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Article pp.79-119 du Vol.1 n°1 (2003)

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et technologie » 1

À qui appartiennent les cours et les supports de cours en ligne ? Politiques en matière de propriété intellectuelle pour un nouvel environnement d’apprentissage

Carol A. Twigg

Center for Academic Transformation Rensselaer Polytechnic Institute

Vice Provost Office, 4th Floor, Walker Lab 110 8th Street

Troy, New York 12180-3590 twiggc@rpi.edu

RÉSUMÉ. Les nouvelles propriétés offertes par les environnements d’apprentissage distribués sont à l’origine d’une tempête de controverses concernant la propriété des cours en ligne.

Lorsque les universitaires créent des cours ou des supports en ligne, à qui appartient cette production ? Le droit d’auteur et les brevets actuels ne semblent plus appropriés à ces nouveaux phénomènes. Cet article explore les politiques associées à la production nécessaire à l’apprentissage en ligne, développe les différents dilemmes auxquels les institutions et les universitaires doivent faire face, et propose un cadre conceptuel pour les aider à élaborer les politiques les mieux adaptées.

ABSTRACT. The new capabilities offered by distributed learning environments have created a storm of controversy regarding ownership of online materials. When college and university faculty create online courses or online course materials, who owns them? Current copyright and patent policies appear to be inadequate to deal with these new phenomena. This article explores the policy questions associated with the production of online learning, elaborates the various dilemma faced by the institutions and faculty, and establishes a conceptual framework to assist them in developping appropriate policies.

MOTS-CLÉS : propriété intellectuelle, apprentissage en ligne, propriété des cours, apprentissage distribué.

KEYWORDS: intellectual property, online learning, course ownership, distributed learning.

1. Cet article, traduit de l’américain pour Distances et savoirs, est publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et du Rensselaer Polytechnic Institute. La version originale est accessible en ligne à : http://www.center.rpi.edu/

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Introduction

Les 17 et 18 février 2000, un groupe de quatorze personnalités de l’enseignement supérieur a été invité à se réunir à l’Hôtel Biltmore de Miami, Floride, pour participer à un séminaire. Le thème était le suivant : « À qui appartiennent les cours et les supports de cours en ligne ? Politiques en matière de propriété intellectuelle pour un nouvel environnement d’apprentissage ». Il s’agissait du deuxième des séminaires du programme Pew récemment mis en place sur l’enseignement et la technologie, et qui ont pour objet de mener un dialogue national permanent sur des questions relatives à la rencontre de l’enseignement et de la technologie.

Les participants du séminaire de Biltmore appartenaient à quatre catégories : (1) des experts reconnus dans le domaine de la propriété intellectuelle ; (2) des personnes activement engagées dans l’élaboration et la mise en œuvre de programmes en ligne et qui sont chaque jour confrontées à des problèmes liés à la propriété intellectuelle ; (3) des personnes qui abordent la question du point de vue de l’entreprise et qui collaborent aussi bien avec des personnes physiques qu’avec des établissements ; et (4) d’éminents théoriciens de l’enseignement supérieur qui mènent une réflexion sur les programmes fondés sur la technologie. En mettant en présence des personnes connaissant bien la politique et le cadre juridique actuels en matière de propriété et des personnes s’efforçant d’en cerner les implications pratiques, nous espérions parvenir à un point d’accord qui aurait un effet positif tant sur la théorie que sur la pratique.

Nous avons délibérément exclu plusieurs aspects de la question du droit d’auteur car d’autres secteurs, notamment celui des bibliothèques, s’y consacrent (par exemple l’usage loyal dans les environnements d’enseignement à distance). Nous nous sommes attachés à un domaine précis, à savoir l’élaboration et la propriété des cours et supports de cours en ligne. De plus, nous avons porté notre attention sur les cours diplômants, avec points de crédit, plutôt que sur les cours, les formations, les cours d’auto-apprentissage, etc., sans crédits. Enfin, nous nous sommes intéressés essentiellement aux universitaires à temps plein qui se consacrent à l’élaboration de cours et de supports de cours plutôt qu’aux professeurs associés, qui sont généralement engagés par un établissement plutôt pour accomplir des tâches spécifiquement pédagogiques.

Pourquoi cette question est-elle si épineuse ? Pendant très longtemps, on n’a jamais vraiment ressenti le besoin de savoir si les cours appartenaient à quelqu’un, à l’égal d’une marchandise qui pourrait être vendue n’importe où, ailleurs. Mais la technologie de l’information et internet semblent avoir changé la donne. Le fait de consigner par écrit le contenu du cours (par exemple cours magistraux, exercices) et de numériser les supports de cours permet, de manière éventuellement lucrative, de mettre en forme les cours de telle sorte qu’ils puissent devenir indépendants et mobiles et être enseignés par des personnes différentes de l’auteur initial. Les cours sont désormais assimilés à une marchandise et recherchés, en tant que produits

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commerciaux, par des sociétés d’enseignement à distance en ligne, des universités à but lucratif et des éditeurs. Des opportunités tout à fait nouvelles se présentent donc, tant pour les établissements que pour les auteurs universitaires.

Notre objectif à Miami était d’examiner la validité de ces notions. Voici quelques-unes des questions étudiées lors du séminaire : quel est réellement le moteur de la discussion sur la propriété ? Quelles sont les chances pour que les didacticiels élaborés par les universitaires dégagent des revenus substantiels ? Des cours destinés à l’enseignement supérieur peuvent-ils être proposés sans interaction ou intervention humaine ? Les établissements d’enseignement supérieur à cycle court et les universités doivent-ils gagner de l’argent, seuls ou en partenariat avec le secteur privé ? Dans quelle mesure les établissements doivent-ils contrôler le comportement de leurs universitaires en dehors de leur engagement envers leur université ? Comment le climat actuel de méfiance et de doute peut-il être apaisé ? Quelle politique pourrait encourager les professeurs à se lancer dans l’enseignement en ligne, à élaborer des applications et des cours intéressants, dans l’intérêt des étudiants ?

La conclusion de la plupart des articles publiés sur ce thème ressemble à quelque chose du genre : « Ce qu’il faut vraiment, c’est que les établissements aient formulé clairement leur politique et qu’ils disposent d’un mécanisme garantissant que la question de la propriété est abordée le plus tôt possible dans le processus d’élaboration. » Cependant, le simple fait de déclarer qu’un établissement a besoin d’une politique claire, même si une telle affirmation peut être vraie, ne mène pas très loin. Les établissements rencontrent beaucoup de difficultés lorsqu’ils tentent de décider quelle devrait être leur politique, et leur incapacité à décider peut perturber la structure interne de l’établissement. La plupart des établissements d’enseignement supérieur et des universités connaissent très mal ces questions. Étant donné que ce sont des organisations très vastes et extrêmement diffuses, elles n’ont souvent pas de dispositif centralisé leur permettant de réfléchir sur la façon de traiter ces problèmes.

La politique fait au contraire l’objet d’un débat au sein de chaque unité, unité par unité. Même lorsqu’il existe une politique à l’échelle de l’établissement, elle est souvent peu respectée. Notre objectif explicite à Miami était de produire un document qui irait au-delà d’une simple recommandation selon laquelle les établissements doivent avoir une politique, en leur donnant des conseils concrets sur la politique qu’ils devraient avoir et pourquoi.

Lors du séminaire, les participants ont discuté de quatre cas, chacun ayant été choisi de manière à faire prendre conscience des problèmes et à stimuler la discussion. Les cas sont repris ici pour faire naître une réflexion chez le lecteur également. Le cas Arthur Miller et le cas UNext.com représentent deux facettes du même problème : le transfert de propriété intellectuelle d’un universitaire individuel vers des organisations autres que son établissement d’origine. Dans le premier cas, celui qui décide est l’universitaire et il rencontre une résistance de la part de son université. Dans le second cas, c’est l’université qui décide et elle rencontre une résistance de la part de l’universitaire. Le cas CaseNET et le cas Math Emporium

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représentent deux approches de la commercialisation de supports et de méthodologies fondés sur la technologie. Dans le premier cas, des universitaires ayant l’esprit d’entreprise prennent l’initiative sans l’approbation de l’établissement.

