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communicationnelles. L’invention d’un médicament issu
des nanotechnologies
Farid Sidi-Boumedine
To cite this version:
Farid Sidi-Boumedine. La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies. Médicaments. Ecole normale supérieure de lyon - ENS LYON, 2013. Français. �NNT : 2013ENSL0833�. �tel-00972565�
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La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies.
I
T
ABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ... 1
I. OUVRIR LA « BOITE NOIRE » DES MEDICAMENTS ... 2
A. Comment aborder la question des médicaments ... 2 1. Etat de l’opinion : la lorgnette du grand public ... 2 ! Cet obscur objet de scandales ... 2 ! Une industrie lucrative ... 4 2. Etat de l’art : la longue vue des chercheurs ... 5 B. Pourquoi s’intéresser aux nanotechnologies ... 7 1. Les nanotechnologies, présent de l’innovation ... 7 ! Une question de communication ... 7 ! Du diagnostic à la thérapie, les « nanos » sont partout ... 8 2. Les nanomédicaments, avenir de la pharmacie ... 9 ! Une révolution thérapeutique et diagnostique ... 9 ! Un cinquième du marché ... 10 II. LES ENJEUX DE CE TRAVAIL DE RECHERCHE ... 11 A. Chronique d’une mutation intellectuelle ... 11 1. De l’analyse de corpus au terrain ethnographique ... 11 ! Sortir des controverses et du corpus médiatique ... 11 ! Découper l’objet d’étude ... 13 ! Renoncer à l’expertise ... 13 2. La déconstruction de l’objet de recherche ... 14 ! Remettre en question les entretiens ... 14 ! Aborder le terrain comme un ethnographe ... 16 ! De la complexité du contexte ... 17 B. Poser et résoudre les problèmes ... 19 1. Problématique et objectifs ... 19 ! Ce qui pose problème ... 19 ! Questions de recherche ... 19 ! Trois hypothèses ... 20 ! De l’origine des idées ... 21 2. Présentation du terrain ... 21 ! Laboratoire indépendant versus groupe pharmaceutique ... 21 ! Lyon, pionnière contre le cancer ... 22 3. Eloge des méthodes composites ... 23 ! Orientation générale ... 23 ! Le regard communicationnel ... 23 ! L’idéologie de l’idéologie ... 24 ! La posture du chercheur ... 26
P
REMIERE PARTIE–
I
DEOSCOPIE DE L’
ECUME COMMUNICATIONNELLE... 27
CHAPITRE 1 – LES MYTHES DE LA RECHERCHE PHARMACEUTIQUE ... 29 I. L’INNOVATION PHARMACEUTIQUE ... 32 A. Les étapes de l’invention d’un médicament ... 32 1. Premier mythe : « Pour chaque nouveau médicament, 10000 testés » ... 32 ! Si tout le monde le dit, c’est que ce doit être vrai ... 32 ! En amont du pipeline, la chimiothèque ... 35 ! Optimiser la sérendipité par le ciblage… ... 37 ! …et par le screening à ultra très haut débit ... 38 ! Les boites à outil du chercheur ... 39 ! Combien de substances sont‐elles testées ? ... 41 ! Toutes les estimations sont spéculatives ... 42 2. Deuxième mythe : « Quinze ans de recherche » ... 43 ! Les étapes de la R&D ... 43 ! Les délais d’obtention de l’AMM ... 46 ! Les délais pour fixer le service médical rendu et le prix de vente ... 48 ! Résultats et interprétations ... 48 ! La recherche se fait sur un temps long et en plusieurs étapes ... 50 3. Troisième mythe : « L’industrie pharmaceutique est innovante » ... 51 ! Il y a innovation et innovation ... 51 ! Les innovations ne sont pas légion ... 52
! Un serpent de mer ... 54 ! L’imitation pharmaceutique ... 55 ! Comment innover sans être innovant ... 57 ! La fin de l’heuristique ... 58 B. Le coût de l’invention d’un médicament ... 62 4. Quatrième mythe : « Chaque nouvelle molécule coute plus chère qu’avant » ... 62 ! La R&D est en crise ... 62 ! La R&D est productive ... 63 ! Combien coute la découverte d’un nouveau médicament ? ... 65 ! Comment sont calculés les coûts ... 67 ! Pourquoi afficher un manque de productivité de la R&D ? ... 68 5. Cinquième mythe : « Nos études économiques sont sérieuses » ... 71 ! De la difficulté d’obtenir des données ... 71 ! Le rapport de Public Citizen ... 74 ! L’empire contre‐attaque ... 75 ! Qui conteste encore le coût de 802 millions $ par molécule ? ... 78 ! Contre‐feux : les coûts réels sont sous‐évalués ... 79 ! Ce que valent réellement les études économiques sur les médicaments ... 81 ! La France est réglée à l’heure américaine ... 86 6. Sixième mythe : « Le budget de la R&D est consacré à la Recherche » ... 90 ! Qui a la plus grosse part de gâteau ? ... 90 ! Qu’est‐ce qu’on met dans « R&D » ? ... 91 ! Résultats et interprétations ... 94 ! La logique comptable ... 95
II. BIG PHARMA EST‐IL INDISPENSABLE ? ... 96
A. La part de la recherche publique ... 96 7. Septième mythe : « Big Pharma permet aux patients de vivre mieux et plus » ... 97 ! Les maladies qui n’ont pas de médicaments ... 97 ! Les médicaments toxiques ou dangereux ... 99 8. Huitième mythe : « Sans l’industrie, pas de recherche pharmaceutique » ... 100 ! Le Top 10 des entreprises pharmaceutiques mondiales ... 100 ! Les entreprises américaines ne sont pas les plus gros investisseurs ... 101 ! Les petites entreprises prennent plus de risques que les majors ... 104 9. Neuvième mythe : « C’est le privé qui investit le plus dans la recherche » ... 105 ! La sélection sélective des souvenirs ... 106 ! Pierre Potier, un pionnier ... 108 ! Les alliances avec la recherche publique ... 112 B. La logique de la fabrication des mythes ... 113 1. Comment externaliser les risques ... 113 2. Prospective : « Rationalize or Die » ... 119 CHAPITRE 2 – « NANOMANIA » : HISTOIRE CRITIQUE DES NANOTECHNOLOGIES ... 123 I. PREQUELLE : AVANT LA BATAILLE ... 124 A. Les précurseurs qui fabriquèrent la légende ... 124 1. Drexler : visionnaire ou charlatan ? ... 124 2. Le premier « nano‐machin » ? ... 125 3. Fabriquer par le dessein ... 127 B. La bataille du premier parti ... 129 1. Sur la ligne de départ ... 129 2. Publiciser la science, accepter les nanotechnologies ... 132 3. Récolter les fruits de la communication ... 133 C. La bataille des typologies ... 135 1. Une définition floue ... 135 2. Une catégorie fourre‐tout ... 138 II. LA GUERRE DE TRANCHEES ... 140 A. Risques versus bénéfices ... 140 1. La construction des inquiétudes ... 140 2. De l’éthique ... 143 3. De la toxicité ... 148 B. Flashback : la course à l’énergie nucléaire ... 150 1. Le CEA : du pacifisme à la bombe A ... 150 2. Les trois figures du scientifique ... 151 ! Trois générations de combat ... 151 ! Le nuage de Tchernobyl ... 151 ! Les chercheurs engagés ... 152 C. Retour vers le futur : pour ou contre les nanos ? ... 152
