• Aucun résultat trouvé

FONDATION INTERNATIONALE AGATHE UWILINGIYIMANA. Actes du. Colloque de Bamako

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "FONDATION INTERNATIONALE AGATHE UWILINGIYIMANA. Actes du. Colloque de Bamako"

Copied!
80
0
0

Texte intégral

(1)

Actes du

Colloque de Bamako

Les principales crises de gouvernance au Rwanda et leurs débordements ethniques :

fondements, pratiques et perspectives

Colloque organisé et animé par la

F

ONDATION INTERNATIONALE

A

GATHE

U

WILINGIYIMANA

avec l'assistance de

S

YNERGIES

A

FRICA

(Genève)

l'A

SSOCIATION MALIENNE DES DROITS HUMAINS

et l'appui financier de NOVIB (Hollande) et NCOS (Belgique)

Rapport préparé et présenté par : Déogratias Bagilishya Vice-président de la FIAU

avec la collaboration de Francine Jacques

125 rue Verchères, Beloeil, Québec (Canada) J3G 2J6 Tél.: (514) 536-0282 Téléc.: (514) 536-2663

(2)

À la fin de nos travaux à Bamako, je suis rentrée avec l'agréable conviction que cette rencontre a amorcé un dialogue qui n'attendait qu'une opportunité pareille pour aller de l'avant. Au nom de la Fondation internationale Agathe Uwilingiyimana je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et surtout de nous avoir fait confiance. Il va sans dire que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour maintenir ardente la flamme d'espoir que nous avons allumée ensemble à Bamako.

Tous nos amis qui nous ont accompagnés pendant toute la durée des travaux, le plus illustre d'entre eux étant le Général de Brigade Amadou Toumani Touré qui nous a fait tant d'honneur, ne nous abandonneront pas en cours de chemin c'est certain.

En attendant la suite, laissez-moi vous réitérer que ce fut un grand plaisir pour toute l'équipe de la FIAU de travailler avec des gens aussi sympathiques, brillants et motivés par le souci qu'ils portent au bien-être de leur pays comme vous.

Mes derniers remerciements s'adressent à divers organismes qui nous ont appuyés dans notre démarche depuis plusieurs mois : NOVIB qui a financé l'essentiel du Colloque et qui nous a suivis dans notre parcours, NCOS, qui a permis entre autres une mission au Rwanda, l'ong SYNERGIES AFRICA qui nous a prodigué conseils et appui de même que l'ASSOCIATION MALIENNE DES DROITS HUMAINS. À toutes les personnes qui nous ont aidés, permettez-moi de vous exprimer ma reconnaissance la plus sincère.

Amical souvenir et à bientôt.

Monique Mujawamariya Présidente de la FIAU

(3)

C'est pour moi un vif plaisir que de vous transmettre le rapport final de nos réflexions- débats à l'occasion du colloque de Bamako du 20 au 20 août 1996 sur les principales crises de gouvernance au Rwanda et leurs débordements ethniques.

Le succès de ce colloque résulte de la participation de tout un chacun à tous les travaux de groupes (ateliers et plénières) avec un souci constant d'être à l'écoute de l'autre et de faire une lecture courageuse et sans complaisance des causes profondes de la querelle ethnique rwandaise.

L'importance prise par cette querelle dans l'évolution du peuple rwandais depuis quelques années n'a égale que l'extrême difficulté du Rwandais à mettre un terme définitif à cette querelle mortifère dont le sommet de l'horreur a été atteint avec les situations humaines extrêmes de 1994 (génocide, guerre, répression, viol, torture, etc.).

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cela a-t-il été possible à tel moment ? Quelle a été l'évolution des attitudes de chacun après la tragédie rwandaise de 1994 ? Comment faire pour que plus jamais le peuple rwandais ne vive de tragédies semblables ?

Telles sont quelques-unes des questions auxquelles votre participation a apporté des éléments de réponses sur lesquels les Rwandais pourraient s'appuyer pour rebâtir ensemble l'avenir du pays.

Il est pour moi impossible de traduire dans les mots les apports de chaque participant dans ces réflexions-débats qui préfigurent le virage qu'aura cet avenir porteur d'espoir que nous voulons vivre ensemble.

Les valeurs d'ouverture de responsabilité humaine et de recherche de coopération qui ont caractérisé l'ensemble de nos réflexions-débats, sont des signes indéniables d'un changement durable et irréversible en ce qui concerne la perception de soi et des autres ainsi que les relations humaines entre Rwandais de sensibilité et d'appartenance différentes.

(4)

de:

a) fournir des éléments de compréhension en rapport avec les principales crises de gouvernance au Rwanda et leurs débordements ethniques;

b) proposer des pistes de solutions appropriées à la réalité rwandaise après une prise de conscience;

- des processus individuels, collectifs et organisationnels en oeuvre dans les crises en question;

- des conséquences de ces processus;

- et des mécanismes par lesquels ces processus peuvent être changés.

Le Colloque de Bamako décevra sans doute ceux qui sont à la recherche de simples recettes pour harmoniser à tout jamais les relations entre Rwandais, car il ne propose que des orientations de réflexion ou un cadre d'analyse des situations de crises intra ou interethniques. De toutes manières, l'infinie variété des relations réelles entre les membres des ethnies rwandaises interdirait à qui que ce soit de proposer autre chose que des orientations de réflexion ou leur cadre d'analyse.

Amical souvenir et à bientôt.

Déogratias Bagililshya Vice-président de la FIAU

Animateur principal du Colloque

(5)

INTRODUCTION... 7

RÉSUMÉ JOUR 1 : LES REPRÉSENTATIONS OU PRÉJUGÉS... 16

RÉSUMÉ JOUR 2 : LES INSTITUTIONS... 25

RÉSUMÉ JOUR 3 : LES PRINCIPALES CRISES DE GOUVERNANCE... 32

RÉSUMÉ JOUR 4 : LES CHOIX DE SOCIÉTÉ... 40

RÉSUMÉ JOUR 5 : RECOMMANDATIONS... 48

QUELQUES REMERCIEMENTS... ANNEXES Annexe I : Liste des participants... 58

Annexe II : Document de réflexion... 63 Annexe III : Description de la FIAU...

(6)

Depuis sa création à la suite du génocide et des tueries massives de 1994, la Fondation Internationale Agathe Uwilingiyimana (FIAU) s'interroge sur les actions à entreprendre, tant à l'égard de la population que des institutions traditionnelles et/ou modernes du pays, pour désamorcer la haine, le doute et la méfiance déversés dans le coeur des Rwandais par ce cataclysme social sans précédent dans l'histoire du pays.

Elle demeure convaincue que, quelle que soit la position idéologique de chaque Rwandais à l'égard de ce drame sans nom, le peuple rwandais et le monde entier avec lui a le droit et la responsabilité humaine de savoir :

- Qui est responsable de quoi ? - Qui est victime ?

- Pourquoi ?

- Que peut-on faire pour endiguer et mettre fin pour toujours à ce climat de violence injustifiée dans lequel se débat le Rwanda depuis plusieurs générations ?

- Comment et qui sont les acteurs capables de faire passer ce message à la base ?

Deux ans après la tragédie rwandaise, le moment semble venu pour établir un vrai diagnostic du mal rwandais jusqu'à ses racines les plus profondes. Le but ultime du Colloque de Bamako, organisé par la FIAU du 20 au 24 août 1996, est d'amorcer un processus de changement de mentalité en ce qui concerne l'harmonisation des rapports entre Rwandais de croyances ou d'appartenances différentes.

Il visait plus particulièrement les catégories de Rwandais ci-après :

- les autorités dont l'implication est fondamentale pour pousser et soutenir les idées constructives retenues au moment du Colloque. En effet, il serait utopique de croire que la base va s'engager dans ce processus de changement sans que les autorités manifestent une volonté allant dans ce sens (umwera uturutse ibukuru bucya wakwiriye hose);

- les principaux acteurs impliqués dans la recherche des voies et moyens nécessaires à la reconstruction du tissu social rwandais : représentants de la société civile, des médias et autres intervenants ayant la ferme intention de consolider ce qui unit les Rwandais et de combattre les prétextes qui les séparent.

