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La Suisse à pied Dehansy, Charles Paris, [1861] ETH-Bibliothek Zürich Shelf Mark: Rar 10655

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www.e-rara.ch

La Suisse à pied

Dehansy, Charles Paris, [1861]

ETH-Bibliothek Zürich

Shelf Mark: Rar 10655

Persistent Link: https://doi.org/10.3931/e-rara-94116

II. Genève. Lausanne.

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GENEVE . - LAUSANNE.

Visite de Genève. — La ville ancienne et la ville moderne . — Le lac. — Les passagers du Léman . — Lausanne . — Un duel judiciaire . —Une funeste rencontre . —Lafausse route . — Les émotions du bourg de Hue. — Roniont . — La cueillette des cerises . — Arrivée à Fribourg.

S il’

monotones en supprimant les épisodes de la route , il enétablissement des chemins de fera rendu les

vojages

a diminué la durée ; par cela même , il en a fait dispa¬

raître la fatigue . Que vous ayez affaire à une distance de cent lieues ,Yexpress vous y mène en moins de six heures , tandis qu ’autrefois , on mettait cinq fois plus de temps en diligence, et dans quelles conditions encore !. Pressé de tous côtés sans pouvoir changer de position , aveuglé par la poussière, vous sortiez de l ’étroite boîte , moulu , incapable de faire aucun mouvement.

Cette impression fut celle de nos apprentis touristes , en quit¬

tant la dure banquette sur laquelle ils venaient de passer près de vingt-quatre heures . Aussi , une fois le logement trouvé , ne demandèrent - ils qu a souper et àse coucher ,sans se soucier le moins du monde de faire connaissance immédiate avec la cité génevoise.

Genève n ’offre pas à l ’étranger beaucoup de monuments qui soient dignes de piquer sa curiosité : elle n ’a guère que sa

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SUJSSE A PIED.

Cathédrale , son Hôtel de ville et son Musée à leur offrir . Ce qui frappe le plus l ’attention de ses visiteurs , ce sont ses pro¬

menades ,ses quais , et surtout son lac , qui est sa plus belle parure ,en même temps qu ’il est la source de sa prospérité.

L’abord de Genève par le lac est magique de grandeur et de richesse . — Déjà prédisposé à l ’admiration par la vue des imposantes montagnes qui servent de cadre àla souveraine du lac , l ’étranger voit successivement se déployer devant lui de nombreuses villas , élégant faubourg de Genève, puis de belles lignes de quais aux édifices somptueux , dont la perspective lui paraît plus grandiose encore , réfléchie dans le cristal d’une eau limpide et azurée.

Voilà bien la Genève moderne , la ville opulente , oùse don¬

nent chaque année rendez - vous toutes les nationalités ; cette

« sultane paresseusement couchée à la base du mont Salève, » comme l ’appelle l ’un des écrivains les plus féconds de notre époque . « Étendant jusqu ’au lac ses pieds que chaque flot vient

« baigner , elle semble n ’avoir autre chose à faire que de

« regarder avec amour les mille villas semées aux flancs des

« montagnes neigeuses qui s’étendent à sa droite , ou bien

« couronnent le sommet des collines vertes qui se prolongent

« à sa gauche . Sur un signe de sa main , elle voit accourir du

« fond vaporeux du lac ses légères barques aux voiles triangu-

« laires , qui glissent à la surface de l ’eau , blanches et rapides

« commé des goélands , et ses pesants bateaux à vapeur qui

« chassent l ’écume,avec leur poitrail . Sousce beau ciel , devant

« ces belles eaux , il semble que ses bras lui sont inutiles , et

« qu ’elle n ’a qu ’à respirer pour vivre. Et cependant , » ajoute M. Alexandre Dumas , « cette odalisque nonchalante en appa-

« rence , c’est la reine de l ’industrie , c’est l’active , c’est la

« commerçante Genève , qui compte quatre -vingt-cinq mil-

« lionnaires parmi ses vingt mille habitants . »

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GENÈVE. — LAUSANNE. 23 Genève, en effet, ne mérite pas seulement d’être observée pour ses dehors élégants et sa situation sans pareille . Derrière la ville du luxe et de l ’animation ,se cache la cité commerçante et industrielle . — C’est dans les rues qui avoisinent le Rhône que siègent ces riches comptoirs , cités dans le siècle dernier par J . J . Rousseau , et dont la réputation n ’a pas déchu depuis lors . Une seule industrie , celle de l ’horlogerie , suffirait pour l ’enrichir : elle occupe tout un quartier dont les maisons ont plusieurs étages , à chacun desquels grince la lime et résonne le marteau.

Limitée de tout temps , quant à l’étendue de son territoire, Genève, l ’ancienne ville des Allobroges , n ’a dû son pouvoir et son influence qu ’au développement de son industrie . — L’es¬

prit patriotique de ses habitants lui a fait également conserver

ses institutions municipales pendant une longue suite desiècles, et malgré les diverses dominations qu ’elle eut à subir . Tour à tour soumise àla puissance romaine , envahie par les barbares, comprise dans le royaume de Bourgogne et dans le vaste empire de Charlemagne , elle eut plus tard encore à soutenir de cruelles luttes , àla fois contre lesducs de Savoie,ses belliqueux voisins, et contre les comtes de Génevois, possesseurs d’une partie de son sol , avides rivaux qui s’en disputaient la possession . — Genèvene conquit son entière indépendance qu ’en 1529 . C’est également à cette date qu ’il faut placer l’établissement dans ses murs de la réforme , dont Calvin devait , quelques années plus tard , se faire le second apôtre . — Annexée en 1798 à la France , comme chef- lieu du département du Léman , ce n ’est qu ’à l ’époque de la restauration quelle fut , enfin , agrégée à la confédération helvétique . Elle y occupe par l’ancienneté le vingt- deuxième rang.