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies. III 1. Portrait du scientifique critique ... 152 2. Portrait du militant révolté ... 155 ! Tactique n°1 : faire parler de ses idées, pas de sa personne ... 156 ! Tactique n°2 : être de bonne foi même dans sa mauvaise foi ... 158 ! Tactique n° 3 : ne jamais oublier ... 160 ! Tactique n°4 : ne pas négocier avec ceux qui ne négocient pas ... 162 ! Tactique n°5 : semer le doute chez son ennemi ... 164 III. LA BATAILLE MEDIATIQUE ... 165 A. De désordres locaux en débats globaux ... 165 1. La science et les citoyens ... 165 2. Le débat public national ... 167 B. Discours radiophoniques à propos des nanotechnologies ... 169 1. Choix méthodologiques ... 169 ! Pourquoi choisir la radio ? ... 169 ! La sélection du corpus ... 170 ! Catégorisation des émissions ... 171 ! Le langage radiophonique ... 172 ! La radio, un forum inter‐médiatique ... 173 2. Un thème d’actualité qui a mauvaise presse ... 173 ! La titraille : aucune valeur positive ... 173 ! La fréquence : un pic à l’inauguration de Minatec ... 175 ! Qui parle ? La part belle aux physiciens et aux philosophes ... 176 ! Thématiques : controverses et futurologie ... 177 3. Les interviewés savent‐ils de quoi ils parlent ? ... 179 ! Ce que sont les « nanos » : une question d’échelle ... 179 ! Les interviewés parlent peu de leurs pratiques quotidiennes ... 180
S
ECONDE PARTIE–
L
ES LABORATOIRES,
ENTRE VIE PRIVEE ET VIE PUBLIQUE... 183
CHAPITRE 3 – L’AMORPHOLOGIE DES RESEAUX D’INNOVATION ... 185 I. INVENTION, POUVOIR ET COMMUNICATION ... 185 A. Du côté des chimistes ... 185 1. Thibaud Jacquet, le chimiste inventeur de nanoparticules ... 185 ! Portrait du patron ... 185 ! Le parcours d’un génie ... 185 ! Précurseur dans les nanotechnologies ... 187 ! Les voies de recherche ... 188 ! Le créateur d’entreprises ... 189 ! Cristyx et Fibraxe, la fibre en monocristal ... 189 ! NP‐Systems, les nanoparticules multi‐fonctions ... 190 ! Partenariats universitaires et publics ... 191 2. Configurations spatiales et humaines ... 193 ! Rendez‐vous avec le patron ... 193 ! Cartographie du labo ... 195 ! Premiers contacts ... 196 ! Organisation de l’UCPM ... 198 B. Du côté des médecins ... 200 1. Le bâtiment Z10 de l’Hôpital public ... 200 ! Les services de médecine nucléaire et de radiologie ... 200 ! La sous‐équipe TINA ... 203 2. Guillaume Morvan, le co‐responsable de l’équipe NPC ... 205 ! Un pied à l’Hôpital, un pied à l’université… et un autre au Cancéropôle ... 205 ! Médecin, un parcours « par défaut » ... 207 ! Entrez dans l’arène de la gestion de projets ... 208 ! Du harcèlement moral ... 210 ! Amitiés et trahisons ... 211 ! Que sont‐ils devenus ? ... 214 ! Rembobinez le récit ... 215 ! La découverte des nanoparticules & des nanotechnologies ... 216 3. Valérie Fornet, « Miss Nanoparticule » ... 218 ! Une vie de médecin‐enseignant‐chercheur ... 218 ! Les ultrasons et les microbulles ... 220 ! Les nanoparticules d’oxyde de fer ... 223 ! Les nanotechnologies, la mémoire et l’oubli ... 225 ! Le terrain de la science, le terrain de la société ... 227 II. CONFORMATIONS COMMUNICATIONNELLES AMORPHES ... 229
A. Vie et mort des collaborations ... 229 1. Dessine‐moi un réseau ... 229 ! Qu’est‐ce qu’un « réseau social » ? ... 229 ! Chercher, inventorier, classer ... 231 2. La fluctuation des organigrammes ... 231 ! Des départs volontaires ... 232 ! Des recrutements de biologistes ... 232 ! Les ennemis intimes ... 234 ! Les « invisibles » ou les personnes « hétéro‐statuts » ... 236 ! Quand fusionnent les organigrammes ... 237 ! La fermeture du service de médecine nucléaire ... 239 3. Les projets de recherche ... 240 ! Objectif : obtenir un financement ... 240 ! Aparté : la gestion de la recherche publique ... 242 ! Les sources de financement de l’équipe NPC ... 243 ! Présentation du projet NANTAC ... 246 ! Un consortium hétérogène, multi‐disciplinaire et pluri‐géographique ... 249 ! Du brouillon à l’intégration des équipes ... 250 ! Les maitres d’œuvre et les exécutants ... 252 B. Typologie fonctionnelle transversale ... 253 1. Fréquentations ... 254 ! Se rencontrer, échanger, se rendre visible ... 254 ! Les fréquentations institutionnelles ... 254 ! Les collèges invisibles ... 256 ! Les réseaux numériques ... 258 2. Collaborations ... 259 ! Un échange de services ... 259 ! Le consortium collaboratif ... 259 ! La multitude des collaborations composites ... 260 C. Figuration des interactions communicationnelles ... 261 1. Critique des cartographies ... 261 ! Première objection : le principe d’incertitude ... 261 ! Seconde objection : les liens invisibles ... 262 2. Conjecture des conformations communicationnelles amorphes ... 263 ! La métaphore de la structure des choses ... 263 ! La métaphore du filet dynamique ... 265 ! Re‐penser les modèles communicationnels ... 267 CHAPITRE 4 – PRATIQUES COMMUNICATIONNELLES DANS LES LABORATOIRES ... 271 I. LA VIE QUOTIDIENNE DES CHERCHEURS ... 271 A. Le silence des laboratoires ... 271 1. Les chercheurs en troupeau : l’équipe NPC ... 271 ! « On vous vend du rêve » ... 271 ! Les salles d’expérimentation ... 272 ! La salle de biologie ... 274 ! Les bourreaux de travail ... 275 ! Les O.S. de la recherche ... 277 ! La transmission orale ... 279 ! La réunion hebdomadaire ... 280 2. Les chercheurs en solitaire : NP‐Systems ... 282 ! Le passage à l’industrie ... 282 ! Un local spacieux et spécieux ... 283 ! Le catalogue de produits ... 285 ! Organisation salariale : la pyramide inversée ... 287 ! Le capital social : associés mineurs, associés majeurs ... 289 B. La synthèse des nanoparticules ... 290 1. La chimie pour les non chimistes ... 290 ! Comment un chimiste voit le monde ... 291 ! Qu’est‐ce qu’un solide ? ... 292 ! Qu’est‐ce qu’un nano‐objet ? ... 293 ! Les nanosciences vues par les chimistes ... 295 2. Le travail à la paillasse ... 297 ! Dis‐moi ce que tu lis ... 297 ! La répétition ... 299 ! Comment synthétiser des nanoparticules ? ... 300 ! Une étape de la synthèse ... 300 ! D’une synthèse à l’autre ... 304
