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du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre e chambre Audience publique extraordinaire du 6 février 2020

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Tribunal administratif N° 43881 du rôle

du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2019 3e chambre

Audience publique extraordinaire du 6 février 2020

Recours formé par Monsieur ..., …,

contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43881 du rôle et déposée le 11 décembre 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., déclarant être né le … à … (Syrie), et être de nationalité syrienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 novembre 2019 ordonnant son transfert vers l’Italie, l’Etat membre responsable pour traiter sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Madame le délégué du gouvernement Jeannine DENNEWALD en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 janvier 2020.

___________________________________________________________________________

Le 7 novembre 2019, Monsieur ... introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, service criminalité organisée / police des étrangers, de la Police Grand-Ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, ainsi que du résultat d’une recherche effectuée dans la base de données EURODAC, que Monsieur ... avait introduit deux demandes de protection internationale en Italie le 24 septembre et le 8 octobre 2019.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration

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et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur ... à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Encore le même jour, Monsieur ... fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Il résulte des explications du délégué du gouvernement que les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en date du 8 novembre 2019 en vue de la reprise en charge de Monsieur ... sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par courrier du 20 novembre 2019, les autorités italiennes acceptèrent sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III la reprise en charge de Monsieur ....

Par décision du 28 novembre 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre informa Monsieur ... de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit : « […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 novembre 2019 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 7 novembre 2019.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale

En date du 7 novembre 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit deux demandes de protection internationale en Italie en date des 24 septembre 2019 et 8 octobre 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 7 novembre 2019.

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Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 8 novembre 2019 une demande de reprise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 20 novembre 2019.

2. Quant aux bases légales

En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert

En l’espèce, il ressort des résultats du 7 novembre 2019 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Italie en date des 24 septembre 2019 et 8 octobre 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté la Syrie en 2014 et vous auriez vécu au Liban jusqu’au 23 septembre 2019. Une organisation religieuse vous aurait ramené en Italie et les

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autorités italiennes vous auraient délivré un visa, valable du 24 septembre 2019 jusqu’au 7 novembre 2019. Après quelques jours en Italie, vous auriez quitté le pays sans attendre une réponse à votre demande de protection internationale et vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 5 novembre 2019. Selon vos dires, vous n’auriez jamais eu l’intention de rester en Italie ni d’y introduire une demande de protection internationale. Vous déclarez également avoir une sœur au Luxembourg, bénéficiaire de protection internationale.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 7 novembre 2019, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte]

(« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement, des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non- refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Italie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

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Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv.

torture.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. […] ».

Par courrier de son mandataire du 4 décembre 2019, Monsieur ... fit introduire un recours gracieux contre la prédite décision ministérielle, en soulignant la circonstance que sa sœur résiderait au Luxembourg et bénéficierait du statut de réfugié.

Par décision du 10 décembre 2019, le ministre confirma sa décision du 28 novembre 2019 dans les termes suivants : « […] J’accuse bonne réception de vos télécopies du 24 novembre et du 4 décembre 2019 par lesquelles vous demandez que la demande de protection internationale de votre mandant soit traitée par l’Etat luxembourgeois.

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Après avoir procédé au réexamen du dossier de votre mandant, je suis toutefois au regret de vous informer que je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande et je ne peux que confirmer ma décision du 28 novembre 2019 dans son intégralité. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2019, inscrite sous le numéro 43881 du rôle, Monsieur ... introduisit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 novembre 2019.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 28 novembre 2019 de transférer Monsieur ... en Italie. Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose tout d’abord les faits et rétroactes à la base du présent litige, tout en précisant que sa sœur, Madame..., vivrait au Luxembourg en tant que bénéficiaire du statut de réfugié. Il indique encore qu’il aurait, lors de son entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, fait part de son souhait de rejoindre sa sœur au Luxembourg, et aurait, dans ce contexte, encore demandé par courrier adressé au ministre le 24 novembre 2019 de voir sa demande de protection internationale traitée par le Luxembourg, le demandeur précisant qu’il n’aurait en effet jamais souhaité voir sa demande traitée par les autorités italiennes.