Autorisés par leur fatigue de la veille , nos amis ont fait à

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Genève la grasse matinée . — Quittant leur hôtel seulement après déjeuner , ils ont débuté par aller s’asseoir paresseuse¬

ment sur le quai , en face d’un bateau à vapeur , en ce moment prêt à partir . — Si, plus tard , nous les retrouvons de nouveau, c’est encore sur un banc , dans la partie haute de la ville , au Jardin botanique .Nous pourrons les suivre de station en station, dans cette journée de flânerie : de la rue de la Corraterie, véritable boulevard parisien , à la partie centrale de la ville, oùse trouvent des rues contemporaines de l ’auteur de l ’Émile ; des rues basses, centre des grandes affaires de Genève, au faubourg Saint-Gervais , quartier général des fabriques d’horlogerie ; enfin , de la maison où naquit Jean -Jacques , à l ’île qui porte son nom , et qu ’une chaussée relie au pont des Bergues ; charmant réduit qu ’orne la statue du philosophe , et où l ’on passerait toute une journée rien qu ’à contempler le lac.

Si les visiteurs ne manquent pas à la petite île deRousseau, ils abondent encore plus au jardin anglais , surtout après la

chaleur du jour . Quand le soir est venu , des tables se dres- sont sous les arbres , les feuillages s’illuminent , des barques pavoisées se croisent aux abords du rivage ; les étrangers de passage à Genève affluent de toutes parts . — Entouré de fleurs et de gazons , vous y voyez s’éteindre au couchant les dernières lueurs du jour ; et pendant que résonnent à vos oreilles les chants qu ’accompagnent les guitares , vous pouvez y savourer tout à la fois , et les brises délicieuses qui s’élèvent du lac , et les sorbets exquis du glacier leplus en renom de Genève.

Lejour vient à peine de paraître , et déjà les rues de Genève, quelque temps silencieuses , ont repris la vie et le mouvement

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GENÈVE. — LAUSANNE. “25 de la veille . Les magasins s’ouvrent , les étalages se forment,

les voitures circulent . Sur le quai du Rhône , l’affluence est plus grande : des voyageurs affairés , des porteurs chargés de ba¬

gages, s’empressent à l ’envi , et se dirigent , les uns vers une diligence tout attelée , les autres vers un bateau à vapeur, amarré le long du rivage , et qui , muni de sa ration de char¬

bon , commence à s’agiter , ainsi qu ’un cheval qui piaffe d’im¬

patience en attendant l ’instant du départ.

Prévenus de l ’heure matinale de l ’embarquement , Jules et Léon ont été sur pied de bonne heure , et quand monsieur De- launay a pénétré chez eux , les a- t-il trouvés , chacun agenouillé devant son havre - sac , bouclant , puis débouclant , pour rebou- cler une dernière foisce camarade de route , qui contient tout leur bagage . —Vive le havre -sac , quand on voyage à pied ! Em¬

porter le moins possible d’effets ,et ne pas s’en séparer , c’est là notre méthode , et c’est , à coup sûr , la meilleure .— Si par¬

tageant nos goûts , quelqu ’un de vous, lecteurs , entreprenait une excursion pédestre à l’exemple des jeunes héros de notre livre , qu ’il fasse comme eux l’emplette d’un havre-sac ! Il sera, delà sorte , affranchi d’une foule d’embarras qui entraveraient à chaque pas sa marche . — Trouvera - t- il toujours , en effet, des voitures se rendant exactement à l’endroit vers lequel il se dirige , et auxquelles il puisse confier sa malle ? Et , si celle- ciest en retard , ne faudra -t-il pas qu ’il se résigne à l ’attendre?

Enfin , les bagages lancés dans une direction , lui sera- t- il possible de modifier en route son itinéraire , et de suivre ces inspirations soudaines , nées quelquefois d’une rencontre im¬

prévue ou d’un changement de temps inespéré , et qui , vous faisant prendre à gauche au lieu de continuer tout droit, donnent à un voyage à pied le charme inappréciable de l’indé¬

pendance la plus absolue.

Le capitaine a donné le signal du départ ; déjà . les cordages

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2L

qui servent d’amarres ont été ramenés à bord . Les roues , mues par la vapeur , se mettent en mouvement ; battant rapide- ment de leurs palettes l ’eau qui s’agite autour d’elles en blan¬

che écume , elles portent en un instant le paquebot au milieu du fleuve .Les quais s’éloignent de plus en plus des voyageurs ; le navire a atteint la passe étroite qui indique la limite du Rhône ,il est dans les eaux du lac.

Le lac deGenève, appelé aussile lac Léman , forme un bassin allongé en forme de croissant , dont l ’arc extérieur , tourné vers le nord , est en grande partie limité par le canton deYaud.

Vaste réservoir où s’écoulent quarante rivières ou torrents , il reçoit à Villeneuve son principal affluent , le Rhône , qui a déjà parcouru tout le Valais , recueillant sur sa route les eaux fré¬

missantes de vingt glaciers , et qui , fatigué de sa course , s’y jette avec bonheur comme pour y chercher le repos . Limpides comme le cristal , ses ondes ont une transparence telle, qu ’elle permet aux regards de fouiller ses profondeurs . En certains endroits , elles descendent à plus de trois cents mètres . — L’ir¬

régularité de ses rives et les nombreux golfes qui en échancrent les contours le font beaucoup varier de largeur . De Genève à Yvoire , c’est le petit lac, il a à peine quatre kilomètres d ’un bord à l ’autre ; à partir de ce point , il prend le nom de grand lac,et sa rive méridionale se creuse subitement pour lui faire atteindre sa plus grande largeur , qui est , de Rolle à Thonou, de près de quatorze kilomètres.

Tout entiers aux impressions qu ’excitaient en eux les débuts de cette navigation toute nouvelle , nos jeunes voyageurs , de¬

bout à l ’avant du paquebot , prèsde la cloche d’appel , ouvraient de grands yeux , pour ne rien perdre du panorama qui se dé¬

roulait devant eux . — Déjà, Genève avait fui , et ne présentait

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(ÏENÙVE. — LAUSANNE. 27 plus à leurs regards qu ’un ensemble confus qui allait bientôt se perdre dans la brume du matin . Les rives s’écartaient , et du côté du sud , ils voyaient se détacher les premiers groupes des montagnes qui avoisinent le lac de Genève, et que dépassent à leur tour d’autres sommets plus éloignés . Leur admiration trouvait , enfin , un aliment continuel dans la vue des eaux du lac , miroir limpide , à peine frissonnant au souffle de la brise, et dont chaque flot empruntait au soleil une teinte bleuâtre impossible à rendre.