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies. V ! L’usage du cahier de laboratoire ... 306 C. Tester le médicament in vivo ... 307 1. Le laboratoire secret ... 307 ! La sous‐équipe TINA ... 307 ! L’animalerie ... 308 ! De l’utilité des modèles animaux ... 310 2. Le temps long d’une expérience ... 311 ! Chronologie : schéma général ... 312 ! Observation d’une expérience particulière ... 314 ! Study plan ... 315 ! Radiomarquage in vitro ... 316 ! L’expérimentation animale ... 317 ! L’analyse des données ... 319 ! L’éternel retour ... 320 II. INTERACTIONS INTERDISCIPLINAIRES ... 322 A. L’entente des chimistes et des physiciens ... 322 1. Le rituel du déjeuner ... 322 ! L’agrégation naturelle des personnes ... 322 ! Le rendez‐vous quotidien ... 323 ! La musicalité du brouhaha ... 324 ! Le réacteur à idées ... 324 2. La collaboration gratuite ... 326 ! La part des chimistes, la part des physiciens ... 326 ! Quand un chimiste rencontre un physicien ... 327 ! Le terrain contre l’épistémologie ... 331 B. Frottements et fractures avec l’équipe bio ... 332 1. Frontière disciplinaire ou affinités personnelles ? ... 332 ! Celui qui mange seul ... 332 ! La guerre des boutons ... 333 2. Les sources des disputes ... 333 ! A quel moment communiquer les données ? ... 333 ! Qu’est‐ce qu’un produit identique ? ... 335 ! Comment les logiques disciplinaires influent‐elles ? ... 336 ! Qu’est‐ce qu’un médicament ? ... 337 3. Exemple d’une réunion entre chercheurs ... 338 ! Le contexte ... 338 ! Avant que la réunion ne commence ... 339 ! La gestion dialogique des conflits et de l’innovation ... 343 CHAPITRE 5 – NOTRE MEDICAMENT N’EST PAS UNE MOLECULE COMME LES AUTRES ... 349 I. L’ORIGINE DE LA COMMUNICATION ... 349 A. L’observation de la concurrence ... 349 1. Qui sont les concurrents de NP‐Systems ? ... 350 ! Inventaire comparatif ... 350 ! Les géants sont tapis dans l’ombre ... 353 2. Nanobiotix ou la leçon de communication ... 354 ! A quoi ressemble la concurrence ... 354 ! Qui est Laurent Lévy ? ... 356 ! Le saut dans l’entreprenariat ... 359 ! Le catalogue de produits ... 361 ! La quête de capitaux ... 362 ! La conquête médiatique ... 365 ! La belle promesse ... 367 ! L’enjeu des essais cliniques, l’augmentation du capital ... 369 ! Le devoir d’indépendance, le droit d’ingérence ... 374 B. Le choix des mots, l’ordre des noms, le sens des images ... 376 1. Le communiqué de presse ... 376 ! Déficit communicationnel ... 376 ! La communication de la communication ... 378 ! Le bal des auteurs ... 381 ! Le nom de marque ... 385 ! Le texte final ... 386 2. La mise en image ... 387 ! Critique de la « sur‐com » ... 387 ! La bande‐dessinée ... 389 ! De l’action imaginante ... 395 3. Les conséquences de la communication ... 396
! Les nanoparticules sont de petits cailloux ... 396 ! Des effets toxiques ... 399 ! Qui est responsable ? ... 400 II. DES RESULTATS A COMMUNIQUER ... 402 A. Interactions avec les journalistes ... 402 1. La science vulgarisée ... 402 2. Qui communique quoi à qui et comment ? ... 403 ! Un communiqué de presse du Cancéropôle ... 403 ! Un article dans un quotidien régional ... 405 ! Un reportage à la télévision régionale ... 407 ! Le recyclage de l’information ... 409 B. Du public néophyte au public spécialisé ... 410 1. La vulgarisation de la vulgarisation ... 410 ! La visite du laboratoire ... 410 ! Le rapport sous forme de site web ... 411 ! Le documentaire en ligne ... 413 ! Les nanoparticules de l’équipe NPC ... 414 ! De l’influence des vulgarisateurs ... 415 2. Un colloque international ... 416 ! L’enthousiasme du chercheur ... 416 ! L’intervention de Nanobiotix ... 417 ! Du débat éthique ... 419 ! Des retombées médiatiques ... 420 CONCLUSION – ANALYSES COMMUNICATIONNELLES LOCALISEES ET GLOBALISANTES ... 423 I. APPORTS ET LIMITES METHODOLOGIQUES ... 423 1. Articuler des situations locales à l’échelle globale ... 424 ! Originalité de la démarche ... 424 ! Limites et perspectives ... 425 2. Sortir de la vision étroite des controverses publiques ... 425 ! Originalité de la démarche ... 425 ! Limites et perspectives ... 427 3. L’interdisciplinarité ou le recours à différentes disciplines ... 427 ! Originalité de la démarche ... 427 ! Limites et perspectives ... 428
II. RESULTATS, INTERPRETATIONS ET PERSPECTIVES ... 429
1. L’innovation pharmaceutique ... 429
2. L’utopie des nanotechnologies et des nanomédicaments ... 432
3. Les scientifiques, entre oppositions et memetismes ... 436
BIBLIOGRAPHIE ... 441
I. GENERALITES & METHODOLOGIES ... 441
1. Anthropologie, sociologie, philosophie ... 441
4. Sciences de l’info‐com, sociologie des médias ... 442
5. Analyse du discours, analyse de contenu, sémiotique ... 443
6. Analyse conversationnelle ... 444
7. Histoire ... 445
II. A PROPOS DES SCIENCES ... 446
8. Philosophie, épistémologie, analyses ... 446 9. Histoire ... 446 10. Sociologie & anthropologie ... 447 11. Vulgarisation ... 448 12. Gestion de la recherche et innovation ... 449 III. NANOTECHNOLOGIES ... 449 13. Monographies et articles en Sciences de la nature ... 449 14. Vulgarisation & Essais ... 451 15. Rapports, brochures & études ... 452 16. Articles, monographies & thèses de doctorat en SHS ... 454 IV. PHARMACIE ET CHIMIE ... 457 17. Communication ... 457 18. Anthropologie, sociologie, dictionnaires ... 457 19. Histoire & philosophie ... 458 20. Essais ... 460 21. Économie & Droit ... 461 22. Rapports, bilans & études ... 463 23. Manuels techniques, dictionnaires & articles scientifiques ... 464
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies. VII ANNEXES ... 467 I. TERRAIN : CONFIGURATION LOCALE ... 467 1. Liste des anonymes ... 467 2. Conventions de transcription en analyse conversationnelle ... 468 II. CONTEXTES GLOBAUX ... 469 1. La recherche pharmaceutique : données brutes ... 469 ! Dossiers d’AMM traités par l’ANSM ... 469 ! Investissements R&D des 1500 premières entreprises pharmaceutiques ... 469 2. Les nanotechnologies : images et imaginaires ... 474 ! Bande dessinée de l’INERIS (2007) ... 474 ! Photos de la manifestation de Grenoble du 1er juin 2006 ... 475
III. RADIO FRANCE ET LES NANOTECHNOLOGIES ... 476
A. Analyse de la population des émissions ... 476 1. Inventaire de la population totale ... 476 2. Statistiques sur l’ensemble de la population ... 487 ! Effectif d’émissions ou de reportages par canal de diffusion ... 487 ! Mode de diffusion ... 487 ! Genres radiophoniques ... 487 ! Positionnement des titres ... 488 3. Nom et statuts des intervenants ... 490 ! Interviewés (par ordre alphabétiques) ... 490 ! Classement des Interviewés par effectif ... 493 ! Profession des interviewés ... 494 ! Organisme de rattachement des interviewés ... 495 ! Journalistes vs producteurs ... 496 B. Transcription d’extraits d’émissions ... 499 1. Corpus sélectionné par échantillonnage aléatoire ... 499 2. Statistiques à partir de l’échantillon ... 517 ! Quelles sont les catégories thématiques les plus abordées ? ... 517 ! Pourquoi on en parle ? ... 517 3. Neuf extraits complets d’émissions sélectionnées aléatoirement ... 519
IX Au départ,
l’art du puzzle
semble être un art bref, un art mince, tout entier contenu dans un maigre enseignement de la
Gestalttheorie […]
on
peut
regarder
une pièce d’un puzzle pendant trois jours
et croire tout savoir
de sa configuration et de sa couleursans avoir le moins du monde avancé :
seule compte la possibilité de relier
cette pièce à d’autres pièces, [...]
