• Aucun résultat trouvé

Article pp.47-59 du Vol.1 n°1 (2003)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.47-59 du Vol.1 n°1 (2003)"

Copied!
13
0
0

Texte intégral

(1)

des formateurs, dans les dispositifs de formation ouverts et à distance

Frédéric Haeuw

Algora, formation ouverte et réseaux 18, rue Goubet

F-75019 Paris

frederic.haeuw@algora.org

RÉSUMÉ. Pour faire face aux enjeux de la société de l’information et lutter contre le risque de fracture entre ceux qui sauront profiter des moyens technologiques pour se former et ceux qui risquent d’en être exclus, la formation professionnelle doit mettre en œuvre de nouveaux dispositifs de formation, innovants, ouverts sur leurs environnements et attentifs aux besoins de tous. Cette mise en œuvre exige des formateurs de nouvelles compétences, un professionnalisme renouvelé, de nouvelles postures pédagogiques. Dans cet article, l’auteur présente quelques-unes de ces compétences nouvelles et propose, en guise de conclusion, un mode d’articulation entre présence et distance au sein de dispositifs hybrides.

ABSTRACT. In order to face up to the issues of the information society and to fight the risks of a digital divide between those who will be able to benefit from training with the help of information and communication technology and those who might be excluded from them, vocational and in job training has to implement new innovative training systems, relating to everyone’s environment and attentive to everyone’s needs. This implementation requires new skills on the part of the instructors, a renewal of their professionalism, a new pedagogical behaviour. In this article, the author describes some of those new skills and proposes, as a conlusion, a way of having distance and on site training interacting in blended open and distance learning systems.

MOTS-CLÉS : dispositif, FOAD, compétence, atelier de pédagogie personnalisée.

KEYWORDS: ODL system, skills, « Atelier de Pédagogie Personnalisée ».

(2)

Les exigences de la société de l’information et les enjeux de la formation professionnelle

La montée en puissance de l’informatisation dans tous les secteurs de l’économie a pu faire craindre que les progrès technologiques ne se traduisent par une baisse du niveau de l’emploi du fait du remplacement de l’homme par la machine. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien et que les technologies créent autant d’emplois qu’elles en suppriment par ailleurs. Mais il est incontestable que celles-ci transforment les conditions de travail et l’organisation de la production. Les nouvelles technologies conduisent à la disparition des tâches répétitives au profit de tâches nécessitant adaptabilité, initiative et autonomie. Le monde de la production fait de plus en plus appel au travail en petites équipes autonomes, ce qui nécessite l’aptitude au travail coopératif. En corollaire, la maîtrise des moyens de communication devient indispensable, que ce soit à l’échelle interne de l’unité de production ou au niveau des échanges entre cette unité et d’autres unités, englobées dans un réseau mondial qu’il devient de plus en plus difficile de décrypter. Enfin, la flexibilité, la souplesse, le travail en réseau conduisent les entreprises à recourir à des contrats déterminés et obligent les salariés à rester compétitifs dans un marché du travail instable, ce qui signifie pour eux se remettre en cause, acquérir de nouvelles qualifications, s’adapter aux nouvelles machines et enfin être capables de promouvoir leurs expériences et leurs savoir-faire.

Or, les capacités-clés sous-tendues par ces nouvelles organisations du travail, telles que l’autonomie, la flexibilité ou la communication, sont celles qui font le plus défaut aux personnes les moins qualifiées. La situation est paradoxale, car c’est des personnes les plus fragiles qu’on attend le plus de flexibilité et d’adaptabilité. Si la lutte contre l’exclusion professionnelle est bien la raison d’être essentielle de la formation professionnelle continue, son premier enjeu est donc de permettre aux personnes les plus fragilisées d’acquérir ces nouvelles compétences. Et ce, d’autant plus que les technologies portent en elles-mêmes un autre danger sous-jacent.

En effet, en élargissant les possibilités d’accéder à des sources de savoirs de plus en plus nombreuses, la globalisation des technologies augmente en même temps le risque de creuser l’écart entre ceux qui accéderont à ces informations de tout ordre et amélioreront ainsi leur employabilité et ceux qui ne pourront le faire, faute des moyens intellectuels nécessaires à la transformation de l’information en savoir. Si la multiplication des sources d’accès aux connaissances est incontestable, télévision, ordinateurs individuels, dont la baisse constante des prix démocratise l’usage, ou bien entendu internet, dont le nombre d’usagers ne cesse de croître, on ne peut garantir en revanche ni la fiabilité de ces sources, ni leurs finalités, ni les usages qu’en feront les personnes les plus fragilisées. Serge Pouts-Lajus nous le rappelle :

« La vogue actuelle du multimédia et d’internet ne doit pas faire oublier que la construction des connaissances individuelles exige d’autres moyens que la simple

(3)

navigation libre dans une base d’information, fût-elle hypermédia1. » Comment distinguer par exemple les opinions, des faits ? Comment apprendre à porter un jugement sur ce que l’on voit, ce que l’on entend ? Comment repérer les savoirs savants, reconnus et validés par la communauté scientifique, des allégations révisionnistes, par exemple, ou des produits commerciaux ou encore des tentatives d’endoctrinement ?