Non loin des deux cousins , se trouvait un petit monsieur, uniformément habillé de grosse étoffe de laine grise , et chaussé de hautes guêtres en cuir ; une vaste gibecière pen¬

dait en bandoulière à son côté . Il semblait prendre plaisir à voir leur naïve admiration , et souriait avec bienveillance à chacune de leurs observations . Il finit par leur adresser la parole.

— Je vois, Messieurs, leur dit-il, que c’est la première fois que vous rendez visite à notre beau lac ; et , si j ’en juge par vos élogeset votre enthousiasme , il a fait votre conquête . Pourtant, notre Léman n ’a passi bon caractère que vous pourriez le sup¬

poser , à voir son étatde calme et sa transparence . Il a souvent des caprices , et quand le Bornand se met à souffler de là- bas, ajouta -t-il en montrant de loin la Savoie, il ne fait pas bon , je vous l ’assure , à être là où nous sommes maintenant . — Une après -midi de l’an passé , je m ’étais embarqué à l’autre bout du lac , à Vevey, où il y avait fête . Tout alla bien jusqu ’à Ouchy ; mais , tout d’un coup , le ciel se couvrit de nuages ,et ce coquin de vent dontje vous ai parlé tout à l’heure se mit de la partie . Alors , le lac avait changé d’aspect ; ses eaux , remuées comme par une force souterraine , s’élevaient autour de nous, ainsi que des montagnes furieuses . Joignez à cela un brouillard qui ne permettait pas de voir à cent pas de soi. — Personne de

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nous n ’était rassuré , et si le capitaine n ’avait pas été un homme aussi brave qu ’expérimenté ,il eût pu nous arriver mal¬

heur a tous . Il nous fallut , ce soir-là , débarquer à Nyon , au lieu d’aller jusqu ’à Genève.

Cependant , abord du bateau à vapeur , tout le désordre in¬

séparable d’un embarquement matinal avait fini par se calmer.

Chacun avait réussi plus ou moins à se placer suivant son dé¬

sir : le banc circulaire qui entoure la galerie du pont avait été immédiatement envahi par les plus alertes . D’autres , aussi heureux , avaient pu s’emparer d’un pliant , et s’étaient instal¬

lés sur le pont . Les moins bien partagés arpentaient de long en large le court espace laissé vacant , ou campaient jusqu ’à nouvel ordre sur les malles et sur les ballots de marchandises accumulés au centre du bâtiment.

On formait çà et là des groupes . Ici , des dames , rassemblées en petit comité , causaient entre elles en s’occupant de travaux d’aiguille . Les touristes étaient en majorité ; tantôt réunis en sociétés , tantôt solitaires , ils étaient reconnaissables à leurs di¬

vers attirails de voyage. Un grand nombre étaient déjà munis du long bâton à pointe de fer , ce compagnon caractéristique du coureur de montagne , et dont ils n ’avaient garde dese des¬

saisir un seul instant.

Passez , rives heureuses , dont les contours se dessinent si harmonieusement à nos regards ! Passez, séjours enchanteurs, où la vie doit s’écouler si douce , si facile , au bord de ce lac sans pareil , en face du plus magique des panoramas ! Bellerive, Genthod , que nous ne faisons qu ’entrevoir , Versoix , que pos¬

séda longtemps la France (1), Coppet à l ’historique château, Nyon , où toutes les époques ont laissé des souvenirs !

(I) Louis XVvoulut faire de Versoix une ville rivale de Genève . On nivela à cet elTet degrands espaces, on traça de nombreuses rues sur le sol, mais la

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GENÈVE. — LAUSANNE. 29

Chacune des stations où s’est arrêté le paquebot lui a amené de nouveaux voyageurs , de même qu ’elle lui en a enlevé un certain nombre , arrivés à leur destination . Parmi les nouveaux venus , se distinguent cinq hommes à la tournure bizarre , aux accoutrements sales et râpés , et porteurs d’instruments de musique en aussi piteux état que leurs personnes ; pauvres artistes nomades , que l ’été sème sur tous les grands chemins, avec la misère pour principal bagage . — On fait cercle autour d’eux , et bientôt commence un concert aussi bruyant que peu harmonieux , où le trombone et la clarinette ont probablement fait serment de ne pas se mettre d’accord . Après le concert, vient la quête de rigueur ,et les petites pièces de monnaie pieu- vent dans la casquette graisseuse du cornet à piston.

A Rolle , nouveau point où s’arrête pour quelques instants le vapeur , le paysage s’agrandit ; on voit , à gauche , le Jura s’éloigner du lac , en prenant la direction du nord . — De l’au¬

tre côté du Léman , la rive a brusquement reculé vers le sud, et ne s’est arrêtée qu ’au pied des montagnes du Chablais , qui forment comme un premier gradin aux majestueuses chaînes de la Savoie. A leur hase , au fond d’un golfe , on reconnaît à ses blanches maisons la ville de Thonon , placée en amphi¬

théâtre , et dont les jardins descendent jusqu ’au bord du lac.

En se reportant vers la rive gauche , voici bientôt Saint - Prex, puis , Morges, petite ville commerçante , dont le château sert d ’arsenal au canton de Vaud , et qui est parée d’une riante ceinture de villas à la tournure italienne.

Sur une colline qui s’élève dans la direction du nord , appa-^

raît un vieux donjon , dont nos jeunes amis apprennent l’his¬

toire de leur complaisant voisin de l’avant . C’est le castel de

ville ne se bûlit pas, ce qui fil dire plaisamment au saliriquo seigneur de Ferney :

A Versoix nous avons des rues, Maisnous n’avons pasde maisons.

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Wuflens ,le doyen des monuments du pays . Témoin de tous les événements qui ont précédé l ’indépendance du canton de Vaud , il rappelle surtout la mémoire de la reine Berthe , dite Berthe la Pileuse , cette pieuse et douce reine qui a laissé des souvenirs si populaires sur les bords du Léman (1) . C’est elle que l ’on voit dans les chansons et dansles légendes , montée sur un blanc palefroi et filant sa quenouille ; souriant aux malheu¬

reux , secourant les pèlerins , semant partout sur son passage les œuvres de bienfaisance et les fondations religieuses.