seules les pièces assemblées prendront un
CARACTERE LISIBLE,
prendront un sens :
considérée isolément
une pièce d’un puzzle
ne veut rien dire[…]
en dépit des apparences,
ce n’est pas un jeu solitaire :
chaque geste que fait le poseur de puzzle,
le faiseur de puzzles
l’a fait avant lui ;
chaque pièce
qu’il prend et reprend,
qu’il examine,
qu’il caresse,
chaque
combinaison qu’il essaye
et essaye encore, chaque tâtonnement, chaque intuition, chaque espoir, chaque découragement,
ont été décidés,
calculés, étudiés par l’autre. [Georges Perec, La vie mode d’emploi, 1978, p. 15‐18]
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies. XI
R
EMERCIEMENTS
A Jacqueline et Samuel, sans les encouragements de qui je n’aurais jamais mis un terme à ce manuscrit. Un travail de recherche n’est jamais l’œuvre d’une personne solitaire. Je souhaite rendre hommage à ceux qui m’ont accompagné par leurs conseils ou leurs encourage‐ ments.Le moteur essentiel de cette thèse de doctorat fut Yves Winkin. D’abord, parce qu’il vit immédiatement l’intérêt des matériaux empiriques que j’étais capable d’obtenir et l’importance d’un tel objet de recherche. Ensuite, par la passion communica‐ tive qui le meut dans tout ce qu’il entreprend. Enfin, par son orientation méthodolo‐ gique ; rarement ai‐je rencontré un chercheur autant ouvert à l’interdisciplinarité, cu‐ rieux de tout, faisant lien entre des concepts et des auteurs qui paraissent éloignés de ses propres centres d’intérêt. Ce fut un honneur de l’avoir côtoyé. Il restera toujours, pour moi, l’exemple à suivre.
Samuel Lézé a assumé la tâche ingrate « de me suivre » au quotidien (je dirais plu‐ tôt « de me pousser »), sachant écouter aussi bien les doutes du doctorant que ses plans euphoriques sur la comète. Si un directeur oriente son doctorant, la méthode de M. Lézé fut de me laisser en liberté ; contrairement à ces animaux qu’on élève en batterie avec les mêmes aliments souvent transgéniques, il a eu l’intelligence de me « surveiller » à bonne distance, me laissant pâturer dans des champs sauvages pour explorer des terres fertiles, me ramenant sur le « droit chemin » si je m’étais égaré. Sa pédagogie a consisté à me laisser grandir en apprenant de mes erreurs. Ses conseils ont été déterminants dans la connaissance anthropologique, la confrontation au terrain, le plan du manuscrit, bref, à toutes les étapes du parcours qui ont permis de mettre un terme en toute rigueur à ce travail. Intégrer l’ENS de Lyon fut comme une renaissance, hébergé dans ce havre intellec‐ tuel durant quatre années, le cerveau dopé par l’émulation des autres chercheurs. C’est Joëlle Le Marec qui m’y a introduit, alors qu’elle était encore responsable du laboratoire Communication, Culture et Société, secondée par Igor Babou. Tous deux m’ont formés aux Sciences de l’information et de la communication, ouvert les portes de territoires qui m’étaient étrangers (comme la muséologie, la sémiotique et l’analyse du discours) et m’ont permis de forger un sens critique, de savoir séparer l’émulsion subjectivité‐ objectivité pour mieux appréhender des réalités multiples.
Ce travail a également bénéficié des nombreuses rencontres que j’ai pu faire, qui ont su impulser des idées nouvelles, des lectures, des manières de voir le monde. Mes parents, Abdelkrim et Dhaouia, sans qui je n’aurais sans doute jamais été pharmacien. Mon frère Réda, dont les conditions de travail lors de son doctorat m’ont beaucoup ap‐ pris sur la « mentalité » du chimiste. Mon frère Amin, plus érudit que la plupart des uni‐ versitaires que j’ai fréquentés. Mes oncles Rachid et Djamal, qui furent les premiers à m’initier aux sciences sociales. Mourad Sabri, avec qui j’ai amorcé durant nos études en pharmacie un certain nombre de réflexions, tout comme Nachida et Philippe Delagnes, informaticiens géniaux. Mon épouse Jacqueline qui, même si elle n’a lu aucune version de ce manuscrit, en a été l’inspiratrice continuelle. Nos enfants Wylem et Titem, dont l’énergie m’a permis de passer des nuits blanches utiles à la créativité.
Parmi les chercheurs universitaires, je suis reconnaissant à Lorenza Mondada de m’avoir initié à l’analyse conversationnelle. J’ai pu confronter mon point de vue à propos des nanotechnologies avec Dominique Vinck, Pierre‐Benoit Joly et Stéphanie Lacour, dont les analyses ont été d’un grand secours. Mes activités d’enseignement ont égale‐ ment nourri nombre de lectures et pistes méthodologiques. A l’université Lyon 2 et Lyon 3 où j’enseigne, je remercie en particulier Jean‐Pierre Esquenazi et Alain Girod ; que les nombreux collègues que j’oublie m’excusent. Je pense aussi aux membres du groupe TRACES, en particulier Richard‐Emmanuel Eastes, Mélodie Faury et Edouard Kleinpeter. Enfin, le journalisme m’a appris à douter, vérifier les faits et interviewer, dès le début des années 1990, grâce aux producteurs et réalisateurs de la Radio Algérienne. Ces der‐ nières années, j’ai fréquenté de nombreux journalistes qui m’ont inspirés et encouragés : Olivier Bertrand (du quotidien Libération), Bruno Crozat, Laurent Poillot, Thierry Butz‐ bach et Afaf Belhouchet.
Le travail de documentation fut l’une des tâches les plus chronophages de ce tra‐ vail de doctorat. J’ai bénéficié de la puissance d’indexation des moteurs de recherche web, épuisé toutes les bibliothèques lyonnaises (je ne peux citer les noms de tout le per‐ sonnel) ; Université Lyon 2 à Bron et à Chevreuil, Université Lyon 3 à Manufacture des Tabacs et sur les quais du Rhône, Université Lyon 1 à La Doua et à la faculté de médecine et de pharmacie, ENS de Lyon Sciences et Lettres, INRP, Bibliothèques municipale de Lyon à Part‐Dieu et dans différents arrondissements, INAthèque de Lyon et à la Biblio‐ thèque Nationale de France…
Près de la moitié des données empiriques exposées dans cette étude ont été obte‐ nues grâce à la bienveillance de Guillaume Morvan, chef de service à l’hôpital public, Va‐ lérie Fornet, maitre de conférences dans le même service, et Thibaud Jacquet, respon‐
sable d’une équipe de chimistes à l’université de Lyon1. Je suis reconnaissant à tous leurs
collaborateurs pour l’aide qu’ils m’ont apportée et pour leurs témoignages.