Le second enjeu de la formation professionnelle continue est donc de donner à l’apprenant les moyens d’accéder à ces sources de savoirs par la mise en place de points d’accès. Mais il est aussi et surtout de lui donner les clés de compréhension en développant son sens critique, en l’incitant à la vigilance et en lui donnant la possibilité de redonner du sens à cette « profusion d’informations parcellaires et discontinues, faisant l’objet d’un grand nombre d’interprétations et d’analyse partielle »2. La confusion est augmentée encore par le fait que les mêmes outils – les ordinateurs – servent à la fois pour le travail, les loisirs et la formation. Il faudrait, comme le propose Gérard Mlékuz, « une sorte de permis de conduire pour s’autodiriger dans cette future galaxie des multimédias, proche du permis de conduire sa vie d’éternel apprenant »3. La société cognitive qu’on nous prévoit pour demain accentue le risque de dichotomisation entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, et si l’on n’y prend pas garde, les marginalités vont encore se renforcer.

Pour diminuer ce risque, il est nécessaire de donner à tous les moyens de se repérer dans cette société et de redonner du sens aux éléments disparates. L’éducation et la formation ne doivent pas être considérées comme se réduisant à une offre de qualification, mais doivent aussi avoir pour fonction l’intégration sociale, personnelle et professionnelle.

S’autoformer pour autodiriger sa vie

Ces nouveaux enjeux de la formation continue exigent une transformation radicale de son organisation. Tout d’abord, il faut que les dispositifs de formation fassent le deuil de leur monopole sur la transmission des savoirs. La multiplication des moyens de communication et de transmission conduit à un bouleversement de la relation pédagogique classique. Le formateur n’est plus, et ne sera plus, le dépositaire privilégié du savoir, qui se trouve désormais dans les ressources, quelles qu’elles soient. L’art du formateur ne consiste plus à transmettre le savoir, mais à en faciliter l’accès aux apprenants, à l’aider à sélectionner les sources les plus pertinentes et en tirer profit.

1. Pouts-Lajus S., préface de Le multimédia dans l’éducation, Observatoire des technologies pour l’éducation en Europe - texte mis en ligne et récupéré sur internet.

2. Enseigner et apprendre vers la société cognitive, Livre Blanc sur l’éducation et la formation, commission européenne, 1995.

3. Mlékuz G., « La TSF, le Kino et l’étrange lucarne », in L’autoformation en chantiers, Education permanente n° 122.

(4)

Ensuite, il faut que ces dispositifs mettent au centre de leur préoccupation l’acquisition des compétences liées à l’autonomie, à l’autodirection et à l’aptitude à se « mettre en projet » et à inclure la formation comme l’une des stratégies de maintien dans l’emploi et du développement personnel. Ces compétences ne peuvent

« s’enseigner » au même titre que les mathématiques, le français ou la législation du travail. L’une des voies exploitées par les dispositifs de formation continue est donc de mettre les apprenants en situation d’acquérir ces compétences, au travers de la situation de formation qu’ils sont invités à vivre. Ces nouvelles organisations se basent sur une double analogie : d’une part entre les situations de travail et les situations d’apprentissage autodirigé et d’autre part entre les compétences transversales nécessaires à l’intégration professionnelle et les compétences à l’autoformation. L’avantage de telles organisations, que l’on peut qualifier d’ouvertes, est de permettre aux personnes d’acquérir non seulement les connaissances pour lesquelles elles émettent une demande de formation, mais également d’autres types de compétences induites par l’organisation même du dispositif de formation qui les incite à se mettre en situation de projet, auto-évaluer leurs connaissances, contractualiser les rythmes, méthodes et contenus de leur apprentissage, rendre compte de leurs travaux, travailler avec d’autres, s’autodocumenter, naviguer dans un centre de ressources, choisir les ressources les mieux adaptées à leurs besoins, s’exprimer, donner leur avis.

