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B. La logique de la fabrication des mythes

1. Comment externaliser les risques

113   notamment pour le développement de projets et pour l'obtention des autorisations de mise  sur le marché », ce qui aurait « permis la découverte de plusieurs grands médicaments ».240  Au niveau européen, l’European Federation of Pharmaceutical Industries and Asso‐ ciations (EFPIA) a convaincu la Commission Européenne de créer l’IMI (Innovative Medi‐ cines Initiative) afin de favoriser l’émergence de médicaments innovants. Pour la période  2008‐2013, celle‐ci est dotée d’un budget de deux milliards d’euros, alloué à part égale  d’une part par les entreprises pharmaceutiques membres de l’EFPIA, et d’autre part par  le septième programme‐cadre de la Commission Européenne. L’un des objectifs princi‐ paux de l’IMI est de favoriser la collaboration entre les chercheurs liés à l’université et  ceux  des  entreprises  privées.  Elle  soutient  que  le  processus  actuel  de  découverte  des  médicaments doit être rendu plus efficient qu’il ne l’ait actuellement. Pour appuyer cette  affirmation, elle rappelle que sur dix mille subsistances testées au départ, seulement une  ou  deux  sont  approuvées  par  les  autorités  régulatrices.  Quelles  sont  les  causes  de  cet  « échec », se demande‐t‐elle ? « Le manque d'efficacité et les effets potentiels négatifs dans  les essais de laboratoire ou chez les patients. »241 (sic)  Si  on  renverse  cette  proposition,  cela donnerait que pour découvrir plus de médicaments avec le même nombre de subs‐ tances testées, il faudrait des « effets potentiels positifs » dans les essais précliniques et  cliniques.  Après  quatre  appels  à  projets  (2008‐2011),  seuls  37  ont  été  sélectionnées 

pour bénéficier d’un financement.242 

B. La logique de la fabrication des mythes

1. Comment externaliser les risques

Giuseppe  Bartholini,  responsable  de  la  recherche  de  Synthélabo  dans  les  années  1970‐80 estimait que, pour que la R&D fonctionne, il fallait regrouper sur un même site  des chercheurs de disciplines différentes et se rapprocher de la recherche universitaire  (Ruffat, 1996, [364], p. 192). Il sera entendu ; les laboratoires pharmaceutiques concur‐ rents  ne  cesseront  de  se  rapprocher  en  fusions‐acquisitions,  devenant  de  plus  en  plus  globalisés, de plus en plus gros243. Too Big to fail. 

Trente  ans  plus  tard,  un  nouveau  paradigme  s’est  installé  dans  l’industrie  phar‐ maceutique.  Pour  augmenter  la  productivité  de  la  recherche  et  du  développement  (R&D)  de  nouveaux  produits,  la  réaction  des  entreprises  pharmaceutiques  et  biophar‐ maceutiques est d’avoir de plus en plus recours à des « partenariats stratégiques » afin  de  développer  à  moindre  coût  les  nouveaux  médicaments  qu’elles  mettront  plus  rapi‐

      

240 Sylvie Jolivet, L'industrie pharmaceutique main dans la main avec l'université, in Les Échos, 6/10/1997, p. 56. Autre  exemple  de  partenariat  public‐privé :  Roche  met  en  place  un  partenariat  avec  l’Institut  Gustave  Roussy  à  Paris240,  spécialisé dans la recherche sur le Cancer (Le public et le privé font cause commune, in LesEchos.fr, 09/04/2009)  241 Dans la rubrique des questions les plus fréquemment posées (FAQ) de son site web, www.imi.europa.eu  242 Cela semble relativement faible. En 2010, Novartis avait dans son pipeline 147 projets en développement clinique  (Annual Report 2010, p. 24‐27). En 2009, Sanofi‐Aventis avait 49 projets en développement (Annual Review 2009, p.  24).  243 Prenons un seul exemple, que nous simplifierons pour plus de lisibilité : celui qui donnera le groupe Sanofi actuel.  Première branche : Synthélabo, est issue de la fusion en 1970 de Dausse (fondée en 1834) et Robert&Carrière (fondée  en  1899),  qui  avait  pris  dans  les  années  1990  le  contrôle  de  Delagrange  (fondée  en  1931)  et  Delalande  (fondée  en  1924). Deuxième branche : Sanofi (fondée en 1973), qui avait racheté Clin‐Midy en 1980, fusionne en 1999 avec Syn‐ thélabo. Troisième branche : Hoechst (fondée en 1863) fusionne en 1997 avec Marion (fondée en 1950) et Roussel  (fondée  en  1911).  Quatrième  branche :  Rhône‐Poulenc,  groupe  dans  lequel  nous  trouvons  l’Institut  Merieux  et  les  vaccins Pasteur, rachète Rorer en 1990, puis fusionne en 1999 avec Hoechst Marion Roussel pour créer Aventis, dont  Sanofi prend le contrôle en 2004. Depuis, le groupe Sanofi‐Aventis a avalé Zentiva, Medley, Chattem, BMP Sunstone,  Merial  et Genzyme. 

