Ces mouvements de capitaux et d’activités s’inscrivent dans le processus d’intégration mondiale des tissus productifs et se traduisent par une recomposition des territoires. De la même façon que les partenaires industriels redéfinissent les frontières de leurs activités et de leurs responsa- bilités, les territoires construisent de nouveaux liens basés sur une forte complémentarité.

Dans cette étude, nous nous sommes intéressés aux causes du redéploiement des entre- prises françaises de l’aéronautique vers de nouveaux espaces et aux facteurs déterminants des choix de localisation. En effet, cette activité industrielle était jusqu’à une période récente associée aux spécificités industrielles et territoriales des pays du Nord et plus précisément à certains territoires (Frigant, Kechidi, Talbot, 2006). Quels ont été les fac- teurs déterminants de l’attractivité du Maroc et quels seront les impacts territoriaux du développement de l’activité aéronautique ? Ces questionnements sont au croisement de l’économie industrielle, de l’économie internationale, des sciences politiques et de l’éco- nomie régionale. Ils mettent en relation les stratégies des firmes, l’intérêt des Etats des pays de départ et d’accueil, et les dynamiques territoriales qui peuvent parfois émerger de cette rencontre. Ils concernent une pluralité d’acteurs, aux intérêts tantôt parallèles tantôt antagonistes, qui interagissent sur des espaces et des échelles différents.

Après un rappel des dynamiques de transformation du secteur aéronautique français, nous étudierons l’émergence et le développement du secteur aéronautique au Maroc en analysant notamment les facteurs déterminants de son attractivité pour les entreprises françaises à partir d’une enquête que nous avons effectuée à Casablanca en décembre 2007. Enfin, dans une dernière partie seront discutées les dynamiques territoriales émer- gentes dans les nouveaux espaces d’implantation.

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1. Mutations de l’industrie aéronautique française

Le secteur aéronautique s’est développé sur une base nationale forte avant de se for- ger une identité européenne avec le succès d’Airbus. Après avoir été concentré en Ile de France, son centre de gravité s’est déplacé vers le Sud-Ouest par la volonté de l’Etat. Le territoire toulousain s’est construit autour de cette activité en bénéficiant de tous les effets d’entraînement qu’elle a suscités (Jalabert, Zuliani, 2002), notamment avec l’émergence et le développement des « systèmes embarqués » (Alline, Poumarède, 1997).

1.1. De la protection à la dérégulation

L’Etat français a joué un rôle essentiel dans la construction et la protection d’une industrie stratégique centrée au départ sur le militaire avant de s’orienter vers le civil.

La logique d’arsenal traduit bien ce pilotage étatique de l’activité aéronautique (Muller, 1989). Cette activité émerge en France au début du XXe siècle et commence à se renforcer avec la première guerre mondiale (Jalabert, 1974). Au cours des années 1930, on assiste à toute une série de concentrations qui déboucheront en 1969 sur la naissance de la Société Nationale Industrielle Aéronautique et Spatiale (SNIAS). La création d’Airbus-Industrie1 qui remonte à 1969 marquera le début de l’aéronautique européenne et un tournant tech- nologique majeur avec l’A320, premier avion tout électronique.

Si l’Etat est l’acteur majeur de ce secteur, c’est aussi parce que l’industrie aéronautique nécessite des investissements massifs en amont et une très longue période de gestation.

En effet, il faut vendre un grand nombre d’avions pour atteindre le seuil de rentabilité (environ 250 pour l’A 380 par exemple). Le succès d’Airbus s’est donc construit avec les aides massives des Etats notamment dans la Recherche et Développement. Ces inves- tissements qui étaient en moyenne de 24,6 % en 1966 (Jalabert, 1974, 196) représentent aujourd’hui en moyenne 15 % du chiffre d’affaires d’EADS.

Le passage à une logique de marché dans les années 1980 se traduira par la première vague d’externalisation. Sur le plan territorial, on passe d’une politique d’aménagement up-down à une approche endogène du développement local. Ainsi va naître le territoire toulousain grâce à « l’agglomération » d’un réseau de sous-traitants dont le nombre est passé de 10 en 1970 à environ 600 à la fin des années 1990 (Dupuy, Gilly, 2004, 16). Cette création ne s’est pas faite ex nihilo puisque avec Latécoère, la construction aéronautique est déjà présente à Toulouse.

Ces mutations interviennent alors que les investissements réalisés sont arrivés à matu- rité et que la part de marché de l’avionneur fluctue autour de 50 % dans un contexte d’augmentation continue de la demande2. En 1999, Aérospatiale est privatisée et une part rachetée par Matra. L’Etat reste majoritaire dans le capital mais la gouvernance de la firme est confiée à Lagardère. Le changement institutionnel lié à la modification des sta- tuts de la nouvelle structure privée EADS (European Aeronautic Defence and Space) (Frigant, Kechidi, Talbot, 2006) et la financiarisation des stratégies qui en a découlé, ont amené l’avionneur européen à adopter de nouvelles logiques de développement et de

1 GIE résultant d’un accord entre les gouvernements français, allemand, espagnol, hollandais et belge qui seront rejoints par les Anglais en 1979.

2 Selon Airbus Market Outlook, Rapport 2005, « Le trafic mondial de passagers devrait être multiplié par  3 entre 2004 et 2023 »

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nouveaux modes d’organisation. Ceux-ci ont consisté notamment à renforcer la logique de marché par une ouverture encore plus grande à l’international. À la fin des années 1990, suite à la dérégulation, les capitaux étrangers augmentent dans le secteur aéronau- tique (Carrincazeaux et Frigant, 2006). De grandes firmes multinationales prennent le contrôle d’établissements jusque-là autonomes intégrant ainsi les activités industrielles locales dans des logiques globalisées (Guillaume, 2005). Parallèlement à ces change- ments, les objectifs stratégiques de l’Union Européenne annoncés à Lisbonne « of becom- ing the most competitive and dynamic knowledge based economy in the world, capable of sustainable economic growth with more and better jobs and greater social cohésion » (Lisbon European Council, 2000) se traduisent par la mise en place de pôles de compé- titivité. Cette politique de soutien à des « espaces de compétitivité » n’est donc pas sans conséquence sur les nouvelles configurations de la chaîne de valeur globale.

1.2. L’aéronautique : une industrie de haute technologie

L’industrie aéronautique a bénéficié d’énormes progrès technologiques tant au niveau des matériaux, des systèmes embarqués, que du contenu de plus en plus électrique et électronique de l’avion. Les matériaux composites constituent une innovation majeure.

Cependant, ils nécessitent pour leur fabrication une grande quantité de main-d’œuvre avec des compétences très proches de celles du textile. Par ailleurs, le pilotage à deux dans les gros porteurs (A300) et la standardisation des cockpits sur les A318/A319/A320/

A321 ont permis de réaliser des économies d’échelle à la fois dans la fabrication des pièces et dans la formation des pilotes (Frigant et Talbot, 2002, 111). Enfin, les équipe- ments électroniques et informatiques sont de plus en plus sophistiqués et représentent jusqu’à 35 % du prix final de l’avion (Zuliani, 2005, 6) alors que la part des moteurs est de 30 % et celles des structures de 35 %. La définition de l’activité s’élargit pour intégrer les systèmes embarqués dont le développement s’est fait sous l’impulsion de l’aéronautique.