Cet apprentissage de l’autoformation mérite la même considération que les autres apprentissages proposés et faire l’objet des mêmes efforts en termes d’ingénierie. Il ne suffit pas de mettre les personnes en situation autonome pour qu’elles le deviennent par simple immersion. Les dispositifs d’autoformation doivent permettre aux apprenants de construire progressivement leur autonomie en basculant une part croissante du pouvoir de décision et direction du formateur vers l’apprenant. Il faut également faciliter la conscientisation de ces changements, qui souvent ne sont pas perçus comme de réels apprentissages, afin de valoriser les compétences acquises, au même titre que l’acquisition de savoirs et de rendre ces changements pérennes, de retour à la vie de tous les jours.

L’invention de réponses innovantes

Les ateliers de pédagogie personnalisée (APP) sont caractéristiques de cette mouvance, et peuvent être, à juste titre, considérés comme une réponse innovante. Il s’agit de dispositifs de formation de taille moyenne (réalisant chacun de 15 000 à 100 000 heures/stagiaire de formation annuelles), répartis sur tout le territoire national (plus de 760 sites APP en France), financés majoritairement par l’État et les collectivités territoriales. Ils proposent à des jeunes et adultes, de tous niveaux, des parcours de formation courts (300 heures maximum) dans les matières générales, selon un système d’autoformation assistée et sur la base d’un contrat individualisé précisant les rythmes, durées et contenus de la formation en fonction du projet des personnes. Le passage en APP est souvent une étape dans un parcours de formation

(5)

plus long, voire parfois la première étape dans une reprise d’étude. De par leur expérience de plus de quinze années, leur inscription forte dans le champ de la formation ouverte et à distance, les APP sont une expérience originale dans le paysage de la formation continue, et assez symptomatique, quoique relativement marginalisée, des mutations de ce secteur. Ils tentent en effet de mettre en œuvre des formes d’autoformation assistée, dans lesquelles l’apprenant est appelé à jouer un rôle central, dans la définition des objectifs et dans le processus même de formation.

On constate cependant qu’en dépit d’un cahier des charges univoque, et qu’au- delà d’un certain discours unanime, tant de la part des institutions que de la part des formateurs, de grandes différences existent d’un APP à l’autre, et que la part d’autodirection concédée aux apprenants est plus ou moins importante selon les cas.

Pour un nombre non négligeable de formateurs d’APP les pratiques pédagogiques restent basées sur un mode de formation de type hétérodirectif. Cette résistance est la plupart du temps inconsciente : le formateur n’est pas animé d’une volonté démiurgique de garder coûte que coûte le pouvoir sur l’apprenant ; il a le souci de bien faire, ce qui se traduit par un surencadrement, en définitive préjudiciable à l’émancipation de l’apprenant et à l’encontre des intentions initiales. On ne peut pas non plus occulter le fait que les conditions d’exercice de cette profession ont une influence sur les manières de faire : le manque d’autonomie dont peut jouir un formateur a des conséquences sur l’autonomie qu’il va laisser à l’autre. De même, le sentiment de sécurité, de garantie d’un emploi stable et évolutif, ce qui n’est pas le cas le plus souvent, le libérerait sans doute de certaines craintes qui peuvent l’entraîner à garder une position de domination dans la relation pédagogique, par crainte de voir son expertise remise en question et son emploi disparaître. Mais outre ces aspects socio-organisationnels, la mise en place de l’autodirection interroge les capacités des formateurs à transformer une relation pédagogique classique en une relation autonomisante.

Pour identifier ces nouvelles compétences, nous avons mené4, à la demande du CEDEFOP, une recherche portant sur « l’évolution des compétences des formateurs dans les dispositifs de FOAD »5. Cette étude a été réalisée dans plusieurs contextes nationaux (France, Luxembourg, Portugal). Concernant la contribution française à cette étude, le choix s’est porté sur deux dispositifs, le réseau des ateliers de pédagogie personnalisée et le réseau Miri@d6. Le rapport national comporte trois parties distinctes : les deux premières sont des monographies sur les dispositifs observés, basées sur des observations de terrains et des interviews avec les acteurs, la troisième partie est une proposition de matrice de compétences du formateur en

4. Le « nous » désigne ici Arnaud Coulon et moi-même, tous deux consultants à Algora, formation ouverte et réseaux.

5. Ce rapport est téléchargeable sur le site www.algora.org. Voir également Coulon A., Haeuw F., « L’évolution des compétences des formateurs dans les dispositifs de FOAD », Actualité de la formation Permanente, n° 174, p. 89-112.