Dans le second cas, l’établissement a la capacité de développer une approche innovante de l’enseignement et de l’apprentissage au-delà de ses propres frontières, mais la question demeure : comment s’y prendre ?

Ce document, tout comme la discussion de Miami, s’appuie sur le travail précieux des personnes qui ont participé, à la fois virtuellement et en temps réel, au séminaire. Avant notre réunion, un certain nombre d’entre elles ont remis des réponses écrites à une série de questions, et leurs réponses, expliquées en détail durant la discussion, ont été jointes à ce document. Même si chaque participant ne sera pas forcément d’accord avec chacune des déclarations de ce document, la discussion et nos conclusions générales y ont été reprises. L’objectif des séminaires du programme Pew est d’aborder des thèmes liés à l’enseignement et à la technologie du point de vue de l’intérêt public. Lors des discussions sur la technologie, les différents groupes d’intérêts soulèvent prioritairement des points les intéressant personnellement : les administrateurs s’inquiètent de la concurrence ; les universitaires sont soucieux de conserver leurs postes ; les commerciaux sont inquiets pour la vente de certains matériels et logiciels. Notre objectif est de produire des analyses et des discussions réfléchies qui soient le plus largement utile possible. (Veuillez nous faire savoir si nous avons atteint cet objectif dans notre approche de ce problème très controversé).

Cas 1

Le cas Arthur Miller ou la « starisation » des professeurs

Adapté de deux articles tirés de Chronicle of Higher Education: Wendy R.

Leibowitz, « Des professeurs de droit prévenus d’une future concurrence de la part de l’enseignement virtuel », 21 janvier 2000, et Dan Carnevale et Jeffrey R. Young,

« À qui appartiennent les cours en ligne ? Les établissements d’enseignement supérieur et les professeurs commencent à mettre de l’ordre », 17 décembre 1999.

Dans ce qu’il appelle « l’Hollywoodisation du monde universitaire », Arthur Levine, président du Teachers College de l’Université de Columbia, imagine des professeurs suivant les traces de l’astronome de l’Université de Cornell Carl Sagan, aujourd’hui disparu, qui parlait de physique et d’espace à la télévision si souvent – et de manière si caractéristique – que ses présentations ont alimenté les blagues de Johnny Carson dans l’émission The Tonight Show2. Selon les prévisions de Levine,

2. NdT : Le Tonight show est un programme de télévision américain, dont l’hôte a longtemps été Johnny Carson. Il est actuellement présenté par Jay Leno. Il comporte des entretiens avec des personnalités du spectacle très connues.

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les universitaires dont les cours en ligne seront devenus populaires finiront par s’asseoir face au présentateur Jay Leno3.

Selon une telle approche, un universitaire posséderait les droits des supports pédagogiques en ligne et pourrait en vendre l’accès à divers établissements d’enseignement supérieur en ligne. En fait, le jour où les professeurs concluront des marchés tout comme des rock stars et des athlètes n’est peut-être pas si loin que cela. D’éminents professeurs pourraient bientôt vendre des supports à divers établissements d’enseignement supérieur – et pourraient même engager des agents pour organiser des passages à la télévision et autres promotions visant à dynamiser leurs activités. « Il y a des gens de talent qui peuvent gagner plus d’argent qu’ils n’en gagnent actuellement », déclare Levine. « Je suis impatient de voir le premier agent universitaire. » Selon lui, les meilleurs professeurs ressembleront quelque peu aux joueurs indépendants4 d’une grande ligue sportive, capables de travailler avec qui ils veulent. Mais, contrairement aux athlètes, ces professeurs pourront jouer avec plusieurs équipes universitaires à la fois.

Internet crée de nouvelles opportunités pour les établissements et pour les enseignants de ces établissements, selon A. Michael Froomkin, professeur à la faculté de droit de l’Université de Miami. « La faculté de droit est un produit », déclare Froomkin, « et de nouveaux marchés se présentent ». Bien que la création de cours magistraux et de séminaires virtuels soit onéreuse, les revenus potentiels provenant de l’ouverture à de nouveaux marchés d’étudiants, notamment les dirigeants d’entreprise, les fonctionnaires et les étrangers, pourraient être terriblement alléchants pour les facultés de droit, à en croire Froomkin.

Des professeurs renommés peuvent trouver de nouveaux marchés pour leurs cours et récolter les bénéfices, tant sur le plan financier que professionnel. Froomkin appelle cela le modèle « Arthur-Miller-on-a-disk », en faisant référence au professeur de droit de l’Université de Harvard qui a déjà fourni des cours magistraux en vidéo pour la faculté de droit de l’Université en ligne Concord.

Les responsables de Harvard disent que Miller a violé la politique de l’université en fournissant des supports de cours à une autre faculté de droit sans autorisation.

Miller et les responsables de Concord soutiennent que, dans la mesure où il n’enseigne pas à la faculté de droit virtuelle et ne dialogue même pas avec ses étudiants, en personne ou en ligne, Miller ne viole pas les règlements de Harvard. Il indique que son accord avec Concord est analogue à la publication d’un livre ou au fait de donner une conférence à la télévision. « J’ai donné des conférences à l’aide de tous les supports possibles et imaginables », déclare-t-il. Miller et Robert C. Clark, doyen de la faculté de droit de Harvard, examinent maintenant la manière

3. NdT : Voir ci-dessus.

4. NdT : free agent, joueur d’une ligue sportive qui n’est plus lié par contrat à une équipe et peut librement contracter un nouvel engagement.

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de gérer le différend. Ils étudient aussi la manière dont la politique de Harvard s’applique à l’ère d’internet.

Jack R. Goetz, doyen de la faculté de droit de Concord, déclare que les établissements d’enseignement supérieur et les universités devront assouplir les restrictions imposées à leurs professeurs si elles veulent conserver les meilleurs d’entre eux dans les années à venir. Selon lui, le fait de restreindre les possibilités des professeurs à enseigner en ligne les encouragera à partir, car ils verront dans l’enseignement en ligne un moyen de se construire une réputation pouvant leur apporter du travail intéressant de l’extérieur. Goetz note que Miller fait partie d’un groupe d’une demi-douzaine de professeurs qui fournissent des supports de cours à la faculté de droit de Concord, mais sans y enseigner. Il indique que Harvard est le premier établissement à émettre des objections.

Commentaires et questions

Certaines personnes dans l’enseignement supérieur disent que savoir à qui appartiennent les cours et les supports de cours n’est pas qu’une question d’argent mais concerne aussi la manière dont les établissements protègent leurs intérêts. Elles s’inquiètent du fait que, une fois que l’établissement d’origine a servi de terreau aux professeurs pour qu’ils deviennent de bons universitaires, des établissements concurrents engagent ces professeurs en tant qu’associés et tirent profit de cette fertilisation sans en partager le coût. Cette question relève d’un conflit d’appartenance. Les établissements se soucient de l’universitaire qui a profité des ressources de la faculté ou de l’université et qui, simultanément, les utilise dans un établissement concurrent. Il est clair que le nouvel environnement permet aux universitaires de le faire beaucoup plus facilement. La question de la propriété représente une tentative de la part de la faculté ou de l’université pour essayer de contrôler le comportement des professeurs.

Quelques questions à prendre en considération

1. Les objections à cette pratique se fondent principalement sur la notion traditionnelle du conflit d’appartenance – c’est-à-dire la notion selon laquelle les professeurs se doivent de consacrer la majeure partie de leur temps à leur établissement d’origine. Ce concept est-il toujours valide lorsque les cours peuvent être saisis sous une forme reproductible et diffusés sur internet ou via d’autres médias, réduisant ainsi à néant l’argument du temps dû à l’établissement ?

