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LE RIRE DE LA NAÏADE

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DU MEME AUTEUR

Aux Editions Bernard Grasset : LE PERROQUET VERT, roman.

CATHERINE-PARIS, roman.

LES HUIT PARADIS, ouvrage couronné par l'Acadé- mie française.

QUATRE PORTRAITS.

NOBLESSE DE ROBE, essai.

ÉGALITÉ, roman.

Chez d'autres Editeurs : ALEXANDRE ASIATIQUE.

ISVOR, LE PAYS DES SAULES.

Au BAL AVEC MARCEL PROUST.

JOUR D'EGYPTE.

CROISADE POUR L'ANÉMONE (Lettres de Terre-Sainte).

LE DESTIN DE LORD THOMSON OF CARDINGTON (Pré- face de J. Ramsay MacDonald, premier ministre d'Angleterre).

LETTRES DE FONTAINEBLEAU ET DE WINDSOR.

UNE FILLE INCONNUE DE NAPOLÉON.

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PRINCESSE BIBESCO

LE RIRE LA NAÏADE DE

ÉDITIONS BERNARD GRASSET

61, RUE DES SAINTS-PÈRES, VI

PARIS

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris la Russie.

Copyright by Éditions Bernard Grasset 1935.

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PREMIÈRE PARTIE CINQ CONTES

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LE RIRE DE LA NAÏADE

Je veux que vous mettiez de l'enfance partout. '

Louis XIV.

u

N bon vent, un vent contraire, soufflait en songe sur mes projets. Non, je n'irai pas à Versailles. La ravissante journée de givre finira sans que j'aie retrouvé mon enfance, à laquelle je donne rendez-vous, chaque année, devant le parterre d'Eau qui mène aux Marmousets, sitôt qu'il gèle. Je n'entendrai plus le rire de la naïade.

Le dernier train était en fuite : une grève de taxis mettait Paris dans une bouteille, et ma voiture venait de m'être confisquée pour des raisons de police, dont quelques-unes étaient si drôles que j'en riais dans mon rêve.

— Monsieur l'agent, votre procès-verbal ferait la fortune d'un fabricant de chansons!...

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Vous dites que c'est la déposition du sieur Mangebois, mon chauffeur, que vous avez consignée par écrit? C'est un humoriste. « A onze heures de relevée, j'ai renversé la veuve Dufoux, à l'angle de la rue la Boétie. » Elle n'a eu, Dieu soit loué, aucun mal...

« La veuve Dufoux descendait du trottoir à une vive allure, l'automobile allait au pas. »

Tout ce que faisait cette veuve avait l'air d'être fait par une voiture; inversement, la machine agissait comme une personne. J'ai ri, mais j'ai eu tort. Pleurons plutôt, car tout conspire contre moi. Je n'irai pas à Versailles;

les beaux frimas passeront; je n'entendrai plus la naïade...

C'était un jeu que j'avais inventé, à douze ans, quand je vivais en mythologie. On me faisait travailler sans pitié : l'histoire, le caté- chisme, le paganisme, tout ce qu'on enseigne de contradictoire aux pauvres enfants. On m'apprenait Jésus, en même temps que les dieux; puis, j'allais les voir, à Versailles. Un dimanche, et un matin, après la messe, en passant le long du parterre du Midi, j'avais ramassé un caillou blanc. C'était un de ces cailloux magiques dont les Anciens mar-

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quaient leurs jours heureux. Un soleil rose brillait sur un Olympe tout en sucre, en verre filé, en miroirs dépolis, bordés d'hermine.

L'air était vif, léger. Je ne me sentais pas sage.

Une fois cette pierre dans ma main, oubliant toute retenue, je me penchai comme font les voyous, quand, les jambes écartées, clignant d'un œil, ils vont réussir un ricochet. Et je lançai mon caillou, à toute volée, pour essayer la glace.

Miracle! Un long rire délicieux, frais et perlé comme une roulade d'oiseau, courut sur le bassin gelé, répété par mille échos : j'avais obtenu de ce miroir muet qu'il répondît à mon besoin de m'amuser. Ma gouvernante me gronda. L'attitude où l'on m'avait vue n'était pas convenable pour une fille de douze ans;

un gardien pouvait passer; il me dresserait contravention, on m'emménerait au poste.

Mais je m'en moquais. A l'aide de mon caillou blanc j'avais réveillé la naïade. Elle gisait endormie sous ces eaux peu profondes, enro- bée de glace. Je l'avais fait rire. Je susciterais à nouveau sa gaîté chaque fois que je le vou- drais, à condition que le temps fût ce qu'il était alors : une journée de gel léger, et que

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mon âme, aussi légère que le givre, demeurât éprise de mythologie.

