2 Espaces de Banach
2.1 D´ efinition et exemples
SoitX un espace vectoriel complexe. Une fonction positivek · kd´efinie surX est appel´ee une norme si elle v´erifie (1.4), et la relationkuk = 0 implique que u= 0. Toute norme surX d´efinit une distance par la formuleku−vk.
D´efinition 2.1. Un espace vectoriel X muni d’une norme k · kest appel´e un espace de Banachsi il est complet par rapport `a la distance d´efinie par la norme.
Consid´erons quelques exemples. Rappelons que les espaces ℓ,C([a, b]) etP sont d´efinis dans les exemples 1.5. Pour 1 ≤ p < ∞, d´efinissons les fonctions suivantes sur ces espaces :
kxkℓp= ∞
X
n=1
|xn|p 1/p
, kxkℓ∞ = sup
n≥1
|xn|,
kfkLp(a,b)= Z b
a
|f(x)|pdx 1/p
, kfkL∞(a,b)= ess sup
x∈[a,b]
|f(x)|, kgkL∞ = sup
z∈D
|g(z)|,
o`ux ∈ℓ,f ∈C([a, b]) etg∈ P.
Exercice 2.2. Montrer quek · kℓ∞,k · kL∞(a,b)etk · kL∞(D)sont des normes sur des espaces correspondants et queC([a, b]) est un espace de Banach, maisℓetP ne l’ont pas.
Proposition 2.3. Les fonctions k · kℓp et k · kLp(a,b) sont des normes sur les espacesℓ etC([a, b]) respectivement, mais ces espaces ne sont pas complets.
D´emonstration. La deuxi`eme relation de (1.4) est ´evidente, donc nous n’allons montrer que l’in´egalit´e. On admet l’in´egalit´e de H¨older :
∞
X
n=1
xnyn
≤ ∞
X
n=1
|xn|p
1/p ∞ X
n=1
|yn|q 1/q
, (2.1)
Z b a
f(x)g(x)dx
≤ Z b
a
|f(x)|pdx
1/pZ b a
|g(x)|qdx 1/q
, (2.2)
o`u 1p+1q = 1. Alors on peut ´ecrire
kx +ykpℓp=
∞
X
n=1
|xn+yn|p≤
∞
X
n=1
|xn+yn|p−1(|xn|+|yn|)
≤ ∞
X
n=1
|xn+yn|p p−1p
kxkℓp+kykℓp ,
d’o`u l’in´egalit´e cherch´ee pourℓp. La mˆeme id´ee marche aussi pourk · kLp(a,b). Montrons queℓn’est pas complet. En effet, consid´erons la suite
xj= 1,1
2, . . . , 1
2j,0,0, . . . .
Alors il est facile `a voir qu’elle est de Cauchy, mais elle n’a pas de limite dansℓ.
Montrons enfin queC([a, b]) n’est pas complet. Pour simplifier, supposons quea=−1 etb= 1. Soit la suite
fj(x) =
−1, x≤ −j−1, jx, |x| ≤j−1,
−1, x≥j−1.
Alors{fj}est de Cauchy, mais elle n’a pas de limite dansC([a, b]).
On introduit la notion decompl´etionpour les espaces de Banach de la mˆeme mani`ere que dans le cas des espaces de Hilbert ; voir la d´efinition 1.6. Les espaces suivants sont des compl´etions de ℓ,C([a, b]) ouP pour diverses normes :
1. pour 1≤p <∞, l’espace ℓp de suites x = (xn)n≥1 v´erifiant la condition kxkℓp<∞est la compl´etion deℓpour la normek · kℓp;
2. l’espace ℓ0 de suitesx = (xn)n≥1 qui convergent vers z´ero quandn→ ∞ est la compl´etion deℓpour la normek · kℓ∞;
3. l’espace Lp(a, b) de fonctions mesurablesf : [a, b]→Cv´erifiant la condi- tionkfkLp(a,b)<∞est la compl´etion deC([a, b]) pour la normek·kLp(a,b); 4. l’espace A∞(D) de fonctions analytiques f : D → C qui admettent une extension continue surD est la compl´etion deP pour la normek · kL∞(D). Exercice 2.4. D´emontrer les ´enonc´es mentionn´ees ci-dessus.