L’évolution technologique du contenu des différents sous-ensembles de l’avion s’ac- compagne d’une nouvelle division du travail dans un contexte de changement technique rapide et de financiarisation des stratégies des firmes qui sont de plus en plus soumises à des impératifs de création de valeur (Moura, 2009). Cette évolution s’impose non seu- lement aux firmes mais aussi aux Etats. En effet, « l’engagement de la Commission en faveur de l’industrie aéronautique et espace (A&E) s’inscrit en fait dans le prolongement du Sommet de Lisbonne qui vise à placer l’Europe dans l’ère de l’économie de la con- naissance » (Belis-Bergouignan et Frigant, 2007). L’industrie aéronautique est définie comme une industrie de haute technologie.

1.3. Changements organisationnels : entre recentrage et redéploiement

Airbus, à l’instar de Boeing, a dû se recentrer sur ses métiers de base dans une logique favorisant l’innovation et externaliser tous les éléments de la chaîne de valeur qui ne relèvent pas de ses compétences. La modularisation (Moati et Mouhoud, 2005, 578) facilite le pro- cessus d’externalisation car elle permet de confier la réalisation d’un module complet à un partenaire industriel en risques partagés. La firme architecte décompose le produit final en sous-ensembles mobilisant des savoirs et des savoir-faire différents mais tous destinés à être

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assemblés pour constituer l’avion prêt à livrer (Frigant et Talbot, 2006, 109-113 ). L’avionneur externalise la réalisation de ces sous-ensembles soit auprès de ses filiales soit auprès de sous- traitants indépendants mais garde cependant la maîtrise de son cœur de métier qui se défi- nit par la conception, l’assemblage du produit final et sa commercialisation. Le constructeur d’avions est devenu un assembleur de systèmes dont il supervise néanmoins la réalisation.

C’est la capacité organisationnelle de la firme qui lui permet de décomposer, de coordonner et d’intégrer un ensemble d’activités dispersées géographiquement (Levy, 2005). Cette nouvelle division du travail a une double dimension, industrielle et territoriale.

D’une part, la division du travail se fait au sein de l’industrie en fonction des contenus en termes de savoirs, de savoir-faire et des compétences des différents métiers. Les sys- témiers ont la responsabilité financière et technique d’un module sur la base d’un cahier des charges précis. Ils mobilisent à leur tour un réseau important de sous-traitants et de fournisseurs, le plus souvent des PME (Zuliani, 2005). Les filiales d’Eads ne peuvent pas répondre seules aux appels d’offre mais doivent faire des offres communes avec des partenaires extérieurs au groupe. C’est le principe du risque partagé.

D’autre part, les compétences, les ressources et les avantages recherchés par les firmes sont territorialisés. L’externalisation a donc des incidences non seulement pour les firmes mais également pour les territoires. L’expérience de Midi-Pyrénées, et plus précisément celle de Toulouse dans l’aéronautique, permet de constater que les dota- tions spécifiques ont été construites au cours du temps. Suite aux mouvements d’exter- nalisation et de délocalisation des activités intensives en main-d’œuvre de Paris vers les agglomérations de province dans les années 1960, Toulouse a développé des for- mations orientées vers l’aéronautique comme SUP’AERO et le lycée technique aéro- nautique (Alline et Poumaréde, 1997 ; Dupuy et Gilly, 2004). L’Etat et les collectivités territoriales ont joué un rôle important dans la rencontre entre le secteur aéronautique et Toulouse. Dans un premier temps, en couplant politique industrielle et politique d’aménagement du territoire, l’Etat a favorisé la construction d’un système produc- tif local ancré autour d’activités industrielles spécifiques. Le potentiel scientifique de Midi-Pyrénées qui résultait d’une politique volontariste de l’Etat français a joué un grand rôle dans cette construction territoriale non seulement par sa qualité et sa diver- sité mais aussi par la densité des relations science-industrie (Grossetti et Bes, 2001 ; Zuliani, Grossetti et Jalabert, 2005). Si la gouvernance territoriale, entendue ici comme la forme de coordination entre acteurs, est fortement dominée par l’Etat au cours de l’émergence et des premières phases de développement territorial, progressivement, les acteurs s’investissent dans des relations de coopération tournées vers la réalisation d’objectifs communs locaux et la gouvernance devient mixte.

Depuis sa privatisation, Airbus a connu plusieurs plans de rationalisation. Après le plan Cap 2001 mis en place en 1999, après Route 06 en 2003 dont l’objectif était la réduction des coûts de 15 %, c’est le Plan Power 83 et plus précisément Power8+ qui devient l’outil de la restructuration organisationnelle de la firme. Pour optimiser la coordination entre la firme architecte et ses sous-traitants, il préconise notamment le

3 N’ayant pu céder ses unités de Meaulte et Saint Nazaire à Latécoère, Airbus doit faire encore plus d’économies et envisager des délocalisations massives hors zone euro pour pouvoir financer le projet de l’A350, voir les Echos, 9 et 10 Mai 2008

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passage à un nombre limité de firmes-pivots, chacune étant chargée de la coordina- tion des sous-traitants de rang inférieur, et la mise en place d’une plate-forme unique pour gérer les relations d’Airbus avec ses 800 fournisseurs. L’objectif est de réduire le nombre de partenaires à risques partagés et de rationaliser la logistique en passant de 80 entrepôts à 4-8 centres logistiques(Kechidi (dir.), 2007, 16-17). Le concept de firme- pivot qualifie un nombre restreint de fournisseurs de premier rang auxquels Airbus confie la responsabilité technique de sous-ensembles complets. Ces firmes disposent de capacités stratégiques et combinatoires leur permettant d’assurer un rôle d’intermédia- tion entre l’avionneur et tout un ensemble de sous-traitants de deuxième rang. Si elles sont positionnées sur un segment technologique particulier, elles disposent de la capa- cité de combiner des compétences technologiques de différents partenaires (Mazaud, 2006 ; Kechidi, 2008). Sur le plan pratique, les firmes remplissant ce rôle seraient parmi les plus importantes puisqu’elles devraient satisfaire une certaine contrainte de taille, réaliser un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros, avoir un effectif supérieur à 1250 salariés, des capitaux propres supérieurs à 40 millions d’euros, disposer d’un bureau d’études significatif et d’un portefeuille technologique pluriactivités.

Tous ces changements au cours des années 2000 ont accompagné l’explosion de la demande mondiale qui a obligé les avionneurs à faire face à des montées en charge jusque là inconnues, à des prix très serrés, négociés par les compagnies aériennes dans un contexte de baisse continue du dollar4. Le défi pour les grands constructeurs est de répondre à cette augmentation de régime par une amélioration des capacités, puisque concrètement il s’agit de passer d’une cadence de 32 appareils par mois, pour l’A320 à 40 appareils en 20105. Ainsi, avec un certain retard sur les autres secteurs indus- triels, l’industrie aéronautique s’internationalise par l’amont en déployant ses filiales vers des territoires offrant un panel d’avantages adaptés à ses nouveaux besoins.

Les mutations sectorielles ont ainsi une incidence sur les territoires traditionnels de l’aéronautique car les firmes ne nécessitent plus uniquement des compétences locales mais « une insertion accrue dans des réseaux qui s’expriment désormais au sein de configurations plus largement internationalisées » (Guillaume, 2005). Certains choix de localisation relèvent de la logique des compensations industrielles négociées entre les firmes et les Etats d’accueil. Les pays clients peuvent imposer comme condition contractuelle le partage des tâches industrielles liées à la construction des avions commandés (Chine, Russie).