Ce travail de recherche a été réalisé en toute indépendance, sans l’apport d’aucun groupe industriel ou organisme de recherche. Si je n’ai pas bénéficié de bourse ou de contrat de recherche, l’ENS de Lyon m’a cependant exempté des frais de scolarité et m’a octroyé une aide de cinq cent euros pour imprimer des exemplaires de ce manuscrit. Je suis heureux de la présence à la soutenance à fin d’évaluer ce travail, de Mme d’Almeida, M. Baudry, Mme Houdart et M. Semprini. Je remercie Mme d’Almeida d’avoir noté dans son rapport de pré‐soutenance que cette thèse traite d’un « thème majeur », et qu’elle repose « sur une solide culture scientifique et épistémologique », avec « une origi‐ nalité du regard et de l’analyse ». M. Baudry ajoute que « c’est à analyser les conditions de production de “l’évidence”, que le candidat s’est employé, tout en montrant les modes de construction de ce qui semblerait “aller de soi” ». Il conclut ainsi : « Documentée, riche en notes de bas de page précises, elle est à l’évidence de qualité ». Sincères remerciements pour ces encouragements à poursuivre dans la lignée de cette étude. Au départ, l’art de la thèse semble être un art complexe, qu’aucun enseignement ne peut contenir tout entier, un horizon infranchissable qui marque l’aboutissement de la scolarité toute entière. Ce qui n’apparaît qu’à la fin, c’est qu’elle n’est pas une fin mais le début d’une réflexion. 1 Ce sont des noms d’emprunt ; vous trouverez la liste des personnes anonymisées en annexe, p. 485
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies.
1
I
NTRODUCTION
Dans quelles conditions s’invente un médicament ? Mue par une démarche pluri‐ disciplinaire, de l'anthropologie de la communication aux Science Studies, cette thèse étudie les stratégies et pratiques communicationnelles mobilisées par l’industrie phar‐ maceutique et les laboratoires de recherche publics lors de l’invention d’un médicament, dans la phase de recherche qui précède les études cliniques. Ce médicament est une na‐ noparticule issue des nanotechnologies, destinée à des applications thérapeutiques (contre le cancer) et diagnostiques (imagerie médicale). Les écosystèmes des réseaux d’innovation sont décrits par une étude ethnographique minutieuse, avec la mise en perspective des interactions multiples qui s’y déroulent.
La première partie analyse deux dimensions du contexte général : les discours liés à la recherche pharmaceutique et aux nanotechnologies. Le premier chapitre dissèque les mythes que diffuse l'industrie pharmaceutique à travers ses éléments communica‐ tionnels, dont l’origine est la reconfiguration des mécanismes d’innovation des grands groupes. Le second chapitre retrace de manière critique l'histoire des nanotechnologies, dégage les controverses à leurs propos et analyse les discours radiophoniques qui leurs sont consacrés.
La seconde partie explore trois facettes du local : des chercheurs multi‐ disciplinaires (chimistes, physiciens, biologistes, médecins), engagés dans la recherche du médicament, travaillent dans des laboratoires publics et privés. Le premier chapitre présente leurs spécificités et observe comment leurs collaborations façonnent des ré‐ seaux amorphes. Le second chapitre met en exergue la place centrale de l’oralité, à partir de la synthèse des molécules (i.e. nanoparticules) par les chimistes‐physiciens jusqu’à l'expérimentation animale par les médecins‐biologistes. Le troisième chapitre analyse comment les chercheurs et leurs concurrents communiquent leurs résultats à travers différents canaux communicationnels (colloque, public de visiteurs, investisseurs et mé‐ dias).
Nous allons varier la distance de notre focale, prenant soin de décrire les réseaux entrelacés de la recherche académique et privée, analysant les pratiques communica‐ tionnelles des personnes et des institutions, de la rédaction de mail à l’écriture d’articles scientifiques, de la réunion privée aux colloques, de la discussion de couloir à l’intervention dans la presse et les conférences publiques, de la consommation des mé‐ dias de masse à la lecture de revues spécialisées…
I. Ouvrir la « boite noire » des médicaments
Un médicament manufacturé qui se trouve sur les étagères d'une officine pharma‐ ceutique est rarement interrogé. Parfois, il arrive que les patients demandent plus d'ex‐ plications sur la prescription de leur médecin, voire même contestent ses choix (Sa‐ nabria, [331]). Mais c'est souvent soit pour une abstention médicamenteuse, soit pour substituer une prescription par une autre, par exemple le refus d'un médicament géné‐ rique (Fainzang, 2001, [324]).
N’ayez pas peur. Ouvrez cette boite de médicament. Lisez la notice. Vous aurez des informations qui permettront au médecin et au patient de bien prescrire ou de bien con‐ sommer ce « produit pas comme les autres ». On y fait mention du nom du principe actif, de sa dose, de sa forme galénique, de ses indications thérapeutiques (les pathologies pour lesquelles il doit être prescrit), de la posologie (la quantité à consommer par jour), de son mode d’administration (par voie orale, injectable, cutanée, etc.), mais la formula‐ tion chimique exacte et les processus (les « recettes ») qui ont conduit à son « aspect » final restent secrets. Ils sont enfermés dans une boite noire (au sens que lui donne La‐ tour, 1987 [136]) que ni le médecin, ni le patient, n’ont besoin de connaitre. L'idée que l’on se fait de cette « boite noire », varie selon les acteurs en jeu et la phase du cycle de vie du médicament : synthèse chimique, premiers essais in vitro, es‐ sais in vivo, tests cliniques, production industrielle, développement marketing, prescrip‐ tion, consommation, etc. N’avez‐vous pas envie de savoir qui sont les chercheurs et les institutions qui ont réellement participé à sa découverte? N’êtes‐vous pas curieux de connaître comment est organisé le processus d’innovation ? Et dans ce long parcours,
quels rôles ont joué les pratiques communicationnelles ?2
A. Comment aborder la question des médicaments
1. Etat de l’opinion : la lorgnette du grand public
! Cet obscur objet de scandales
De manière récurrente, les médicaments commercialisés posent problème. Chris‐ tian Bonah et Nils Kessel3 (2011, [339], p. 340) rappellent les affaires des « médicaments tueurs » : ils citent en exemple le Lipobay (ou Staltor) en 2001, la Thalidomide en 1961, le Stalinon en 1954 et la poudre de Baumol en 1951. Ils auraient pu ajouter à cette liste le retrait du Vioxx en 2004 (Hauray, 2009, [326]). Ils y trouvent des similitudes qui tra‐ versent les générations. De l’étude détaillée des « affaires » des années 1950 (les médi‐ caments Stalinon et Baumol), ils concluent : Ainsi, le scandale médical ne relève pas uniquement d’une indignation des profanes ou d’une exploitation sensationnaliste par les médias mettant en accusation des professionnels de la santé qui se sentent trahis et incompris, créant ainsi une opposition entre la « communauté médicale » et 2 Je me focalisera, pour cette étude, uniquement au médicament synthétisé par les chimistes. J’exclus de mon analyse et de mesobservations les médicaments homéopathiques, les médicaments à base de plantes et les biomédicaments (produits à partir d’organismes vivants ou de leurs composants cellulaires ; par exemple les vaccins, les insulines, les anticorps monoclonaux et les hormones). Cependant, le chapitre Chapitre 1 – Les mythes de la recherche pharmaceu‐ tique, p. 46, peut concerner tous ces médicaments.