Introduction

(7)

Pour s'assurer que le débat aboutira à un plan d'action acceptable par toutes les composantes de la société rwandaise, les participants au Colloque ont été sélectionnés à partir de certains critères comme : leur appartenance ethnique, leur influence dans leur milieu, leur intégrité et leur esprit d'ouverture.

Ce Colloque a réuni une trentaine de Rwandaises et de Rwandais de sensibilité et d'origines diverses, en provenance de 8 pays différents : le Rwanda, le Burkina Faso et le Mali pour l'Afrique; l'Allemagne, la Belgique et la Grande-Bretagne pour l'Europe; le Canada et les États- Unis en ce qui concerne l'Amérique du Nord. La délégation en provenance du Rwanda comprenait le ministre des Transports et des Communications du Gouvernement rwandais, le Dr. Charles Murigande, et trois députés de l'Assemblée nationale de transition, messieurs Jean Mbanda, Stanley Safari et Tito Rutaremara.

Par ailleurs, nous avons identifié pour servir de modérateurs dans les débats, des spécialistes de renommée internationale, qui connaissent à fond la problématique rwandaise et celle de l'Afrique des Grands Lacs.

Les débats-réflexions du Colloque se voulaient être une occasion pour les participants de : - se donner un cadre de référence commun pour rebâtir ensemble l'avenir du Rwanda;

- connaître les signes de malaise et les sources de conflits ou d'incompréhension dans les rapports entre citoyens rwandais d'origines ethniques différentes;

- comprendre les conditions d'émergence et de perpétuation de l'idéologie ethniste ou raciale dans les crises de gouvernance marquées par des débordements ethniques;

- communiquer leurs choix fondamentaux de société sur lesquels pourraient s'appuyer les Rwandais pour rebâtir ensemble leur avenir;

- coopérer à la concrétisation des choix de société retenus pour aller dans le sens d'une reconstruction nationale durable.

Tout au long du Colloque, les participants ont échangé sur leurs attentes et leurs préoccupations en ce qui concerne les balises à mettre en place pour prévenir d'autres situations humaines extrêmes (génocide, répression, torture, viol etc.) pouvant conduire à l'autodestruction du peuple rwandais.

La démarche du Colloque a privilégié une réflexion-débat ayant pour fil conducteur le canevas ci-après :

(8)

JOUR 1 JOUR 2 1.Thème du jour

Les représentations personnelles et collectives en oeuvre dans les crises de gouvernance avec des débordements ethniques

Les institutions tradition- nelles et modernes en jeu dans l'évolution du Rwanda vers des crises de gouver- nance avec des déborde- ments ethniques

2.Question du jour

Pourquoi certains Rwandais développent des sentiments d'ouverture ou son contraire à l'égard des ethnies ?

Pourquoi le Rwanda est-il devenu un terrain favorable à l'implantation d'une idéo- logie ethniste ?

3.Questions à débattre

Effet des préjugés ethno- centriques dans l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance ayant des débordements ethniques

L'effet des institutions sur la structuration du clivage ethnique au Rwanda

(9)

JOUR 3 JOUR 4 JOUR 5 Les principales crises de

gouvernance avec des débordements ethniques

Les choix de société pour rebâtir ensemble l'avenir du Rwanda

Conclusion et recomman- dations du Colloque

Quelle est la dynamique des principaux acteurs impliqués dans la préparation et la con- duite des crises de gouver- nance ?

Quelle est la dimension du changement à envisager pour éviter d'autres crises de gouvernance ?

Quelles sont les actions prioritaires à entreprendre pour enrayer les débordements ethniques dans les changements de gouvernance ?

L'organisation et la conduite des crises de gouvernance

Selon quels principes fondamentaux voulons-nous rebâtir ensemble l'avenir du peuple rwandais

Les défis à relever et les responsabilités pour relever ces défis fondamentaux

(10)

Discours d'ouverture du Général de Brigade Amadou Toumani Touré

Soyez les bienvenus au Mali. Nos autorités et nous-mêmes, sommes fiers de vous accueillir à Bamako. Nous vous offrons notre modeste mais combien chaleureuse hospitalité, et ne ménagerons aucun effort pour rendre votre séjour agréable.

Le Mali s'honore d'avoir été choisi, pour abriter les présentes assises du Colloque international, sur les principales crises de gouvernance au Rwanda et leurs débordements ethniques : fondements pratiques et perspectives, organisé par la Fondation Agathe Uwilingiyimana (FIAU) et ses partenaires : Synergies Africa (Genève), AMDH (Mali), NOVIB (Hollande) et NCOS (Belgique).

La présence d'un membre du gouvernement du Rwanda, de députés de l'Assemblée nationale du Rwanda, de délégués venus d'Afrique, d'Europe et d'Amérique est un très bon signe, qui marque l'importance du sujet et surtout l'intérêt de cette rencontre.

Il y a certes des absents, mais ce n'est là qu'un début, en souhaitant voir un jour, un plus grand Forum, et une représentation plus diversifiée et plus élargie. À vrai dire, il ne peut y avoir d'exclus, que ceux qui se reprochent quelque chose.

Les thèmes choisis sont très évocateurs; et le but que s'est fixé le Colloque, est d'abord de tenter de mettre un peu de lumière sur certains moments sombres de l'Histoire du pays, moments néfastes, ayant entraîné des débordements et des déviations dites ethniques; et surtout d'élaborer un plan d'action qui sera bien entendu ouvert à d'autres réflexions et suggestions ultérieures.

Les objectifs retenus sont nécessaires : développer des outils de compréhension et d'analyse de la gestion des ethnies; valider des approches telles que, croyance, postulat et représentation qui servent de support et d'enjeu à l'antagonisme et à la solidarité ethnique ou à celle d'autres groupes.

Parler directement entre Rwandais sur des questions qui divisent et séparent et, dégager des modèles de gestion préventive de conflits à l'usage des décideurs et intéressés. Nous saluons cette initiative, félicitons les initiateurs, souhaitons que ce soit un premier pas permettant à des Rwandais de se rencontrer, de se parler et de bâtir l'avenir, pour un pays meurtri, qui a tant besoin de ses fils. Dans la Rome antique, la tradition imposait de fermer, à la fin de chaque conflit, les portes de la guerre. Cette cérémonie, qui avait lieu sur le Forum, clôturait l'ère du dieu Mars.

C'est au petit sanctuaire de Janus que l'on procédait à la cérémonie de Fermeture des portes.

Janus, comme vous le savez, était ce dieu à deux visages, détenteur de la science du passé et de l'avenir.

Sans vouloir me prendre pour Janus, et Bamako pour Rome, je vous demande, où en sommes- nous aujourd'hui ? Que devrons-nous faire pour affronter demain ? Je me garderai bien de faire le prophète. En matière de prospective, il est plus facile de penser simple, que de penser juste.

Une telle réunion, bien que les conditions de sa tenue soient réunies en Amérique du Nord, se déroule cependant en terre africaine du Mali, parce qu'il faut répéter pour insister, que les transformations qu'exige l'Afrique et la prise en main de son avenir, ne peuvent se réaliser que grâce au génie propre des Africains.

(11)

Aucune solution, aucun changement qualitatif ou quantitatif, ne peut s'opérer dans nos états sans notre engagement personnel individuel et collectif; car, ma conviction a toujours été, qu'aucune tare génétique, aucune sentence de l'Histoire ne peuvent être évoquées pour justifier l'infirmité présente et abolir l'irréversibilité du progrès de ce continent.

Il y a 25 ans, l'“Asie pessimisme” était de rigueur. MYRDAL (Karl Gunnar), économiste et homme politique suédois, prix Nobel d'économie 1974, publiait un livre au titre évocateur

“Drame de l'Asie” : Enquête sur la pauvreté des Nations”.

Des experts internationaux condamnèrent la Corée du Sud à l'exportation de riz. Une mission des Nations Unies estimait que la ville-état de Singapour n'était pas viable.

Des chercheurs considéraient que l'héritage culturel confucianiste et bouddhiste était incompatible avec la logique industrielle.

L'Asie du Sud et du Sud-Est étaient ainsi condamnées à la stagnation économique, voire à la famine.