Les choix de localisation s’expliquent également par la disponibilité de bassins de compétences à un coût bas (Inde, Roumanie) ou par une main-d’œuvre bon marché dans des pays très proches (Maroc, Tunisie). Les sous-traitants d’Airbus doivent satis- faire des exigences en termes de coûts et de livraison en flux tendus et encaisser les économies Power8+. Ils vont donc privilégier les localisations qui associent proximité géographique, coûts de main-d’œuvre bas, proximité linguistique, mais aussi la pré- sence de capacités technologiques, de taille de marché etc. Dans le cas de la Mecanic Vallée, par exemple, les délocalisations des activités à faible valeur ajoutée se sont orientées vers la Pologne, la Roumanie, ou encore la Turquie (Guillaume, 2005).

4 La Tribune, La flotte d’avions commerciaux devrait doubler d’ici à 2025, 14 Juin 2007

5 Ces chiffres et ces pronostics d’évolution datent de 2007.

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2. Les déterminants du choix du Maroc : Le poids des proximités

Pour apprécier les éléments déterminants du choix de localisation au Maroc, nous avons réalisé une enquête qualitative en décembre 2007 auprès des filiales françaises.

Le secteur aéronautique marocain compte environ une cinquantaine d’entreprises dont la majorité sont concentrées autour de Casablanca. Nous avons eu dix entretiens et deux retours par écrit. Le questionnaire reprenait une grille classique des facteurs d’attractivité.

En effet, les déterminants du choix de localisation sont connus depuis longtemps et on peut les résumer en quatre catégories, la taille du marché, les coûts des facteurs de pro- duction, la densité du tissu industriel et toutes les actions volontaristes des pays d’accueil pour influencer le choix des firmes (Mayer et Mucchielli, 1999). S’y ajoutent les facteurs qui facilitent la coordination, qui permettent de bénéficier d’externalités pécuniaires mais aussi informationnelles et qui réduisent les coûts de transaction. La proximité qui relie les espaces de départ et les espaces d’accueil, qu’elle soit de nature institutionnelle ou orga- nisationnelle compte également. Il s’agit de l’histoire des relations entretenues par le pays d’origine avec le pays d’accueil, tout comme la proximité et les complémentarités entre leurs cadres institutionnels, tant dans le domaine de la protection des droits de propriété que dans celui des règles administratives et juridiques. Les accords internationaux reliant ces pays, accords de libre-échange, ou accords bilatéraux sur la protection des investisse- ments (Hattab-Christmann, 2007) interviennent aussi dans le processus de décision. Ces facteurs concernent les avantages hors-coût d’une localisation.

Comme nous l’avons vu, certains choix de localisation comme la Chine ou la Russie résultent des accords de compensation négociés. Ainsi, un nouveau contrat attribuant 5 % du programme de l’A350 à la Chine pour la fabrication de pièces en matériaux composites a été signé début février 2009 à Madrid. Le prochain contrat va lui confier la fabrication des ailes de l’A320. La Chine représente ainsi 39 % des parts de mar- ché d’Airbus en 2008 au lieu de 4 % en 1995 (Les Echos, 02 Février 2009). Le choix du Maroc correspond davantage à une logique de proximité. Différentes formes de proximité semblent avoir joué en faveur du Maroc comme la distance géographique, la culture et la langue notamment. Dans le contexte d’accroissement de l’activité des années 2000, un certain nombre de firmes ont ouvert de nouvelles implantations sans nécessairement fermer des établissements dans le pays d’origine. C’est le principe de la double source, l’activité des filiales implantées à l’étranger devient complémentaire de la production nationale. Les firmes décident de la division du travail dans un espace global en redéployant les différentes parties de leur chaine de valeur en fonction des avantages liés à chaque localisation. Ceci nous permet d’émettre l’hypothèse d’une complémentarité entre les territoires traditionnels et les nouveaux espaces d’accueil qui sont autant de territoires émergents. Le territoire est entendu ici comme une forme d’organisation productive localisée, un processus de recouvrement-articulation entre trois formes de proximités, institutionnelle, géographique et organisationnelle. Certains auteurs, particulièrement en sciences de gestion lui préfèrent le concept de « cluster ».

Cette complémentarité n’est pas figée mais dépend des avantages dynamiques des dif- férentes localisations. Elle n’exclut donc pas que l’on puisse constater à terme le glis- sement d’un certain nombre d’activités de sous-traitance exigeant une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée vers de nouveaux territoires émergents.

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2.1. Emergence et développement d’un secteur aéronautique au Maroc

Le Maroc et la Tunisie sont en concurrence pour attirer les investisseurs étrangers notamment dans le secteur aéronautique. Fin 2008, le Groupement des Industries Tunisiennes de l’Aéronautique et du Spatial (Gitas) annonçait 18 implantations affiliées au lieu de 7 en 2007 et projette d’atteindre 30 implantations en 2009suite à l’implantation de l’usine Aérolia près de Tunis. Cependant, c’est au Maroc que cette activité se déve- loppe rapidement ces dernières années autour de trois pôles. Les premières implantations dans les années 1950 se sont faites dans la zone aéroportuaire de Casablanca puisqu’il s’agissait de maintenance aéronautique et de réparations de la flotte aérienne des Forces Armées Royales (FAR), puis d’une compagnie de transport aérien. Maroc Aviation, deve- nue EADS Maroc Aviation est également un équipementier d’Airbus spécialisé dans la fabrication, l’assemblage et l’intégration d’éléments aéronautiques (câblage, composites et aérostructures métalliques etc).

Les implantations des années 1990 ont privilégié les bassins de main-d’œuvre autour de Casablanca, soit des espaces intégrés à la ville au plus proche des populations, soit des zones industrielles. La priorité était alors de s’installer au plus près de la main-d’œuvre.

Au cours des années 2000, c’est toujours la capitale industrielle qui concentre le plus grand nombre d’implantations notamment dans le cadre de « l’aéropôle » de Casa Nouaceur qui constitue un site aménagé intégré à la zone aéroportuaire et dédié aux activités aéronau- tiques. La zone franche de Tanger est également très attractive par sa proximité avec le détroit de Gibraltar, son offre de site aménagé et sa proximité avec les partenaires et sous- traitants. Enfin, on relève quelques implantations sur la côte atlantique à Ben Atiq, Rabat ou encore Kénitra. Cette dernière localisation est amenée à se développer avec la réali- sation du projet Rabat Technopolis centrée sur les nanotechnologies, les biotechnologies et toutes les composantes liées à la recherche. À côté de ces pôles d’agglomération, dont l’aménagement résulte de politiques publiques d’attractivité, certaines PME ont préféré s’éloigner des entreprises du secteur pour se protéger et minimiser le turnover du per- sonnel qu’elles ont formé. Tous les sites sont reliés par une autoroute qui longe la côte Atlantique de Casablanca à Tanger.