6. Miri@d est un réseau de centres de ressources, porté par le réseau des Chambres de commerce et d’industrie.

(6)

formation ouverte et à distance. Pour les deux auteurs, ayant rédigé conjointement cette partie, il ne s’agissait pas d’établir la liste exhaustive des compétences nécessaires et suffisantes que chaque formateur doit maîtriser pour exercer en FOAD, mais plutôt de proposer une grille d’observation, voire un outil de diagnostic, propre à dresser la carte des compétences collectives d’une équipe pédagogique, à repérer les déficits de compétences de cette équipe et, par conséquent, à dresser la liste des objectifs à atteindre pour remédier à ces déficits de compétences. Nous avons identifié vingt-six compétences, que nous avons classées en neuf familles, selon une typologie croisant le type de compétences (savoir, savoir- faire et savoir-être) et le champ d’application de celles-ci : le macro-niveau (sociétal), le méso-niveau (l’institution), le micro-niveau (la relation individuelle).

En poursuivant ce travail dans le cadre d’une thèse portant sur les rapports au savoir et les changements paradigmatiques en andragogie7, nous avons ensuite analysé ces vingt-six compétences sous le focus de l’innovation. Il apparaît en effet que toutes les compétences mises en œuvre ne sont pas au même niveau en termes de transformation et d’innovation, ce qui nous a conduit à les classer en trois familles : les compétences préexistantes, les compétences nouvelles et non transformatrices, les compétences nouvelles et transformatrices.

Par exemple, des compétences telle qu’appréhender les critères généraux de la situation pédagogique, évaluer, gérer un collectif, s’organiser, gérer les événements préexistaient dans le contexte de la formation traditionnelle, et ont juste été adaptées au contexte de la formation ouverte. Par contre, d’autres compétences sont nouvelles, indispensables pour s’adapter à un dispositif de formation plus flexible qu’un dispositif traditionnel, mais elles ne transforment pas fondamentalement la relation pédagogique. Enfin, le troisième type de compétences sont celles qui ne sont pas mobilisées dans une formation traditionnelle, mais dont l’acquisition, par et pour le contexte de l’ouverture, peut entraîner une transformation en profondeur des conceptions de l’apprentissage chez les formateurs. Ces compétences, que nous avons nommées « nouvelles et transformatrices », sont, de notre point de vue, les seules qui attestent d’un réel changement pédagogique. Nous allons en détailler quelques-unes ci-après.

La gestion de l’environnement

La plupart de ces dispositifs, de petite taille, sont implantés dans une ville, dans un quartier donné. Cette logique de proximité est inhérente à leur vocation d’aller au plus près des besoins de la population. L’APP joue parfois sur sa zone d’influence un rôle non négligeable de structure de régulation sociale : nous avons vu par exemple un APP être dans un village la seule structure à vocation sociale,

7. Haeuw, F. Rapports au savoir et changements paradigmatiques en andragogie, le cas des Ateliers de Pédagogie Personnalisée, Thèse de doctorat de Sciences de l’Education, soutenue à l’Université des Sciences et Technologies de Lille, le 15 janvier 2002.

(7)

remplissant des fonctions de socialisation bien au-delà de sa mission première (aide à l’emploi, difficultés telles que l’alcoolisme, etc.).

Les acteurs de ce dispositif doivent donc identifier cette dimension de proximité, et aider les apprenants à se situer dans leur environnement. Cela exige des formateurs l’aptitude à identifier eux-mêmes les éléments du contexte économique, social et culturel dans lequel ils évoluent, au niveau global comme au niveau local, et à porter sur ces différents éléments un regard critique. D’une manière générale, il est souhaitable qu’ils aient ce regard critique sur leur rôle, en identifiant les éléments économiques, sociaux et culturels qui environnent la formation : le poids économique de la formation par exemple ou leur rôle dans le maintien d’une certaine forme de cohésion sociale, le traitement social du chômage, etc. Sur le plan local, s’ils veulent concourir à l’intégration sociale et professionnelle de leurs apprenants, les formateurs doivent pouvoir identifier les lignes de forces du champ économique de proximité, afin de mesurer les offres d’emplois et de formations. Ils travaillent également de concert avec les différentes structures-relais, locales ou à distance, qui vont permettre d’offrir à l’apprenant un large choix de ressources qui dépasse de beaucoup les seules possibilités de son dispositif.

La compétence que le formateur mobilise à ce niveau est donc à la fois de savoir utiliser dans son offre de formation les informations économiques, sociales et culturelles, issues de son environnement, comme des éléments constitutifs forts de sa banque de ressources, tout en permettant en même temps à l’apprenant de relativiser la force de ces déterminants en portant sur eux un regard critique. Les informations issues de la réalité économique doivent être mises à disposition, mais ne doivent pas conduire à inhiber des projets individuels qui paraîtraient irréalistes au regard de cette réalité : par exemple, l’information, réaliste, sur le faible nombre de reçus aux concours, ne doit pas conduire les apprenants à renoncer à les passer !