Cependant , des clochers viennent de paraître à l ’horizon , au détour d’un promontoire avancé qui les cachait jusqu ’alors aux yeux des passagers . — Voici Lausanne , la charmante ca¬

pitale du canton de Vaud , audacieusement assise sur ses trois collines , derniers échelons de la petite chaîne du Jorat !. . . A ses pieds se montre Ouchy , son faubourg maritime , placé comme une sentinelle avancée au bord du lac , et que protège une petite jetée construite en maçonnerie . — Les roues cessent de s’agiter , le vapeur aborde le débarcadère , et nos trois com¬

pagnons mettent pied à terre.

Un chemin presque à pic part de la rive , et aboutit à une place : nos Parisiens le gravissent , non sans quelque peine.

Monsieur Delaunay arrive le premier.

— Ouf ! s’écrie -t-il en s’essuyant le front , voilà une rude montée . — Nous avons bien gagné notre déjeuner , continue- t- il bientôt , en se dirigeant vers un hôtel qui occupe le fond de la place.

Aussitôt le repas terminé , on quitte l ’hôtel et Ton monte

(1)Lapartie inférieure de l’Helvétie formait , dès le huitième siècle , un royaume en partie indépendant de l’Empire d’Allemagne , sous le nom de Bourgogne transjurane . Quatre rois le gouvernèrent successivement , de 888 à 1035. Le plus célèbre de ces princes fut Rodolphe II, dont la veuve, Berthe , tint entre ses mains le pouvoir , comme tutrice de sonfils Conrad.

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GENÈVE. — LAUSANNE. 31

vers la cathédrale . — Magnifique spécimen de l’architecture gothique des quatorzième et quinzième siècles ,la cathédrale de Lausanne a cessé d’appartenir au culte catholique à la suite de la conquête du pays de Vaud par les Bernois , en 1336 . L’in¬

térieur du vaisseauest imposant par son étendue et par sa hau¬

teur ; des galeries à jour , de délicates colonnettes , en agran¬

dissent singulièrement la perspective ; mais il ala triste nudité des édifices qui servent au culte protestant . Que sont deve¬

nues ces stalles , chefs -d’œuvre des patients sculpteurs du moyen âge ?. . . ce maître -autel , qui fut consacré par les mains d’un souverain pontife ?. . . Où sont ces lampes d’argent , ces ta¬

pisseries apportées de pays lointains , ces statues d’or et ces re¬

liques , pieuses offrandes dont s’enorgueillissait la cathédrale?

— Elle n ’a conservé de ces temps de splendeur que des tom¬

beaux : celui du pape Félix Y, qui fut duc de Savoie (1), ceux de plusieurs évêques , le mausolée d’Othon de Granson , mort en 1398 dans un duel judiciaire.

Amédée VII , duc de Savoie, étant mort à la chasse , un sei¬

gneur de sa cour fut accusé de l’avoir assassiné . C’était Othon de Granson , riche et puissant chevalier du pays de Yaud , spi¬

rituel autant que brave , et que ses talents poétiques avaient mis en grande réputation dans les cours de l ’Europe . L’accu¬

sateur était le baron Gérard d’Estavayer , ennemi du chevalier, qui l’avait offensé dans sa jeunesse.

Le roi de France et le duc de Bourgogne , devant lesquels fut porté le débat , entendirent la noble justification d’Othon, mais son adversaire persista et en appela au jugement de Dieu.

— Cruel préjugé , n ’est- ce pas , que celui du duel ! surtout quand il devenait , comme alors , un appel en dernier ressort, en qui chacun avait foi, et qui s’entourait de toute la pompe

(l) Nous aurons plus tard occasion de parler de ce pontife , qui , avant d’ob¬

tenir la tiare , gouverna la Savoie sous le nom d’Amtldée. YUI(Voirchap, XV.)

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32

d’une fête !. . . Cefut le comte de Savoie qui rendit la sentence :

« Nous voulons et décidons par cette présente sentence que le

fjage de bataille soit et se fasse . Que chacun fasse son devoir!

Dieu fera connaître la vérité. »

Ledueleut lieu au jour fixé, à Bourg -en- Bresse , en présence d’un immense concours de nobles de tous pays , partisans de Gérard ou d’Othon . Ce dernier était malade , et il lui eût étf facile de faire reculer l ’époque du combat ; il se présenta, néanmoins , dans la lice , armé de toutes pièces et entouré , sui¬

vant l ’usage , de ses parrains . . . 11 fut vaincu , et tué par soi implacable ennemi . — On l ’inhuma dans la cathédrale de Lausanne , où sa statue ales poings coupés et placés àses pieds ainsi que le voulaient alors les lois du duel.

La Cathédrale occupe le point culminant de la ville ; elle est précédée d’une terrasse d’où l ’on jouit du plus magnifique aspect . Les yeux , en s’abaissant , rencontrent tout d’abord h cité , dont les maisons construites sur le sol le plus inégal, semblent grimper les unes sur les autres . A droite et à gauche, se creusent de profonds ravins , où coulent deux torrents , la Loue et le Flon , qui se réunissent au bas de la ville pour aller rejoindre les eaux du lac . Les rues , irrégulièrement percées pour franchir tous les capricieux accidents du terrain , forment comme un dédale inextricable , d’où l ’étranger ne se tire sou¬

vent , que grâce aux nombreux escaliers qui mènent d’un point à l’autre.

Si l’œil s’égare à droite et à gauche au delà des maisons , il sera émerveillé par la beauté des sites , qui sont infiniment va¬

riés , par suite des continuelles ondulations du sol . Cette diver¬

sitéde paysages est le caractère distinctif du territoire de Lau¬

sanne : des bords du lac aux forêts de hêtres et de sapins qui s’élèvent au loin derrière la ville , ou voit se succéder les prai¬

ries, les vergers , les vignes , disposés eu gradins , et qui , sillon-

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(JENÈVE . — LAUSANNE. L'3

nés pat' une multitude de petits ruisseaux , offrent une in¬

croyable richesse de végétation.