En 1999, Snecma et la RAM ont créé une joint-venture, Snecma Morocco Engine Services (SMES) pour la maintenance et la réparation des moteurs civils. C’est la pre- mière forme de présence au Maroc de Snecma dont la fusion avec Sagem SA donnera naissance au groupe Safran le 11 Mai 2005. SMES travaille non seulement pour Airbus mais aussi pour tous les avionneurs mondiaux tels que Boeing, Embraer, Bombardier, Suiza, Messier Buggati, Facon Dassault. En 2001, Elle participe à une joint-venture avec la RAM et Boeing pour donner naissance à Matis Aerospace, spécialisée dans la produc- tion de faisceaux de câbles pour moteurs d’avion. Cette société importe les composants des Etats-Unis et 50 % de sa production est destinée à Boeing. Depuis, le groupe Safran a attiré au Maroc plusieurs de ses filiales (Aircelle, Teuchos, Labinal Aéronautique Maroc) et un certain nombre de ses sous-traitants. Chacune de ces filiales a pesé à son tour sur le choix de localisation de ses fournisseurs ou sous-traitants. On compte plus de 50 entre-

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prises et 6000 emplois6. Le secteur aéronautique marocain est constitué de sous-traitants de premier et de second rang qui peuvent attirer leurs clients et leurs fournisseurs de troisième et quatrième rang. Tous les partenaires d’Airbus sont présents au Maroc sauf Latécoère qui est implanté en Tunisie à travers sa filiale Latelec.

Le nombre de sociétés varie entre 50 et 60 selon la frontière du secteur retenue. Certaines entreprises ne produisent que pour l’aéronautique alors que d’autres travaillent aussi pour l’automobile. D’autres, sont très actives dans le secteur aéronautique alors qu’elles sont rattachées au secteur électronique. Il s’agit soit d’avionneurs motoristes, soit de sous-trai- tants de spécialité, soit de sous-traitants de capacité. Les sous-traitants de spécialité sont spécialisés dans un domaine particulier de l’usinage ou des prestations d’ingénierie tech- nique ou informatique. Les sous-traitants de capacité, en général de petits établissements, fournissent des pièces de séries ou des prestations de services banalisés (prestations à façon, nettoyage...). La production des entreprises implantées au Maroc est composée essentiel- lement de composants standard entrant dans la fabrication à la fois de Boeing et d’Airbus.

Les activités implantées tournent autour des métiers de l’électricité, de l’électronique, du câblage, de la maintenance de moteurs d’avions et d’hélicoptères, de la mécanique de pré- cision, de la tôlerie-chaudronnerie, du traitement de surface, de l’outillage aéronautique, des activités d’étude et d’ingénierie ou encore de la fabrication de matériaux composites.

En termes de développement sectoriel, l’objectif est d’atteindre un chiffre d’affaires de 1,35 milliard d’euros (15 milliards de DH) en 2015 pour un effectif de 15 000 à 20 000 salariés7. Parmi les sociétés implantées, certaines sont en plein développement et créent de nouvelles installations comme Auvergne Aéronautique à travers sa filiale, Casablanca aéronautique qui travaille pour des donneurs d’ordre comme Aircelle, Socaero, Eads Maroc Aviation.

On observe une double concentration de cette activité. D’une part, géographique puisque Casablanca avec sa région proche représentait 92 % du chiffre d’affaires, 48 % des investissements et 67,6 % des emplois du secteur aéronautique en 2005 (Meftah, 2005). Les activités aéronautiques se répartissent entre l’agglomération casablancaise et la zone aéroportuaire de Nouaceur. D’autre part, 90 % de l’activité du secteur est réalisée par SMES, EADS Maroc Aviation et Matis Aerospace8.

Les dirigeants des entreprises françaises implantées à Casablanca que nous avons interrogés produisent essentiellement pour l’exportation; les filiales reçoivent des intrants en admission temporaire et réexpédient les produits finis. Il s’agit donc d’un trafic de perfectionnement passif. Cependant, ce n’est pas le cas de toutes les entreprises du sec- teur puisque qu’un certain nombre d’entre elles, ont des clients locaux (RAM et Forces Armées Royales, et EADS Maroc Aviation, comme Tecnum ou SERMP par exemple).

D’autres ne travaillent que pour la RAM et les FAR comme FMTM (Franco-Marocaine des Traitements Métallurgiques), SIRMA, SACMI, SIMOUN (FIMME, 2005). Les entre- prises aéronautiques dans leur totalité (sans distinction de nationalité) exportent 46 % de leur production dont 5 % vers les Etats-Unis et 39 % vers la France.

L’implantation d’une filiale constitue la forme la plus fréquente de présence à l’étran-

6 D’après le site du Ministère de l’Industrie au Maroc, Airbus serait à l’origine de 2000 emplois directs et 10 000 emplois si on intègre les emplois indirects.

7Gimas, CasaInvest, octobre 2007 ; Le Programme Emergence se fixe un objectif de 17000 emplois pour 2015.

8 Ces trois sociétés font partie des celles dont nous avons traité les questionnaires

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ger. Avec cette modalité, il y a création d’un marché interne à la firme et les transactions sont évaluées selon la technique des prix de transfert fixés par la firme elle-même « Le prix des biens et services qui circulent n’est pas un prix de marché mais un prix de trans- fert.(…). Les flux internalisés sont donc hors marché » (Michalet, 2002, 75). La sous- traitance pourrait également être confiée à des entreprises locales par le biais de contrats (de sous-traitance internationale ou d’accords de licence) à plus ou moins long terme sans que ces partenariats n’impliquent une participation au capital. Actuellement, dans un secteur aussi sensible que l’aéronautique, peu d’entreprises locales ont la capacité et les compétences nécessaires, notamment en termes d’habilitation (normes de certification).

Enfin, on peut également créer une filiale commune comme Matis Aerospace ou SMES.

2.2. Les facteurs d’attractivité perçus par les firmes françaises de l’aéronautique Les offres de localisation sont nombreuses, que ce soit dans les pays voisins comme la Tunisie qui offre un panel de facteurs relativement comparables, ou dans les PECO.

Tous ces sites ne sont pas nécessairement en concurrence car un équipementier peut cibler plusieurs localisations dans son redéploiement stratégique, chacune d’elles dans une zone géographique, répondant à des objectifs différents et donc à une combinaison de critères différente. Cependant, le Maroc et la Tunisie sont en concurrence directe pour attirer les entreprises françaises de l’aéronautique qui n’hésitent d’ailleurs pas à faire jouer la surenchère sur les incitations. Cette concurrence est d’autant plus rude que le réseau de sous-traitants de la firme est dense et que perdre une entreprise, c’est perdre toute une grappe potentielle de nouvelles implantations.

Dans le cadre du programme Emergence (Mezouar, 2006), la dynamique d’offre d’in- frastructures dédiées (Aéropôle de Nouaceur) et de services associés, la proximité des principaux sites aéronautiques français, les incitations notamment sous forme d’aides à la formation, la disponibilité d’un réservoir potentiel de main d’œuvre ont certainement joué un rôle important en faveur du développement de la filière aéronautique au Maroc.