Ces rappels, écrit Serge Michoilof, soulignant les prévisions peuvent être démentis, mais ils montrent surtout, les possibilités de renversement des tendances, dès lors que le cadre macroéconomique et les politiques sectorielles sont adaptées. Aucune fatalité ne pèse donc sur l'Afrique.

L'Afrique et les Africains doivent, dès lors, assumer eux-mêmes, la responsabilité de leur destin, et faire preuve d'imagination, pour relever les défis que sont la gouvernance démocratique, la gestion des conflits et le développement.

Ces dernières années, malgré quelques dérapages, sur l'ensemble du continent, des progrès significatifs ont été atteints, quant au respect des droits de l'homme et des libertés publiques, quant à la libéralisation de la vie politique et, dans une moindre mesure, à la démocratisation des régimes anciennement établis.

Cette démocratisation, pour une période d'apprentissage indispensable, doit être consensuelle;

il est imprudent que ceux qui gagnent tout, prennent tout, et que ceux qui perdent les élections, perdent tout.

Une voie africaine de la démocratie, ce n'est pas évident; cependant, la démocratie a des valeurs universelles; mais, les voies qui y mènent sont plurielles.

Un sage, à qui l'on demandait quel est le meilleur système politique, répondit : “Pour quel pays, pour quel peuple et pour quelle époque ?”.

À chacun selon ses réalités humaines, sociales et culturelles. Le plus important, c'est d'adhérer aux valeurs de la démocratie, car, le principe démocratique est, d'après Voltaire “comme ce feu que l'on prend chez son voisin, que l'on allume chez soi, que l'on communique à d'autres et qui finalement, appartient à tous”.

Je reste convaincu que la solution dans la région des Grands Lacs exige une coopération entre les états, la résurrection de la Communauté Économique des Grands Lacs qui prend en compte la sécurité collective, la protection des personnes et des biens, la libre circulation et la libre résidence des personnes et de leurs biens.

(12)

Je ne pense pas que la solution à une situation, fut-elle difficile, réside dans un “embargo”;

car, et avant tout, on punit ceux qui sont déjà fort éprouvés, sans apporter un règlement dans la dignité.

Il faut faire prévaloir le dialogue et les contacts, aider à une solution honorable pour tous.

Aujourd'hui, dans certains pays en Afrique, on doit aller au-delà de la simple libéralisation du marché politique; il faut aller vers une société de droit; pas seulement un état de droit, qui parfois, peut être fort contraignant, mais une société de droit, où la loi accompagne chaque homme, chaque femme, en protégeant sa personne et ses biens, en le protégeant contre toute forme de violence y compris, celle de l'État.

Pour cela, il faut rompre avec le règne de l'impunité, mettre en place une justice sereine et clairvoyante, égale pour tous, et à la portée de chacun.

À mon retour du Rwanda, on m'a demandé : Comment as-tu trouvé ce pays ? J'ai répondu :

“C'est un jardin, un paradis de verdure, d'eau et de populations laborieuses”. Un paradis que tout humain a le devoir de préserver.

Pour terminer, Excellences, Mesdames et Messieurs, je souhaite un bon Colloque, qui réponde à l'essentiel de vos attentes.

Je vous remercie !(1)

1. Discours d'ouverture du Colloque de Bamako parrainé par le Général de Brigade Amadou Toumani Touré, ancien chef d'État du Mali, facilitateur dans la région des Grands Lacs au Rwanda, Bamako, 21 août 1996.

(13)

Discours d'ouverture de la prési dente de la FIAU Monique Mujiwamariya

C'est un immense plaisir et un grand honneur pour moi de m'adresser à vous en ce jour du 21 août 1996 qui restera pour mes collègues et moi une date inoubliable. En vérité, les mots me manquent pour exprimer ce que je ressens après deux ans de travail acharné à la préparation de ce colloque. Le choix du Mali pour la tenue de ce Colloque ne provient pas du hasard. Nous nous sommes servi de sa culture et de son histoire comme poteau indicateur et quelquefois même de lanterne dans l'élaboration du document qui nous a servi de base de travail.

Sa méthodologie, pétrie de sagesse et de lumière, a soutenu notre motivation jusqu'à maintenant.

Faire appel à l'histoire du Mali peut paraître prétentieux et fastidieux mais je suis sûre que vous comprenez ce choix parce que le Mali c'est quelque vingt ethnies qui ont su inventer un art de vivre avec l'autre comme complément nécessaire. C'est un peuple, une culture et une nation qui a su trouver l'équilibre et la mesure pour vivre dans la paix, dans l'entente depuis plus de huit siècles.

Le Rwanda, qui nous concerne ici, est essentiellement deux ethnies avec une autre ethnie minoritaire, et d'ailleurs assez marginalisée, engagées dans une logique de destruction sans nom. Voyez-vous le Mali peut nous apprendre beaucoup de choses. C'est à Bamako, en fait, qu'un jour dans un séminaire de réflexion, avec l'accompagnement de nos militaires, dans la démocratisation de l'Afrique, qu'un ami camerounais m'a raconté une histoire, une histoire en fait qui m'a mis le vent dans les voiles, parce que Kape De Bana me disait, qu'un jour un monarque africain assiégé par une guerre sans merci était désespéré et il s'est mis dans un coin pour réfléchir. Comme vous le savez, quand un Africain des temps jadis perdait la guerre, il se suicidait ou on l'aidait à se suicider. Durant sa réflexion, un messager est venu le voir pour lui dire : “Majesté, le royaume est perdu. L'ennemi a fait une grosse brèche dans notre armée”. Alors le monarque fit une réflexion à haute voix : “Si toutes les filles et les fils du royaume mettaient leurs mains dans la brèche, le royaume ne serait pas perdu”. Le messager prit la réflexion du roi pour un ordre. Il partit impliquer tout le monde, hommes, femmes et enfants dans la défense de leur pays. C'est ainsi que, chacun à sa manière, cultivateurs, cuisiniers, tisserands, médecins tout le monde s'y est mis et le royaume a été sauvé.

Voilà en fait ce qui nous a poussés, nous de la Fondation internationale Agathe Uwilin- giyimana à nous engager dans la convocation et dans l'organisation de ce colloque. Il est maintenant urgent que les filles et les fils du Rwanda mettent tous ensemble leurs mains dans la brèche créée par le génocide et les massacres sans nom que notre pays a subis en avril 1994.

Le Mali n'est pas seulement riche de sa culture; sa culture a su générer des hommes à la mesure du Général Amadou Toumani Touré qui a su montrer un patriotisme sans mesure en reniant le pouvoir, le confort, les plaisirs et l'orgueil personnel pour se mettre à la hauteur de son peuple, pour lui frayer un chemin vers la paix, l'équilibre et la sérénité nécessaire à son développement. Par son professionnalisme en tant que militaire, citoyen et patriote, il devrait servir d'exemple à un moment où l'Afrique est encore confrontée à toutes sortes de coups d'État soi-disant “salvateurs” mais qui génèrent des dictateurs qui s'incrustent au pouvoir et étouffent encore une fois le peuple.

En fait, l'Afrique se retrouve dans une marche arrière scandaleuse actuellement et, je me surprends à constater qu'on donne encore raison à notre frère Makano le camerounais qui écrivait en 1961 : “L'Afrique sans foi ni loi”. Est-ce vrai que l'Afrique et les Africains n'ont pas de loi, ni de foi ? Je m'engage à contredire ce principe, parce que la preuve est là bien vivante;

vous êtes tous ici parce que vous croyez en la loi et parce que vous vous êtes engagés à mettre

(14)

la loi à la disposition de la paix. C'est cela la motivation qui nous concerne maintenant et c'est ça qui nous guide maintenant et qui a sûrement guidé le Général Amadou Toumani Touré quand il s'est dit, un jour, assez c'est fini, il n'y aura plus de martyrs maliens et quand un jour aussi il a dit : “Maliens, vous avez repris votre souffle, reprenez le pouvoir il est à vous”.

Si mon ami Kapé De Bana m'a mis le vent dans les voiles en me racontant cette histoire de royaume assiégé, des prophètes de malheurs existent encore. Ils existent et ils persistent. Le 24 juin 1995 à Paris, un journaliste français m'a dit : “Le Rwanda et le Burundi n'ont pas un an à vivre comme nation. Les Rwandais et les Burundais ne pensent plus nation, ils pensent ethnies”.