3 Bonah est professeur d’histoire des sciences, université de Strasbourg, faculté de médecine, directeur du départe‐
ment d’histoire des sciences de la vie et de la santé ; Kessel est doctorant en histoire, université de Strasbourg et de Fribourg‐en‐Brissau
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies.
3 ses publics. Bien au contraire, le scandale et l’affaire médicale peuvent être compris comme un moment d’épreuve que connaît une société où une renégociation de ses valeurs est en jeu. Le phé‐ nomène médiatique, compris dans les logiques propres aux médias, devient ainsi l’essai commun de journalistes et d’experts d’attirer l’attention sur ce qui est considéré par les auteurs comme étant une infraction à une norme. (Bonah et al., 2011, [339], p. 349) Il y aurait donc un fonctionnement « normal » des valeurs sociales, le scandale et la controverse représentant l’exception ? Ou, au contraire, le scandale ferait‐il partie de la norme ? Arrêtons‐nous sur un exemple, le dernier scandale ayant fait vibré l’industrie pharmaceutique française, au point d’avoir forcé le gouvernement français à modifier radicalement l’organisation de l’autorité de régulation du médicament : l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a du muer en ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé), par la loi du 29 décembre 2011 relative au « renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ». C’est l’affaire du Médiator, du nom d’un médicament commercialisé par les labo‐ ratoires Servier, qui en fut la cause. Revenons brièvement sur les faits.
Prescrit durant une trentaine d’années, le Médiator est retiré du marché en no‐ vembre 2009 : il est incriminé pour être l'origine de graves lésions des valves car‐ diaques. Un mois après son retrait du Médiator, le fondateur du laboratoire qui l’avait conçu et promu, Jacques Servier, il est mis en examen pour tromperie et escroquerie, placé sous contrôle judiciaire avec un cautionnement de 75.000 euros, puis mis en exa‐ men pour homicides et blessures involontaires. S’il était mort quelques mois plus tôt, il aurait été auréolé de gloire, avec des funérailles nationales. A 90 ans, c’était l’un des cinq plus importants industriels de la pharmacie française, Servier représentant avec Pierre Fabre l’un des derniers représentants de laboratoires familiaux ayant acquis une re‐ nommée internationale.
Le Mediator a bien existé sur les étagères de pharmacies pendant des décennies, il fut prescrit par des médecins en toute légalité. Mais qui s’est jamais penché sur cette boite noire ? Qui a pensé à l’ouvrir, à revoir les autorisations de mise sur le marché, à s’interroger : « pourquoi, alors qu’il est noté qu’il doit être prescrit contre l’excès de lipides dans le sang, ou pour des diabétiques en surpoids, est‐il prescrit par les médecins comme coupe‐faim » ? Qui avait pointé du doigt cette incongruité : des personnes qui voulaient maigrir, sans être ni diabétiques ni présenter un taux de lipides élevé, consommaient du Médiator. Personne, hormis les journalistes de Prescrire, une revue spécialisée destinée aux médecins et aux pharmaciens, indépendante de la publicité des groupes pharmaceu‐ tiques. Il a fallu qu’un nombre de morts significatif soit signalé pour que les autorités réglementaires se décident à l’interdire. Et là encore, la sphère médiatique n’a pas vrai‐ ment réagit. Il fallut qu’Irène Frachon, une pneumologue brestoise dont personne n’avait entendu parler avant, publie son pamphlet contre le Mediator et son fabricant (2010, [378]) pour que les médias grand public traditionnels se penchent sur ce scandale. C’est ce débat porté sur la place public qui incita en 2011 l’Inspection générale des affaires so‐ ciales (Igas) à produire un rapport décrivant les ressorts de cette affaire et son origine. Au moment où le benfluorex4 va être mis sur le marché (1976), la préoccupation des labora‐ toires Servier est de présenter ce nouveau médicament comme ce qu’il est peut‐être – un adjuvant au traitement des hyperlipidémies et du diabète de type 2 ‐, et non comme ce qu’il est à coup sûr – un puissant anorexigène. C’est pourquoi cette firme va tenter d’effacer une trace très visible : le
4 C’est la dénomination commune internationale (DCI) du principe actif contenu dans le Mediator. La DCI n’est pas le
nom chimique (qui est bien plus long) et n’appartient à personne, fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : World Health Organization, The use of common stems in the selection of International Non proprietary Names (INN) for pharmaceutical substances, Geneva, 2002.
nom même de la substance. Le suffixe « ‐orex » est en effet le segment‐clé retenu par l’OMS pour de‐ signer les agents anorexigènes. (Igas, 2011, [434]) Je n’entrerai pas dans les détails de cette affaire bien complexe, aux nombreux re‐ bondissements et tiroirs cachés. Ce qui est reproché à Servier par la justice est d’avoir sciemment caché certains éléments aux autorités régulatrices, aux médecins, à ses colla‐ borateurs et aux patients. C’est un problème communicationnel qui est au cœur de cette affaire. Il y a des éléments qui ont été dissimulés et d’autres privilégiés en fonction d’intérêts commerciaux et de stratégies marketing. L’on peut s’interroger : à quel mo‐ ment existe ce scandale ? Au moment de la mise en examen de Servier en 2011, au mo‐ ment de la sortie du livre de Frachon en 2010, au moment du retrait du Mediator en 2009, au moment des premières alertes publiques à la fin des années 1990 auxquelles personne n’avait fait attention, durant les trente années de prescription du médicament, au moment de son autorisation de mise sur le marché en 1976, au moment où Servier cache certaines données cliniques dont il a possession, au moment des tests cliniques au début des années 1970 (Igas, 2011, [434]), ou au moment de sa conception à la fin des années 1960 ?
La communication est omniprésente dans tous les essais critiques à l’égard de l’industrie pharmaceutique (par exemple Sournia, 1977, [386] ; Pignarre, 2002, [385] ;
Angell, 2004, [373]; Blech, 2003, [375]; St‐Onge, 2008, [387]; Horel, 2010, [382])5. Leurs
propos est souvent de la dénoncer comme un mal à extraire de la chaîne du médicament, au même titre que la connivence de l’industrie pharmaceutique avec les pouvoirs pu‐ blics, les médecins, les pharmaciens, les revues médicales et les associations de patients. Ce n’est pas le scandale qui motive ce travail de recherche. A mon avis, l’objet le plus banal peut se révéler scandaleux. Tout dépend du regard qu’on lui porte, tout dé‐ pend du moment où vous le regardez, tout dépend si vous décidez d’ouvrir les yeux, tout dépend si vous avez les moyens de comprendre ce qui est à portée de vue. Faire atten‐ tion aux objets silencieux, à leurs détails non scandaleux. Méfiez‐vous des scandales : ils font tant de bruit qu’on n’écoute pas le silence des laboratoires. C’est là où mon étude vous entraine.