D’autre part, l’organisation industrielle de la filière aéronautique repose sur les liens de proximité entre donneurs d’ordre et sous-traitants, entre clients et fournisseurs. Ces rela- tions industrielles sont déterminantes de l’ampleur du redéploiement vers le Maroc. En effet, à partir de la localisation choisie par la firme leader, on peut observer une implan- tation en cascades, soit des entreprises et leurs filiales, soit une firme et ses sous-traitants, ses clients et ses fournisseurs. Ainsi, pour certaines entreprises, la décision de délocaliser ou de créer une nouvelle filiale et le choix de localisation ne résultent pas d’une stratégie autonome mais d’une contrainte de proximité géographique et organisationnelle impo- sée par le donneur d’ordre. Les filiales installées au Maroc établissent entre elles les mêmes relations que celles entretenues par leur maison-mère. L’intensité de la dynamique d’agglomération est d’autant plus forte que les firmes sont insérées dans des réseaux de relations industrielles complexes et denses. À côté de ces choix « contraints », certaines entreprises sous-traitantes ont anticipé en s’installant au Maroc dès les années 1990. La densité des entreprises françaises implantées au Maroc, et plus précisément sur un site particulier, peut constituer une source d’informations déterminante dans la décision de localisation. Le fait que plusieurs entreprises choisissent un territoire le rend plus attractif (Hattab-Christmann, Mezouaghi, 2009). Il s’agit dans ce cas d’externalités information-

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nelles telles qu’elles ont été mises en évidence par J. Farell et G. Soloner (1986) ou de mimétisme informationnel au sens d’A. Orléan (1999). Les firmes imitent celles qui les ont précédées car elles les supposent mieux informées. Cependant, au delà de ces hypo- thèses de comportement, contraint ou stratégique, il ne faudrait pas sous-estimer le rôle des politiques dans les négociations entre Etats d’accueil et firmes. Celles-ci mettent en jeu d’autres variables qui vont au delà de l’arbitrage purement économique entre choix de localisation (Cancel, Hattab-Christmann, 2009). En effet, les pays d’accueil ont mis en place des politiques d’attractivité incitatives favorisées par les différentes proximités qui existent entre les partenaires du nord et du sud de la Méditerranée.

Dans sa nouvelle politique industrielle, le Maroc a construit une offre en adéquation avec la demande des investisseurs du secteur aéronautique telle qu’elle résultait des études de prospective du Cabinet McKinsey9. Par ailleurs, il adhère à l’OMC et a conclu un certain nombre d’accords de libre-échange avec des pays du sud, avec les pays de l’UE et les Etats-Unis, ce qui lui assure plus de crédibilité aux yeux des investisseurs. À ce titre, il pourrait constituer une plateforme d’exportation vers tous les pays insérés dans ce réseau d’accords.

Tableau 1; Accords de libre-échange signés par le Maroc) Jordanie Egypte Tunisie Emirats

Arabes Unis Turquie AELE Pays

Arabes UE USA Accord

d’Agadir 16/6/98 27/5/98 16/3/99 25/6/01 7/4/04 19/6/97 16/3/99 26/02/96 15/6/04 25/4/04 Source : www.douane-gov.ma

Afin d’apprécier l’importance des différents facteurs dans la décision d’implantation, nous avons utilisé une grille des facteurs d’attractivité les plus souvent cités comme signi- ficatifs par les entreprises qui implantent une partie de leurs activités à l’étranger. Nous avons établi un questionnaire en deux parties. Dans la première, nous avons listé 20 critères avec la possibilité de noter l’importance du facteur incitatif du plus important (5) au moins déterminant (1). Dans la deuxième partie du questionnaire, nous avons posé une série de questions ouvertes concernant la nature de l’activité et les relations client-fournisseur ou donneur d’ordre-sous-traitants, les activités sous-traitées, l’investissement en R&D, etc.10

Tableau 2 - Liste des entreprises enquêtées (ou ayant rempli le questionnaire) Société Date de création Actionnariat Effectif Activité Maroc Aviation

devient Eads Maroc Aviation

1951

1991 EADS 355

Fabrication et assemblage d’éléments aéronautiques, centre de compétences composites

9 C’est le Cabinet de Consulting Mc Kinsey qui a réalisé l’audit du secteur industriel marocain entre septembre 2004 et avril 2005.

10 Aircelle Maroc, Aéronautique Sefcam, Crouzet, Microspire, Creuzet-Indraero, LPS, SMES, Matis Aeros- pace, Sermp, Socaero. OB Electronique et Eads Maroc Aviation nous ont retourné le questionnaire rempli. Nous les remercions tous ici pour le temps qu’ils nous ont consacré.

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Matis Aerospace 2001 SAFRAN 540 Fabrication de câbles Snecma Morocco

Engine Services 1999 SAFRAN 110 Maintenance et réparation

de moteurs d’avions partout dans le monde

Crouzet Maroc 1995 Groupe CROUZET 620 Matériel électrique et électronique

Aircelle Maroc 2005 SAFRAN 230 Assemblage de structures

d’inverseurs

Sermp 1999 Le Piston Français 75 Mécanique de précision

Sefcam 2003 Groupe SEGULA 90 Traitement de surface

OB Electronique 2002 SELHA 250 Matériel électrique

et électronique Microspire Maroc 1998 MICROSPIRE SAS 189 Matériel électrique

et électronique

Creuzet-Indraero 2006 CREUZET-

INDRAERO 80 Mécanique de précision

LPS 2006 SUMPAR 12 Mécanique de précision

Socaero 2007 SOCATA-EADS 21 Assemblage aérostructure

Source : Gimas, et enquête décembre 2007  Figure 1 - Les critères d’attractivité

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Les résultats représentés dans le graphique ci-dessus confirment que le coût de la main d’œuvre est le facteur essentiel d’attractivité car « un manutentionnaire marocain coûte 70 % moins cher qu’un français » selon un responsable d’entreprise français implanté dans l’aéropôle qui poursuit, « les contraintes sociales ont séduit les investisseurs » : temps de travail plus long, absence de syndicats puissants, taux de chômage important (Hemches et Prunières, 2006). Les opérateurs perçoivent environ 13, 29 Dirhams (DH) l’heure, la durée légale du travail est de 44h et les salariés sont libres de « travailler plus pour gagner plus ». Le salaire mensuel net est de 6 000 DH pour les techniciens et de 9 000 DH pour les cadres11. Non seulement ce coût est bas mais il progresse moins vite que dans les pays de l’Est. Les firmes emploient des opérateurs qui doivent avoir au minimum le bac et par- ler le français car c’est la langue de toute la documentation technique. Si les formations de base ne posent pas de réel problème et sont appréciées positivement, les spécialisa- tions dans les métiers de l’aéronautique restent déficitaires. Les industriels déplorent par ailleurs le manque de culture industrielle chez les techniciens et les ingénieurs. Chacune des entreprises de notre échantillon prend en charge l’apprentissage de ses techniciens, soit en s’appuyant sur ses compétences locales, soit en faisant venir un formateur de la maison mère. Les attentes qui se dégagent des entretiens concernent les déficits dans les métiers de la logistique, de la qualité, de l’utilisation des systèmes ERP, les métiers de la comptabilité et du contrôle de gestion. C’est pour pallier ces carences qu’est né le projet de créer l’IMA (Institut des Métiers de l’aéronautique) en partenariat entre le Gimas, le gou- vernement marocain, l’UIMM (Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie) avec également des financements de l’AFD (Agence Française de Développement). La conven- tion de partenariat pour la création de l’IMA a été signée le 29 Octobre 2008 pour une mise en route effective à partir du premier trimestre 2009. D’autres partenariats ont également été mis en place pour la création de nouveaux projets de formation avec des structures exis- tantes comme celui entre l’Iscae (Institut Supérieur de commerce et d’administration des entreprises) de Casablanca et Teuchos, entre Teuchos et l’Ecole d’ingénieurs Mohammedia ou encore avec l’engagement de l’Université Al Akhawayne d’Ifrane de développer de nou- velles formations dans les métiers des biotechnologies et de l’aéronautique.