Encore une fois, mes chers frères et chères soeurs, vous l'avez contredit en prouvant que vous pensez nation et que vous rêvez en un avenir meilleur pour votre pays en bravant le long voyage fatigant pour venir discuter, réfléchir et trouver les pistes de solution qui nous permettront de nous remettre sur les rails et de nous engager dans une démarche vers la paix.

Je ne terminerai pas mon discours sans souligner la présence d'un ministre rwandais dans ces assises qui prouve le souci permanent qu'ont nos dirigeants de se joindre à toutes les initiatives des Rwandais visant à reconstruire leur pays. Je vous prie de saluer le ministre Muligande.

Je ne peux non plus m'arrêter sans vous parler et, surtout sans souligner en vous demandant cette fois-ci de vous lever et de saluer une grande dame, une femme rwandaise qui, au moment le plus critique, au moment où les politiciens se sont transformés en vautours prêts à déchirer leur peuple, a décidé d'aller de l'avant et de prendre les commandes de cette destinée qui capotait. Quand madame Agathe Uwilingiyimana a accepté d'être premier ministre, plusieurs politiciens avaient refusé ce poste parce que c'était dur, difficile; qu'il n'y avait ni honneur à gagner, ni richesse à amasser ou parce qu'ils avaient une autre cause à défendre. Madame Agathe Uwilingiyimana,elle, a défendu ses croyances jusqu'à en payer le prix. Je vous prie, en souvenir de cette grande dame et en reconnaissance de sa valeur de vous lever une minute.

Merci !

En souvenir d'elle et de tous ceux qui sont morts au Rwanda afin que vienne la paix, NOUS N'AVONS PLUS LE DROIT de passer par le même chemin, NOUS N'AVONS PLUS LE DROIT de faire les mêmes erreurs, NOUS N'AVONS PLUS LE DROIT de ne pas réussir à construire la paix.

C'est sur ces mots que je termine mon intervention en vous disant que JE SUIS FIÈRE D'ÊTRE

RWANDAISE parce que Agathe Uwilingiyimana était Rwandaise, JE SUIS FIÈRE D'ÊTRE

RWANDAISE parce que vous êtes là, JE SUIS FIÈRE D'ÊTRE RWANDAISE parce que vous prouvez que notre peuple est encore debout et que notre nation a un avenir meilleur.

Je vous remercie !

(15)

1. THÈME DE LA JOURNÉE :

Les représentations issues de notre histoire personnelle et de la mémoire collective qui colorent ou déforment, à notre insu, notre façon d'agir, de penser et de ressentir à l'égard des autres ethnies.

Notre façon d'agir, de penser et de ressentir à l'égard des personnes d'un ethnie différente est souvent le reflet des expériences heureuses ou moins heureuses que nous avons vécues avec quelques membres de cette ethnie. Elle est aussi en partie déterminée par les croyances, mythes, contes pour enfants, histoires, etc. véhiculées par notre milieu d'appartenance à propos de cette ethnie et que nous avons intériorisée tout au long de notre éducation.

Les expériences personnelles de même que les acquis de la mémoire collective sont en grande partie à l'origine de la vision que nous avons de nous-mêmes et des autres perçus et/ou vécus comme différents en fonction de leur groupe d'appartenance (famille, ethnie, formation politique, etc.)

Cette vision de nous-mêmes et des autres a un effet déterminant sur nos sentiments d'ouverture ou de rigidité à l'égard de la diversité ethnique rwandaise.

2. QUESTIONS SERVANT DE FIL CONDUCTEUR DE LA JOURNÉE :

Pourquoi certains Rwandais développent plus que d'autres des sentiments d'ouverture (confiance, solidarité, amitié, amour, etc.) ou de destruction/rigidité (méfiance, anta- gonisme, doute, haine, etc.) à l'égard des autres ethnies ?

3. RÉFLEXION-DÉBAT DU JOUR 1 :

La perception globalisante ou les préjugés ethniques que certains Rwandais portent sur les membres des autres ethnies.

Les représentations personnelles et collectives en oeuvre dans des crises de gouvernance avec des débordements ethniques

(16)

Après un petit mot de bienvenue de la présidente de la FIAU, la première activité du Colloque fut une activité de jumelage de tous les participants en dyade ou chacun, après avoir écouté l'autre, devait le présenter au grand groupe. Cette activité, parfois un peu longue, a néanmoins permis à chacun d'aller vers l'autre, à écouter et à traduire ce qu'il avait compris comme essentiel et le verbaliser devant le grand groupe. L'activité a pris fin avant le déjeuner. Soulignons que le président général Amadou Toumani Touré nous a fait l'honneur d'une brève visite au cours de la matinée.

L'après-midi fut consacré au travail en ateliers. La première réflexion-débat portait sur les préjugés ethnocentriques des Hutu, des Tutsi et de Twa en ce qui concerne la TRACE, une grille d'analyse qui tente de décoder, pour chacun des groupes, la perception globalisante ou les préjugés ethniques sur l'attitude des uns et des autres en ce qui concerne le travail, le besoin de réussite (richesse) et de pouvoir (autorité), la manière de gérer les conflits et d'éduquer les enfants.

SYNTHÈSE DU JOUR 1

(17)

Synthèse des préjugés ethniques considérés par les participants comme étant les plus répandus.

a) Après avoir parlé des aspects physiques comme facteurs importants et situé la conscience ethnique dans le temps et l'histoire (avant 59, après 59 et après 94), ce groupe a fait ressortir les préjugés suivants comme étant généralement répandus :

TUTSI : Ils sont considérés comme des fainéants, des exploiteurs, des riches, des gens supérieurs.

Au niveau des conflits, ils sont plus malins, ils sont aussi cruels que les Hutu, ils sont plus éduqués. Physiquement, ils sont plus beaux.

HUTU : Ce sont des brutes, ils sont dociles, fort physiquement, pauvres, ils ne critiquent pas beaucoup.

Comme les Tutsi, les Hutu se défendent lorsqu'ils se sentent menacés. Dans les conflits, ils sont plus directs. Au plan physique, ils ont le nez épaté, ils ont un physique ordinaire.

b) Selon ce groupe, les facteurs qui maintiennent ces préjugés sont le système politique, les guerres, l'influence de la famille et du milieu. Les stéréotypes ne sont pas constants, ils évoluent dans le temps, ils sont ou peuvent également être des stéréotypes valorisants.

c) Dans ce groupe, l'expression des cas extrêmes (guerre, répression, injustice et exclusion, torture, etc.) dont certains participants ont été personnellement victimes à cause des préjugés ethniques, fut très poignante et a donné le goût de partager plus longuement certains vécus.

a) Ayant eu du mal à démarrer parce que les membres de ce groupe ne sentaient pas per- sonnellement de préjugés par rapport aux autres membres, ils ont voulu néanmoins étudier le processus de la mobilité à la rigidité de la conscience ethnique.

Selon eux, s'il y a eu des formes d'exclusions, ces dernières n'installaient pas une conscience ethnique et que si elle existe, cette conscience ethnique a été crée par un groupe qu'il faudrait identifier. Ils croient qu'il y a des ressentiments envers des personnes qui ont causé des torts, mais pas envers tout un groupe ethnique en général.

Enfin ce groupe a déclaré que chaque groupe ethnique a dominé l'autre tour à tour, qu'il ne fait pas le nier il faut plutôt aller plus loin.

b) Parmi les défis à relever, même si ces derniers seront plus longuement élaborés au jour du Colloque, il a été souligne le besoin de :

- protéger tous les gens;

- aider le peuple à se relever;

Groupe I

Groupe II

(18)

- analyser les phénomènes qui se produisent maintenant afin de prévenir les catastrophes qui se préparent si on continue à agir comme avant;

- établir une justice “juste”, car l'impunité a été une source de malheurs des Rwandais;

- inviter tous les Rwandais à se remettre en cause eux-mêmes;

- inviter les hommes politiques à s'approprier des messages de dialogue du Colloque, afin que chacun soit prêt à se rapprocher de l'autre;

- inviter les instances du pouvoir à être conséquents et parler toutes le même langage, pour tous les Rwandais.

a) Après avoir déclaré que l'exercice d'analyse était occidental et ne collait pas à la réalité de la société rwandaise, ce groupe a néanmoins décliné les mêmes préjugés sur le Tutsi, les Hutu et les Twa que le groupe I.