2. Une autre raison invoquée pour s’élever contre cette pratique concerne les limites de la concurrence. Dans son cas, Miller ne fait pas concurrence à son propre établissement, puisque Concord s’intéresse à un marché totalement différent. Si l’universitaire travaille pour un établissement qui n’est pas en concurrence avec son établissement d’origine, son activité doit-elle faire l’objet de restrictions ?

3. Il est courant que des professeurs donnent des cours dans d’autres établissements que le leur, y compris ceux qui sont dans la même région

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géographique et sans doute en concurrence directe avec l’établissement d’origine. Y a-t-il quelque chose de spécifique à l’enseignement en ligne qui devrait nous amener à considérer les choses différemment ?

4. Certains disent que, dans la mesure où Harvard paye les frais généraux pour que Miller produise un cours en lui fournissant des bureaux, le chauffage, une bibliothèque et autres ressources, Harvard a le droit de l’empêcher de vendre le cours à Concord, qui n’a pris en charge aucun de ces frais généraux et qui a l’intention de faire des bénéfices. Êtes-vous d’accord ?

5. Existe-t-il une différence entre les universitaires qui fonctionnent en tant que véritables « agents libres » (c’est-à-dire en tant qu’individus indépendant de toute institution) et ceux qui fonctionnent en tant que « pseudo » agents libres (c’est-à- dire toujours affiliés à un établissement) ?

6. Certains pensent que le problème vient de ce que le nom et la réputation de Harvard sont ainsi associés à une faculté de droit, considérée comme étant de moindre réputation. C’est-à-dire que certains considèrent qu’il y a un problème d’image de marque. Si Miller faisait la même chose avec un établissement de renom, cela déplairait-il autant à Harvard ? Ou au contraire : si Miller était professeur dans petite faculté et invité à produire un cours en ligne pour Harvard, cela passerait-il mieux ?

7. Si un professeur a réellement des « qualités de star », un établissement d’enseignement supérieur ou une université peut-elle espérer de manière réaliste s’en approprier les fruits ? Comment les universités pourront-elles conserver les meilleurs professeurs dans les années à venir si les établissements limitent la possibilité, pour les professeurs, de proposer leurs cours et leur personne à d’autres fournisseurs de cours ?

8. Si une faculté ou une université a traditionnellement autorisé les professeurs à enseigner dans d’autres établissements ou à intervenir en tant que consultants pour d’autres organismes, est-elle fondée à modifier brusquement ses pratiques lorsqu’elle pense qu’elle peut gagner de l’argent ou que la concurrence est rude ?

Cas 2

Le marché est énorme : le cas UNext.com

Adapté de Goldie Blumenstyk, « Une société privée paye de grandes universités pour utiliser leur nom et leurs professeurs » Chronicle of Higher Education, 18 juin 1999.

Une nouvelle société nommée UNext.com offre à un petit groupe fermé d’universités l’occasion de profiter des richesses de Wall Street en échange du droit d’utiliser leur nom et l’expertise de leurs professeurs pour mettre au point des cours

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en économie, en ingénierie et en techniques d’écriture. La société courtise – et engage – de prestigieux partenaires du monde de l’éducation. L’université de Columbia, celle de Stanford, de Chicago et la London School of Economics and Political Science ont toutes conclu des marchés. UNext.com a imaginé un plan de développement qui vise à exploiter certains des plus gros secteurs de croissance actuels de l’enseignement supérieur : la formation des entreprises, la formation continue, l’enseignement à distance et le marché des étudiants internationaux.

Implantée à Deerfield dans l’Illinois, UNext.com prévoit de mettre au point une série de cours destinés aux entreprises, de les vendre à des multinationales et à des sociétés étrangères, les sociétés dispensant alors les cours à leurs employés dans le monde entier, via internet et à l’aide de supports plus traditionnels tels que les livres.

La société privée offre aux universités une « possibilité de transmettre des connaissances à des salariés dans le monde entier », déclare Andrew M. Rosenfield, l’entrepreneur de Chicago qui préside UNext.com. « Le monde entier », ajoute-t-il,

« est un marché énorme ».

La société a initialement été conçue par Rosenfield en 1997 sous l’égide de Knowledge Universe, holding californienne qui possède des participations dans de nombreuses sociétés d’enseignement et de formation et qui compte Michael Milken parmi ses trois principaux propriétaires. Titan de Wall Street dans les années 1980, Milken est ensuite allé en prison et a payé une amende d’un peu plus de un milliard de dollars pour avoir violé la loi sur les opérations de bourse. (Lowell Milken, son frère, et Larry Ellison, le PDG d’Oracle, sont les autres principaux propriétaires de Knowledge Universe). Selon les déclarations de Rosenfield, Milken ne joue aucun rôle actif dans UNext.com. Toutefois, la présence de Milken dans la société est apparue plutôt problématique lorsque l’Université de Chicago s’est interrogée sur sa propre participation à Unext.com.

Au départ, la jeune entreprise de Rosenfield était entièrement financée par Knowledge Universe et elle était connue sous le nom de Knowledge University.

Cependant, fin 1998, Rosenfield et les principaux responsables de Knowledge Universe se sont séparés, ce qui a donné naissance à UNext.com, Knowledge Universe détenant toujours 20 % environ de UNext.com mais sans aucun droit de vote. Knowledge Universe a également conservé les droits afférents au nom Knowledge University et prévoit d’utiliser ce nom pour sa propre entreprise d’enseignement supérieur sur internet, destinée aux étudiants individuels plutôt qu’aux entreprises.

La société entretient une polémique sur la façon dont les établissements d’enseignement supérieur déploient leurs ressources universitaires et leur réputation dans un but lucratif. L’implication de Rosenfield est devenue problématique, plusieurs universitaires demandant ouvertement s’il était opportun qu’il profite lui- même – en tant que membre du conseil de l’Université de Chicago – d’un marché grâce auquel sa société gagnerait en crédibilité en raison de ses rapports avec l’université. Rosenfield déclare qu’il est « absurde » d’insinuer qu’il a abusé de la

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réputation de l’université pour son propre compte. Il ajoute que les membres du conseil de l’université ont suivi leurs politiques habituelles sur le conflit d’intérêt lors de l’examen de l’affaire, auquel il n’a pas pris part.

Trois des économistes renommés de l’université – Gary S. Becker, Jack Gould et Merton H. Miller – appartiennent au conseil d’administration de UNext.com et possèdent des parts dans la société. Le doyen de la faculté de droit, Daniel R. Fischel, en est également actionnaire. Geoffrey Stone, président de l’Université de Chicago, a rejeté toute insinuation selon laquelle la position de Rosenfield ou l’implication de plusieurs professeurs de Chicago en tant que membres du conseil et conseillers de UNext.com avait influé sur sa capacité à évaluer le marché de manière indépendante. « Certaines personnes, comme moi-même, se rassurent à l’idée que le comité consultatif compte des gens que nous respectons », déclare-t-il.

Marvin Zonis, professeur dans une école de commerce, reste préoccupé. « Le fait que l’Université de Chicago prête son nom à un autre établissement pour gagner de l’argent est une question très problématique », déclare-t-il. Mais il constate que de nombreux universitaires agissent de manière similaire lorsqu’ils interviennent comme consultants pour une société. Et il ajoute que les dirigeants de l’école de commerce considèrent que ce marché offre une excellente occasion d’élargir la notoriété de l’école à travers le monde.

Le conseil de professeurs qui a examiné la proposition a recommandé d’aller de l’avant puisqu’il était assuré que les conditions financières de l’Université de Chicago seraient au moins aussi bonnes que celles de n’importe quel autre partenaire. Zonis note que la perspective d’une forte rentabilité a aussi été « un élément important de la motivation de l’école de commerce. Si la récompense s’était limitée à de simples félicitations, ça aurait été une toute autre histoire. »

Selon le modèle commercial de UNext.com, les contrats établissent clairement que le contenu transféré à la société provient des établissements, et non pas d’un professeur donné. UNext.com rémunérera les universités et recevra en contrepartie l’aide de professeurs pour produire des cours ou de courtes leçons sur des thèmes tels que « action commercialisation de base : méthode » ou « calcul de la valeur actualisée nette ». L’université, et non pas les professeurs, sera propriétaire des droits afférents à la propriété intellectuelle produite, en vertu du contrat avec UNext.com. L’argent ira aux universités, qui rémunéreront alors les universitaires impliqués selon les conditions propres à chaque établissement.