En droit, le demandeur cite le considérant (17) du règlement Dublin III, suivant lequel tout Etat membre pourrait déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de famille, de proches ou de tout autre parent, pour souligner la volonté du législateur européen, laquelle consisterait à permettre à un demandeur de protection internationale de voir sa demande traitée dans l’Etat où se trouve un proche, même si cet examen n’incomberait pas à ce dernier Etat, dans la mesure où l’objectif consisterait à permettre à des membres de famille déjà marqués par un parcours personnel souvent difficile, de trouver une forme de réconfort dans la possibilité de se rapprocher. Dans ce contexte, il rappelle également « l’esprit » de la Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial prévoyant dans son considérant (4), que le regroupement familial serait un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille et contribuerait à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les Etats membres, marquant ainsi une volonté particulière du législateur européen de veiller au respect de la vie familiale à laquelle il ne saurait être porté atteinte que de manière exceptionnelle.

En l’espèce, et eu égard à cette volonté du législateur européen, le demandeur reproche concrètement au ministre une appréciation erronée des faits, sinon une fausse application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III au motif que les liens familiaux entre lui et sa sœur seraient de nature à pouvoir justifier la compétence de l’Etat luxembourgeois pour traiter sa demande de protection internationale. A cet égard, le demandeur, tout en admettant que la clause discrétionnaire prévue par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, relèverait du pouvoir discrétionnaire du ministre, souligne cependant que l’exercice de ce pouvoir n’échapperait pas au contrôle de légalité du juge administratif qui devrait veiller au respect des principes de droit, tel que le principe de proportionnalité. Concrètement, le demandeur rappelle que confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu,

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le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, serait appelé à sanctionner la violation des principes généraux du droit parmi lesquelles figurerait celui de la proportionnalité de la mesure prise au regard d’une situation de fait. Concernant plus précisément le principe de proportionnalité, le demandeur souligne que le ministre serait tenu de ménager un juste équilibre entre les considérations d’ordre public qui sous-tendraient la règlementation de l’immigration et celles relatives à la protection de la vie familiale, telle que consacrées notamment par l’article 11 de la Constitution et par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte ». Il estime qu’en l’espèce, le ministre n’aurait pas respecté ce juste équilibre, de sorte que la décision critiquée serait à qualifier comme étant disproportionnée pour ainsi violer l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

La décision déférée devrait ainsi encourir l’annulation pour violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

L’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur ..., prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre; […] ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait l’Italie, en ce qu’il y aurait introduit auparavant deux demandes de protection internationale en date des 24 septembre et 8 octobre 2019 et que les autorités italiennes auraient accepté sa reprise en charge le 20 novembre 2019, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

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Force est encore au tribunal de constater que le demandeur ne remet pas en cause la responsabilité de principe des autorités italiennes pour procéder à l’examen de sa demande de protection internationale ni l’incompétence du Grand-Duché de Luxembourg ou encore l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Italie, mais reproche exclusivement au ministre de ne pas avoir fait application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en raison de la circonstance que sa sœur se trouve légalement sur le territoire luxembourgeois.

En ce qui concerne l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel « […] Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

L’Etat membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité […] », il y a lieu de constater que cette possibilité relève du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres1.

Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée2, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal3. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire le tribunal est amené à sanctionner une disproportion uniquement si celle-ci est manifeste.

En l’espèce, force est d’abord au tribunal de constater à titre liminaire que s’il est en principe vrai, comme l’affirme le demandeur, que le législateur européen favorise le rapprochement de membres de famille des demandeurs de protection internationale, ce qui s’est notamment traduit à travers l’élaboration de l’article 9 du règlement Dublin III, lequel désigne expressément comme Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, l’Etat où un membre de famille du demandeur de protection internationale est admis à résider en tant que bénéficiaire d’une protection internationale, le législateur européen ne compte cependant pas parmi les « membres de famille » au sens strict la fratrie d’un demandeur de protection internationale, tel qu’il résulte de l’article 2, point g) du règlement Dublin III définissant le terme « membres de la famille ».

Il échet également de préciser, toujours à titre liminaire, et en ce qui concerne le considérant (4) de la Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial invoqué par le demandeur que celle-ci n’est pas applicable en l’espèce, dans la mesure où aucun regroupement familial n’a été sollicité, et en ce qui concerne

1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

2 Trib. adm., 13 juillet 2016, n° 38009 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

3 Trib. adm., 30 novembre 2016, n° 38555 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

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le considérant (18) du règlement Dublin III invoqué par le demandeur, que les considérants du règlement Dublin III ne sauraient fonder de façon autonome une demande d’annulation formulée par le demandeur, mais le tribunal est amené à examiner les moyens fondés sur une violation des dispositions proprement dites du règlement Dublin III, respectivement de la Charte à la lumière des considérants du règlement Dublin III4.