Il ne suffit pas d’avoir identifié et compris les éléments de contexte, encore faut- il les observer de manière systémique, c’est-à-dire en considérant autant les relations que les pôles eux-mêmes, et critique, c’est-à-dire en les resituant dans une perspective historique et projective. C’est en effet par une meilleure compréhension des enjeux de société que le formateur pourra offrir à l’apprenant une perspective réellement autonomisante. Par exemple, un formateur de mathématiques pourra, au cours de la formation, introduire des éléments liés à la place que l’on a fait jouer aux mathématiques en tant qu’outil de sélection sociale, ou en tant que mode de légitimation des sciences ; un formateur de français pourra proposer une réflexion sur la place de la culture dans la société. Cela suppose qu’il ait lui-même développé cette approche critique et se soit positionné, sans pour autant faire de prosélytisme, sur l’échiquier politique.

Une autre compétence de même nature est celle qui permet de comprendre les enjeux actuels en termes de globalisation de la formation et de l’information.

L’arrivée d’internet conduit en effet à une croissance exponentielle des sources de connaissance et à de formidables possibilités de communication entre individus de

(8)

cultures différentes. Dans des structures telle que les APP, cette irruption technologique a nécessairement une incidence sur le travail des formateurs, qui doivent donc être à même de comprendre les concepts, les enjeux et les risques de cette « mondialisation de l’information », pour aider les apprenants à se situer. La profusion d’informations qui arrive via les technologies est telle qu’elle oblige les usagers à développer un regard critique sur ces informations et sur leur valeur. Pour que le formateur soit ici facilitateur, il est amené à développer la compétence à juger de la crédibilité et de la fiabilité des informations. Or, contrairement à ce qui se passait traditionnellement, l’information arrive en temps direct, et le formateur la reçoit en même temps que l’apprenant ; il n’a donc pas eu le temps de l’analyser, de la trier ou de la mettre en forme et sa réactivité doit être très élevée face à cette information « en direct ».

Très souvent, l’élément central du dispositif est le centre de ressources, qui est coproduit par l’ensemble de l’équipe pédagogique. Le formateur est amené à sélectionner, parmi les ressources existantes sur le marché, celles qui vont le mieux s’adapter au projet pédagogique d’ensemble. Ce que l’on attend d’un formateur en formation ouverte n’est pas tant de créer des ressources nouvelles, que de savoir choisir parmi celles qui existent, voire être capable de passer commande à un producteur de ressources. Le formateur est constamment en « veille pédagogique ».

Une fois la ressource acquise, il l’intègre au centre de ressources, ce qui suppose de créer l’environnement spécifique car les ressources sont rarement exploitables sans un minimum de mise en forme. Le formateur conçoit aussi des supports didactiques propres à favoriser l’autoformation, qui ne sont pas de simples transferts des supports de cours traditionnels, mais plutôt des aides à la navigation ou des plans de travail. Bien souvent, il s’agit plus « d’environner » un outil que de le créer de toutes parts.

Le copilotage

Une autre compétence nouvelle et transformatrice est celle que nous avons dénommée la gestion du copilotage de la formation. Pour être émancipatrice, c’est-à- dire permettre à l’apprenant de prendre réellement le pouvoir sur sa formation, sans être auto-excluante, c’est-à-dire sans conduire à l’échec des stagiaires peu autonomes, la situation de formation ouverte doit conduire l’apprenant à prendre progressivement les décisions concernant tant sa progression pédagogique que l’accès aux ressources. Présent quand il le faut, le formateur s’effacera lorsqu’il sent que cela est possible. Ce copilotage est facilité lorsque le formateur est en mesure de proposer des activités, des contenus et des supports de travail adaptés aux différents apprenants, sachant que l’apprenant en question est « unique » par son niveau, son projet et son style d’apprentissage.

Pour proposer une situation pédagogique réellement personnalisée, il est souhaitable que le formateur maîtrise les outils conceptuels qui lui permettent de

(9)

faire avec chaque personne un diagnostic cognitif, afin d’adapter la situation en fonction de chaque profil. Concrètement, la maîtrise des concepts théoriques de la pédagogie différenciée, ainsi que ceux de la théorie des profils cognitifs l’aident à adapter son mode d’intervention pédagogique à la personne qui est en face de lui, selon tout ou partie des critères suivants : mode de guidance, choix des outils, des médias, des situations, fréquence des interpellations, proposition de situations collectives ou individuelles, différenciation en fonction du mode d’apprentissage personnel, du degré d’autonomie, de la dépendance à l’égard du champ, du canal sensoriel privilégié, de la relation au temps, de la relation aux autres, etc.