dement sur le marché 244. Les grands groupes pharmaceutiques « savent qu'ils ont besoin  d'un nouveau modèle d'entreprise s’ils veulent prospérer face à l’expiration prochaine de  leurs brevet majeurs et la flambée des coûts de R&D », explique Kenneth Kaitin, directeur  du  Tufts  CSDD.  Tous  ont  pour  objectif  d’« améliorer  l'efficacité  des  essais  cliniques  et  d'accroître le nombre de nouveaux produits introduits sur le marché. » De  plus,  de  nom‐ breuses entreprises « ont réduit leurs coûts d'exploitation fixes en s'associant, par des con‐ trats  de  recherche,  à  une  multitude  d’organismes  [universités,  start‐ups,  petits  labora‐ toires] qui emploient aujourd'hui dans le monde plus de personnel en R&D que les grands  groupes pharmaceutiques. » 

Plus  les  entreprises  pharmaceutiques  deviennent  des  mastodontes,  plus  elles  semblent avoir besoin d’air frais venant de l’extérieure, de la part de « petits » acteurs.  Les  PME  (que  nous  pouvons  nommer  aussi  « start‐up »)  conduisent  souvent  les  pre‐ mières recherches sur les nouvelles molécules, celles qui précèdent les études cliniques.  Un tiers des dépenses en R&D de l’industrie pharmaceutique française (soit 1395 M€) 

sont destinés à des contrats passés avec des « sous‐traitants »245

L’idée  « géniale »  qui  conduira  au  succès  n’est  pas  une  affaire  de  gros  sous.  Les  grands  groupes doivent donc à la fois compter sur leurs propres centres de recherche et sur des collabora‐ tions  avec  des  laboratoires  externes,  privés  ou  publics ;  les  prises  de  participation  ou  les  accords  avec des PME de pointe se multiplient. (Buisson, Giorgi, 1997, [389], p. 45) 

Quand les « petits » découvrent enfin une innovation intéressante (que ce soit une  nouvelle molécule ou une technique, diagnostique ou thérapeutique), ils proposent leur  « produit   en  licence  à  d’autres  laboratoires  pharmaceutiques »,  affirment  Buisson  et 

Giorgi246 (1997, [389], p. 45). C’est alors Big Pharma qui s’occupera des essais cliniques 

et de la commercialisation. Voilà une autre raison pour laquelle les groupes pharmaceu‐ tiques  communiquent  sur  des  valeurs  de  R&D  aussi  élevées.  Ce  serait  pour  faire  ad‐ mettre  au  grand  public  et  aux  autorités  régulatrices  que  ces  montants  dispendieux 

« montrent que notre modèle d'innovation doit être réinventé », dixit Zerhouni247, respon‐

sable monde R&D chez Sanofi, en mai 2012.         

244 cf.  le  communiqué  du  26  janvier  2012  du  Tufts    CSDD :  « Drug  Company  Executives  Are  Expanding  Their  Use  of  Strategic Partnerships », Tufts Center for the Study of Drug Development, communiqué du 26 janvier 2012. En ligne :  http://csdd.tufts.edu/files/uploads/january_2012_-_management_report_-_press_release.pdf (consulté en décembre 2012)  245 Bilan économique du Leem 2012  246Jean‐Philippe Buisson était responsable de la division industrie pharmaceutique à la DG des Stratégies Industrielles,  Dominique Giorgi était responsable de la Division du Médicament à la Direction de la Sécurité Sociale.  247 Il ne faut pas oublier que Zerhouni était un chercheur talentueux. Dans sa leçon inaugurale au Collège de France  (Zerhouni,  2011,  [388]),  il  rapporte  une  anecdote  qui  a  des  conséquence  sur  les  travaux  des  chercheurs  que  nous  allons étudier, puisqu’ils utilisent les techniques d’imagerie sur lesquelles Zerhouni a travaillé : Dans les années 1980,  alors médecin radiologue, « j’ai travaillé sur la tomodensitométrie quantitative afin de mesurer précisément la teneur en  calcium des nodules pulmonaires via leurs caractéristiques d’absorption. L’hypothèse était que les faisceaux traversant le  tissu calcifié seraient mieux absorbés que ceux des tumeurs non calcifiées, cette différence pouvant être mise à profit pour  distinguer les nodules bénins des nodules malins. In fine, le but était de réduire le nombre d’actes chirurgicaux inutiles,  qui étaient alors trop élevés. Après la publication de nos premiers résultats [E. A. Zerhouni, J. Spivey, R. H. Morgan, F. Leo, F. P. Stitik et S. S.  Siegelman, Factors influencing Quantitative CT Measurements of Solitary Pulmonary Nodules, Journal of Computer Assisted Tomography, vol. , n°6,  1982, p. 1075‐1087],  des  questions imprévues survinrent car d’autres équipes ne parvenaient pas à reproduire nos données. Suivit une période de  controverses portant sur la validité de nos travaux. Aussi ai‐je dû consacrer la plupart de mon temps à comprendre les  problèmes de reproductibilité de nos données et j’en vins à explorer les systèmes d’imagerie « de l’intérieur », analysant  tous les facteurs d’erreur possibles. Je finis par découvrir que tous les scanners n’étaient pas suffisamment fiables pour  une quantification précise car ils étaient conçus davantage pour un bon rendu de l’image que pour une quantification  rigoureuse. Leurs algorithmes de reconstruction comportaient des erreurs. J’ai alors développé et breveté une méthode de  calibrage évaluée dans le cadre d’un essai clinique multicentrique. La densitométrie CT devint une nouvelle norme de soin.  Pour ce faire, il me fallut collaborer avec des scientifiques d’autres branches : astronomes maîtrisant les algorithmes de  reconstruction des images ; physiciens et ingénieurs connaissant le fonctionnement des scanners au niveau fondamental ;  biochimistes et pathologistes comprenant le métabolisme du calcium et son mode de déposition dans les lésions tumo‐