TUTSI : Ils sont fainéants quant au travail manuel, faibles physiquement, sont faits pour diriger le travail et accumuler la richesse sans beaucoup d'efforts. Ils sont malins, astucieux, traditionalistes, fins, intelligents, bien élevés, ils ont de bonnes manières, il ont un complexe de supériorité.

HUTU : Ils ont un complexe d'infériorité par rapport aux Tutsi dont ils perçoivent la soif de pouvoir comme source de conflit. Ils sont travailleurs mais pas pour eux-mêmes, avides de richesses sans vouloir les partager, richesse, d'ailleurs, qu'ils gagnent à la sueur de leur front. Ils sont mal élevés, incultes.

TWA : Ils sont inconstants, pas persévérants, parasites, exécuteurs de basse besogne, grands consommateurs, les fous du roi associés aux détenteurs du pouvoir, indif- férents et méfiants, ils ont un talent inné d'artiste, ils vivent en société repliée sur elle-même et sont imperméables à la modernité.

b) Les expériences traumatisantes ont fait en sorte que plusieurs ont perdu le goût de re- construire le Rwanda.

Selon ce groupe, avant la colonisation, il n'y avait pas de conflit d'identité ethnique, que c'est l'arrivée du colonisateur qui en a fait une construction selon son schème de pensée. Dans l'état féodal, il existait certes des inégalités mais il existait aussi des mécanismes de dépassement dans la société-même, comme les clans.

On y soulignait aussi le phénomène de changement d'ethnie. Ce groupe a identifié les défis à relever :

- demander aux historiens de revisiter l'histoire de manière objective et débattre les conditions de reproduction de leur propre histoire; que les personnes soient abordées comme des êtres humains et des Rwandais, plutôt que pour leur appartenance ethnique;

- que l'ethnie soit considérée comme un sous-groupe, une composante du même peuple Rwandais;

- qu'il faut se poser la question : comment la notion d'ethnie a-t-elle pu être si profon- dément intériorisée pour mener au génocide ?

Groupe III

(19)

L'animateur du groupe a conclu cette plénière en disant que même s'il y avait eu une cons- truction de toutes pièces d'une idéologie ethnique, il y avait une responsabilité actuelle des élites du Rwanda dans la perpétuation de modèle créé de toutes pièces.

Les élites ont une responsabilité dans cette situation actuelle, ils doivent fournir des recom- mandations positives.

(20)

Conclusion sur les préjugés ethniques dans l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance avec des débordements ethniques.

a) Il est en fait très difficile de se faire une opinion claire sur les préjugés ethniques véhiculés par les médias, la littérature ou dans les propos des dirigeants et de monsieur et madame tout le monde loin des regards indiscrets. Les discours publics des Rwandais colorent et idéalisent quelquefois les relations entre les diverses composantes de la société rwandaise.

Comment la notion d'ethnie a-t-elle pu être si profondément intériorisées pour mener au génocide ? Comment ont émergé les préjugés ethniques ayant conduit au génocide ? Quelle a été l'évolution des préjugés ethniques après le génocide ?

Telles sont quelques-unes des questions laissées sans réponse et qui constituent un des noyaux durs des crises de gouvernance avec des débordements ethniques.

b) La société rwandaise, par la présence des Hutu, des Tutsi et des Twa est une société historiquement diversifiée sur le plan ethnique.

La solution à cette diversité ethnique n'est pas dans la quête nostalgique d'un certain ancêtre commun à tous les Rwandais ou dans la minimisation des préjugés ethniques entre Rwandais. Elle n'est pas non plus dans la recherche d'un bouc émissaire qui serait à l'origine des crises de gouvernance avec des débordements ethniques.

Si l'on veut considérer le drame rwandais le plus en amont possible, il faut partir d'un certain nombre de faits et de perceptions qui sont l'arrière-fond du développement des préjugés ethniques dans le temps et l'espace. Parmi les facteurs d'émergence, de développement et de perpétuation des préjugés ethniques, les participants au Colloque ont notamment relevé :

1. les systèmes politiques successifs qui ont favorisé la discrimination et l'inégalité d'accès au pouvoir, au savoir et à l'avoir à partir des critères ethniques.

2. Les guerres ou massacres sélectifs à connotation ethnique et leurs conséquences sur : - la diabolisation ou la déshumanisation des gens de l'autre ethnie à travers des noms

symboliques faisant penser à des bestioles (et non des êtres humains) qu'on peut éliminer en toute impunité (Inyenzi, Inzoka, etc.);

- la conception des mécanismes d'extermination des membres d'une ethnie bien précise à travers des exécutions extrajudiciaires;

- l'implantation d'une culture de la terreur à travers un non-dit individuel et social dont l'objectif est d'imposer le silence à tout un peuple ou de développer une culture de l'impuissance chez toute une ethnie;

- la marginalisation de toute personne qui refuse d'être ni Hutu, ni Tutsi, ni Twa dans une perspective d'exclusion de l'autre.

c) Les préjugés ethniques ont toujours existé et existent partout dans le monde. À la limite, tout le monde se fout de l'existence des préjugé chez son voisin. Mais on ne peut rester indifférent quand des individus ou un groupe humain exploitent les préjugés pour éliminer physiquement l'autre ou l'exclure de la carte politique, économique et intellectuelle du pays.

(21)

Le drame rwandais interpelle l'élite politique, économique et intellectuelle du pays dont le rôle dans cette tragédie extrême a été comparé par les participants au pion dans le jeu d'échecs.

“Le pion, c'est une pièce dans le jeu d'échecs; il ne choisit jamais sa place. Son rôle réside dans l'indifférenciation, dans une totale disponibilité entre les mains du joueur. Ce dernier n'a pas à consulter le pion; il ne peut, le pion, accepter ni refuser. Seuls comptent le jeu et le joueur : on déplace et place le pion au gré du jeu et du joueur, peu importe où, quand, d'où.

Le pion est donc sans avis, sans opinion, privé d'initiative. À la limite, peut-on même parler de la disponibilité d'un pion ? Il ne représente qu'une pièce dans les conventions ludiques. Son rôle épuise son être : être là pour les besoins du jeu, voilà l'essence du pion.

C'est une essence aliénée, il va sans dire.”(1)

d) Le génocide perpétrée contre les Tutsi et les représailles à l'encontre des Hutu suspectés, à tort ou à raison, de complicité avec les auteurs du génocide ont sans doute modifié certains préjugés ethniques pour donner naissance à d'autres. À l'écoute des Rwandais, un bon nombre d'entre eux ressentent et expriment une inquiétude devant l'envahissement de l'extrémisme ethnique. Ce genre d'extrémisme entraîne souvent des perceptions erronées sur la menace (Hutu ou Tutsi) que représentent les gens de l'autre ethnie. Ces fausses per- ceptions, si elles sont mal gérées, peuvent inspirer des attitudes ou des pratiques discrimina- toires.

Les images véhiculées par les médias ne permettent pas toujours non plus une connaissance mutuelle, juste et bienveillante de ce qui relève de la réalité ou des préjugés.

L'existence des préjugés ethniques issus du cataclysme social de 1994 invite à la réflexion pour s'assurer que le pays évolue concrètement dans le respect des valeurs de base qui protégeront l'exercice des droits et libertés de chacun tout en étant à l'écoute de la souffrance de l'autre laissée par les événements tragiques vécus. C'est le sens du témoignage de Laurien Ntezimana dont le contenu est reproduit dans le texte qui suit.

2 HATEGEKA, Jean-Baptiste. Pions et roitelets in Phénoménalogie de la domination, Pallotti - Presse, 1986, pages 8 et 9.

(22)

À PROPOS DES PRÉJUGÉS

I ÉVOCATION DE L'ACTUEL

1. On observe actuellement au Rwanda une souffrance bloquée due aux préjugés

“ethniques, à savoir que les Hutu n'ont pas le droit de se plaindre. Ils ont pourtant des raisons d'être plaints : ils ont des morts à pleurer eux aussi, ils ont des leurs en exil ou en prison, on les assimile indistinctement à la catégorie de criminels présumés.