En cet instant de mon rêve, je ne savais qu'une chose : je voulais recommencer mon enfance, retourner à Versailles, pour faire rire la naïade, et j'en étais empêchée.

Circonstances adverses, je vous adore ! C'est vous qui créez les belles histoires. Sans vous, pas d'Iliade, encore moins d'Odyssée. Mais il faut, pour se bien servir de vous, ne jamais se soumettre, et ignorer jusqu'au nom de la résignation, ô contrariantes!

— A Versailles! A Versailles! pensais-je, sur l'air des lampions, comme je tournais le coin du boulevard Saint-Michel, dont les arbres étaient blancs de givre.

Un homme d'une trentaine d'années pas- sait en ce moment les grilles de l'hôtel de Cluny, conduisant sa voiture. Un régiment qui défilait sur le boulevard présenta les armes. J'en fus surprise. L'homme était vêtu comme un civil. Il ne portait que la barbe, et pas de décorations. Il frôla le trottoir où j'étais arrêtée et me jeta un regard sévère. Je lui répondis par un regard éloquent : « C'est

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vous le seul homme qui, dans cette ville muette — disait ce regard — et dans cette solitude d'un jour de grève, possédiez une automobile. Menez-moi, je vous prie, à Ver- sailles, parce qu'il gèle aujourd'hui et qu'il dégèlera demain... »

A ma grande confusion, il entendit ce re- gard et s'arrêta net. Aussitôt, je baissai les yeux. Non, je n'avais rien dit. Lui fit sem- blant de ne s'être pas arrêté. Il pressa la pé- dale, et la voiture repartit. Alors, je me mis à courir derrière lui, follement, sans espoir, comme on court dans les rêves. Il se retourna et me vit, courant. J'en eus honte; je m'ar- rêtai : il s'était arrêté aussi. Alors, je cessai de feindre.

— Tant pis, lui dis-je, tout essoufflée, vou- lez-vous, monsieur, me conduire à Versailles?

Ma voiture a renversé la veuve Dufoux, ou plutôt c'est elle qui... Enfin, je vous expli- querai cela. La grève des transports... et jus- tement le dernier train... La naïade...

— Montez, me dit-il, en m'interrompant.

Et je crus voir qu'il souriait un peu, dans sa barbe.

Il poussa l'accélérateur. L'espace était à

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nous, à cause de la grève. Nous échangeâmes quelques propos sur le charme de Paris, qu'augmentait l'absence de voitures. Je crus m'apercevoir qu'il aimait la ville avec pas- sion, avec exagération même. — « Un étran- ger », pensai-je.

Pour paraître ne pas m'apercevoir qu'il ignorait les environs, car il s'était trompé de route, à la hauteur du pont de Sèvres, je me bornai à lui dire :

— A gauche, à droite, droit devant vous...

Arrêtez !

Nous étions arrivés à Versailles du côté de la chapelle, devant la voûte aux courants d'air qui donne accès, de biais, à la grande terrasse. Emerveillé, mon compagnon s'ar- rêta sur cette espèce de plage, où sont les dieux visibles. Je crus comprendre que ce spec- tacle s'offrait à sa vue pour la première fois.

— Monsieur, lui dis-je, puisque vous avez eu l'obligeance de me conduire ici sans me demander la moindre explication, je me sens le devoir de vous les donner toutes. Peut-être ne connaissez-vous pas Versailles?

— Du tout, me répondit-il avec un léger accent du Midi.

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— Un provincial, pensai-je, peut-être un roi... Il me semblait avoir déjà vu sa tête sur des monnaies, sur des timbres... Sans doute un roi chômeur; il y en a tant!

Nous fîmes halte en haut du grand escalier d'où l'on découvre, d'un seul regard, le bassin de Latone, le Tapis vert, le bassin d'Apollon et le Grand Canal.

La lune, une lune immense d'hiver, cou- leur de pêche, se levait du côté où, d'habitude, on voit se coucher le soleil, à contre-temps.

Mais dès la minute où j'avais agi avec extra- vagance, en arrêtant cet étranger dans la rue, en lui adressant la parole, en montant dans sa voiture, puisque j'avais fait une chose de l'autre monde, j'étais dans l'autre monde; et je m'y promenais sans crainte. A mesure que nous avancions dans ces jardins lunaires, que pourtant la lumière du jour n'avait pas encore quittés, mon compagnon perdait son sang- froid. Il riait de bonheur; il levait les mains vers les marbres; il les embrassait, les inter- pellait; ses gestes désignaient, tour à tour, le ciel et les statues. Il me les nommait toutes.