! Une industrie lucrative
Egrénons les chiffres clés pour mesurer l’importance de l’industrie pharmaceu‐ tique, son poids économique et son influence sur la recherche et l’innovation. Au niveau mondial, l’industrie pharmaceutique engrange chaque année des centaines de milliards d’euros de bénéfices : 550 milliard d’euros en 2008 juste en commercialisant des médi‐
caments6, 716 milliards d’euros si l’on y inclut les dispositifs médicaux, avec un taux de
croissance entre de près de 7 % entre 2006 et 2008. L’Europe représente un tiers des volumes des ventes, avec une balance commerciale de 29 milliards d’euros pour
l’industrie pharmaceutique7, qui emploie 635000 salariés dont près de 20% en re‐
5 La liste des essais critiques est longue (nous aurions pu y ajouter : Pierre Raynaud, Le Médicament malade de sa
communication ou l'insoutenable légèreté des fabricants de remèdes, éd. Ulrich, 1992). A contrario, les manuels dé‐ diés à la communication ou au marketing pharmaceutique ou de la santé, ce sont des how to, qui expliquent aux étu‐ diants comment communiquer efficacement pour vendre les médicaments. Exemples : Alain Ollivier, Claude Hurte‐ loup (dir.), Le marketing du médicament en question(s), Paris : Vuibert, 2008 ; Marie‐Paule Serre , Deborah Wallet‐ Wodka Marketing des produits de santé, Paris : Dunod, 2008 ; C. Harboun, Le marketing pharmaceutique, ESKA, 2000 ; Peter Holden, Marketing Communications in the Pharmaceutical Industry, Radcliffe Publishing, 1992…
6 Étude d’IMS Health, repris par le groupe de travail santé des États Généraux de l’Industrie, cité par le rapport Tech‐
nologies clés 2015 [448], p. 281
7 Efpia, The pharmaceutical industry in figures, 2006, 2007, 2008 et 2009. Cité par le rapport Technologies clés 2015
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies. 5 cherche et développement (R&D). Au sein de l’Union européenne, la France est le pre‐ mier pays producteur de médicaments, bénéficiant de près de 10% du marché mondial, avec 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 20098. Cinq groupes pharmaceutiques
(Sanofi, Servier, Pierre Fabre, Ipsen, et le LFB) représentent dans l’hexagone plus de 45% des emplois de l’industrie pharmaceutique, près de 60% des investissements de
R&D et plus de la moitié des effectifs de recherche de l’industrie9. Nous allons évoquer
certains d’entre eux dans le cadre du premier chapitre (p. 29 à 123).
Notre étude se focalisera, dans la seconde partie (p. 183), sur une équipe de re‐ cherche dont les travaux portent sur la découverte d’un médicament anti‐cancéreux.
Entre 1998 et 2002, les cancers ont causé 144.000 décès par an10. En 2004, le cancer est
devenu la première cause de mortalité en France, alors que les maladies cardiovascu‐
laires ont vu leur mortalité diminuer de moitié en 25 ans11. En 2011, près d'un quart des
dépenses de R&D des grands groupes pharmaceutiques sont consacrés à la recherche
contre le cancer et les immunomodulateurs12. En France, les médicaments anticancéreux
cytostatiques représentaient à eux seuls 10,7% du chiffre d’affaire de l’industrie phar‐ maceutique. En 2006, le cabinet d’études Ernest &Young comptait 218 petites entre‐ prises (start up) dans les biotechnologies, employant plus de 8000 personnes, dont l’activité de R&D en santé humaine est consacrée principalement à la cancérologie (15 % des produits thérapeutiques et 14 % des outils diagnostics en développement).
2. Etat de l’art : la longue vue des chercheurs
Passons en revue les recherches en sciences humaines et sociales qui portent sur les médicaments et l’industrie pharmaceutique. Quand Philippe Urfalino, directeur de recherche en sociologie à l’EHESS, publie en 2005 « Le grand méchant loup pharmaceu‐ tique », c’est pour renvoyer dos‐à‐dos les partisans de la théorie du complot diabolisant les firmes pharmaceutiques de tous les maux liées à notre santé, et les dérives capitalis‐ tiques des multinationales dont la seule logique semble être le profit. Il incite les obser‐ vateurs à voir avec des lunettes plus complexes. Plus tard, il fera le constat l’absence du médicament comme thème de recherche de la sociologie française contemporaine (Urfa‐ lino, 2007, [334], p. 269), même dans les manuels didactiques sur la sociologie de la san‐ té, de la maladie et la médecine13. Hauray, qui fut son doctorant, a bien documenté les politiques européennes du médicament ([326] à [328]).
8 Les entreprises du médicament, www.leem.org ; Insee, Enquête annuelle des entreprises, Sessi, 2007. Cités par le
rapport Technologies clés 2015 [448], p. 281
9 Les États généraux de l’industrie, rapport du groupe de travail « Industries de santé », 20 janvier 2010, p. 19 10 Laurence Chérié‐Challine, Marjorie Boussac‐Zarebska, ‚Variations géographiques des décès par cancers accessibles
au dépistage dans les régions métropolitaines, France, 1998‐2002, in BEH, n°9‐10, 13 mars 2007, p. 70‐73
11 Albertine Aouba, Françoise Péquignot, Alain Le Toullec, Eric Jougla, Les causes médicales de décès en France en
2004 et leur évolution 1980‐2004, in BEH (Bulletin épidémiologique hebdomadaire, édité par l’Institut national de veille sanitaire), n°35‐36, 18 septembre 2007, p. 308‐314
12 CMR International, 2012, [425]. Ces chiffres sont basés sur le données des principaux groupes pharmaceutiques,
représentant environ 65% des dépenses mondiales en R&D. Le Centre for Medicines Research (CMR) appartient au groupe Thomson Reuters.
13 Il cite comme exemple : Philippe Adam et Claudine Herzlich, Sociologie de la maladie et de la médecine, Paris : Nathan,
1998 ; Danième Carricaburu et Marie Ménoret, Sociologie de la santé : Institutions, professions et maladies, Paris : Ar‐ mand Colin.
Il néglige certainement l’étude de Dupuy et Karsenty (1974, [394]) car elle axée sur l’économie du médicament. Il oublie également les canadiens : Johanne Colin, Marcelo Otero, Laurent Monnais (eds), Le médicament au cœur de la
socialité contemporaine : Regards croisés sur un sujet complexe, coll. Problèmes sociaux & interventions sociales, Presses de l'Université du Québec, 2006
De manière générale, les questions portant sur les politiques et les réglementa‐ tions liées à l'industrie pharmaceutique ont été sérieusement décrites et analysées au cours des vingt dernières années, notamment par John Abraham (2010, [318]), qui s’est
également intéressé aux essais cliniques14. Il a mis en lumière les insuffisances des ré‐
glementations actuelles, les nombreux biais que les acteurs mobilisent lors des procé‐ dures, et donc la nécessité d'une politique plus rigoureuse au niveau institutionnel et législatif ; il préconise notamment le développement d’essais indépendants de l'indus‐ trie pharmaceutique.