Enfin , pour compléter ce tableau si riant et si animé , se trouve au second plan le lac , immense nappe azurée , et der¬

rière lui , cette magnifique toile de fond , que nous avons essayé de faire connaître à nos lecteurs au moment où nos jeunes voyageurs franchissaient les hauteurs du Jura (1).

Aux abords de la cathédrale , se dresse l’imposante masse du château , avec sa ceinture de tours et de tourelles gothiques.

Après avoir servi de résidence aux évêques de Lausanne , puis aux baillis bernois , il est actuellement le siège du gouverne¬

ment du canton de Vaud . Plus bas , vous rencontrez l’hôtel de ville , le musée , le nouveau temple catholique , le théâtre , le Casino ; sans parler d’une infinité de riches hôtels , de déli¬

cieuses maisons de plaisance , où toute une colonie de riches étrangers reçoit chaque année l’hospitalité , et qui , leurs fenê¬

tres tournées vers le lac , offrent sans cesse à leurs hôtes d’une saisonle spectacle imposant d’un panorama sans rival.

Trois heures sonnaient à une horloge de la ville, lorsque, de retour à l ’hôtel de la place Saint- François , nos Parisiens reprenaient leurs havre -sacs.

— Mes amis , dit monsieur Delaunay à ses jeunes compa¬

gnons , il est temps de partir ; car cinq lieues nous séparent encore de notre souper et de notre lit.

— Adieu donc , beau lac Léman ! s’écria Léon , en agitant son chapeau dans un dernier transport d’admiration.

— Non , mon cher Léon , dites au revoir . Nous verrous en¬

core lelac de cette forêt qui domine la ville, et que nous allons gagner en véritables écoliers que nous sommes.

A ces mots , Léon rengaine ses beaux compliments , et l’on

(1)Voirau chapitre précédent , page Ui.

3

(15)

3-i

se met eu route . Quelques instants on domine la vallée pro¬

fonde où coule le Flon , grossi des eaux de sa voisine , la Loue ; puis , remontant sur le flanc occidental de la ville , on pénètre bientôt dans le bois de Sauvabelin , qui fut jadis une forêt re¬

doutable , Sylva Bellini , sombre asile où se célébrèrent long¬

temps les sanglants mystères du culte druidique . Des sentiers mènent rapidement sur une haute esplanade entourée de grands arbres , que l ’on nomme le Signal , et qui est l ’un des buts de promenades les plus goûtés des habitants de Lausanne.

C’est là qu ’il faut venir pour jouir de la vue de la cité , et surtout de la perspective du lac , dont le cadre s’est agrandi par de nouveaux horizons.

Après une courte station sur le gazon qui tapisse ce char¬

mant observatoire , il faut pourtant dire adieu au lac , et cette fois, un dernier adieu . — Nos voyageurs , tournant le dos au sud , s’enfoncent dans une forêt de sapins aux pentes rapides, où des troncs d’arbres , placés dans le sol en travers du chemin pour soutenir les terres dans les mauvais temps , forment comme dévastés escaliers . — Une , deux , trois , en avant !.. . On saute , on court , on glisse ; en un quart d ’heure , on est au fond du ravin où coule le Flon . Une planche sert de pont pour franchir le foirent ; puis , de l’autre côté , on remonte , on coupe à travers champs . Cinq minutes encore , et nos amis ont atteint la route qui mène de Lausanne à Fribourg.

Désormais , le sol est uni et la marche facile . Placés sur une même ligne , les trois voyageurs entament ce pas régulier et solide , sous lequel s’effacent si rapidement les distances . Pen¬

dant qu ’ils devisent de compagnie pour oublier la monotonie du paysage , derrière eux le sable de la route a soudain crié, et , semblable à une apparition , une forme animée s'est tout à coup placée à leurs côtés . — Est- ce bien un homme , ou un

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GENÈVE. LAUSANNE. :{'i être surnaturel , que cette vision, toute de loques habillée , et dont l ’approche ne s’est trahie par aucun bruit ? Quelle tête horrible que la sienne !. . . des cheveux rouges et crépus , une barbe âgée de huit jours , qui darde ses pointes ardentes sur un visage constellé de taches de rousseur , un petit nez re¬

troussé , qui disparaît dans l’incendie qui l ’avoisine !. .. Placez au-dessous une bouche noire et en partie démeublée ; avoisi- nez-le d ’un œil unique , dont les sinistres reflets brillent au fond de l’orbite , ainsi que l’oiseau de nuit veille dans le creux d’une ruine !. .. L’habillement qui couvre cette créature dis¬

gracieuse est un composé de pièces mal assorties , et qui en sont elles-mêmes arrivées au dernier degré de l’épuisement.

Ses pieds seuls ont un vêtement intact ; mais ce vêtement est une épaisse croûte de poussière et de malpropreté , qui lui sert de chaussure , et à laquelle le sol se charge d’ajouter sans cesse de nouveaux éléments.

À la vue de l’apparition , un même sentiment d’horreur s’est produit chez nos Parisiens ; ils ont reculé instinctivement.

Mais, habitué sans doute à une semblable réception , l’affreux borgne ne se décourage pas ,et grimaçant un effrayant sourire, il entre sans plus de façons en conversation . — Malgré la ré¬

serve qu ’on affecte vis-à-vis de lui , il tient bon , et s’obstine à marcher de conserve .On fait halte , il s’arrête ; on se remet en marche , il fait de même . A ses questions , on essaye d’abord dene pas répondre , il s’acharne ; on lui répond brutalement, il n ’en est que plus empressé . — 11propose de porter les sacs de ces messieurs , qui doivent être bien fatigués ; ces messieurs refusent avec unanimité ,bien queles bretellesde cuir commen¬

cent singulièrement à tirer leurs épaules , encore peu aguerries.

Répondant à une dernière interrogation de son horrible voi¬

sin , Léon lui apprend que le bourg de Rue est le lieu où ils doivent coucher le soir.

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— Ali !vous couchez aujourd ’hui à Rue , murmure - t- il d’un ton de voix sardonique , qu ’accompagne encore son sourire d’ogre affamé.