Je les nommais après lui.

— Oui, lui dis-je, ce bassin est bien celui

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de Latone, mère du Roi Soleil. Entendez la reine Anne. Vous la voyez ici, à genoux, im- plorant la justice de Jupiter et serrant dans ses bras, en régente du ciel, son jeune fils, l'enfant royal, menacé dans son sommeil par les frondeurs, les fauteurs de trouble.

— Ces stupides paysans de Lycie, murmura mon compagnon devenu songeur.

— Aussi les voyons-nous punis pour leur sottise, de cette même plaie qui frappa l'Egypte : les voilà changés en grenouilles.

Ils vivront dans leurs mares infectes... et leur seule occupation sera d'en sortir pour accla- mer, de leurs voix coassantes, le fils de Latone, quand il se lèvera chaque matin, après s'être couché, chaque soir, dans sa pourpre...

— C'est, en effet, à l'acclamation que sont condamnés les peuples serviles, dit mon com- pagnon barbu en caressant un peu sa barbe.

Je l'entraînai vers le parterre d'Eau. Je voulais retrouver la naïade, réveiller son rire endormi. En passant, nous saluâmes, le long du mur de verdure, Antinoüs et la Vénus Pudique, accompagnée d'une tortue. Cela signifie que les femmes sages doivent demeu- rer dans leur maison.

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— Je ne veux pas vous montrer ce que les gardiens montreraient à un étranger... J'ai des amis à Versailles, j'ai des secrets.

Et je le conduisis d'abord à la fontaine de Diane, au lieu nommé anciennement le Point- du-Jour.

— Voici, lui dis-je, en l'amenant devant l'une des trois statues, celle que mon cœur aime, la déesse de l'Air. Cette jeune divinité fut longtemps méconnue. J'éprouve pour elle une dévotion spéciale. Voyez sa beauté. Elle est prête à s'envoler dans sa robe de nuages.

L'aigle, le roi des airs, le chien ailé de Jupiter, la défie de l'œil; elle tient dans sa main un caméléon. Des guides imbéciles ont raconté à des touristes, qui ne l'étaient pas moins, que cet animal passait dans l'antiquité pour ne se nourrir que d'air; et ils citent à l'appui de leur dire Pline l'Ancien et M de Scudéry. Mais c'est à l'arc-en-ciel qu'il faut penser. Le camé- léon, comme l'air, prend toutes les couleurs qu'il plaît au soleil de lui donner. Et c'est pourquoi cette fille divine, en le tenant dans sa main, tient le prisme solaire. Tout n'est que mythe delphique à Versailles, comme vous le voyez, monsieur.

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— Qui vous a si bien initiée? dit l'inconnu.

Je crus qu'il se moquait :

— Viaud (Jeanne), prêtresse, née à Bor- deaux, qui passa son brevet supérieur à Paris, en l'an 93 du dernier siècle. Aussi, monsieur mon oncle, l'entêté du Quartier Latin. Et surtout les dieux, Protée, en particulier, ber- ger de la mer, qui prend toutes les formes.

Justement, le voici. Il est de Bouchardon...

Nous étions arrivés près du bassin de Nep- tune. Mon inconnu se perdit dans une con- templation si profonde, devant le maître des mers et sa blanche épouse, moissonneuse de corail, qu'il me fallut siffler pour l'en faire sortir. Après l'avoir ramené à lui, en imitant le merle :

— Monsieur, lui dis-je, ces grandes ma- chines sont fort belles et j'aime, comme vous, les naumachies. Mais il est à Versailles des dieux moins évidents, de charmants demi- dieux, qui n'en sont que plus dignes de notre dévotion entière. Connaissez-vous Cyparisse?

Je l'entraînai alors vers l'autel du jeune favori d'Apollon, celui qui blessa mortelle- ment, par inadvertance, dans les brouillards du soir, sa biche préférée. La douleur l'ayant

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rendu fou, il se donna la mort. Mais Apollon survint qui changea Cyparisse en cyprès.

— Notre père le Soleil, commença de réciter mon compagnon, donne à qui lui plaît la vie éternelle.

— Voyez, lui dis-je, si ce sculpteur de Paris, Anselme Flament, connaissait bien les Méta- morphoses! Il montre le meurtrier caressant sa victime. La biche le regarde. Le chasseur passe à sa charmante un collier de roses, de cette même main qui va tantôt l'assassiner.

« On tue toujours ce qu'on aime », a dit un poète barbare, qui s'y connaissait.

— Et plus loin, on le mange, remarqua mon compagnon.