En vertu des termes du contrat, l’École supérieure de commerce de Chicago devrait fournir l’expertise d’universitaires à UNext.com dans plusieurs disciplines.

Même si aucun professeur en particulier ne sera contraint de s’impliquer, Stone dit que l’Université de Chicago considérera la participation avec UNext.com comme faisant partie des tâches d’enseignement des professeurs, pour laquelle ils recevront une rémunération ou des décharges de service.

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Les étudiants n’obtiendront pas de crédits ou de diplômes de la part des universités participantes, et ils ne recevront aucun enseignement direct de la part des professeurs de ces établissements. Par la suite, ils pourront obtenir des crédits auprès d’un nouvel établissement que UNext.com prévoit de créer sous le nom de Cardean University. Toutes les universités impliquées recevront des droits limités pour utiliser les cours que ces établissements, avec d’autres, auront contribué à produire, ainsi que les technologies utilisées pour dispenser ces cours.

Le véritable bénéfice financier des affaires traitées par UNext.com reviendra aux établissements et non aux professeurs individuels. Et c’est cela, selon David Brady, doyen associé de l’École de Commerce de Stanford, qui constitue l’attrait principal de la société. Les universités tirent de l’argent des brevets, mais « elles sont passées à côté des manuels scolaires », déclare-t-il, en décrivant la façon dont les universités revendiquent traditionnellement des droits envers les inventions des professeurs mais pas envers leurs ouvrages. « C’est la raison pour laquelle elles donnent leur accord », annonce Brady. C’est leur manière « d’avoir une part du gâteau ».

UNext.com offre aux universités un moyen de profiter enfin des supports de cours spécialisés produits par leurs professeurs. Chaque établissement percevra un flux garanti de redevances qui, selon certaines sources universitaires, s’élèverait au minimum à 20 millions de dollars dans les cinq à huit ans.

Dans le cas où la société privée UNext.com serait introduite en bourse, les universités participantes auraient le droit de convertir ces redevances en actions, ce qui conférerait ainsi aux établissements des avantages d’initiés pour tirer parti de la fièvre de Wall Street pour les start-up d’internet et les sociétés d’enseignement à but lucratif. Bien que UNext.com ne révèle pas le pourcentage de parts de la société qui pourrait éventuellement être détenu par chaque université, Rosenfield a indiqué que le total global pourrait atteindre 20 % après l’introduction initiale en bourse.

L’enseignement à distance déploie tout un éventail d’opportunités pour profiter de la propriété intellectuelle et, ajoute-t-il, « les universités veulent en tirer quelque chose ».

Commentaires et questions

Le cas UNext.com, dans lequel des établissements concluent des arrangements commerciaux avec une entreprise extérieure, est l’inverse du cas Arthur Miller. Cette relation avec un tiers est plus caractéristique de celles que les écoles supérieures ou les universités ont eues par le passé. Il soulève néanmoins des questions intéressantes sur la relation des établissements d’enseignement supérieur et la propriété intellectuelle des universitaires. Selon le modèle commercial de UNext.com, les contrats établissent clairement que le contenu transféré à la société provient des établissements, et non pas d’un universitaire donné, et que l’université, et non pas les professeurs, sera propriétaire des droits afférents à la propriété intellectuelle développée. En outre, l’université considérera la participation avec UNext.com comme une des tâches normales d’enseignement des professeurs de l’école de commerce, pour laquelle ils recevront une rémunération ou des décharges de service.

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Quelques questions à prendre en considération

1. Les questions relatives à cette opération sont devenues particulièrement brûlantes à l’Université de Chicago en raison de la colère qui couve parmi les universitaires envers l’administration soupçonnée d’être surtout motivée par les aspects financiers. Selon eux, ceci pourrait saper la mission traditionnelle de l’université. Cette opération conduira-t-elle à une érosion des valeurs de l’enseignement ?

2. La participation de l’Université de Chicago constitue-t-elle une validation ? UNext.com aura le droit d’utiliser le nom et le logo de l’établissement d’une manière convenue d’un commun accord, mais le contrat autorise l’université à contrôler la façon dont son nom est utilisé et à se retirer complètement de l’opération si elle n’est pas satisfaite.

3. Certains universitaires de l’Université de Chicago restent inquiets quant aux implications à long terme que suggèrent de tels arrangements. Certains professeurs se sont demandé si les administrateurs qui ont « des dollars qui clignotent à la place des yeux » se laissent guider par le désir du profit pour décider des priorités assignées aux universitaires. Cela signifie-t-il que le marché va bientôt déterminer la façon dont les intellectuels doivent occuper leur temps dans une université ?

4. Supposons que le doyen de la faculté de droit de Harvard ait demandé à Arthur Miller d’enseigner à Concord dans le cadre d’une relation contractuelle entre les deux organismes. Cet accord suggèrerait-il que l’université deviendrait une maison d’édition ou de production qui utiliserait ses universitaires en tant que producteurs de contenu ? Si UNext.com joue ce rôle, quelle valeur apporte l’université à cette équation ?

5. Quelles sont les implications lorsqu’une université s’engage à fournir un contenu mais pas à enseigner, lorsqu’elle désagrège la création des contenus de cours de l’enseignement destiné à l’obtention du diplôme de l’université ?

6. Certains dans l’enseignement supérieur estiment que les entreprises d’enseignement à but lucratif sont véritablement en train de « cannibaliser » les établissements traditionnels au profit des entreprises et au détriment des établissements. Comment une école ou une université peut-elle protéger ses propres investissements de ressources dans cet environnement ?

Cas 3

Le cas CaseNET, ou quand les universitaires ont l’esprit d’entreprise

Adapté de Ida Lee Wootten, « La formation des universitaires prend un tour nouveau avec l’étude de cas en ligne », Chronicle of Higher Education, 12 septembre 1997.

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L’Université de Virginie (UVA) propose un programme de cours fondés sur des études de cas qui sont vendues et transmises par internet à des établissements d’enseignement supérieur, universités et académies5 en Amérique du Nord et à l’étranger. La série de cours, qui porte le nom de « CaseNET », est proposée sous forme d’études de cas destinées à développer des compétences pour la résolution de problèmes et à promouvoir l’enseignement interdisciplinaire dans les écoles élémentaires, les collèges et les lycées. À l’instar des approches utilisées en économie, en droit et en médecine, les cas décrivent des scénarios qui surviennent dans des classes de grande diversité culturelle. Les étudiants acquièrent de l’expérience en mettant en application une théorie pédagogique et recueillent des connaissances pratiques en abordant des situations réelles de classes. Environ 300 étudiants en provenance de onze écoles et universités et de dix académies sont actuellement inscrits dans trois cours : « L’enseignement transdisciplinaire »,

« Normes et standards pour l’apprentissage et l’évaluation » et « Utilisation de la technologie pour résoudre les problèmes à l’école ».

Les établissements d’enseignement supérieur, universités et autres écoles qui achètent les cours peuvent les personnaliser pour répondre aux besoins des étudiants en les complétant avec divers supports de lecture et projets. Les étudiants peuvent obtenir des points de crédits de premier, deuxième ou troisième cycle pour ces cours. Trois types de procédures sont possibles.

1. Les établissements d’enseignement supérieur qui achètent les cours peuvent les remanier en utilisant leurs propres titres et en facturant leurs propres frais de scolarité. À titre d’exemple, l’Université de Dayton utilise ses titres de cours et facture ses frais de scolarité après avoir payé au concepteur, la Curry School of Education, des droits pour l’offre CaseNET. Les étudiants obtiennent des crédits en s’inscrivant auprès de leur établissement d’origine.