A ce moment , une des cordes qui attachent à ses épaules la hotte dont il est porteur , se casse . Le cyclope s’arrête pour réparer cet accident , et nos amis s’éloignent en doublant le pas , heureux d’échapper aux obsessions de l ’étrange et odieux personnage.

Quelque temps , ils conservent l’impression de cette désa¬

gréable rencontre , et gardent le silence ; enfin , pour chasser de leur esprit l ’image de l ’homme rouge , ils ont recours aux souvenirs , et reprennent un à un les événements de la ma¬

tinée.

— Te souviens -tu , demande Léon à son cousin ,de ce grand gentleman anglais , accompagné de sa grande lady et de ses deux minces filles , aussi longues que leurs longs bâtons de

voyage ?

— Oui , certainement . Je les ai assez vus se promenant tous quatre à la file sur le pont de notre bateau à vapeur.

Si pourtant nous allions les rencontrer dans nos courses, montant un à un quelque rude sentier ?

— Vous les rencontrerez , cela n ’est pas douteux , reprend monsieur Delaunay . Car , pendant que , débarqués depuis long¬

temps , nous gravissions péniblement la rude côte d ’Ouchy , je les ai de loin aperçus sur le quai au milieu de leurs bagages.

Il fallut mettre aussi sur le tapis le petit monsieur à lunettes bleues , si complaisant et si érudit , mais dont l ’habillement gris et la tournure peu distinguée les intriguaient passable¬

ment.

— Quel peut donc être son état ? demanda Jules.

— C’est le maître d’école de quelque bourg voisin du lac, répondit Léon.

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GENhtVE. LAUSANNE. 37

— Oh ! non . Je croirais plutôt à sa mise que c’est quelque marchand de bestiaux , qui court de droite et de gauche pour faire son commerce.

— Ne vous fiez pas aux apparences , reprit à son tour mon¬

sieur Delaunav . Ce mystérieux voyageur , dont vous faites un marchand de bœufs et de moutons , et , tout au plus , un maître d’école, est , peut -être , un personnage important de la Confé¬

dération helvétique . 11 me rappelle une rencontre que je fis il y a plusieurs années dans des circonstances à peu près sem¬

blables , sur le pont de l’un des bateaux à vapeur de la com¬

pagnie du Rhin . — J ’étais avec un jeune homme de votre fige, que son père envoyait à l’Université de Bonn , pour y achever ses études et s’y perfectionner dans la pratique de la langue allemande . Il devait prendre pension chez mon¬

sieur B***, savant professeur , lié autrefois avec la famille de son père , et pour lequel nous avions une lettre d’intro¬

duction.

Nous nous étions embarqués de bonne heure à Mayence, et bientôt , nous arrivions à cette partie pittoresque du Rhin , dont les bords presque à pic montrent à chaque pointe de rocher, à chaque entrée de vallée , un château féodal , une ruine his¬

torique . Tout lemonde était sur le pont , les yeux tournés vers les rives. — Parmi les passagers , nous avions remarqué un petit homme , dans le genre de celui du Léman , plus négligé encore de mise , s’il est possible , et qui nous intriguait fort.

Nous voyant attentifs à ne rien perdre du panorama qui dé¬

filait devant nos yeux , il entama conversation avec nous . In¬

struit autant qu ’obligeant , il voulut bien mettre son savoir à notre disposition ,et notre voyage y gagnaun intérêt qu ’il n’eût pas eu sans sa rencontre . Pourtant , vers Coblentz , notre ci¬

cérone perdit beaucoup dans notre esprit ; tirant de sa valise du pain et de la viande froide , il sortit également un couteau

(19)

38 LA

de sa poche , et commença ce qu ’on appelle vulgairement un déjeuner sur le pouce , à la façon d’un compagnon de la truelle ou du rabot.

Cependant , Andernach , la ville romaine , avait fui depuis longtemps ; le Rhin se resserrait de nouveau entre de hautes montagnes . A gauche , fuyaient devant nos yeux la montagne de Roland et le Godersberg ; à droite , les sept montagnes , ri¬

ches de souvenirs historiques et de vieilles légendes . Bonn se montrait , entin , à l ’horizon . — Au moment où nous allions débarquer , jevis notre homme se diriger vers la sortie.

— Pardon , Monsieur , lui dis-je . Vous descendez , sans doute , à Bonn ?

— Oui , Monsieur , me répondit - il d’un ton affable.

— Seriez-vous par hasard habitant de cette ville ?

— Oui , Monsieur , mais à quoi bon ?

— Veuillez excuser mon indiscrétion . Nous allons chez une personne dont nous ignorons l ’adresse , et si, par hasard , elle vous était connue . . . .

— Quelle est cette personne ? me demanda le petit homme.

Je lui montrai l ’enveloppe de notre lettre d’introduction.

— Messieurs , nous dit- il , après avoir jeté un coup d’œil sur l ’adresse , vous n’aurez pas loin à aller . C’est moi qui suis le

professeur B***.

Je ne fus pas , je vous l ’assure , moins confus que mon jeune compagnon à cette réponse , et me reprochai tout bas d’avoir peut - être manqué de déférence envers l ’estimable savant . — Il fallut , pour nous mettre à l 'aise ,la cordialité tout allemande qu ’il nous témoigna ,et le bon accueil que nous reçûmes dans son aimable famille.

Pendant ce récit , nos voyageurs avaient continué de mar¬

cher d ’un pas vigoureux . Le soleil touchait déjà la ligne

(20)

GENÈVE. — LAUSANNE. 39

extrême de l’horizon , lorsque monsieur Delaunay s’avisa de consulter sa carie.

— Un instant ! dit -il , en s’arrêtant . Il doit y avoir un chemin à droite , et c’est celui qui mène à Rue .. . L’aurions -nous dépassé sans nous en apercevoir?

Personne n’avait rien vu.

Sur ces entrefaites , une pauvre femme se croise avec nos Parisiens.

— Dites- moi , je vous prie , ma bonne mère , où est le che¬

min de Rue.