Par ailleurs, dans le cadre des incitations offertes à ce secteur, les frais de formation continue pris en charge par l’OFPPT (Office de la formation professionnelle et de la pro- motion du travail) peuvent aller jusqu’à 70 % des frais engagés. Cet organisme intervient surtout dans les formations techniques déficitaires comme la chaudronnerie aéronautique, l’ajustage et le montage des cellules aéronefs, la mécatronique, l’usinage sur les machines outils à commande numérique. Les coûts de formation constituent un poste relativement important et peuvent être décisifs dans le choix d’implantation d’une firme. Ainsi, le choix d’Aerolia d’implanter une filiale en Tunisie plutôt qu’au Maroc serait dû non seu- lement à la commande de 16 Airbus par Tunis-Air mais également à l’offre tunisienne de prendre en charge la totalité des frais de formation du personnel de la nouvelle structure.

Parmi les facteurs déterminants dans le choix du Maroc, la proximité géographique (en moyenne 2h30 en avion) entre les principales villes françaises et Casablanca est très appré- ciée car elle répond à l’impératif qu’imposent les flux tendus et permet de réduire les coûts logistiques. Dans certains cas d’urgence, les pièces peuvent être livrées par les avions de ligne.

11 Ces données ont été recueillies en décembre 2007 pour un cours de l’euro de 11,42 DH.

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La stabilité politique et sociale n’apparaît qu’au rang 5 mais constitue néanmoins un pré-requis important pour le choix de localisation. Les firmes sont prêtes à s’implanter dans des espaces offrant des avantages en termes de coûts de production à condition que les risques y soient faibles ou maitrisés.

La qualité des infrastructures compte mais n’est pas déterminante dans les réponses ; la présence de port, d’aéroports, d’une autoroute de Casablanca à Tanger, porte de l’Europe sont autant d’éléments d’appréciation de la proximité géographique. L’accès à un réseau moderne de télécommunications est également essentiel dans un secteur où les relations avec les maisons-mères et les donneurs d’ordre doivent être fréquentes et rapides. C’est un élément indispensable pour maintenir la proximité avec le siège.

L’équipement de l’aéropôle de Nouaceur au niveau des télécommunications permet aux filiales de communiquer avec leur maison-mère par intranet, de recevoir les directives et d’utiliser les mêmes logiciels de gestion.

Le coût du foncier est jugé élevé malgré les subventions qu’accorde le Fonds Hassan 2 pour l’acquisition du terrain et la construction de l’usine. Pour les investissements supé- rieurs à 18 millions d’euros, une convention avec l’Etat permet de diminuer les coûts d’acquisition du terrain. Cependant, l’accès à la propriété présente une contrainte majeure qui est la corruption, pratique incontournable dans le secteur immobilier. Pour la contour- ner, les sociétés françaises ont souvent préféré la location ou le leasing à l’accès à la pro- priété. Actuellement, d’importantes mesures sont mises en place pour assainir le climat des affaires et généraliser la transparence.

Les mesures fiscales incitatives comptent également dans l’appréciation de la locali- sation. Les dirigeants sont tous sensibles aux mesures proposées aux investisseurs étran- gers, telles que l’exonération d’impôts et de droits de douane et, pour les entreprises exportatrices, l’exonération totale de l’Impôt sur les Sociétés (IS) pendant les cinq pre- mières années ainsi qu’un abattement de 50 % pendant les cinq années suivantes. De plus, tout investisseur peut bénéficier d’une exonération totale des charges sociales et patronales pendant une durée qui peut aller jusqu’à 36 mois.

La densité du tissu industriel est un facteur très faiblement noté car il ne peut jouer qu’à partir d’un certain seuil ; il peut donc paraître significatif pour les firmes implan- tées très récemment mais pas pour les pionnières. On peut expliquer cette appréciation par le fait que les firmes entretiennent pour l’instant peu de rapports au niveau local, étant pratiquement toutes en relation avec leur maison-mère ou d’autres filiales de leur groupe. Cependant, le nombre de firmes implantées localement peut laisser présager la disponibilité de personnel qualifié, de services aux entreprises, de fournisseurs, etc.

Pour l’instant, ce qui est important au Maroc, c’est la densité du tissu industriel fran- çais car les Allemands restent encore tournés vers l’Europe de l’Est. Certaines entre- prises sont venues s’installer au Maroc soit à la demande de leur donneur d’ordre, de leur maison mère, soit de leurs clients ou de leurs fournisseurs. D’autres entreprises, comme Microspire ont choisi le Maroc à cause de la présence d’un tissu industriel dense dans le domaine de l’électronique avec des sociétés comme MT Microelectronics et Valeo. Elles sont demandeuses de plus de parcs technologiques dédiés à leur activité.

Sur le plan du financement des projets, seule une partie de l’IDE est apportée au moment de l’installation, le reste des fonds étant emprunté localement. L’accès au crédit ne pose pas de problèmes pour les grandes sociétés qui ont une surface financière impor-

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tante et des fortes garanties de la part de leur maison mère. Le tissu bancaire au Maroc est très étoffé et structuré autour de grandes banques étrangères et locales mais reste difficile d’accès pour les PME selon un dirigeant français.

Théoriquement, dans la hiérarchie des critères d’attractivité, ceux qui touchent à la sécurité des droits de propriété sont souvent cités comme les plus essentiels aux yeux des investisseurs étrangers (Banque Mondiale, 2005). En ce sens, on peut considérer qu’ils font partie des pré-requis, conditions sans lesquelles la localisation ne pourrait pas être envisagée (Michalet, 1999). Dans les pays du Maghreb, ce sont les accords bilatéraux de protection des investissements (ABI) qui règlent la question de la protection des droits de propriété. Ces accords constituent de véritables contrats Etat-Entreprises en assurant aux investisseurs la protection contre tout risque de comportement opportuniste de la part des Etats (nationalisation, expropriation, etc.) et de troubles qui pourraient porter atteinte aux capitaux étrangers. Ils garantissent le libre rapatriement des bénéfices et prévoient la possibilité pour une firme de poursuivre un Etat en cas de non respect des clauses des ABI (Hattab-Christmann, Isla, 2002). D’autre part, les firmes étrangères n’ont pas d’obliga- tion en termes de contenu local. En juin 2008, le Maroc avait signé 61 ABI dont 36 sont déjà entrés en vigueur.

Cependant, dans les réponses obtenues lors de l’enquête, la protection des investis- sements ne figure pas parmi les facteurs les plus déterminants de la décision. Les res- ponsables interrogés ont faiblement noté ce critère probablement parce que sa prise en compte concerne le niveau supérieur de la décision. En effet, en amont d’un choix d’im- plantation, l’existence d’une forte protection garantie par des accords bilatéraux rassure les investisseurs à la fois sur la possibilité de rapatrier leurs bénéfices mais aussi leurs capitaux en cas de départ volontaire ou subi. De plus, le fait que la stabilité politique et sociale soit perçue comme très importante dans le choix de localisation réduit d’autant l’influence du critère « protection des investissements ».

Il en est de même pour le rôle joué par le code des investissements comme facteur d’attractivité. Les entrepreneurs ne semblent pas sensibles à ce critère car il est en amont de la décision. On peut aussi expliquer cette réponse par le fait que dans beaucoup de cas, ce n’est pas l’entreprise qui va à la recherche des différents critères pour construire son jugement, mais elle fait l’objet de démarchage de la part des politiques qui lui apportent les arguments « clés en main » comme une sorte de package qui fait qu’une destination est plus attractive qu’une autre.

Enfin, les démarches administratives demeurent complexes notamment pour les PME.

Les grandes firmes, comme Safran ont un délégué sur place qui joue le rôle de « facili- tateur ». C’est un personnage-clé car d’une part, une grande partie des documents admi- nistratifs sont en langue arabe, et d’autre part, les démarches administratives nécessitent une grande maîtrise de la culture locale et des modes de communication les plus efficaces.