2. Les étudiants peuvent s’inscrire et obtenir des crédits directement auprès de l’UVA.

3. Les académies peuvent utiliser les cours pour la formation continue des universitaires, tandis que les administrateurs des écoles en font usage afin de satisfaire aux exigences de remise à niveau. Pour ceux qui enseignent déjà, les cours apportent un nouveau type d’expérience sur le terrain. Les enseignants peuvent se connecter de manière électronique avec des gens du monde entier.

Les étudiants de l’UVA qui résident en Virginie et les universitaires de cet état payent 399 dollars pour un cours de trois crédits. Les étudiants et universitaires qui habitent dans d’autres États, qu’ils enseignent déjà ou non, payent 588 dollars pour un cours de trois crédits. Les universitaires qui suivent le cours uniquement pour un perfectionnement professionnel (sans crédit) payent 350 dollars par cours.

5. NdT : « School districts », sens proche d’une académie territoriale en France.

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Deux professeurs et leurs étudiants de troisième cycle de la Curry School of Education ont élaboré les cas avec l’aide de la Fondation Hitachi et de AT&T. Ces professeurs à l’esprit d’entreprise sont sortis du cadre bureaucratique universitaire normal pour proposer ces cours. Ils ont utilisé les structures de formation continue de l’UVA pour inscrire des étudiants. Certains étudiants sont inscrits dans d’autres établissements et obtiennent des crédits par le biais de ces établissements. Dans ce cas, les universitaires ont négocié des droits que ces autres établissements doivent leur verser directement. Ces fonds ont été gérés de manière relativement

« informelle » : ils arrivent directement à l’établissement et sont affectés aux universitaires sans aucune implication de l’établissement. Tout cela fait l’objet d’un vif intérêt de la part du doyen et des autres administrateurs de l’université. Personne ne semble savoir très bien comment gérer le processus. Ce modèle d’enseignement a soulevé toutes les questions que l’on peut imaginer en matière de politique de l’établissement, questions que personne n’a examinées excepté dans le présent contexte.

Deux professeurs de l’UVA donnent les cours, avec l’aide de professeurs des établissements d’enseignement supérieur participants et de professeurs et administrateurs des écoles primaires privées et publiques des districts qui se sont impliqués. Les enseignants qui dirigent les cours dans les établissements d’enseignement supérieur n’ont pas besoin d’avoir une expérience préalable d’internet. CaseNET fournit des travaux dirigés sur la manière de naviguer sur le web et sur les sites des cours électroniques. Les enseignants reçoivent des mots de passe leur permettant d’accéder à des notes pédagogiques, des suggestions sur l’analyse des cas et des conseils sur la façon de mener des discussions sur site et électroniques. Par ailleurs, les enseignants qui utilisent les cours suivent des séances de formation de la Curry School.

Bien que le programme CaseNET soit diffusé par le biais du web, de vidéoconférences, de groupes de discussion électronique et par courrier électronique, les étudiants se rencontrent également dans des lieux réels à des horaires donnés, où ils sont alors guidés dans leur travail par des enseignants.

Durant la première semaine de classe, des photos des étudiants sont envoyées par courrier électronique pour que les participants « connaissent » leurs collègues d’autres sites. Dès qu’ils commencent à analyser des cas, les étudiants transmettent leurs suggestions de résolution de cas par le web, ce qui favorise la prise en compte de points de vue différents. Les vidéoconférences électroniques organisées tout au long du semestre permettent des discussions à propos des cas entre les universitaires, les administrateurs et les étudiants des établissements participants.

Vers la fin du cours, les étudiants participent à un concours de résolution de cas. Ils créent aussi des projets fondés sur des cas pour leurs propres étudiants ou pour des collègues.

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Commentaires et questions

CaseNET illustre une situation dans laquelle un certain nombre d’universitaires très entreprenants dirigent à proprement parler une entreprise à partir de leurs bureaux, en enregistrant des étudiants pour des crédits, en percevant des droits d’inscription, etc. Quelle position l’établissement devrait-il adopter envers cette activité ? L’UVA devrait-elle intervenir pour contrôler l’activité des universitaires ou l’université doit-elle trouver des moyens pour encourager leur esprit d’entreprise ?

Quelques questions à prendre en considération

1. De nombreux observateurs s’inquiètent du fait que cette activité est menée en dehors du cadre de l’administration ou en dehors de toute approbation académique, et que les universitaires négocient pour eux-mêmes. L’établissement a-t-il l’obligation de contrôler de cette situation ? Si oui, comment devrait-il procéder pour ce faire ?

2. Que se passe-t-il si les produits mis au point ne sont pas de bonne qualité ? Quel effet cela a-t-il sur la réputation de l’UVA ?

3. Si ces études de cas dégagent des rentrées financières importantes, comment celles-ci doivent-elles être distribuées entre les parties intéressées ?

4. Certains pensent qu’à l’ère de l’information la valeur reposera non pas sur le contenu mais sur la réputation – c’est-à-dire qu’on ne se souciera pas de savoir à qui appartient le contenu mais plutôt à qui appartient le label. Dans ce cas, est-il problématique que l’UVA ne contrôle pas sa marque ?

5. Historiquement, les programmes d’enseignement à distance ont bénéficié de dispositions selon lesquelles l’établissement travaillait avec les universitaires pour créer des supports et donnait ces supports sous licence à d’autres établissements. On dispose à cet égard de toute une série de bonnes pratiques. Ne s’agit-il pas d’un problème de procédure dans ce cas, à savoir que l’administration n’a pas trouvé comment gérer le flux de revenus générés en dehors des frais d’inscription, ni les questions liées aux licences et à la vente ?

6. Les objectifs du programme universitaire traditionnel et ceux d’un programme virtuel ne sont-ils pas différents, comme l’a illustré CaseNet, même si le contenu pédagogique peut être le même ? Exigent-ils deux modèles commerciaux de type différent ?

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Cas 4

Et maintenant, que faire ? Le cas Math Emporium

Adapté de Florence Olsen, « Le ‘Math Emporium’ de l’école technique de Virginie modifie notes et comportements », Chronicle of Higher Education, 18 octobre 1999, et Florence Olsen, « Les promesses et les problèmes d’un nouveau mode d’enseignement des maths », Chronicle of Higher Education, 18 octobre 1999.

Lorsque les responsables politiques visitent le Math Emporium de l’Institut technique de Virginie, vaste salle de classe informatique de près de 5 400 m², ils découvrent un modèle de productivité pédagogique, la vision d’un avenir où les machines assurent de nombreux aspects des tâches d’enseignement de base du premier cycle universitaire – et où les universités ont moins de professeurs à rémunérer pour faire les cours.

Les professeurs qui travaillent au Math Emporium de l’Institut technique de Virginie ont toujours considéré qu’il s’agissait là d’une manière révolutionnaire d’enseigner aux étudiants de premier cycle. Et ils affirment avoir des données confirmant leurs propos. Le pourcentage d’étudiants obtenant une note de 2.0 ou plus en calcul économique progresse de 66 en 1996 à 78 en 1998, la seconde année où le cours a été enseigné à l’Emporium. Le pourcentage d’étudiants qui ont une note D, F, des résultats incomplets ou pas de notes du tout durant le cours a reculé de 25,2 à l’automne 1996 à 16,4 à l’automne 1998. Les professeurs attribuent l’amélioration des notes à l’offre Emporium associant enseignement en ligne, soutien scolaire et aide entre les étudiants.

D’autres chiffres semblent confirmer les déclarations de l’université quand elle affirme qu’elle peut enseigner à un nombre plus important d’étudiants de premier cycle et de manière plus efficace à l’Emporium qu’elle ne pourrait le faire dans des cours magistraux traditionnels. En plus d’aider les étudiants à garder le moral, l’Emporium a contribué à faire progresser la note moyenne obtenue en calcul des prédicats, déclare Linda H. Scruggs, coordinatrice des évaluations, qui ajoute que la note moyenne en calcul des prédicats a progressé de 1,98 à l’automne 1996 à 2,41 à l’automne 1998.