La femme murmure quelques paroles dans un patois inin¬

telligible , mais on en reconnaît l ’intention par une main piteusement tendue . Monsieur Delaunay acquitte le tribut.

— Nous voici bien avancés , dit- il.

— C’est cet affreux homme rouge qui est cause de tout cela , répond Léon en riant . Sa rencontre nous a porté malheur.

Quelques pas plus loin , arrive un paysande bonne mine , qui entend le français . Il apprend aux nôtres que la croisière est

depuis longtemps derrière eux.

— Que faire alors ? lui demande -t- on.

— Prenez de suite à droite , répond -il , et piquez droit sur le ravin . Vous passerez le ruisseau . En suivant toujours la même direction , vous devrez rencontrer la route de Rue.

D’après ce bon conseil , les trois compagnons tirent à droite, traversent plusieurs prés , et arrivent bientôt au ruisseau.

Mais, nouvelle difficulté ! il est trop large pour qu ’on puisse aisément l ’enjamber . — Fatal homme rouge ! c’est, sans doute , encore un de tes tours.

— Ah ! mes petits amis , dit monsieur Delaunay avec une certaine intention moqueuse , notre embarras serait moins grand ,si nousavions pour nous aider leslongs bâtonsde voyage

(21)

40 la sutssrca pircn.

de ces ])Oiis Anglais du bateau , dont le souvenir vous a lanDI mis si fort en gaîté.

Pourtant , Léon a trouvé plus haut un endroit plus pratica¬

ble ; il saute , et appelle ses camarades . Ceux- ci l ’imitent , n *n sans difficulté ,et tous trois regrimpent à travers un petit tailis sur leversant opposé . Des journaliers leur indiquent la direc¬

tion qu ’ils doivent prendre , et ils ne tardent pas à rencontrer le chemin désiré.

Une fois sur la bonne voie, ils arrivent sans encombre jrs- qu ’auxabords de Rue ; mais il est neuf heures du soir , la mit est sombre , les étoiles et la lune sont absentes du firmameit.

La route , à peine parvenue aux premières maisons , s’est tout à coup transformée en ruelle étroite et grimpante : tout d«rt sans doute à Rue , car aucune lumière ne brille aux croisées.

Les yeux de Jules distinguent heureusement dans les térè- bres la silhouette d’une enseigne suspendue au- dessus d’un perron . Il frappe à plusieurs reprises , pendant que monsieur Delaunay maudit tout bas le fâcheux contre - temps qui leu 1 a fait perdre au moins deux heures.

Une femme ouvre enfin , et , après un examen défiant , inho- duit les voyageurs dans une vaste salle à peine éclairée.

— Nous désirons , Madame, souper et coucher . Que pouvez- vous nous servir?

— Nous n ’avons plus rien , répond la maîtresse du logis, d’un ton qui n ’est rien moins qu ’aimable.

— Comment ? rien . . . ! pas même des œufs?

—Desœufs . . . ? Ah ! oui , on pourra vous en donner.

— Eh bien !vapour les œufs !

Accablés de fatigue après une journée si remplie , les deux jeunes gens étaient comme anéantis ,et ils éprouvaient bien plus le besoin de repos que celui de nourriture : aussi ,le souper fini, nese firent -ils pas prier pour gagner leur appartement de nuit.

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GENÈVE. — LAUSANNE. 41 Pendant ce maigre repas , des hommes d’assez pauvre mine, attablés en un coin de la salle autour d’un pot de bière , n’a¬

vaient cessé d’examiner nos voyageurs . L’attention dont ils étaient l’objet avait frappé deleur côté Juleset Léon ; introduits dans la grande chambre où des lits ont été préparés pour eux, les deux cousins se communiquent leurs réflexions , tout en examinant avec défiance les coins etles recoins.

— N’as-tu pas remarqué , dit l’un , le singulier air de la femme qui nous a ouvert la porte?

— Oui.. . et ces hommes qui étaient en bas avec nous, quelle mine ils avaient !

— Ils n ’avaient guère la tournure d’honnêtes gens ... A pro¬

pos , te rappelles -tu les paroles de l ’affreux borgne , quand il a su que nous devions venir ici ? — « Ah ! vous allez ce soir à Rue, » a- t-il dit , avec un vilain rire . . . si c’était .. .

— Allons donc ! interrompit monsieur Delaunay , occupé à se déshabiller . Rue n ’est qu ’une petite bourgade sans impor¬

tance , où il passe probablement fort peu de touristes . Il n ’est donc pas étonnant que trois voyageurs pédestres , débarqués à la nuit close , aient été un objet de curiosité pour les ouvriers dont vous parlez.

— Mais, reprit Jules , en examinant laporte ,voyez donc !. . . il n ’y a ni serrure , ni verrous.

— Regarde donc ! ajouta Léon , en promenant à terre la chandelle . . . ces panneaux de bois , çà doit s’ouvrir.

— Enfants que vous êtes ! s’écria leur guide , déjà étendu dans son lit ,et conservant à grand ’peine son sérieux , nous ne sommes plus à Genève, où les hôtels sont tenus sur un grand pied . Nous nous trouvons tout simplement dans une auberge, comme nous en rencontrerons dorénavant le plus souvent sur notre route . — Plus l’on est éloigné des grandes villes, et moins on est défiant ; aussi , ne voit- on ici , ni verrous , ni ser-

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Al

rures , aux portes intérieures . — Quant à vous , Léon , vous n ’avez pas sans doute remarqué que cette maison est en partie construite en bois ,et que dans une construction semblable , les planchers reposent directement sur des solives, . .. tenez comme il y en a au-dessusde nos têtes . — D’ailleurs , ajouta monsieur Delaunay d'un ton gravement ironique , nous ne sommes qu ’au premier étage ; nous aurons tou jours la ressource de pouvoir sauter par la fenêtre en cas d’attaque.

— C’est égal , reprit Jules , il faut de la prudence , et si tu m’en crois , Léon , nous allons pousser ce gros buffet devant la porte.

Grâce à cette innocente précaution , nos jeunes amis s’en¬

dormirent sans crainte.