S’il est entendu que le projet sous-tend la formation (condition sine qua non), le formateur nourrit ce projet en proposant régulièrement des situations pédagogiques inédites et appropriées. Son art consiste à estimer le cap qu’est capable de franchir la personne, lui proposer un micro-projet qui relancera son intérêt et lui permettra de franchir cette nouvelle étape, obtenir son adhésion et enfin garantir que le bon déroulement de ces activités conduit réellement à l’objectif poursuivi. Le formateur est donc en quelque sorte muni d’une panoplie de situations-problèmes, issues d’un travail d’ingénierie pédagogique préalable, qu’il propose au fur et à mesure des progrès.

La capacité d’écoute et de communication est primordiale chez le formateur en formation ouverte car il va être le soutien de la motivation de l’apprenant. Même s’il s’inscrit en formation pour réaliser un projet, celui-ci n’est pas, a priori, demandeur d’une formation ouverte et basée sur l’autoformation. Les causes de découragements peuvent être plus nombreuses qu’en formation traditionnelle, car l’apprenant est directement mis en face de ses difficultés et il peut ressentir un certain isolement.

Dans une formation traditionnelle, il peut se « noyer dans le groupe » ou reporter sur d’autres (le formateur, les autres élèves...) les causes de son échec. Ici en revanche, confronté à ses difficultés, il est primordial qu’il ait en face de lui un formateur attentif, qui va l’écouter, l’encourager, le remotiver. La mesure des progrès, par exemple, va renforcer sa persévérance et lui permettre de mesurer le chemin parcouru. D’autre part, parce qu’il est en relation individuelle avec chaque apprenant, le formateur est bien souvent récepteur de demandes, de besoins, de souffrances exprimées qui dépassent le cadre de la formation, mais qui font obstacle à celle-ci. Le formateur doit savoir écouter et traiter ces besoins, le plus souvent en s’appuyant sur un réseau local.

Le formateur doit également savoir favoriser l’articulation entre le travail individuel et le travail collectif, dont on sait qu’elle est une des clés de réussite de l’autoformation, en mettant en place des conditions permettant cette alternance. Ces conditions peuvent simplement être la possibilité offerte aux apprenants de travailler ensemble, en disposant par exemple d’un espace où ils pourront échanger sans craindre de gêner les autres. Ce peut être aussi la mise en relation des uns avec les autres par la mutualisation des projets individuels ou dans la proposition de projets communs. Au-delà de la mise à disposition de ressources, le formateur propose

(10)

également des situations problèmes pluridisciplinaires mobilisatrices, à la fois pour les apprenants pris individuellement et pour des collectifs.

L’aide méthodologique

Il ne faudrait pas conclure trop vite à la disparition des savoirs disciplinaires et considérer que les formateurs deviennent uniquement des médiateurs entre des sources de savoirs extérieures et des apprenants. Le formateur reste spécialiste d’une ou de plusieurs disciplines académiques et peut être sollicité comme « expert » de cette discipline. C’est d’ailleurs cette connaissance disciplinaire qui lui donne la légitimité pour aider les apprenants à construire le sens des apprentissages et à reconnaître le degré de validité des savoirs construits. Un dispositif dans lequel cette compétence ne serait pas présente d’une manière ou d’une autre serait suspect du point de vue de la qualité des enseignements proposés. En revanche, son rôle ne se limite pas à cette expertise, mais va bien au-delà : la maîtrise d’une discipline est une condition nécessaire et non suffisante. S’il veut réellement se positionner comme facilitateur des apprentissages autonomes dans une perspective constructiviste, le formateur doit être capable de mener une réflexion d’ordre épistémologique c’est-à- dire s’interroger sur les phénomènes de construction des savoirs, dans la société du quotidien et dans la société savante.

Étant la plupart du temps amené à intervenir sur plusieurs champs disciplinaires, parfois éloignés quant à leur construction épistémologique, il doit pouvoir proposer un regard qui dépasse le champ de chaque matière prise séparément, mais qui englobe ces différentes disciplines dans une réflexion d’ensemble. Cette compétence épistémologie « généraliste » est nécessaire pour aider l’apprenant à donner du sens à ce qu’il apprend, à dépasser le découpage traditionnel des contenus en objets de savoirs clos, immuables, organisés en disciplines imperméables. En élevant le niveau du débat et en situant les apprentissages autant au niveau des objets de savoirs qu’aux conditions et aux processus ayant abouti à leurs émergences, le formateur aidera l’apprenant à prendre son autonomie, cette « capacité à exercer une relation critique, active et constructive au savoir, c’est-à-dire à produire des connaissances »8. Il le fera ainsi participer à la construction des savoirs, y compris au sein de la communauté scientifique. Qui plus est, le formateur doit s’interroger sur la manière dont il a lui-même construit ses propres rapports aux savoirs, la perception qu’il en a, à quelle épistémologie sous-jacente il se réfère, afin de s’en dégager, de prendre de la distance à l’égard des savoirs, et permettre à l’apprenant de les comprendre (au sens de les prendre pour eux) sans en déposséder le formateur. Cette mise à distance est aussi une condition de l’émancipation de l’apprenant, qui peut alors considérer le savoir en tant qu’objet à construire.