Ainsi, et concernant la prise en considération de la fratrie dans le cadre du pouvoir d’appréciation du ministre en vertu de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 7 de la Charte, correspondant à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la

« CEDH », suivant lequel « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. […] », et avec l’article 11 de la Constitution aux termes duquel « (1) L’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille.

[…] (3) L’Etat garantit la protection de la vie privée, sauf les exceptions fixées par la loi », invoqués par le demandeur, force est de constater qu’en l’espèce, il n’apparaît pas que le ministre ait commis une quelconque erreur susceptible d’être sanctionnée par l’annulation de sa décision, en ce qu’il aurait fait un mauvais usage du pouvoir discrétionnaire qui lui est offert au regard notamment de la situation individuelle du demandeur.

En effet, et indépendamment de la question de savoir si Madame ... est effectivement la sœur du demandeur, il échet au tribunal de constater que mis à part son affirmation d’être le frère de Madame ..., bénéficiaire du statut de réfugié au Luxembourg, et son souhait de la rejoindre, le demandeur reste en défaut d’apporter la moindre précision quant à sa relation avec sa sœur permettant au tribunal de retenir dans le chef du ministre une disproportion manifeste dans son pouvoir d’appréciation, étant rappelé que les rapports entre adultes ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 de la CEDH, sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux5.

Concrètement, le demandeur est resté en défaut d’apporter une quelconque précision quant à l’intensité de la relation entretenue avec sa sœur dans leur pays d’origine, ainsi que relative au degré d’affection existant entre lui et sa sœur, tant dans le cadre de sa requête introductive d’instance que lors de ses déclarations auprès de la direction de l’Immigration, la simple affirmation suivant laquelle « ich wollte kein Asyl in Italien stellen, da ich zu meiner Schwester wollte6 » dans le cadre de son entretien auprès de la Police Grand-Ducale étant, en effet, insuffisante à cet égard. Aussi, aucun document émanant de la sœur du demandeur et témoignant d’une quelconque relation particulière existante entre eux n’a été versé au tribunal dans ce contexte.

Au contraire, il ressort des éléments à l’appréciation du tribunal que Monsieur ... a répondu lors de l’entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III à la question de savoir pour quelle raison il ne souhaite pas voir sa demande de protection internationale traitée par les autorités italiennes par « Je ne sais pas7 » et à la question de savoir pour quelles raisons il a quitté l’Italie

4 Trib. adm., 27 juin 2018, n° 41139 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

5 Commission EDH, 10 décembre 1984, « S. et S. c. Royaume-Uni », n° 10375/83, Décisions et rapports 40, p.

196. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 2 juin 2015, « K.M. c. Suisse », n° 6009/10, point 59 et CEDH, 30 juin 2015, « A.S. c. Suisse », n° 39350/13, point 49.

6 Page 2 de l’entretien mené le 7 novembre 2019 par un agent du service de police judiciaire, service criminalité organisée / police des étrangers, de la Police Grand-Ducale, sur l’identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg de Monsieur ....

7 Pages 4 et 5 de l’entretien de Monsieur ... en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande

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par « Je ne pensais jamais rester en Italie. Il n’y a pas d’avenir8 », de sorte qu’il échet de constater que les agissements du demandeur n’étaient a priori pas principalement déterminés par une relation particulièrement intense le liant à sa sœur, et permettant de retenir dans le chef du ministre une erreur manifeste d’appréciation à travers une violation de l’article 8 de la CEDH, correspondant à l’article 7 de la Charte, voire de l’article 11 de la Constitution.

Il y a encore lieu de souligner à cet égard et en ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait toujours eu l’intention de se rendre au Luxembourg, il y a lieu de rappeler que le règlement Dublin III prévoit des critères objectifs de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale et que ledit règlement a été, entre autres, adopté afin d’éviter le « forum shopping », de sorte que l’intention du demandeur n’est pas pertinente dans l’analyse de l’existence d’une erreur d’appréciation manifeste dans le chef du ministre pour ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire prévue par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Il y a dès lors lieu de retenir qu’il ne saurait être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur ..., cet examen incombant aux autorités italiennes.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs,

le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ; reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ; condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 6 février 2020 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge,

en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, 6 février 2020

Le greffier du tribunal administratif

de protection internationale en vertu du règlement Dublin III du 7 novembre 2019.

8 Page 5 de l’entretien de Monsieur ... en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III du 7 novembre 2019.

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