Le lendemain matin , leur esprit était calme , et de joyeux rayons de soleil donnaient à la chambre un aspect tout diffé¬

rent de celui quelle avait la veille : aussi , les deux cousins se trouvèrent - ils assez honteux , quand monsieur Delaunay leur demanda si l ’on était venu les assassiner.

— Vous voyez, leur dit- il , comme l’imagination trotte vite, quand on la laisse aller . Vous seriez arrivés deux heures plus tôt , que jamais de pareils soupçons ne fussent entrés dans voire cervelle : mais ,les circonstances de notre arrivée , l ’obscurité, et surtout la lassitude , ont donné une tout autre couleur aux objets et aux gens qui vous entouraient . Vous devez, en bonne justice , réparation à l ’auberge de la Fleur de Lys.

Le chiffre delà carte dispensa les hôtes de Rue de toute ré¬

paration , et après avoir payé comme s’ils avaient fait la veille un repas complet , nos voyageurs se mirent en route . — Mais, quelle différence avec le pas de la veille , si allègre , si plein d’entrain !. . . Les deux cousins marchaient la tête basse , et s’espaçaient sur le chemin ; leurs jambes se ressentaient en¬

core de l ’étape du jour précédent . Leur compagnon ne s’ef-

(24)

GENÈVE. LAUSANNE. 43

frayait pas , heureusement , de ces symptômes de décourage¬

ment . tl savait , qu ’au début d ’un voyage, il faut que le corps prenne l ’habitude d’un exercice encore inaccoutumé , et que, pendant les premiersjours , les jambes d’un touriste ont cha¬

que matin quelquepeine -à retrouver leur assurance.

Pendant que nos trois héros s’éloignent du bourg où ils ont reçu l ’hospitalité , rappelons ici une ancienne coutume parti¬

culière au district de Rue, et qui , par sa singularité , mérite qu ’on en prenne note . — Chaque fois qu ’un décès avait lieu, les voisins se réunissaient dans la maison mortuaire , en costu¬

mes de cérémonie . Le cadavre était placé le long d’un mur;

puis , chacun s’avançant à son tour , lui adressait des reproches ou des éloges , suivant qu ’il avait à se louer ou à se plaindre de lui . Ce n ’est qu ’après avoir été grondé par ceux- ci, compli¬

menté par ceux- là , questionné par ces derniers , que le pauvre défunt avait , enfin , le droit d’aller gagner son dernier asile.

La ville de Romont ,où déjeuna la petite caravane , est bâtie comme Rue sur un mamelon escarpé , que dominent les restes d’un château fort , curieux spécimen de l’architecture militaire du moyen âge . Sa position hardie , les gothiques murailles qu ’elle a conservées jusqu ’à nos jours , donnent à cette bour¬

gade un cachet d ’une autre époque , que l’on retrouve encore en pénétrant dans son enceinte . — Il semble que des portes de son donjon ,on va voir sortir une troupe d ’hommes d’armes aux cuirasses et aux casques d’acier , précédant leur noble maî¬

tre , monté sur son destrier , ou bien un cortège de pages et de valets accompagnant la châtelaine dans quelque promenade, et portant tous les couleurs de la puissante dame.

En sortant de Romont , Jules et Léon avaient retrouvé leur vigueur et leur entrain . Ils reprirent donc le pas de la veille, mieux disposés qu ’au matin à apprécier le riant coup d ’œil des

(25)

H LA SLMSSK A PIED.

paysages qui les entouraient . — Le chemin de Romont à Fri¬

bourg , honoré du litre de route dans les itinéraires , serait chez nous à peine un chemin vicinal . Moins fréquenté que la route qui passe par Moudon , il a des ornières entre lesquelles l ’herbe et les pâquerettes se disputent la place , à la grande sa¬

tisfaction du touriste pédestre . A voir ses frais alentours et les arbres fruitiers qui la bordent , un Parisien se croirait dans la jolie vallée de Montmorency.

Aux abords d’un hameau à l ’aspect champêtre , des rires bruyants , sortis d’un groupe de cerisiers , ont attiré l ’attention des voyageurs . Toute une famille de cultivateurs , père , mère, enfants , amis , était disséminée dans les branches , et s’appli¬

quait à dépouiller les arbres de leurs fruits vermeils ; deux marmots en bas âge couraient çà et là , profitant des cerises qui tombaient à terre . L’était , en haut comme en bas , un bonheur , une joie , impossibles à exprimer.

Nos amisse sont approchés pour jouir de celte scène.

— Voulez- vous goûter à notre cerise ? leur cria-t-on du liant des arbres.

Et de suite , sans attendre leur réponse , ce fut à qui en jet¬

terait sur leurs chapeaux.

— Merci ! merci ! en voilà bien assez.

Et de nouveaux bouquets tombaient au milieu des rires sur les têtes des trois voyageurs.

— Dites- moi , je vous prie , comment s’appelle ce village qui est sur la hauteur ? demanda monsieur Delaunay.

— C’estMatrans , Monsieur.

— Alors , nous ne sommes guère loin de Fribourg ?

—Oh non ! Nous y allons souvent les jours de grande fête.

Après une station de quelques minutes sous ces arbres hos¬

pitaliers , il fallut se séparer de ces braves gens.

— Adieu , mes amis . Au revoir , et merci !

(26)

GENÈVE . — LAUSANNE. ih

— Boune roule , Messieurs . Le bon Dieu vous garde ! Que le lecteur nous pardonne d’avoir occupé son attention d’un aussi mince épisode ! — Souvent , dans uue excursion semblable à celle que nous racontons , le moindre incident emprunte aux circonstances qui l’accompagnent un charme et un intérêt qui en doublent l ’importance . Ces poignées de ce¬

rises dégustées sous l’arbre lui -même ont , sans doute , une valeur bien minime ; mais, elles ont été offertes de si bonne grâce et mangées de si bon appétit par nos jeunes touristes, qu ’il en est résulté pour eux l ’impression la plus agréable , et que le souvenir de cette scène hospitalière et champêtre , em¬

belli par les charmes du paysage , s’est gravé dans leur esprit d ’une manière ineffaçable.

Une heure après cette petite halte , M. Delauriay et ses com¬

pagnons entraient à Fribourg par la porte de Romont , située dans la partie haute de la ville.

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