8. Barbot M.J. et Camatarri G., Autonomie et apprentissage, l’innovation dans la formation, Paris, PUF, 1999.

(11)

Cette compétence peut se concevoir de manière collective. La pluridisciplinarité est un plus qui permet au formateur et à l’apprenant de dépasser la logique de division académique des savoirs, en quelque sorte instrumentaliser le savoir et permettre ainsi une réflexion sur le sens, la valeur et la portée des savoirs savants.

Dernier aspect enfin, le formateur aide l’apprenant à développer une réflexion métacognitive, c’est-à-dire aller au-delà des savoirs acquis pour explorer la sphère de « l’apprendre à apprendre ». Repérer les styles cognitifs et adapter en conséquence les contenus et les activités est certes nécessaire, mais il est tout aussi important d’aider les apprenants à découvrir par eux-mêmes leurs modes de fonctionnement, à distinguer, dans leurs difficultés, ce qui tient aux rapports aux savoirs « formels » et ce qui tient aux difficultés d’apprentissage globales, afin de construire des remédiations à ce genre de difficultés. Pour que la formation ouverte puisse effectivement développer l’autonomie dans les apprentissages, elle doit se préoccuper de ces aspects métacognitifs, et du développement des compétences dites transversales. Pour certains formateurs spécifiques, comme par exemple les tuteurs ou les animateurs des centres de ressources, cette compétence fonde parfois l’essentiel de leurs activités.

L’articulation présence-distance

Pour conclure, nous allons aborder maintenant une modalité encore peu développée en APP, l’intégration de la distance. Jusqu’à présent, les APP qui se sont intéressé à la distance sont peu nombreux, et cela tient notamment au fait qu’ils s’adressent majoritairement à des publics non salariés, donc potentiellement libres sur les horaires d’ouverture. Par ailleurs, en tant que réponse de proximité, couvrant tout le territoire, ils ne s’adressent pas à des publics éloignés géographiquement.

Mais l’évolution actuelle du monde de la formation, en particulier la montée en puissance des organismes de e-formation, dont ils pourraient à juste titre craindre la concurrence, doublée d’une nécessité vitale9 pour les APP d’ouvrir leurs prestations à des publics salariés et/ou éloignés, culturellement ou géographiquement de l’offre de formation les invitent à s’interroger sur leur positionnement dans le panorama général de la FOAD.

L’intégration de la distance, pour les APP qui ont franchi ce pas, s’est effectuée de plusieurs manières. Parfois l’APP est devenu lui-même offreur d’un service à distance, via des centres relais (bibliothèque, mairie, centre de ressources en entreprises...), qui restent sur leurs propres champs d’activités10. Dans d’autres cas, l’APP a démultiplié son activité sur des antennes, de manière à couvrir d’autres

9. Vitale, dans le sens où les APP vivent essentiellement de conventions publiques, qui ne leur permettent pas d’atteindre l’équilibre économique.

10. L’un des exemples est le projet AFIH de l’ILEP (Institut Lillois d’Education permanente).

(12)

zones de son territoire, avec des connexions entre le site central et les antennes11. Parfois encore, les APP d’une même région se sont maillés entre eux pour offrir un service complémentaire de formation à distance interne au réseau12.

Enfin, le cas le plus récent, et qui semble le plus prometteur, est l’articulation de la prestation des APP avec les offreurs de formation à distance existants13. Ces offreurs perçoivent bien l’apport que peuvent jouer les APP en tant que réponses de proximité, complémentaires à leur offre. La principale cause d’échec de la FOAD est en effet l’isolement des apprenants, le manque de socialisation et d’entraide, la carence de soutien méthodologique ou motivationnel, en clair l’absence de communications directes. De ce point de vue, les tentatives actuelles pour pallier ces difficultés via les technologies n’ont pas été très concluantes, et l’heure est plus à l’hybridation des modes de formation qu’au tout à distance14. La sous-traitance aux APP de cette partie essentielle du procès de formation prend donc tout son sens, a fortiori si les APP réussissent à développer les trois types de compétences évoquées précédemment.