Concernant le volet pharmaceutique de la santé, la médicalisation de la société constitue l'essentiel des recherches en sciences sociales, soulignent Thoër‐Fabre et al. (2007, [333]), qui insistent sur la nécessité est nécessaire d’avoir une vision pluridisci‐ plinaire pour pouvoir analyser les pratiques de l’industrie pharmaceutique. Ils ont dé‐ cortiqué, par une analyse de contenu quantitative et qualitative, une somme impres‐ sionnante d'articles en sciences humaines et sociales ayant pour objet les médica‐
ments15. « C'est surtout à partir des années 1980 que s'amorce une réflexion sur les médi‐
caments qui s'inscrit hors de la perspective traditionnelle biomédicale et technique » (p. 22). Les thèmes principaux sont la réglementation (plus exactement la régulation juri‐ dique et économique), les moyens de communication (principalement la publicité, les médias et internet), les pratiques de distribution, de prescription et de consommation (de loin le plus répandu dans la littérature), le processus de médicalisation, la relation médecin‐patient, la relation sociale et les relations entre les professions. Cette « chaîne du médicament » a été documentée par des chercheurs en sciences politiques, des socio‐ logues, des historiens, des anthropologues, des psychologues, etc. Plus de la moitié des travaux portent sur l’étape de prescription‐consommation. Thoër‐Fabre et al ont égale‐ ment constaté que « la représentation du médicament comme risque est dominante » (p. 52) et que « la présentation du médicament comme bénéfice thérapeutique est peu déve‐ loppée et largement questionnée » (p. 53). Finalement, ce qui est le moins documenté, ce sont les représentations de l’industrie pharmaceutique, des instances gouvernementales et celles circulant dans les milieux universitaires, « sans doute parce que ces acteurs res‐ tent d’accès difficile » (Thoër‐Fabre et al. [333], p. 52).
L’étude bibliographique de Van der Geest et al. (1996, [334]), synthétisant les études portant sur la production pharmaceutique, recense moins d'une dizaine d’articles, publiés entre les années 1970 à 1990. Ces travaux ont participé à la dénoncia‐ tion de la fraude, de la corruption et de la désinformation menées par l'industrie phar‐ maceutique. Cela n'a certes pas encouragé les groupes pharmaceutiques à ouvrir les portes de leurs laboratoires aux chercheurs en sciences sociales. Aucun d’entre eux n’a suivi des chercheurs en action lors de la synthèse et des premiers tests d'un nouveau médicament.
14 Voir les références à ses articles, fort nombreux, consacrés à ce sujet, sur sa page web :
http://www.sussex.ac.uk/profiles/6 (consulté en mai 2011)
15 Avec le logiciel Alceste. Ils ont utilisé la métabase de données CSA Illumina et ont consulté 29 revues, notamment :
Ageline, Communication Studies (Sage), Political Science (Sage), Social Services Abstracts, Sociological Abstracts, Sociology (Sage), World Wide Politicals Abstracts, PsycInfo, Psychology (Sage). Avec comme mots‐clés drug*, pharma‐ ceutical* et medication*, ils ont extrait plus de 29000 articles. En éliminant ceux qui portaient sur la médecine alter‐ native ou traditionnelle, les revues d’ouvrages et en ne conservant que les revues ayant publié au moins cinq articles sur le médicament pendant la période visée, ils sont tombés à 491 d’articles. Auxquels s’ajoutent les 41 articles ex‐ traits des bases Erudit, John Libbey Eurotext (pour la revue Sciences sociales et santé) et celle de la Fondation natio‐ nale de gérontologie (pour la revue Gérontologie et société), avec comme mots clés : « médicament », et « pharmaceu‐ tique ».
La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des nanotechnologies.
7
Aucune étude sérieuse ne semble aborder la question de la communication phar‐
maceutique avant la commercialisation des médicaments16. Le peu d’ouvrages publiés
sur la question de la communication pharmaceutique analysent la communication et le
marketing après la commercialisation17. Que se passe‐t‐il avant, lors de l’invention des
médicaments par les chimistes, les biologistes, les pharmaciens et les médecins ? C’est la terra incognita que nous allons explorer.
B. Pourquoi s’intéresser aux nanotechnologies
1. Les nanotechnologies, présent de l’innovation
! Une question de communication
« La communication est aussi importante que l’innovation », estiment Jean Huache et François Berger (2007, [180], p. 1140). Le premier est professeur, responsable de la filière biotechnologies et bioindustries à l’ESIEE Management (CCIP) et professeur asso‐ cié à l’Université d’Évry ; le second est professeur et médecin à l’hôpital et à l’université de Grenoble, responsable du projet Clinatec, le pôle de recherche dédié aux nanotechno‐ logies appliquées au domaine médical (en particulier le cerveau), dont l’actionnaire principal est le CEA.
Après les manifestations de Grenoble en 2006 contre les nanotechnologies (cf. p. 140 à 167), et les discours médiatiques évoquant les risques liés aux nanotechnologies, ils cherchent à éviter que les chercheurs apparaissent comme des « apprentis sor‐ ciers ». Ils leur recommandent de ne pas cacher la nature de leurs travaux, leurs résultats et les implications qui en découlent, car « le moindre décalage entre la réalité du pro‐ grès » lié aux nanotechnologies « et sa perception dans l’opinion publique » peut « être catastrophique » (Hache, Berger, ibid.). La bataille se gagne sur le terrain communica‐ tionnel : « le risque est grand de voir le principe de précaution prendre de plus en plus de place dans le débat public et s’appliquer sans discrimination, en devenant un principe de blocage et d’inaction ». Ce serait alors la fin des nanotechnologies.
Comment contrer de telles rumeurs ? Hache et Berger recommandent à leurs con‐ frères de « ne pas occulter les risques éventuels » et de contrer les critiques en indiquant que des recherches sur ces risques sont menées en parallèle, comme par exemple sur « la toxicité des nanoparticules ou les problèmes de leur dissémination dans
l’environnement »18 (Hache, Berger, ibid.). Il ne faut surtout pas que les nanotechnologies
16 J'ai interrogé les bases de donnée en ligne www.persée.fr, www.Cairn.info, Revues.org, Erudit.org, Jstor.org, Sudoc
et Google Schoolar, avec une recherche exhaustive sur les mots clefs « médicament », « drug », « pharmacie » et « pharmaceutique ». 17 Par exemple : ‐ Thierry Lefebvre, Didier Nourrisson, Myriam Tsikounas, Quand les psychotropes font leur pub : Cent trente ans de pro‐ motion des alcools, tabacs, médicaments, Paris : Nouveau Monde, 2010 ‐ Christine Thoër, Bertrand Lebouché, Joseph J. Lévy, Vittorio Alessandro Sironi (dir.), Médias, médicaments et espace public, coll. Santé et société, Presses de l'Université du Québec, 2010 ‐ Freddy Ghozland, Henry Dabernat, Pub & pilules : Histoires et communications du médicament, Paris : Milan, 1991
‐ Les ouvrages de Blondeau [339] évoquent également la question de la communication (par exemple, il raconte la genèse des visiteurs médicaux avec la création de l’OVP par Vidal).
18 En réalité, le budget consacré aux risques environnementaux et toxiclogiques bénéficient de budgets largement
inférieurs à ceux qui sont consacrés au développement des nanoparticules. Les études de bénéfices/risques ne sont pas toujours menées en parallèle ; les chercheurs travaillant sur un certain type de nanoparticules cherchant principa‐ lement à prouver qu’elles ne sont pas toxiques, et comme celles‐ci sont brevetées, personne d’autre ne peut y avoir