2. Certaines veuves sont mises dans des “cases de la mort” : les femmes Tutsi qui avaient des époux Hutu, les femmes qui avaient des époux Tutsi. Actuellement, ces veuves n'ont pas de groupe de référence, elles sont sans rien ni personne.

3. Des rescapé(e)s sont mis(e)s en demeure de prouver leur appartenance à l'“ethnie tutsi”, ce qu'ils font en s'impliquant, souvent à contrecoeur, dans la désignation de coupables présumés (udashija ntiyemerwaho kuba yararokotse).

II LA FORCE DU PRÉJUGÉ

1. Beaucoup d'entre nous prétendent qu'ils ont dépassé ce genre de préjugé. Il convient de toujours se méfier du préjugé ethnique, car il opère sournoisement : on a toujours peur du jugement d'autrui sur soi, et on l'exerce soi-même inconsciemment sur les autres. On doit donc demeurer vigilant, pour constater la dérive et la corriger constamment.

2. Les préjugés sont inévitables et menteurs à la fois; inévitables parce que leur ensemble constitue ce qu'on appelle “interprétation englobante”, ce système stabilisateur de l'être humain qui lui donne un monde habitable, une demeure où tout est rangé comme dans la cuisine d'une bonne ménagère. Chacun se promène dans le monde avec un filet de préjugés qui lui permet de pêcher dans l'océan des faits, les seuls qui confortent son équilibre et sa stabilité. Voilà pourquoi on dit, en sociologie, que “les faits sont faits”, c'est-à-dire lus à travers une grille (le filet) qui leur donne leur statut aux yeux de l'observant.

C'est en partie pour ça que des gens n'osent pas rentrer au Rwanda : ils ont connu une “fin du monde”, le seul monde habitable selon leurs préjugés.

III POUR ROMPRE SON FILET DE PRÉJUGÉS

C'est, en vérité, une opération dangereuse, car il s'agit de mettre en cause son équilibre et sa stabilité en sciant la branche sur laquelle on est assis ! C'est pourtant essentiel, car le vrai équilibre se trouve dans la marche et non dans la rigidité qui est signe de mort.

L'opération consiste à aller “à contre-pente”, c'est-à-dire à prendre le préjugé comme une invitation et aller y voir par soi-même. Il faut donc prendre son courage à deux mains et aller précisément et cela ou à celui-là qui te répugne ou te fait peur. Approcher ce ou celui qui inquiète, lui donner la parole et l'écouter.

Cela suppose d'avoir développé un “paratonnerre” qui évacue au fur et à mesure la tension qui provoque l'approche de l'inquiétant.

Rompre son filet de préjugés, c'est passer de l'englobante au laisser-aller primordial, c'est-à-dire accueillir le venant comme il vient, sans arrangement préalable.

(23)

Accueillir ? En présence de la singularité autre, baisser mes défenses, me laisser atteindre et transformer, pour me présenter à l'autre transformé par lui, et lui demander d'être accueilli tel que devenu, ce qui provoque des transformations en sa première singularité, transformations qui me poussent en d'autres transformations, ainsi de suite... mouvement en spirale.

Le maître-mot est donc “transformation”, traverser sans fin diverses formes au contact des autres, mourant aux anciennes pour en adopter de nouvelles dans le but “asymp- totique” de devenir enfin soi-même : un être dont la singularité coïncide avec l'ouverture universelle.

Ce qu'il convient de cultiver, par un travail constant sur soi, et qui est la condition de la malléabilité (ou de la mobilité), c'est la douceur, la tendreté, la jeunesse.”(1)

e) La différence ethnique est-elle un mythe ou une réalité ? Hutu, Tutsi et Twa sont-ils différents ? Dans quelle mesure ? Quelle est la part du mythe et celle de la réalité ? Comment devient-on Hutu, Tutsi ou Twa ? Existe-t-il une bannière infranchissable entre les Hutu, les Tutsi et les Twa ?

Quelle que soit la réponse apportée à ces questions, il faut sortir de cette fausse querelle identitaire dont le sommet de l'horreur a été atteint avec le génocide et les situations humaines extrêmes de 1994.

Il faut sortir de l'effet étiquette ethnique qui fait apparaître, en quelque sorte, le Hutu comme le négatif du Tutsi et vice-versa. Un regard très rapide sur le tableau synthèse des quelques préjugés ethniques retenus par les participants au Colloque permet de voir à quel type de caricature aboutit l'opposition Hutu/Tutsi.

Hutu Tutsi

Stabilité émotionnelle

brutes malins, astucieux

traditionalistes, etc.

Dominance

complexe d'infériorité

dociles

affirmation de soi

besoin de puissance

besoin de célébrité

goût du commandement

exploiteur, etc.

Qualités intellectuelles

sans esprit critique

mal élevés

incultes

fins, intelligents

bien élevés

ont de bonnes manières Autres stéréotypes

3 NTEZIMANA, Laurien du Sat-Butare, À propos des préjugés, Bamako, 24 août 1996.

(24)

avides de richesse qu'ils gagnent à la sueur de leur front

travailleurs

forts physiquement

fainéants

faibles physiquement

accumuler la richesse sans beaucoup d'efforts, etc.

On sait à quel point, dans presque toutes les couches de la société rwandaise et depuis les temps les plus reculés, le rôle de la famille est fondamentale dans la transmission des préjugés à travers les générations.

Tout l'environnement humain et spécialement l'école, les productions culturelles (histoires, contes pour enfants, mythes etc.) de même que les moyens de communication de masse (presse écrite et parlée) qui forment l'élite du pays, prennent souvent le relais de la famille pour orienter la future élite dirigeante dans ces voies sans issues que sont les préjugés ethniques. Ces derniers même s'ils sont dépassés dans la vie quotidienne de tout un chacun, figurent parfois en- core dans les manuels scolaires, les productions culturelles et de communication de masse.

Malheureusement, les images que se font les enfants sont inconsciemment souvent conformes aux manuels scolaires par exemple et non à la réalité de ce qu'ils vivent chez leurs parents qui est parfois différente.

Évidemment, toute la question est de savoir la valeur éducation de ce décalage.

(25)

1. THÈME DE LA JOURNÉE :

Les institutions en jeu dans les principales crises de gouvernance et leurs débordements ethniques.

Les représentations personnelles et collectives qui vont justifier la confiance accordée aux gens de l'autre ethnie et les intentions qu'on leur prête doivent être élargies à l'effet déterminant des institutions communes (exécutif, législatif, judiciaire) traditionnelles et modernes. Sans l'effet déterminant de ces institutions, l'implantation d'une idéologie ethniste ou raciale dans les crises de gouvernance avec débordements ethniques aurait peu de chances de réussir.

2. QUESTION SERVANT DE FIL CONDUCTEUR DE LA JOURNÉE :

Pourquoi le Rwanda est-il devenu un terrain favorable à l'idéologie ethniste/raciste dans les crises de gouvernance ?

3. RÉFLEXION-DÉBAT DU JOUR 2 :

L'effet des institutions sur la structuration du clivage ethnique au Rwanda.

En ce deuxième jour du Colloque nous avons eu le privilège d'assister en groupe à l'ouverture officielle par le Général de brigade Amadou Toumani Touré, la présidente de la FIAU Monique Mujawamariya et le Conseiller en relations internationales membre du CA de FIAU, Hassan Bâ, en présence de représentants du Corps diplomatique du Mali, d'ONG locales et d'ONG internationales. Leurs discours empreints de sérénité, de lucidité et d'espoir, ont su émouvoir l'assistance et élargir les réflexions du débat.

La presse locale couvrait l'événement c'est-à-dire la radio, la télévision, les journaux et les agences de presse internationales. Nous avons eu l'occasion de voir un de ces reportages à la télévision d'État et une revue de presse de la couverture médiatique sera complétée ultérieurement.

