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Article pp.13-17 du Vol.1 n°1 (2003)

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Au cœur du savoir, la distance. Les connaissances ne s’enseignent ni ne s’acquièrent sans transition ni médiation. Il faut du temps pour apprendre, et du recul. Il n’y a d’autre accès aux ressources éducatives que distancié. Indispensables autant qu’inévitables sont donc délais et étapes. En formation, l’immédiateté est une illusion, la fusion, un mirage. Abolir la distance ? C’est vouloir faire échapper l’apprentissage à la trivialité1 des conditions concrètes de sa réalisation. Vaine prétention ! Distance et mise à distance sont partout nécessaires, y compris en présentiel.

Contre les traditions toujours vivaces de la révélation et de l’illumination platonicienne et cartésienne, il faut donc rappeler ceci : le savoir ne s’impose nullement de lui-même, par la seule force de son évidence. La pensée de la médiation et de la communication2 fournit ici un secours appréciable. La distance s’en trouve rétablie dans ses droits et dans sa diversité : distance géographique et temporelle aussi bien que distance cognitive, sociale, matérielle ou symbolique.

Toute situation d’apprentissage en procède peu ou prou.

La distance n’apparaît cependant jamais mieux en tant que telle que lorsqu’elle est médiatisée. Que révèlent en effet les technologies d’information et de communication des situations d’éducation et de formation où elles interviennent ? Plus exactement, qu’en révèlent-elles en relation avec les mutations pédagogiques, organisationnelles et financières liées à leur intervention ? L’importance déterminante dans le processus d’apprentissage des moyens matériels et humains et des conditions de leur agencement.

La présence de ces technologies suffit, en effet, à objectiver l’écart. Elle manifeste le décalage ; elle assure sa visibilité à l’intervalle ; elle met en scène intermédiaires et médiation. Ainsi les technologies trahissent-elles la distance en

1. Au sens où Yves Jeanneret qualifie de « triviales » les formes sociales et médiatisées de l’appropriation du savoir (Jeanneret, Yves (1998), « L’école et la culture triviale », Entretiens Nathan, 1998, École et modernités).

2. Ainsi Bernard Miège qualifie-t-il de « communicationnelle » l’approche visant notamment

« à mettre en priorité l’accent sur (...) l’articulation entre les dispositifs techniques de la communication et la production des messages et du sens » (Miège, Bernard (1995) : La Pensée communicationnelle, Grenoble, PUG, collection La communication en plus, p. 105.

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même temps qu’elles la traduisent. Elles la dévoilent tout en la dissimulant. Le fait que ces technologies gagnent actuellement du terrain en renforce évidemment la portée en général et la valeur symptomatique en particulier.

L’ambition de Distances et savoirs ? Rendre compte des avatars et enjeux de la distance dans tous les secteurs de l’enseignement et de l’apprentissage. Et, pour ce faire, s’attacher spécialement aux usages des technologies qui en assurent la médiatisation. Ces usages sont rarement exclusifs. Le plus souvent, la médiatisation vient compléter formes et moyens traditionnels de communication ; elle s’ajoute aux échanges en face à face et aux pratiques d’accès direct aux ressources.

En soi, cependant, la médiatisation n’a aucune influence ; elle se contente de créer des conditions de possibilité. Par exemple, « l’ubiquité » dont Valéry3 crédite les moyens de diffusion contribue à élargir le cercle des destinataires ; la médiatisation peut aussi faciliter la diversification des modes et ressources pédagogiques ; elle n’est pas non plus incompatible avec la personnalisation de la prestation éducative et avec l’autonomisation de l’apprenant.

Pour autant, dans la formation (comme ailleurs), les outils de la médiatisation ne sont ni neutres ni transparents. Les relations entre protagonistes se compliquent dès que les technologies s’en mêlent ; la gestion des cursus s’alourdit. Des fonctions pédagogiques traditionnelles sont disqualifiées. Des compétences nouvelles sont requises, du côté de l’encadrement et du tutorat notamment. Des problèmes inédits surgissent, financiers, juridiques, organisationnels. Des spécialistes, jusqu’alors inconnus, prennent place à côtés des industriels et technologues : administrateurs de plates-formes, experts, webmestres, gestionnaires de portail. Les coûts montent en flèche. Sur les segments à forte intensité technologique, e-learning, formation en ligne, campus numériques etc., des marchés se développent. Certains devraient devenir lucratifs. Du moins est-ce ce qui se dit parfois, mais sans preuves à l’appui.