2.2 Th´ eor` eme de Baire
Th´eor`eme 2.5. SoitX un espace de Banach repr´esent´e comme la r´eunion de sous-ensmblesXn,n≥1. Alors il existe un entiern0tel queXn0 est dense dans une boule.
D´emonstration. Supposons que l’adh´erenceXn ne contient de boules pour au- cun entier n. Alors X \X1 contient une boule non d´eg´en´er´ee B(u1, r1). De mˆeme, comme X2 ne contient pas de boule, l’ensemble B(u1, r1)\X2 contient une boule non d´eg´en´er´ee B(u2, r2). Par r´ecurrence, on consruit une suite de boules non d´eg´en´er´eesB(un, rn)⊂X\ ∪nk=1Xk
telle que
rn →0 quandn→ ∞, B(un, rn)⊃B(un+1, rn+1) pour toutn≥1.
Il est facile `a v´erifier que la suite{un}converge vers un point ˆuqui n’appartient `a aucun ensembleXn. Ceci contredit au fait queXest la r´eunion deXn,n≥1.
Exercice 2.6. Montrer que le th´eor`eme de Baire est ´equivalent `a la propri´et´e suivante : dans un espace de Banach, l’intersection d´enombrable d’ouverts denses est dense.
Le th´eor`eme de Baire reste vrai pour des espaces m´etriques complets. Une application int´eressante de ce r´esultat `a la th´eorie de fonctions est donn´ee dans l’exercice suivant.
Exercice 2.7. SoitI = [0,1] et P(x, y) une fonction continue d´efinie sur I×I telle queP(·, y) etP(x,·) sont des polynˆomes pour toutx, y∈I. Montrer queP est un polynˆome.
2.3 Th´ eor` eme de Banach–Steinhaus
SoientX,Y deux espace de Banach. On noteL(X, Y) l’espace d’op´erateurs lin´eaires continus deX dansY.
Exercice 2.8. Montrer que les propri´et´es de l’exercice 1.11 restent vrai pour les espaces de Banach. Montrer aussi queL(X, Y) muni de la normek · kL(X,Y)est un espace de Banach.
Th´eor`eme 2.9. SoientX,Y deux espaces de Banach et Aγ :X →Y,γ∈Γ, une famille d’op´erateurs continus telle que
kAγukY ≤Cu pour tout γ∈Γ.
Alors il existe une constanteC >0 telle que
kAγkL(X,Y)≤C pour toutγ∈Γ. (2.3) D´emonstration. Nous allons utiliser le th´eor`eme de Baire. Soit
Xn={u∈X :kAukY ≤nkukX}.
AlorsX =∪nXn. Donc, il existe une boule B(u0, r0)⊂X et un entiern0≥1 tels queXn0 ⊃B(u0, r0) :
kAγukY ≤n0kukX≤C1 pour toutu∈B(u0, r0),γ∈Γ, o`uC1=n0(ku0kX+r0). Ceci implique que
kAγukY ≤C1 pour toutu∈B(0, r0),γ∈Γ.
d’o`u on obtient l’in´egalit´e (2.3) avec C=C1/r0.
2.4 Th´ eor` eme de Hahn–Banach
Pour un espace de BanachX, on noteX∗le dual deX, c’est-`a-dire, l’espace des fonctionnelles lin´eaires continuesf :X→Rmuni de la norme
kfkX∗ := sup
kukX≤1
|f(u)|.
Le th´eor`eme suivant implique, en particulier, que X∗ n’est pas vide et s´epare les points deX. Nous consid´erons ici le cas r´eel, mais le r´esultat reste vrai aussi pour le cas complexe.
Th´eor`eme 2.10. SoitX un espace de Banach r´eel, X0 ⊂ X un sous-espace vectoriel, etf0:X0→Rune fonctionnelle lin´eaire continue telle que
|f0(u)| ≤CkukX pour toutu∈X0. Alors il existef ∈X∗ tel que
f
X0 =f0, kfkX∗ ≤C.
D´emonstration. Pour simplifier, nous n’allons consid´erer que le cas d’un espace s´eparable, c’est-`a-dire, on suppose qu’il existe une suite dense dans X. La d´e- monstration dans le cas g´en´eral est bas´ee sur le lemme de Zorn ; voir [Yos78].