Les institutions en jeu dans l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance avec des débordements ethniques

SYNTHÈSE DU JOUR 2

(26)

Les facteurs externes en jeu dans le déclenchement des crises de gouvernance et leurs débordements ethniques

Les facteurs internes aux institutions

- le choix délibéré du pouvoir colonial des critères ethnistes dans le recrutement et la promotion au sein des institutions communes du pays (exécutif, législatif et judiciaire);

- la volonté politique affirmée du pouvoir colonial de ne pas faire accéder le Rwanda à une véritable démocratisation des institu- tions. Un des participants a annoncé au groupe qu'il était en possession d'un projet de démocratisation des institutions qui avait été élaboré mais que les Belges ont fait disparaître des documents de l'époque.

Ce document se trouve aujourd'hui en Allemagne;

- l'appui constant des forces extérieures à des régimes sans volonté politique de démocratisation des institutions;

- la substitution du concept de démocratie par la déculturation ou la création d'un vide culturel au sein de la société rwandaise;

Parmi les facteurs internes, le groupe cite notamment :

- la superstructure du pouvoir indéfinissable et incontrôlable, les institutions étaient alors une façade;

- le système en place, type d'oligarchie absolue, n'avait en tête que le modèle du roi;

- chaque pouvoir successif n'a trouvé de véritable justification que par la violence au détriment des populations;

- ces institutions paraissaient inadaptées par rapport à la mentalité du peuple rwandais qui restait de type monarchique.

On retrouve donc des institutions qui nient la valeur humaine, qui crée des catégories de sous-hommes.

On observe alors un pouvoir qui se considère comme absolu, qui refuse la société civile, où toutes les ONG sont récupérées par les détenteurs du pouvoir qui est monolithique, des politiques et coalitions.

(27)

Les objectifs de la légitimation institu- tionnelle des pratiques discriminatoires

Démarche chronologique de l'évolution des institutions vers des crises de gouvernance avec des débordements ethniques

Les objectifs :

- la “politique du ventre”, le pouvoir signifiant l'accès au valoir, à l'avoir et aux savoirs;

- massacres et génocide légitimaient le maintient du pouvoir :

- violations permanentes des droits de la personne humaine, clientélisme;

- exclusion de ceux qui n'appartiennent pas à ce cercle;

- impossibilité de cohabitation des Tutsi et des Hutu;

- système de parrainage mafieux (armée, akazu);

- utilisation systématique de l'arme de la diffamation pour éliminer les témoins gênants;

- maintenir la population dans l'insécurité physique et morale;

- pas d'autonomie et de séparation réelle du pouvoir.

- les régimes de 1959 à 1994 sont d'idéologie suprémaciste :

- la notion de légitimité est complexe;

1895 : Lutte fratricide entre deux clans dirigeants pour le contrôle du pouvoir royal avec élimination physique et systématique des présumés opposants à la nouvelle équipe dirigeante.

1920 : Imposition des travaux forcés à l'ensemble de la population suivie du départ en exil des Rwandais qui con- testaient ce système de corvées.

1931 : Première crise de gouvernance avec des débordements qui déboucha sur la monopolisation des institutions communes (exécutif, législatif et judiciaire) entre les mains d'une seule ethnie.

1934 : Institutionnalisation du clivage ethnique.

Attribution de l'ethnie à partir des critères physiques (taille, longueur du nez) et économiques (nombre de va- ches : 10 vaches et plus = Tutsi;

moins de 10 vaches = Hutu

Vulgarisation des théories ethniques et/ou raciales des ethnologues euro- péens.

(28)

- l'émergence d'une nouvelle classe politique n'ayant pas de caractère héréditaire c'est-à- dire en rupture avec la tradition de transmission héréditaire du pouvoir, du savoir et des richesses à travers les généra- tions;

- l'implantation d'une forme de démo- cratisation des institutions qui n'était pas adaptée à la réalité rwandaise et qui a bénéficié de l'appui de la communauté internationale et du monde des organi- sations non gouvernementales (ONG).

On assiste alors à la légalisation institutionnelle de la discrimination ethnique des institutions, l'interdiction des Tutsi dans les forces de sécu- rité, le port des cartes d'identité ethnique. On développe aussi l'esprit de clocher, minable, manipulable, le manque d'autocritique.

(29)

- la colonisation a eu des impacts dévasta- teurs sur la société rwandaise;

- à la fin des années 50, le roi était accepté mais les chefs étaient contestés;

- les Belges avaient instauré des travaux forcés qui ne plaisaient pas à la population.

1954 : Suppression de l'institution d'Ubuhake sans mécanisme de substitution.

Début d'une prise de conscience des Hutu des problèmes d'inégalités sociales entre les ethnies.

Début des revendications indé- pendantistes de l'élite Tutsi.

1959 : 1re crise de gouvernance avec des violences ethniques organisées.

1973 : Coup d'état militaire précédé des massacres ethniques organisé par l'élite dirigeantes.

1980 : Légalisation d'une pratique discri- minatoire appelée équilibre ethnique et régional au sein des institutions com- munes du pays.

1994 : Dernière crise de gouvernance ayant abouti au génocide d'une ethnie et aux massacres des opposants à l'élite dirigeante.

(30)

Conclusion sur l'effet des institutions du pays dans l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance avec des débordements ethniques.

a) Quiconque gagne régularise et légalise de nouvelles institutions mais les degrés d'inégalité d'accès aux institutions communes ainsi que les formes d'expression de ces inégalités varient peu d'une époque à l'autre. Voici quelques éléments qui sont considérés par les participants comme des invariants ou des constantes dans le fonctionnement des institutions rwandaises et qui ont un rôle à jouer dans l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance avec débordements ethniques :

- la force prime sur le droit c'est-à-dire que tout se passe comme si le pouvoir est au dessus du bien et du mal, que sa légitimité ne se discute pas et que ceux qui détiennent le pouvoir doivent se montrer aussi puissants que possible;

- les supérieurs sont inaccessibles c'est-à-dire que tout se passe comme si les su- bordonnés considèrent leurs supérieurs comme une catégorie de gens à part et que les détenteurs du pouvoir sont en droit d'avoir des privilèges;

- un conflit latent existe entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l'ont pas, c'est-à-dire que tout se passe comme si la meilleure façon d'accéder à la hiérarchie des institutions communes est de renverser ceux qui détiennent le pouvoir;

- la participation des personnes ou des groupes sociaux exclus du pouvoir est difficile à obtenir à cause de leur manque de confiance dans les institutions communes monopolisées par les proches ou alliés de l'équipe dirigeante.

b) Avec les crises de gouvernance ayant des débordements ethniques, il y a absence de continuité dans les institutions communes. C'est ainsi qu'autour des années 60, comme beaucoup d'autres pays africains, le Rwanda a été secoué par une revendication démocratique majeure qui a transformé les institutions communes et remplacé l'élite monoethnique qui avait monopolisé la carte politique, économique et intellectuelle du pays.

À cette occasion, le groupe ethnique majoritaire sur le plan démographique, en s'appuyant sur l'Église et l'État colonial, a redéfini l'ethnie comme une entité politique pertinente dans l'accès aux institutions communes du pays. Le cadre de référence de ces institutions communes n'était pas prioritairement l'égalité des chances et la redéfinition civique des rapports sociaux entre Rwandais d'ethnies différentes mais la promotion d'une nouvelle élite monoethnique au détriment de l'ancienne élite.

c) La culture de l'impunité, de la terreur et de l'impuissance est un des outils institutionnels qui ont marqué l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance avec des débordements ethniques.

Cette culture de l'impunité, de la terreur et de l'impuissance s'explique en partie par la perpétuation du modèle de monarque absolu, que les participants ont appelé “le modèle royal”, dans la gestion des institutions communes du pays.

Ce modèle de gestion des institutions communes du pays qui a marqué tous les régimes successifs se caractérise notamment par les éléments ci-après :

- les inégalités d'accès aux institutions communes se traduisent ultérieurement en inégalité de pouvoir et de richesse qui peuvent se transmettre à travers les générations.

Cet état de fait a été qualifié par les participants de “politique du ventre” dans la gestion des institutions communes;

(31)

- les subordonnés ont de forts besoins de dépendance vis-à-vis de leur supérieurs, ces derniers ont à leur tour de forts besoins de dépendance vis-à-vis leurs propres supérieurs. Cette situation de dépendance extrême a été qualifiée par les participants de

“système de parrainage mafieux” dans la gestion des institutions communes.