Bien sûr, toutes ces transformations ne sont pas directement imputables aux technologies de la distance. Celles-ci les accompagnent toutefois. Quelquefois, elles les accélèrent. De là vient le fait que les technologies et leurs usages sont des objets privilégiés pour l’observation des systèmes de formation en général. À cette observation Distances et savoirs souhaite se consacrer.

Il faudra évidemment plus d’un numéro pour entamer sérieusement l’ambitieux programme qui s’annonce. Du moins cette première livraison en prend-elle la mesure. Des jalons sont posés, quelques problèmes soulevés, des orientations suggérées pour les numéros à venir.

3. Valéry, Paul (1934) : « La Conquête de l’ubiquité », Pièces sur l’art, Paris, Gallimard, NRF, p. 83-88.

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Ce qui ressort de chacun des textes à lire ci-dessous4, dans l’hétérogénéité de leurs points de vue et dans la diversité de leurs auteurs et de leurs origines professionnelles, chaque lecteur en jugera par lui-même. Contentons-nous donc de ce que la juxtaposition de ces textes fait apercevoir. Les brèves observations qui suivent sont présentées sans ordre ni souci particulier d’exhaustivité.

Première observation. De la réalité des phénomènes et de l’ampleur des transformations en cours il est décidément délicat de se faire une idée exacte.

Cependant, en règle générale, les applications des technologies numériques d’information et de communication à la formation – en particulier, à la formation à distance – restent embryonnaires. Elles n’ont guère dépassé le stade de l’expérimentation ou du prototype. Certes, les situations varient considérablement d’un pays européen à l’autre. Ce point ressort de l’entretien que nous a donné le président de l’EADTU, Jørgen Bang. A fortiori les articles de Carol A. Twigg et d’Alain Chaptal rappellent-ils les différences considérables entre contextes européen et nord-américain. Certes, de multiples projets et opérations pionnières suscitent partout l’effervescence. Y contribue le volontarisme des politiques publiques, par exemple dans l’enseignement supérieur en France, à travers les appels successifs à projets de campus numériques évoqués dans l’article d’Isabelle Bertrand. Témoigne également de cette effervescence, à un autre niveau, l’intensité des débats autour de questions comme celles des tuteurs, de leur statut et de leurs fonctions. C’est l’objet des articles de Brigitte Denis et de Frédéric Haeuw.

Il n’en reste pas moins que rares sont réalisations et dispositifs stabilisés. Ce n’est pas parce que les technologies sont là que les usages suivent, rappelle Alain Chaptal. Les programmes les plus avancés en formation ouverte et à distance ne sont d’ailleurs fréquemment que des réalisations « maison ». Il n’est pas fortuit, par exemple, que les cas auxquels Brigitte Denis se réfère à propos de la formation des tuteurs intervenant dans des dispositifs de formation à distance aient tous pour objet de former à distance des tuteurs pour la formation à distance. Au demeurant, comme le fait judicieusement remarquer Isabelle Bertrand à propos de programmes de ce type, le décalage y est flagrant entre l’importance numérique des effectifs d’encadrement (plusieurs dizaines d’experts) et le très petit nombre d’apprenants concernés. Nous sommes loin d’un régime de croisière !

Deuxième observation. Les concepts ne sont pas davantage stabilisés.

L’exploration bibliographique réalisée par Isabelle Bertrand s’attache notamment à la plus courante de toutes les notions : celle de « formation ouverte et à distance ».

Or, il apparaît qu’aucune définition n’en fait l’unanimité chez les scientifiques et chez les experts. Il en va de même pour l’expression « e-learning ». Alain Chaptal souligne qu’elle oscille entre acception restrictive (formation d’adultes via internet) et acception élargie (toutes les technologies éducatives). D’autres incertitudes du

4. Nous remercions les lecteurs que nous avons sollicités et qui, pour la rédaction en chef, ont bien voulu procéder à l’évaluation à l’aveugle des textes qui leur ont été soumis (au minimum deux évaluateurs par texte).