On peut supposer que C = 1. Soit {un} ⊂X une suite de vecteurs unit´es lin´eairement ind´ependants telle que l’espace vectoriel engendr´e parX0 et{un} est dense dansX. Nous allons construire par r´ecurrence une suite d’extensionsfn
de la fonctionnellef0 `a l’espaceXn:= Vect{X0, u1, . . . , un}. Supposons quefn
est d´ej`a construit. Alors pour u∈Xn etα∈Ron pose fn+1(u+αun+1) =fn(u) +αp, o`up∈R. On veut choisirptel que
|fn(u) +αp| ≤ ku+αun+1k pour toutu∈Xn,α∈R.
Il est facile `a voir que cette in´egalit´e est ´equivalente aux conditions suivantes : p≤ ku+αun+1k −fn(u)
α , p≥fn(u)− ku−αun+1k
α , ∀α >0, ∀u∈Xn. Une telle constante existe si
ku+αun+1k −fn(u)
α ≥fn(v)− kv−βun+1k
β pour tousα, β >0,u, v∈Xn. Cette condition est ´equivalente `a
fn(αv+βu)≤ kαv−αβun+1k+kβu+βαun+1k. (2.4) D’apr`es l’hypoth`ese de r´ecurrence, l’in´egalit´e (2.4) est v´erifi´ee pour tousα, β >0 et u, v∈Xn.
Il existe donc une fonctionnelle ˜f :∪nXn →Rtelle que f˜
X
0=f0, |f˜(u)| ≤ kukX pour toutu∈ ∪nXn.
Par continuit´e, on peut prolonger la fonctionnelle ˜f `a l’adh´erence de∪nXn, qui co¨ıncide avecX.
Corollaire 2.11. Pour tout u, v ∈ X il existe une fonctionnelle f ∈X∗ telle quef(u) = 0etf(v) = 1.
Exercice 2.12. Enoncer et d´emontrer le th´eor`eme de Hahn–Banach dans le cas complexe.Indication :voir§IV.4 dans [Yos78].
2.5 Th´ eor` eme de Banach de l’application inverse
Th´eor`eme 2.13. SoientX1, X2deux espaces de Banach etA∈ L(X1, X2)une bijection. Alors A−1∈ L(X2, X1).
Ce th´eor`eme implique imm´ediatement les deux corollaires suivants : Corollaire 2.14. SoitX un espace de vectoriel muni des normesk · k1 etk · k2. SupposonsX est complet par rapport `a ces normes et que
kuk1≤Ckuk2 pour toutu∈X.
Alors il existe une constanteC′>0 telle que
kuk2≤C′kuk1 pour toutu∈X.
Corollaire 2.15. SoitA:X1→X2 une application lin´eaire et Γ(A) ={(u1, u2)∈X1×X2:u2=Au1}
le graphe deA. AlorsA∈ L(X1, X2)si et seulement siΓ(A)est un sous-espace ferm´e du produit direct X1×X2.
D´emonstration du th´eor`eme 2.13. On note B ⊂ X1 la boule unit´e de centre z´ero et Yρ =A(ρB) =ρA(B). Alors ∪n≥1Yn =X2, et d’apr`es le th´eor`eme de Baire, il existe un entier m ≥ 1 et une boule B(u, r) ⊂ X2 telle que Ym soit dense dansB(u, r). CommeYmest sym´etrique par rapport `a z´ero et convexe, on conclut queYmest dense dansB(0, r) et queY1 est dense dans la bouleB(0, ε) avecε=r/m. Si on arrive `a montrer queY1⊂Y2, alors on aura queY2⊃B(0, ε), et donc
kA−1vk1≤2 pourv∈X2,kvk=ε.
Ceci implique que la norme deA−1est major´ee par 2/ε.
Montrons maintenant queY1 ⊂Y2. Soit v ∈ Y1. Alors il existe u1 ∈B tel quev−Au∈B(0, ε/2). De mˆeme, commeB(0, ε/2)⊂Y1/2, il existeu2∈ 12B tel quev−A(u1+u2)∈B(0, ε/4). On construit ainsi une suiteuj ∈21−jBtelle que
u−
n
X
j=1
Auj∈B(0,2−nε) pour toutn≥1.
On pose maintenant u=P
juj. Alorsu∈2B et Au=v.