La recherche pharmaceutique à l’épreuve des pratiques communicationnelles. L’invention d’un médicament issu des  nanotechnologies. 

 

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Les experts y croient dur comme fer : « La découverte de nouvelles molécules dans  la  recherche  académique  et  les  sociétés  de  biotechnologies  est  forcément  plus  riche  que  celle qui peut résulter des seules forces R&D d'une entreprise si talentueuse soit‐elle », ex‐ plique  Claude  Allary248,  co‐fondateur  de  Bionest,  un  cabinet  de  conseil.  « D'où  la  ten‐ dance  croissante  des  groupes  à  aller  s'approvisionner  à  l'extérieur,  en  réduisant  les  bud‐ gets internes. »249 Selon  Allary  et  son  collègue  Ozdowski250,  la  « créativité des nouvelles  organisations de R&D des big pharmas provient du passage d’un modèle vertical intégré,  vers  un  modèle  transversal  et  externalisé ».  Les  grands  groupes  auront  pour  mission  de  gérer « des programmes internes et externes », qui passeront par des « partenariats, licen‐ sing‐in,  acquisitions  sélectives  de  produits  ou  de  plate‐  formes,  licensing‐out  ou  spin‐ out »251.  

Nous retrouvons cette même vision chez l’ensemble des groupes pharmaceutiques.  En septembre 2009, à l’occasion d’une table‐ronde à l’université d’été du Medef (syndi‐ cat des grandes entreprises françaises), Marie‐Pierre Chevalier, directrice des Alliances  stratégiques  chez  Pfizer  France,  estime  que « le modèle classique de R&D est bel et bien  épuisé  et  que  nous  sommes  véritablement  entrés  dans  une  aire  de  partage.  Au  sein  de  l’entreprise, des équipes de recherche sont dorénavant dédiées à l’identification de parte‐ naires externes tels équipes publiques, PME, sociétés de biotechnologie ».252  

En 2001 déjà, deux tiers des essais cliniques faisaient intervenir des organismes  de  recherche  travaillant  sous  contrat,  et  plus  d’un  tiers  des  médicaments  soumis  aux  essais de phase III avaient été obtenus par les entreprises de Big Pharma sous licence ou  résultaient  de  travaux  de  recherche  concertés253.  Une  approche  «  systémique  »  s’est  mise en place, avec des réseaux et des acteurs multiples, dont les interactions devaient  être stimulées par les pouvoirs publics et les géants de l’industrie pharmaceutique.  