Scruggs ne tient pas compte des critiques qui pensent que les meilleurs résultats des étudiants sont dus à une inflation des notes ou à la meilleure préparation des étudiants avant qu’ils entrent à l’Institut technique de Virginie. Seuls 54 % des 1 373 étudiants de l’Institut technique de Virginie qui ont choisi le calcul des prédicats à l’automne 1996 ont obtenu une note moyenne de 2.0 ou plus. À l’automne 1998, alors que 1 229 étudiants avaient choisi le calcul des prédicats à l’Emporium, 73 % de la classe a atteint 2,0 ou plus. En dépit de ses réussites, l’avenir du Math Emporium qui fonctionne 24 heures sur 24 n’est pas entièrement garanti, à en croire certains des professeurs qui y enseignent. Selon eux, étant donné que le marché commercial des didacticiels de niveau universitaire a été lent à se

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développer, l’université a été contrainte de mettre au point ses propres logiciels.

Mais elle ne peut pas se permettre de le faire indéfiniment.

À l’automne 1997, lorsque l’Emporium a ouvert ses portes, les visiteurs se rendaient à Blacksburg, en Virginie, pour voir les quelque 6 000 m² de salles de classe ouvertes et les 500 ordinateurs Apple PowerMac. Rien n’a changé depuis : on peut toujours voir des dizaines d’assistants de premier cycle ou étudiants de deuxième et troisième cycles qui flânent parmi les nacelles hexagonales sur lesquelles sont disposés les ordinateurs de l’Emporium. Les assistants sont disponibles pour aider les étudiants bloqués par des problèmes de maths.

Moins d’une douzaine seulement des 80 professeurs de mathématiques de l’Institut technique de Virginie ont dit qu’ils préféraient ne pas participer à l’expérience Emporium. « Nous aurions pu faire quelque chose de plus petit, je suppose, quelque chose de moins grande envergure », déclare Michael Williams, directeur adjoint des systèmes d’information et de la recherche informatique à l’Institut technique de Virginie. « Mais je pense que l’Emporium était absolument inévitable », déclare-t-il, étant donné les pressions budgétaires auxquelles a été confrontée l’université sous le mandat de deux gouverneurs républicains, George F.

Allen et James S. Gilmore III. « Nous avons un gouverneur qui nous dit à peu près chaque semaine que nous dépensons trop d’argent, et que les établissements publics en profitent », déclare Williams. « On ne peut échapper au besoin urgent d’une plus grande productivité pédagogique ». Mais, selon Williams, les administrateurs dignes de ce nom considèrent aussi que les problèmes peuvent être des opportunités, et il ajoute que « Même si nous subissons ces pressions, elles nous ont également donné l’occasion d’améliorer notre pédagogie ».

John Rossi, professeur de mathématiques spécialisé en théorie des fonctions, a dirigé le cours d’algèbre linéaire pour 1 600 étudiants durant l’automne dernier, avec l’aide d’étudiants assistants et des ordinateurs d’Emporium, qui peuvent faire tourner des logiciels Macintosh ou Windows. Rossi indique que, avant la création de l’Emporium, le département de mathématiques prévoyait au moins vingt-cinq enseignants pour enseigner à une ou deux sections d’algèbre linéaire de quarante étudiants chacune. Les professeurs qui ont été libérés de l’enseignement de l’algèbre linéaire sont maintenant utilisés pour accroître les contacts entre universitaires et étudiants qui suivent d’autres cours, notamment ceux de géométrie vectorielle.

Les partisans de la technologie qui approuvent l’initiative de l’Institut technique de Virginie disent que le Math Emporium illustre une transformation qu’ils espèrent voir progresser dans l’enseignement supérieur. « Il est encore tôt, mais je suis quasiment sûre que ce phénomène va prendre de l’ampleur », déclare Carol A. Twigg, directrice générale du Center for Academic Transformation de l’Institut Universitaire de Technologie de Rensselaer. L’Emporium de l’Institut technique de Virginie « modifie les besoins en ressources humaines » pour l’enseignement de l’algèbre linéaire. Twigg indique que, par ce biais, l’université a montré qu’elle avait pu ramener ses coûts pédagogiques par étudiant de 77 à 24 dollars pour le

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cours, soit une économie de ressources humaines de 97 000 dollars par an. « C’est véritablement le chiffre le plus bas que nous ayons vu », déclare Twigg, dont le centre a donné 200 000 dollars à l’Institut technique de Virginie et un montant égal à neuf autres établissements chacun afin de transformer les cours magistraux en cours en ligne que chacun peut suivre à son rythme et qui peuvent réduire les coûts en ressources humaines tout en améliorant l’apprentissage.

Le Math Emporium est devenu une grande attraction. Les administrateurs de l’université d’Alabama, le président de l’université d’État de Pennsylvanie et des responsables de l’Université de l’Idaho ont visité le site durant l’automne 1999. Les membres de la Commission des finances du Sénat de Virginie aiment tellement l’Emporium qu’ils y ont organisé un déjeuner, indique Robert F. Olin, président du département de mathématiques de l’Institut technique de Virginie. « Ils voulaient voir où va l’enseignement supérieur », ajoute-t-il.

Mais tout le monde n’est pas certain que l’avenir de l’Emporium soit assuré, selon Frank S. Quinn, professeur de mathématiques. L’Emporium a survécu à une année de démarrage difficile, ajoute Quinn, uniquement grâce à ses collègues de mathématiques,

« des enseignants très intelligents et extrêmement dévoués » qui possèdent aussi des compétences en programmation. Ils ont rédigé eux-mêmes le cours d’algèbre linéaire en ligne de l’Emporium en neuf mois. Quand il y a un problème de fonctionnement, ajoute-t-il, ce sont eux qui interviennent. Mais l’université ne peut soutenir indéfiniment l’Emporium en ne comptant que sur cet extraordinaire effort humain, déclare Quinn. Olin s’accorde à dire que l’absence de logiciels de mathématiques du commerce alourdit la charge pesant sur les universitaires qui doivent concevoir et entretenir leurs propres programmes : « L’une des immenses tâches de notre département est la création des logiciels que nous voulons utiliser ».

Pour l’instant, l’algèbre linéaire est le seul cours complet et interactif en ligne de l’Emporium. Il comprend un manuel électronique avec des liens hypertextes, des tutoriels que l’on peut faire à son rythme, des cours magistraux sur cédérom et des questionnaires en ligne. Des exercices de laboratoire sont également disponibles pour les cours magistraux traditionnels de calcul économique et autres cours de mathématiques. Un groupe d’enseignants de l’Institut technique de Virginie est en train de mettre au point un cours de calcul des prédicats sur le web, qu’ils espèrent avoir terminé d’ici à l’automne 2001. Il remplacerait le manuel commercial en ligne maintenant dépassé qu’ils utilisent actuellement pour enseigner le calcul des prédicats à l’Emporium.

« Nous restons menacés si nous n’arrivons pas à avoir un autre gros cours qui soit entièrement automatisé », annonce Quinn, ou au moins un cours important qui soit suffisamment automatisé pour libérer encore d’autres enseignants des salles de classe traditionnelles. L’expérience Emporium « tourne essentiellement autour d’un redéploiement des ressources », déclare-t-il, ce qui signifie qu’il faut libérer des professeurs et des assistants pour offrir aux étudiants l’aide dont ils ont besoin à l’Emporium.

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« L’université a fait un investissement tellement énorme que nous ne pouvons pas rester là à nous tourner les pouces », ajoute Olin. Mais il indique que le prochain cours sera plus difficile à créer que celui d’algèbre linéaire. Même si, dans cette nouvelle étape, la technologie représentant un nouveau défi dans la création de ce cours, trois enseignants de l’Institut technique de Virginie avaient déjà rédigé auparavant un manuel pour enseigner l’algèbre linéaire aux étudiants de première année. Cette expérience a contribué à leur donner un bon départ, déclare-t-il. « Nous sommes assez vite passés d’hommes des cavernes à celui d’experts. »

Olin dit qu’il aimerait que son département puisse acheter des logiciels de maths aussi facilement qu’il peut acheter des manuels. « Il n’y en a pas tant que ça de disponibles », assure-t-il. En tant que président de département, il a courtisé les éditeurs de livres, mais avec des résultats décevants. « Ils ne s’intéressent qu’aux recettes dégagées par un livre », constate-t-il. « Ils ne voient pas du tout où va l’enseignement des mathématiques ». Pourtant, il déclare avoir eu des discussions avec plusieurs sociétés « tournées vers les logiciels ».