En résumé, l’objectif du redéploiement vers le Maghreb étant la réduction des coûts, ce sont surtout la disponibilité, le coût de la main d’œuvre et la proximité qui ont joué un rôle majeur renforcés par tous les autres avantages offerts ou négociés.

La production réalisée localement ne nécessite pas pour l’instant de grandes qua- lifications, les parties les plus complexes de l’avion n’étant pas fabriquées au Maroc.

Cependant le Plan Emergence a fixé deux objectifs : atteindre les 17000 emplois en 2015 et opérer une montée en gamme à la fois au niveau de la sous-traitance et des nouveaux

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métiers (bureaux d’études et de méthodes, formation d’ingénieurs, etc.). C’est dans cette logique qu’a été accueillie la filiale de Zodiac Aéronautique dont l’objectif est de créer une unité d’usinage de pièces de mécanique de précision sur des machines à commandes numériques, un atelier de traitement des surfaces sur métaux, un atelier de montage d’en- sembles électroniques et un bureau d’études.

Les firmes-pivots imposeront des exigences de plus en plus grandes à leurs sous-trai- tants qui à leur tour demanderont à leurs propres sous-traitants non plus la réalisation de pièces élémentaires, mais la réalisation de sous-ensembles complets. Pour rester attractif, le Maroc doit relever un double défi en adaptant son offre de compétences et en accélérant le changement institutionnel.

Au delà de l’agglomération de ces nouvelles activités industrielles sur des sites dédiés, nous avons cherché à apprécier la pérennité de ces implantations et leurs impacts territo- riaux. Casablanca pourrait-elle connaître un jour le même destin que Toulouse ?

3. Casablanca, un nouveau « territoire de l’Aéronautique » ?

Depuis quelques années le Maroc poursuit trois objectifs : développer une politique de « districts industriels » tournés vers l’international, se positionner sur des segments spécifiques à forte intensité capitalistique et technologique, et jouer à fond la régionalisa- tion Nord-Sud. C’est dans ce contexte que se développent aujourd’hui les implantations liées à l’aéronautique. Nous n’avons pas relevé de délocalisation pure mais plutôt des implantations nouvelles destinées à assurer l’augmentation des charges des constructeurs.

Ces implantations sont soit « source unique », c’est-à-dire présentes uniquement sur un site, soit « double source » quand il s’agit de tenir la cadence comme dans le cas de l’A320. Les investissements, de type greenfield, sont destinés à renforcer la compétitivité des « territoires de l’aéronautique » situés en France. Les pays d’accueil construisent leur plan de développement en intégrant ces nouvelles opportunités. Dans quelle mesure les dynamiques observées auront-elles des impacts significatifs sur le développement de

« districts industriels » tournés vers l’international ? Dans quelle mesure ces nouveaux territoires de l’aéronautique seront-ils complémentaires de ceux du Nord ?

3.1. De l’attractivité a-spatiale à la territorialisation des activités

La politique d’attractivité du Maroc telle qu’elle apparaît dans le Plan Emergence a pour objectif de valoriser les atouts du Maroc comme localisation industrielle pour les investisseurs étrangers. La technique de promotion consiste à attirer les leaders inter- nationaux des activités industrielles ciblées par le Maroc qui, à leur tour susciteront de nouvelles dynamiques d’attractivité. Cependant, dans une perspective de développement durable, l’agglomération des activités industrielles devrait évoluer vers des formes ter- ritoriales plus stables. On s’interroge sur les rencontres possibles entre la dynamique sectorielle observée et les dynamiques territoriales émergentes. Sur le plan théorique, ces questions ont été développées dans le cadre de l’économie de la régulation (Chanteau et alii, 2002) et de l’économie de la proximité (Gilly, Torre, 2000)12. L’économie de la proxi-

12 Pour une mise en perspective des agendas de recherche de ces deux approches, voir Gilly et Lung, 2008.

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mité résulte d’une synthèse de l’économie industrielle et de l’économie spatiale et s’est enrichie des apports de la sociologie et des sciences politiques. Son apport fondamental réside dans l’idée qu’un territoire est construit dans la durée et qu’il n’est pas donné une fois pour toutes. Elle intègre le temps historique dans l’explication des trajectoires terri- toriales. C’est le temps nécessaire pour que la confiance s’instaure et que tous les acteurs s’approprient un objectif commun, de telle sorte que leur intérêt à coopérer l’emporte sur leur crainte de la compétition. Par ailleurs, elle ne traite pas d’un problème d’allocation optimale mais de création de ressources. Le territoire résulterait, dans cette acception, du recouvrement de trois formes de proximité, géographique, organisationnelle et institu- tionnelle (Gilly, 2006). La proximité organisationnelle renvoie aux pratiques, aux règles de comportement, aux modes de coordination qui prévalent au sein des organisations et entre les organisations (Gilly et Lung 2004) alors que la proximité institutionnelle renvoie à un ensemble de règles, de normes, de valeurs communes qu’elles soient formelles ou informelles au sens de Commons (1931).

Dans l’état actuel des choses, la dynamique d’agglomération observée à Casablanca ne permet pas encore de percevoir les économies de localisation qui résulteraient des proximi- tés géographique et organisationnelle articulant les firmes de l’aéronautique. Il semblerait cependant que l’on est en présence d’une industrie en grande partie a-spatiale tournée essen- tiellement vers l’exploitation d’avantages liés à la disponibilité d’une main-d’œuvre bon marché. Au plan macro-économique, le retour sur investissement pour le pays d’accueil est fortement corrélé aux effets d’entraînement attendus, au nombre d’emplois créés, au nombre de créations d’entreprises locales, à la construction de nouvelles compétences Au plan ter- ritorial, c’est la forme que prend l’agglomération d’activités productives qui sera détermi- nante de sa performance et de ses retombées non seulement sur le tissu d’entreprises locales mais aussi sur les relations qui se tissent entre tous les acteurs géographiquement proches.

Ces impacts seront différents selon qu’il s’agit d’une simple agglomération d’acteurs, basée uniquement sur des coûts bas, d’une spécialisation fragile soumise aux aléas des fluctua- tions des salaires et des taux de change entre monnaies, ou de l’émergence d’une véritable dynamique territoriale adossée à la construction de ressources spécifiques (Colletis, Gilly et Alii, 1999, 25-47). Des ressources sont spécifiques en ce sens qu’elles représentent une caractéristique locale qui ne peut être trouvée ailleurs. Cette dernière forme de territoire repose sur des capacités d’apprentissage collectif qui permettent un redéploiement des res- sources dans des activités exigeant des compétences sans cesse renouvelées. La territoria- lisation d’une activité économique est indissociable de la création et du développement de telles ressources spécifiques qui assurent une certaine stabilité au territoire. Au-delà des fac- teurs d’attractivité classiques, les déterminants essentiels deviennent la qualité et la variété du capital humain, l’importance de l’investissement en R&D et surtout, «l’offre de coor- dinations locales», c’est-à-dire la capacité à créer des liens coopératifs entre les différents acteurs présents sur le territoire, entreprises, universités, centres de recherche ou de forma- tion, institutions. De nombreux travaux de géographes (Zuliani, Jalabert et Leriche, 2002), de sociologues (Grossetti, 1995) et d’économistes (Carrincazeaux, 1999 ; Bergouignan, Carrincazeaux, Grossetti, 2004) témoignent de l’importance des liens science-industrie qui se sont tissés à travers le temps avec le soutien de différents intervenants institutionnels (Région, Etat, Europe) pour donner une spécificité particulière aux territoires industriels.