Cette culture de l'impunité, de la terreur et de l'impuissance s'explique également par des facteurs externes aux institutions propres à la société rwandaise. Un de ces facteurs déterminant a été sans conteste l'État colonial qui a créé ce que les participants ont qualifié de “déculturisation ou de vide culturel” en imposant de nouvelles institutions communes sans prendre suffisamment en considération les caractéristiques du milieu rwandais.

Cette déculturation ou vide culturel de la société rwandaise n'a pas favorisé l'émergence d'une organisation sociale privilégiant :

- une gestion du patrimoine commun qui mobilise et associe un maximum de personnes dans les institutions du pays;

- une gestion de partage et de mise en commun des privilèges, des gratifications et des profits liés à l'accès aux institutions communes du pays;

- une attitude de sensibilité envers la qualité de vie et le bien-être de tous les Rwandais quelle que soit leur appartenance familiale, régionale, ethnique;

- le recours à toutes les intelligences disponibles, en particulier celles des communautés de base, pour mieux faire face à la complexité des crises de gouvernance au Rwanda et leurs débordements ethniques.

Au contraire, le vide culturel créé par le contact avec la culture institutionnelle de l'État colonial a renforcé et perpétué la primauté de la force sur le droit c'est-à-dire la loi de la jungle qui s'est perpétuée à travers l'émergence d'une culture de l'impunité, de la terreur et de l'impuissance d'une population victime et otage de son élite. Dans cette primauté de la force sur le droit, qui gagne le pouvoir prend tout, celui qui le perd, perd tout, même sa vie.

d) Dans l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance avec des débordements ethniques les facteurs internes à l'organisation sociale renvoient, en fait, à des facteurs externes plus ou moins masqués au départ. Et c'est ainsi que, par exemple :

- la monopolisation des institutions communes par l'élite Tutsi a été rendue possible par l'idéologie suprémaciste des ethnologues européens sur l'existence au Rwanda d'une race de l'époque d'aristocrates Tutsi nés pour commander et d'une race inférieure de roturiers Hutu nés pour servir.

- la monopolisation des institutions communes par l'élite Hutu de l'époque post-coloniale a été rendue possible par l'idéologie suprémaciste des politicologues européens sur la démocratisation des institutions communes. Dans cette démocratisation des institutions, l'accès du peuple majoritaire Hutu (un homme, une voix) aux secteurs-clés de la vie nationale devait se faire au détriment des autres ethnies taxées de minoritaires.

Une analyse de l'articulation entre facteurs internes et facteurs externes des crises de gouvernance avec des débordements ethniques est de ce fait indispensable si l'on veut éviter de prendre les effets pour les causes. Cette analyse à double intérêt :

- permettre de repérer les aspects du fonctionnement des institutions du pays les plus sensibles aux phénomènes extérieurs;

- permettre une prise de conscience du changement possible à l'intérieur des institu- tions communes en voyant les limites éventuelles dues aux facteurs externes dans

(32)

l'évolution du Rwanda vers des crises de gouvernance avec des débordements ethni- ques.

(33)

1. THÈME DE LA JOURNÉE :

Les représentations issues de notre histoire personnelle et de la mémoire collective qui colorent ou déforment, à notre insu, notre façon d'agir, de penser et de ressentir à l'égard des autres ethnies.

Notre façon d'agir, de penser et de ressentir à l'égard des personnes d'un ethnie différente est souvent le reflet des expériences heureuses ou moins heureuses que nous avons vécues avec quelques membres de cette ethnie. Elle est aussi en partie déterminée par les croyances, mythes, contes pour enfants, histoires, etc. véhiculées par notre milieu d'appartenance à propos de cette ethnie et que nous avons intériorisés tout au long de notre éducation.

Les expériences personnelles de même que les acquis de la mémoire collective sont en grande partie à l'origine de la vision que nous avons de nous-mêmes et des autres perçus et/ou vécus comme différents en fonction de leur groupe d'appartenance (famille, ethnie, formation politique, etc.)

Cette vision de nous-mêmes et des autres a un effet déterminant sur nos sentiments d'ouverture ou de rigidité à l'égard de la diversité ethnique rwandaise.

2. QUESTIONS SERVANT DE FIL CONDUCTEUR DE LA JOURNÉE :

Pourquoi certains Rwandais développent plus que d'autres des sentiments d'ouverture (confiance, solidarité, amitié, amour, etc.) ou de destruction/rigidité (méfiance, anta- gonisme, doute, haine, etc.) à l'égard des autres ethnies ?

3. RÉFLEXION-DÉBAT DU JOUR 3 :

L'organisation et la conduite des crises de gouvernance avec des débordements ethniques.

Les principales crises de gouvernance avec des débordements ethniques

(34)

Le jour 3 était consacré aux réflexions-débats entourant les crises de gouvernance et leurs débordements ethniques. Dans la matinée, le groupe fut rassemblé en plénière afin de faire une mise au point sur le déroulement à ce jour des activités. Les participants ont été invités à faire part de leurs sentiments ou opinions sur des idées oubliées, des constats, et plusieurs ont profité de l'occasion pour s'exprimer. Comme de nombreux participants sont de l'extérieur du Rwanda, et que le ministre Charles Mwugande est disposé à le faire, l'animateur principal a demandé au groupe s'il souhaitait le rencontrer pour lui poser des questions sur divers sujets. Les partici- pants ont accepté cette démarche. La matinée fut donc consacrée au travail en ateliers. Après le déjeuner, le travail en plénière fut entrepris.

Les groupes ont identifié les principales crises de gouvernance et leurs débordements ethniques.

Deux principales ont été évoquées, la crise de 1959 et la crise plus récente aboutissant au génocide de 1994. Diverses interprétations furent fournies autour des faits connus, faits qui furent énumérés et analysés. Il faut également noter que des choses positives émergent des crises, notamment un nouvel accès à l'éducation, au pouvoir et aux ressources des Hutu avec la révolution de 1959 et la rentrée des réfugiés Tutsi au pays après 1994.

La journée fut suivie d'une visite au marché et un cocktail pour l'ensemble du groupe à la résidence de l'Ambassadeur des États-Unis au Mali et ancien Ambassadeur au Rwanda;

monsieur David Rawsen.

Synthèse des réflexions-débats

Dans les principales crises de gouvernance ayant connu des débordements ethniques, le jeu des acteurs évolue en fonction d'une certaine dynamique. Dans ce sens, tout crise de gouvernance avec des débordements ethniques peut être considérée comme un mouvement dans lequel des tactiques d'acteurs vont apparaître, des coalitions se former et se défaire, des positions changer et des ajustements se faire.

Le tableau qui va suivre donne quelques exemples de la dynamique des acteurs dans les principales crises de gouvernance qu'a connues le Rwanda depuis Rucunshu jusqu'à nos jours.

Rucunshu vient pour illustrer le cas d'une crise de gouvernance où les débordements touchaient une partie de l'élite appartenant à la même branche ethnique que la nouvelle équipe dirigeante.

SYNTHÈSE DU JOUR 3

Références

Documents relatifs

En France, il a aussi été démontré que, dans certains cas, le succès reproducteur des perdrix grises était densité-dépendant (Bro et al, 2003), en d’autres

Aux dires des propriétaires, les permis pour la récolte d'un cerf sans bois qui leur sont attribués peuvent vraiment avoir un impact sur les populations de cerfs dans les

Le sujet que je vais aborder ce matin est au cœur de l’agenda de la gestion publique en France, mais aussi dans l’ensemble des pays de l’OCDE : il s’agit de la gestion des

Ces consommateurs sont prêts à aller dans le magasin référençant ces produits, quitte à changer d’enseigne. Ainsi, la disponibilité de produits alimentaires

Même si comme on l’a déjà souligné, l’orientation très libérale des politiques préconisées par la Banque mondiale et le FMI est discu- table, cette notion de bonne

Professeur émérite d’histoire du droit médiéval et moderne de l’Università degli Studi, Milan; ancien Président de l’Istituto Lombardo, Académie des sciences et

geschlechtergerechte% Sprache% geht.% ;O)% Dort,% wo% ich% trotzdem% die% männliche%

Deux siècles auparavant, en 1502, les syndics rappel- lent, dans des termes tout à fait analogues, à la Communauté rassemblée lors du Conseil général qui vient de les élire