Les universités et même les éditeurs de manuels scolaires ne sont pas bien organisés pour mettre au point des logiciels ou pour s’occuper de l’installation, de l’assistance et de la maintenance qui font partie du coût de l’ensemble, déclare Quinn. L’élaboration d’un cours de calcul des prédicats en ligne n’est pas moins complexe, précise-t-il, que de développer un navigateur web ou un progiciel graphique. En juillet 1996, les enseignants intéressés par la productivité pédagogique ont tenu une réunion – la table ronde de Broadmoor, à Colorado Springs – pour discuter de mesures incitatives qui pourraient aider à créer un marché commercial pour les logiciels pédagogiques destinés à l’enseignement supérieur. Mais les choses n’ont quasiment pas évolué depuis, constate Olin.

Le « volontariat » pesant sur les enseignants est un aspect préoccupant de l’Emporium, selon Quinn, qui souhaite que l’expérience réussisse, mais qui déclare être attentif « aux très nombreux éléments qui peuvent conduire à l’échec d’une telle entreprise ».

À en croire Williams, vice-président des systèmes d’information, les questions portant sur les logiciels pédagogiques ne sont pas près d’être résolues. Même si l’Emporium peut améliorer dans une certaine mesure la productivité de l’enseignement, il ne croit pas que l’on verra des logiciels pédagogiques capables de simuler réellement l’aide et le soutien humains avant huit à dix ans. « Si nous voulons que le logiciel apporte une aide, si tant est qu’il puisse le faire, “il” doit comprendre comment les étudiants peuvent mal interpréter ce qui leur est présenté – et le deviner à partir des réponses des étudiants. Pour le moment, seuls des gens le font correctement. »

Commentaires et questions

Bien que l’Institut technique de Virginie ait initialement conçu le Math Emporium comme un moyen permettant d’améliorer le service proposé à ses

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étudiants, le résultat final en a été une méthodologie pédagogique transposable susceptible d’être exportée dans d’autres cadres. Ce cas implique un certain nombre de questions concernant les opportunités de production des universités. Les centres de recherches universitaires américains ont traditionnellement donné naissance à un nombre significatif de productions commercialisables mais, en règle générale, les universités reconnaissent ne pas avoir le capital ou l’expertise nécessaire pour mettre ces expériences sur le marché. En conséquence, elles vendent ou donnent ces productions ou créent des sous-produits. Quel est le meilleur plan d’action pour atteindre des objectifs au niveau de l’établissement ?

Quelques questions à prendre en considération

1. L’Institut technique de Virginie doit-il essayer de mettre ce produit (le Math Emporium) sur le marché et le commercialiser elle-même ou doit-il travailler avec une société pour le faire ?

2. La pérennité de « l’expérience » est un problème. Si l’objectif de l’université est d’être au service de ses propres étudiants, elle a besoin d’une infrastructure pour soutenir le programme. Si son intention est d’exporter cette idée dans d’autres établissements, les problèmes sont les mêmes mais à une échelle beaucoup plus grande. L’Institut technique de Virginie souhaite-t-il assurer la maintenance et mise à jour comme une activité à part entière ?

3. Si l’Institut technique de Virginie travaille avec une société qui l’aide à maintenir ou à commercialiser le programme, comment peut-il construire un partenariat qui permettra à l’université d’exercer un certain contrôle – par exemple, pour assurer une qualité universitaire ?

4. D’autres établissements veulent reproduire le modèle du Math Emporium.

Cela introduira une notion de concurrence – c’est-à-dire que le monde des affaires aura le choix entre plusieurs établissements comme associés. L’Institut technique de Virginie doit-il profiter de sa position de pionnier sur le marché ?

5. L’attention portée à la commercialisation de produits va-t-elle détourner les établissements de leur objectif qui est d’assurer à leurs étudiants un meilleur service que le modèle actuel ?

6. Quelle chance y a-t-il de voir une entreprise commerciale solliciter le groupe d’enseignants talentueux de l’Institut technique de Virginie et que ces derniers quittent l’université en vue de gérer l’Emporium sur une grande échelle dans un environnement commercial ?

Cours et supports de cours en ligne : le contexte

Les supports de cours en ligne sont généralement élaborés par un universitaire, avec l’aide du service informatique, pour un cours particulier de l’établissement où travaille l’universitaire. Les universitaires sont engagés et rémunérés pour dispenser des cours et pour réunir, organiser et créer des supports de cours qui complètent les

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cours donnés sur le campus. Étant donné que l’établissement paye l’universitaire pour dispenser des cours, ce qui constitue la fonction de base de son emploi, beaucoup de gens dans l’établissement partent du principe que les supports créés pour cette tâche appartiennent à l’établissement ou à l’université, tout comme les produits commerciaux ou les brevets mis au point pour une société appartiennent à l’employeur, et non au salarié individuel. Toutefois, la plupart des établissements et des universités ont rarement, ou pour ainsi dire jamais, revendiqué les supports originaux préparés par les universitaires pour être utilisés en cours.

Aujourd’hui, de nombreux établissements semblent avoir adopté l’approche selon laquelle ils peuvent rapidement mettre au point des cours en ligne, puisqu’ils ont sous la main la source du contenu des cours, à savoir l’universitaire individuel.

Cette soudaine reconnaissance de l’universitaire en tant que ressource pour créer un produit tangible est quelque chose de nouveau dans le monde de l’enseignement supérieur, et qui résulte de la reconnaissance d’internet en tant que moyen de diffusion pour exporter les cours et les diplômes de l’établissement vers un public plus important. Cette nouvelle dynamique a rompu l’accord tacite bien établi selon lequel les universitaires peuvent vendre leurs travaux originaux à condition que cette vente n’affecte pas leurs tâches d’enseignement, de recherches et d’administration.

C’est cette soudaine revendication concernant la propriété du contenu élaboré par les universitaires en tant que « produit web » qui semble avoir créé le conflit abordé par le séminaire. Par le passé, les universitaires créaient des exercices, des essais, des expériences, des cahiers de travaux pratiques et autre contenu original pour dispenser les cours proposés par un établissement et ils utilisaient ces contenus pour élaborer des manuels scolaires et des outils pédagogiques (par exemple des manuels du professeur, cahiers d’exercices, guides d’étude et formulaires de tests) sans que l’établissement n’en revendique la propriété. En règle générale, un universitaire crée un manuel sur son propre temps. Même si l’établissement peut rémunérer l’universitaire pour cette réalisation, le travail en lui-même est réalisé à l’initiative de l’universitaire individuel et à son propre profit. Les universitaires ne sont pas spécifiquement chargés par leurs établissements de créer les ouvrages. Les établissements et les universités n’émettent en général aucune revendication à l’égard du contenu et s’opposent rarement au processus de publication.

Alors que la création de supports de cours en ligne est analogue à de nombreux égards à la création de manuels scolaires, elle s’en distingue par d’autres aspects.

L’analogie avec le manuel est vraie si l’universitaire agit de manière indépendante et s’il ne réclame pas d’aide de la part de l’établissement. Contrairement à la rédaction de manuels, la mise au point de supports de cours en ligne implique généralement un gros investissement pour l’établissement. Même si l’universitaire n’a pas été spécifiquement chargé de faire le travail, il est probable qu’il aura demandé une assistance technique à l’établissement (temps de connexion au serveur, utilisation de logiciels dont la licence appartient à l’établissement), une assistance en termes de personnel (concepteurs pédagogiques, programmeurs Html, éditeurs de

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textes, spécialistes du domaine graphique, assistants de recherche), et une assistance administrative (cession des droits afférents à des œuvres appartenant à des tiers).