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3.2. Casablanca aura-t-elle le même destin que Toulouse ?

Construire des proximités organisationnelle et institutionnelle entre les firmes implan- tées à Casablanca devrait favoriser l’émergence de relations de coopération (notamment complémentaires) denses de nature marchande mais aussi non marchande. Toutefois, s’il existe bien un secteur aéronautique au Maroc, il paraît prématuré de parler de l’émer- gence d’un territoire de l’aéronautique à Casablanca. En effet, pour donner lieu à des spill-overs technologiques, les firmes de ce secteur doivent être en capacité de densifier leurs échanges intra mais aussi interindustriels avec les secteurs mécanique et électro- nique locaux; c’est la capacité des différents acteurs à travailler ensemble et à coopérer dans des domaines connexes à leur activité qui définit un cluster aéronautique. Le secteur aéronautique peut participer à une véritable dynamique territoriale, si les filiales étran- gères échangent entre elles et avec des entreprises locales. Cependant, il convient de constater que, par exemple, dans le cas de la région toulousaine, le pôle aéronautique toulousain s’est constitué sans lien avec les autres acteurs économiques locaux (Jalabert, 1974). La SNIAS, qui avait son propre centre de formation, entretenait peu de liens avec les universités et les centres de recherche locaux et ses relations avec les industries élec- troniques locales étaient faibles (Dupuy, Gilly, 2008,140). C’est avec le temps et les évo- lutions organisationnelles de l’activité aéronautique que se sont tissées progressivement des relations localement situées avec des sous-traitants.

Lors de nos entretiens, pratiquement toutes les entreprises interrogées se sont définies comme des « ateliers délocalisés ». Elles entretiennent des relations client/fournisseur ou donneur d’ordre/sous-traitant avec d’autres entreprises du même secteur situées à Casablanca, mais ces relations sont indirectes dans la majorité des cas car elle transi- tent par les maisons mères qui sont leur principal client dans 70 % des cas. Quand les échanges se font localement, le contrat est toujours centralisé au niveau des sièges.

Par ailleurs, elles achètent peu localement13, tout au plus quelques fournitures admi- nistratives car la totalité des intrants est importée sous le régime douanier de l’admis- sion temporaire et les productions sont réexportées vers les maisons-mères ou vers des filiales du même groupe. Comme nous l’avons déjà vu, pour les filiales françaises, il s’agit presqu’essentiellement d’un trafic de perfectionnement passif. Les seules relations industrielles concernent le traitement de surface, le contrôle non destructif ainsi que les activités de maintenance et de réparation.

Les décisions sont prises par la maison mère qui assure toute l’activité contractuelle sauf dans un seul cas où la filiale est en relation directe avec ses clients au Maroc, de l’établissement des contrats jusqu’à la livraison. Or, la territorialisation impliquerait une décentralisation des décisions d’approvisionnement et des choix des fournisseurs.

Si certaines entreprises semblent le souhaiter, dans quelle mesure les maisons mères seraient-elles disposées à renoncer à leur technique de prix de transfert qui leur laisse un certain degré de liberté14 dans l’évaluation de leurs échanges intra-firmes ? Certains intrants pourraient être trouvés au Maroc, mais compte tenu de la sensibilité du secteur,

13 Il s’agit ici des réponses des entreprises interrogées et elles ne sauraient être étendues à tout le secteur.

14« Bien que les biens et services internalisés traversent les frontières, bien qu’ils soient enregistrés dans les balances commerciales des pays à leur sortie et à leur entrée, ils ne sortent pas de l’espace intégré de la firme », (Michalet, 2002, 75)

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les entreprises clientes seraient confrontées au problème de qualification, ce qui explique la pression des entreprises françaises déjà installées pour faire venir leurs fournisseurs. En effet, l’aéronautique est un secteur dont les exigences en termes de qualité et de normes sont très strictes. La mise à niveau des entreprises marocaines est donc indispensable pour parvenir à satisfaire un ensemble de normes définies par les donneurs d’ordre dans leurs cahiers des charges. Cette étape passe nécessairement par les procédures de certification comme les JAR (Joint Aviation Requirements), JAR 21 qui est l’agrément pour la fabrica- tion d’ensembles aéronautiques, JAR 145, agrément pour la réparation et la maintenance d’ensembles aéronautiques. Elles sont établies par les JAA (Joint Aviation Authorities) qui sont les autorités communes des aviations civiles dans 36 pays d’Europe. Elles éta- blissent les normes communes (JAR) que chaque Etat membre doit ensuite incorporer dans sa législation et appliquer. Dans les activités aéronautiques implantées au Maroc, les normes ISO 9001 et EN 9100 sont les plus répandues. L’entreprise implantée doit obtenir sa propre certification avant de pouvoir produire des composants aéronautiques.

Face à toutes ces contraintes, l’essaimage constitue une autre façon de densifier le sec- teur et le nombre d’entreprises sous-traitantes. Nous avons relevé un seul cas d’essaimage où l’ancien dirigeant d’une filiale française a créé sa propre société (OB Electronique) et a racheté un de ses anciens sous-traitants (Seca).

La territorialisation implique également que les entreprises et tous les acteurs locaux travaillent ensemble. Il convient donc d’identifier ces acteurs et les formes de liens qu’ils entretiennent. Tout d’abord, les acteurs publics rattachés à l’Administration centrale (Ministère du commerce et de l’Industrie, Office National des Aéroports, l’OFPPT, la Direction des investissements étrangers) ont joué un rôle direct dans l’attractivité des entreprises françaises de l’aéronautique notamment sous l’impulsion du Programme Emergence. Les Collectivités territoriales (Région de Casablanca, Wilaya de Casablanca), les organismes déconcentrés comme les centres régionaux d’investissement (CRI) se sont vus confiés dans le cadre de la nouvelle politique industrielle, le pilotage et l’ac- compagnement des actions de promotion et de marketing territorial. Ils y travaillent en collaboration avec les organismes professionnels comme la Fimme ou encore le Gimas qui fait partie du Conseil d’administration du CRI de Casablanca. Les partenariats entre entreprises et Grandes Ecoles, Universités (Ecole d’ingénieurs Mohammedia, ISCAE, Université Al Akhawayne), entre le Gimas, l’UIMM et l’AFD pour la création de l’IMA participent de ce maillage territorial en train de se tisser autour de l’activité aéronautique.

La Chambre Franco-Marocaine du Commerce et de l’Industrie assure le relais auprès des entreprises françaises en recherche de nouvelles opportunités de localisation.

Comme dans le cas de la France, le développement d’une industrie aéronautique au Maroc doit beaucoup à la volonté des pouvoirs publics. Le rôle de l’Etat reste impor- tant pour construire un environnement institutionnel propice au développement d’une industrie « propre », afin d’enraciner les firmes françaises mais aussi d’attirer d’autres firmes aéronautiques (notamment allemandes) encore concentrées dans les PECO. À Casablanca, la gouvernance territoriale reste dominée par l’acteur public qui est lui- même dans une logique de satisfaire les attentes des investisseurs étrangers. Airbus, en tant qu’acteur global définit les règles et impose les conditions d’organisation de toute la filière aéronautique amont. Cette firme joue donc un rôle déterminant dans les dyna- miques territoriales qui émergent. Le Gimas, principal organe de coordination du secteur,

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