Pour que cette hybridation se développe, il faut clairement identifier la nature des interventions des deux prestataires de formation, qui remplissent chacun une mission différente : la formation à distance, par un expert de la discipline, qui guide l’apprenant, et le soutien méthodologique, par un tuteur, qui accompagne sur place l’accès aux savoirs. Dans cette nouvelle organisation, le référentiel que nous avons proposé est plus que jamais une grille de lecture opérationnelle des changements pédagogiques en cours, à la différence près qu’il faut y intégrer un acteur nouveau, le formateur à distance, et donc complexifier un peu le système. Mais la particularité d’un système ouvert est, justement, de savoir s’adapter aux modifications de l’environnement. Plus le dispositif initial sera ouvert, plus il aura de facilité à intégrer des éléments nouveaux sans modifier radicalement ses modes d’organisation.

L’usage des technologies de l’information et de la communication et l’articulation entre présence et distance sont donc deux invitations à réinterroger les pratiques pédagogiques, et l’occasion de mettre en place des dispositifs de formation hybrides, plus adaptés aux nouvelles attentes des formés et de la société. La professionnalisation des acteurs de la formation devient un enjeu essentiel des démarches de qualité initiée par les différents secteurs de la formation. Il n’y aura pas d’avancée significative de l’usage des technologies au service des pratiques

11. C’est le cas notamment du réseau SARAPP, en Midi-Pyrénées.

12. C’est le cas notamment du réseau FORELIM en Limousin.

13. Nous pensons notamment au Cned, au CNEFAD (offre de formation à distance de l’AFPA), et dans une moindre mesure au CNPR (Centre national de promotion rurale, offre de formation à distance de l’enseignement agricole).

14. Voir notamment le thème des troisièmes rencontres du FFFOD (Forum Français pour la formation ouverte et à distance : « L’heure des solutions mixtes », Actes téléchargeables sur www.algora.org

(13)

d’enseignement/apprentissage si l’on ne dispose pas des ressources humaines adaptées. C’est cette nécessité de développer et construire les compétences indispensables à la mise en œuvre de dispositifs de formation autonomisant, qui conduit à s’interroger sur la formation des personnels de la formation. Il faudrait concevoir une évaluation des compétences collectives de chacun de ces dispositifs, pour mesurer si les compétences que nous avons appelées « nouvelles et transformatrices » sont effectivement présentes. Les dispositifs les plus émancipateurs, donc plus proches d’un modèle ouvert, seraient justement ceux qui ont su construire ces compétences, individuellement ou collectivement.

La qualité de la réponse formation en direction des publics fragilisés est donc directement conditionnée à la professionnalisation des acteurs et des dispositifs, et à la manière dont ils vont prendre en compte ces nouveaux enjeux relevés au début de cet article, c’est-à-dire faciliter l’accès aux sources d’information, permettre la transformation de l’information en connaissance et augmenter l’autonomie des apprenants. Autrement dit, transformer en réalité ce qui pourrait apparaître de prime abord comme une « utopie sociale ».

Références

Documents relatifs

<http://www.cifop.be/pour_netscape/5publ_ntf.html> (page consultée le 15/10/02) Étude des stratégies des tuteurs dans un dispositif d’apprentissage collaboratif en ligne, dans

Gentilini M, Danis M, Niel G, Charmot G (1974) Tolérance et activité schistosomicide d ’ un nouveau dérivé thiasolyl-imidazol. Bull Soc Pathol Exot Filiales. P.) amino-4

Les deux partenaires se disaient satisfaits des rapports sexuels dans neuf couples (12,2 %), tandis qu ’ un seul parte- naire l ’ était dans 25 couples (33,8 %).. Aucun partenaire ne

Le présent travail a pour objet de présenter les résultats de surveillance épidémiologique des six dernières années (2003 à 2008) du laboratoire natio- nal de référence OMS

Horizon is broadening out allowing to French, Belgian and Italian experts to meet each other and giving them the opportunity to share and compare their experience

Car les chercheurs n’ont finalement que très peu été se frotter à com- ment la décision se fait en raison d’abord de l’investissement méthodologique permet- tant

Il s’agit alors d’aider la malade a` transmettre le ve´cu de cette expe´rience bouleversante, l’aider a` s’en de´prendre sans l’occulter dans une parole qui devient

Je m’en sers ici pour tenter de comprendre ce qui se passe d’une part pour le patient et pour sa famille (enveloppe psychique individuelle et enveloppe psychique familiale) et,