C’est pourquoi certains affirment que la soudaine revendication de propriété des établissements vis-à-vis du contenu élaboré par les universitaires a surgi en raison de la contribution importante des établissements quant aux ressources impliquées dans la création des supports de cours en ligne. D’autres répondent qu’il n’est pas possible d’utiliser ces investissements comme critère dans la mesure où quasiment tous les ouvrages d’un établissement ou d’une université sont créés en utilisant d’importantes ressources de l’établissement.

Pourquoi un établissement revendiquerait-il soudainement la propriété d’une chose à laquelle il n’accordait apparemment pas de valeur par le passé ? L’une des raisons en est peut-être la conviction que les cours et les supports de cours en ligne constituent une source de revenus potentiels dont l’établissement devrait pouvoir bénéficier. Selon les termes de la Chronicle of Higher Education, « La croissance de l’enseignement à distance et l’utilisation très répandue des supports de cours multimédias ont convaincu certains administrateurs et universitaires qu’ils sont assis sur des mines d’or : il devrait être possible de mettre en forme les cours d’enseignement supérieur et de les vendre sur internet ou sur cédérom »6. Même s’il y a une chance sur un million pour qu’un produit donné soit rentable, les établissements ne veulent pas se retrouver face à un de leurs universitaires auteur de à succès, sans en récolter de bénéfices.

Une seconde raison expliquant l’intérêt soudain des établissements semble être la crainte de voir les universitaires mettre en forme leurs cours et les proposer sur de multiples marchés, souvent en concurrence avec l’établissement ou l’université qui emploie cet universitaire. Les établissements se méfient des universitaires qui, selon l’université, ont profité des ressources de l’établissement et les utilisent dans une autre école ou université, au même moment ou après avoir quitté l’établissement d’origine, ce qui peut entraîner un conflit d’intérêt. La revendication d’être propriétaire des cours constitue, de la part de l’établissement, une tentative pour essayer de maîtriser la concurrence.

Tandis que les établissements universitaires et les universités rechignent à offrir gratuitement l’équivalent électronique d’un puissant e-stimulant électronique à leurs concurrents ou de les subventionner, les universitaires ont leurs propres préoccupations. Certains, comme le professeur David Noble de l’Université d’York, considèrent que la création de cours en ligne est un effort à peine voilé de la part des administrateurs et de leurs confrères du privé pour utiliser internet afin d’automatiser le travail des professeurs et d’ainsi écarter les universitaires de l’expérience pédagogique elle-même. Selon les propos de Noble :

6. Lisa Guernsey et Jeffrey R. Young, « Who Owns On Line Courses? », Chronicle of Higher Education, 5 juin 1998.

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« Dès que les universitaires mettent leurs supports de cours en ligne, leurs connaissances et leurs compétences en matière de conception de cours incarnées dans ce support leurs sont subtilisées, transférées dans les machines et placées entre les mains de l’administration. L’administration est alors en mesure d’engager du personnel moins qualifié et donc meilleur marché pour dispenser les cours déjà présentés sous une forme technologique. Cela permet aussi à l’administration, qui revendique la propriété de ce produit, de diffuser le cours ailleurs sans que le concepteur initial soit impliqué, voire sans qu’il le sache, et sans qu’il soit même question d’un intérêt financier. Pendant ce temps, les acheteurs de ce produit mis en forme, à savoir d’autres établissements universitaires, peuvent également le proposer à l’extérieur, suivant le même schéma, et réduire leur besoin d’universitaires internes à l’établissement.

Le plus important est que, dès que les universitaires ont transformé leurs cours en didacticiels, leurs services ne sont plus nécessaires. Ils deviennent superflus et, lorsqu’ils partent, ils laissent leurs travaux derrière eux. Dans le roman classique de Kurt Vonnegut intitulé Player Piano, l’opérateur de génie Rudy Hertz est flatté par les automaticiens qui lui disent que son génie sera immortalisé. Ils lui achètent une bière. Ils saisissent ses compétences sur une bande magnétique, puis ils le renvoient. »7

Les opinions de Noble peuvent sembler extrêmes, mais elles reflètent une préoccupation largement répandue parmi les universitaires selon laquelle les professeurs pourraient être remplacés en totalité ou en partie. Un récent rapport de la fédération américaine des universitaires sur la technologie dans l’enseignement supérieur lance l’avertissement suivant : « Cette profession déjà touchée par un sous-emploi extraordinairement élevé de ses membres – 45 % sont à temps partiel – va connaître un nouveau déclin avec le départ à la retraite ces prochaines années de milliers de personnes qui ne seront pas remplacées par des collègues plus jeunes de la profession, mais par des postes de travail informatiques, des didacticiels, des classes d’enseignement à distance multisites permettant à de gros effectifs d’apprendre à leur rythme, et enfin un nouveau rapport capital/ressources humaines. »8

Les participants du séminaire de Miami ont donc entamé leur discussion par l’examen des deux scénarios qui inquiètent tant l’enseignement supérieur aujourd’hui :

– le scénario de la « mine d’or » du Chronicle est-il plausible ? Dans quelles circonstances pourrait-il survenir ?

– le scénario du « player piano » de Noble est-il lui-aussi plausible ? Dans quelles circonstances pourrait-il survenir ?

7. David F. Noble, « Digital Diploma Mills: The Automation of Higher Education », octobre 1997. http://www.firstmonday.dk/issues/issue31/noble/index.html

8. Perry M. Robinson, Technology and Higher Education, 1996-97 (Washington, D.C.:

American Federation of Teachers, 1997).

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Mais avant de passer à ce débat, les participants ont jugé utile de clarifier certains des termes relatifs à ces questions. Lors des discussions actuelles concernant la propriété des cours, les gens utilisent fréquemment les termes de

« cours » et de « supports de cours » de manière plus ou moins interchangeable.

Dans d’autres cas, ils établissent une distinction entre les deux. Voici quelques exemples :

– les enseignants possèdent les supports de cours mais pas les cours, – les enseignants possèdent les supports de cours et les cours, – les établissements possèdent les supports de cours,

– les établissements possèdent les cours mais pas les supports de cours, – les établissements possèdent les supports de cours et les cours.

Ce manque de précision contribue à l’état actuel de confusion et d’incertitude.

On a posé la question suivante aux participants du séminaire : « Voyez-vous une distinction entre les cours et les supports de cours ? » Presque tout le monde établissait bien une distinction mais, à première vue, il était difficile de se mettre d’accord sur ce qui différencie les deux termes. Après quelques échanges, les participants se sont mis d’accord pour définir les supports de cours comme un ensemble arrêté d’idées et de ressources qui est utilisé comme base d’un cours. Tout le monde s’est accordé à dire que ces supports peuvent facilement et immédiatement être protégés par le droit d’auteur.

Les supports de cours sont utilisés pour répondre aux objectifs suivants : – expliquer le contenu du cours,

– illustrer les notions du cours, – éclairer certaines parties d’un cours,

– transmettre le contenu du cours pour en atteindre les objectifs.

Les supports de cours comprennent, par exemple, du texte, des images, des schémas, des graphiques, une présentation multimédia complète, des notes de l’enseignant, des exercices destinés à une collaboration en ligne, un contenu adapté au web, du multimédia mis au point pour une diffusion sur le web (animation Flash, applets Java, clips vidéo, son), des exercices individuels et collaboratifs, des lectures, bibliographies, conférences, exercices, simulations et projets de groupe.

Les participants ont également noté que les supports de cours peuvent inclure des supports disponibles dans le commerce, tels que des manuels scolaires ou des didacticiels, ou des supports qui ont généralement été préparés par l’enseignant lui- même et qui n’ont pas été commercialisés, par exemple un programme et des notes prises en classe. Parmi les autres créateurs de supports, on peut aussi comprendre les concepteurs pédagogiques et les étudiants. En réalité, pour de nombreux cours, les supports se composent d’un mélange d’éléments originaux élaborés par l’enseignant et de contenus fournis par les éditeurs, les développeurs et autres auteurs. Un cours précis peut se composer de supports de cours provenant de multiples sources

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