Le modèle linéaire simple […] selon lequel des universités ou des instituts de recherche pu‐ blics faisaient de la recherche fondamentale tandis que le secteur privé sélectionnait et développait  ce qui se prêtait à des applications commerciales, est maintenant considéré comme dépassé […] La  recherche  fondamentale,  par  exemple,  peut  être  menée  ou  parrainée  par  des  universités  et  des  firmes  pharmaceutiques.  En  même  temps,  des  universités  et  des  instituts  de  recherche  publics  se  sont également chargés de mettre au point des produits ayant des applications commerciales plus  ou  moins  directes  (soit  en  tant  qu’intrant  pour  d’autres  recherches  soit  en  tant  que  technologie  médicale parachevée), pour lesquelles ils peuvent ensuite concéder une licence à des tiers. (OMS, 

2006, [441], p. 27) 

       

rales. » [Elias A. Zerhouni, F.P. Stitik, S. S. Siegelman, D. P. Naidich, S. S. Sagel, A. V. Proto, J. R. Muhm, J. W. Walsh, C. R. Martinez, R. T. Heelanet al., Computed Tomography of  the Pulmonary Nodule : A Cooperative Study, Radiology, 1986, vol. 160, n°2, p. 319‐327] 

248 Entre  1980  et  1985,  il  est  responsable  de  produit  chez  Parke‐Davis  (aujourd’hui  Pfizer).  A  partir  de  1986,  il  est  responsable  export  chez  Rhône‐Poulenc  (aujourd’hui  Sanofi).  De  1988  à  1991,  il  est  directeur  du  développement  marketing à GSK. A partir de 1991, il est Senior Industry Specialist chez Arthur D. Little, un cabinet d’expertise. Entre  1998 et 2002, il est Vice‐Président d’ISO Consultants for Healthcare (aujourd’hui Deloitte). En 2003, il fonde Bionest 

Partners, un cabinet de conseil et d’expertise. Source : www.linkedin.com/in/claudeallary  

249 « Trois  facteurs  clefs  à  l'origine  des  restructurations  de  l'industrie  pharmaceutique »,  lit‐on  dans  Les  Echos  du  26/09/2012,  p  21.  « L’expiration des brevets, économies de fonctionnement et externalisation de la recherche, condui‐ sent l'ensemble du secteur pharmaceutique à réduire fortement ses effectifs », résume le journaliste.  250 Après un passage à Bionet Partners, Julian Ozdowski est aujourd’hui Finance Business Partner  chez GSK Biologicals  en Belgique.  251 Allary Claude, Ozdowski Julian, Stratégies pour l’innovation pharmaceutique, in Reflets, magazine édité par l’Essec,  aout‐sept 2008, p. 59.  252 Communiqué de presse de l’ARIIS du 9 septembre 2011 : « ARIIS, un acteur majeur de l’innovation ouverte »  253 Milne CP, Paquette C. Meeting the challenge of the evolving R&D paradigm: what role for CR’s. Boston, Massachu‐ setts : Tufts Center for the Study of Drug Development, 2003. Cité par OMS, 2006, [441], p. 25 

En septembre de la même année, un document confidentiel paraît dans la presse  [447],  provenant  d’une  fuite  au  sein  du  groupe  Sanofi  en  pleine  négociation  avec  ses  syndicats  à  cause  de  la  restructuration  de  ses  sites  de  R&D,  notamment  celui  de  Tou‐ louse qu’elle compte fermer. On y apprend notamment que 16,5% des employés de Sa‐

nofi sont employés en R&D254, soit 18823 collaborateurs, répartis sur trente sites dans le 

monde,  dont  sept  en  France.  En  juin  2012,  le  groupe  a  dans  son  « portefeuille  de  la  R&D » 51 molécules qui devraient permettre le lancement de plusieurs projets en 2015.  Il  détaille  l’état  d’avancement  et  l’origine  de  seize  produits  actuellement  en  cours  d’essais cliniques ou récemment approuvés par la FDA ou l’EMA. Aucun n’est issu de la  recherche  Sanofi.  Tous  ont  été  acquis  à  la  suite  de  rachats  de  sociétés,  de  contrats  de  licence ou d’alliances avec des entreprises beaucoup plus petites. J’ai mis en gras le nom  des sociétés en question :  1. Le lixisenatide, contre le diabète de type 2, soumis pour une AMM dans plusieurs  pays, a été acquis sous licence de Zealand Pharma A/S.  2. SAR236553 (code interne, la molécule n’a pas encore de nom) est co‐développée  avec Regeneron. Il entraine une diminution moyenne du LDL cholestérol supé‐ rieure à 65 % après 8 à 12 semaines d’administration chez des patients ayant des  concentrations élevées de LDL‐cholestérol en début de traitement (résultats pré‐ liminaires de Phase II).  

3. Zaltrap  (DCI :  aflibercept),  un  agent  antiangiogénique  (en  oncologie),  a  été  co‐ développé avec Regeneron. Dossier d’AMM soumis à l’EMA et à la FDA. 

4. Ombrabulin (dérivé de la combrestatatine), nouvel agent antivasculaire dans les  sarcomes  des  tissus  mous,  a  été  acquis  sous  licence  à  Ajinomoto,  est  actuelle‐ ment en Phase III en combinaison avec le cisplatine.  5. SAR302503 a été acquis à Targegen en 2009 et est actuellement exclusivement