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même type sont attestées – et également assumées – dans l’ouvrage publié par le Collectif de Chasseneuil dont une lecture critique figure ci-dessous. La collection d’articles réunie par Séraphin Alava et résumée dans ce numéro apporte aussi son lot de définitions de termes utilisés dans le domaine ; la question de savoir lesquels de ces termes accéderont au statut de concept y est posée…

Quant au tutorat, fonction incontournable s’il en est, l’article de Brigitte Denis témoigne de ce que, chez les praticiens, les contours en sont encore flous. Le même constat conduit Frédéric Haeuw à faire de la professionnalisation des acteurs de la formation à distance la condition sine qua non de son développement. Plus frappantes encore sont les controverses rapportées et analysées dans l’article de Carol A. Twigg. Elles indiquent en effet qu’aux États-Unis, une question aussi cruciale que celle de la propriété des cours et supports de cours n’est pas réglée.

L’on comprend mieux dès lors les raisons de la grève qu’à propos de cette question, les enseignants de plusieurs campus américains ont menée naguère.

Troisième observation. À cause de ces incertitudes, la distinction est difficile à opérer entre phénomènes constatables, évolutions prévisibles et transformations nécessaires. De cette difficulté, involontairement, plusieurs des textes de cette livraison portent la trace. Significative y est, par exemple, la fréquente variation des temps et modes des verbes, entre descriptif, prédictif et prescriptif. S’agit-il d’évoquer ou d’analyser telle situation concrète ? L’indicatif est de rigueur, au présent bien sûr. L’analyse fait-elle toutefois apparaître que la situation en question est le fruit provisoire d’évolutions appelées à ne produire qu’ultérieurement leur plein effet ? L’indicatif reste de mise, mais au futur cette fois. La production de cet effet risque-t-elle d’être retardée par quelque obstacle ? Voici qu’entraînant avec elle le mode impératif, la préconisation se substitue à la prévision. Probablement inévitables pour le moment, de telles variations reflètent néanmoins une indécision propre à compromettre la rigueur de l’analyse et sa crédibilité. Aussi, à l’avenir, sera-t-il impératif de marquer aussi clairement que possible le point de vue adopté et de s’y tenir.

Quatrième et dernière observation. Sur la question de la distance et des formes et usages de sa médiatisation, on voit immédiatement se cristalliser problèmes et enjeux fondamentaux. Ceux-ci ont trait aux changements affectant dispositifs et systèmes de formation. Et ces changements sont eux-mêmes liés aux contextes de la formation d’aujourd’hui : concurrence exacerbée entre établissements d’enseignement, menaces (réelles ou fantasmatiques) induites par l’industrialisation et la marchandisation des ressources et prestations éducatives, modification des mandats assignés par la société à l’éducation, transformation des représentations sociales et pratiques de formation, contestation des bases historiques du service public, etc.

Prenant acte de quelques-uns de ces éléments, l’article d’Alain Chaptal formule l’interrogation suivante : les innovations affectant les manières d’enseigner et d’apprendre – la pédagogie constructiviste, en l’occurrence – provoqueraient-elles

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des changements technologiques ? Ou bien seraient-ce ces changements qui entraîneraient des innovations dans les manières d’enseigner et d’apprendre ? Ni l’un ni l’autre, probablement. Une autre hypothèse s’exprime en filigrane dans les pages ci-dessous : il faut un changement de paradigme pour alimenter simultanément innovations techniques, mutations organisationnelles et transformation des pratiques sociales et éducatives.

Reste à savoir alors de quel changement paradigmatique il s’agit et où il en est.

Est-il déjà amorcé ? Doit-il intervenir à brève ou moyenne échéance ? Se produira-t-il jamais ? Sur les réponses à ces questions, il n’est pas sûr que nos auteurs soient tous d’accord. Raison de plus pour laisser ces questions ouvertes et en proposer l’examen pour un prochain numéro.

Martine Vidal Monique Grandbastien Pierre Mœglin

Références

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