Nous venions de nous arrêter devant une statue d'Art émise, la reine passionnée d'Ica- rie, coupe en main, prête à boire le breuvage où furent dissoutes les cendres de son époux Mausole.

— C'est sa dernière communion, dit l'étran- ger, d'une voix dont l'ironie me fit tressaillir.

— Quel est ce saint Antoine ou, plutôt, est-ce saint Christophe? demanda-t-il un peu plus loin, en contemplant le vieux faune por- tant le dieu enfant sur son épaule.

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— C'est Silène et Bacchus, monsieur l'Iro- niste, ou, plutôt, le petit roi monté sur le dos du grand cardinal.

Nous étions arrivés devant le bassin du Dragon.

— Je vous présente au serpent Python, lui dis-je, dont Apollon fut vainqueur, avec l'aide des dauphins et de ces petits enfants que vous voyez, montés sur des cygnes. Ce monstre, dans l'esprit de celui qui régnait ici, figure la plèbe, la rébellion de la populace, la multiplicité des pouvoirs, tout ce que ce roi abhorrait. Par contre, il aimait les enfants. Il a recommandé à Mansart, son architecte, de

« mettre de l'enfance partout », à Versailles.

Aussi, voyez ce pauvre Python : serré de près par les dauphins, le monstre se précipite au combat, toutes griffes dehors, la gueule ou- verte. Mais les enfants, alliés naturels du roi, chevauchant les cygnes, dardent vers la bête les flèches de leurs arcs bandés.

L'inconnu parut réfléchir profondément.

— Menez-moi, dit-il, vers ces Termes qui font cercle, là-bas, au rond-point des allées.

Nous y allâmes. On eût dit, à présent, que c'était lui qui me conduisait. Il s'approcha

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d'eux et baisa sur la joue, l'un après l'autre, ces graves personnages à la barbe bouclée. Il les appelait par leur petit nom :

— Mon père Isocrate, toi qui formas Dé- mosthène! Mon père Apollonius, venu de Col- chis pour être le précepteur de l'oncle de Marc-Aurèle.

S'approchant de l'avant-dernier Terme, il lui caressa le menton, l'appelant son cher Lysias, son vieux Lysias, son bon ami Lysias, le seul des Athéniens qui se fût offert pour défendre Socrate.

Puis, continuant ses visites, et les manifes- tations de son amitié, il m'entraîna jusqu'au cinquième de ces Termes et me présenta le subtil Ulysse que je n'avais pas reconnu, à cause de la mousse masquant à demi son vi- sage. Le malin roi d'Ithaque est représenté une fleur à la main. Mon compagnon me la nomma : « Mercure avait fait présent à ce héros d'une fleur blanche, dont la racine est noire, et que les dieux appellent Moly. Gardé contre toute sorte d'enchantements par cette plante, muni d'avertissements célestes, il entre dans la demeure de Circé... »

— Une fleur suffit pour la fidélité, répondis-

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je, mais il faut savoir la reconnaître parmi les autres.

Nous remontâmes l'allée Royale, dans la direction du château. Mon compagnon avait l'air tout joyeux, nommant chaque divinité, lui donnant d'abord son nom grec, puis son nom latin. Et je les répétais en français. Cela faisait beaucoup d'échos dans ces jardins.

Nous étions arrivés au bas du Tapis vert, devant l'Achille à Scyros, de Philibert Vigier : le héros, adolescent, est prisonnier de sa mère, au fond du gynécée; elle l'a vêtu d'une tuni- que de jeune fille, pour le soustraire aux com- bats.

— Il ressemble si bien à une femme, lui dis-je, qu'un antimilitariste notoire l'a pris pour une jeune Bellone. D'autant que le sculp- teur l'a représenté tirant son glaive du four- reau et s'appuyant à un petit meuble aux tiroirs ouverts, d'où s'échappent à flots rubans et galons. La guerre, entretenue par la passe- menterie. Vous voyez quel beau thème de réunion publique!

C'est au pied de ce jeune guerrier équivoque que nous nous trouvions quand passa la ronde de nuit : deux hommes armés d'une lanterne,

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d'anciens militaires, médaillés tous deux.

Mon compagnon rendit gravement leur sa- lut. Quand ils furent passés :

— J'ai déjà vu ces hommes en campagne, remarqua-t-il. Je crois me souvenir qu'ils étaient à Strasbourg quand j'y entrai, en 57...

Fantassins, cavaliers ? Je ne me souviens plus...

Il passa la main sur son front.

— Monsieur, lui dis-je, n'y tenant plus, voulez-vous me rappeler votre nom?

— Général Julien.

Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt!

Gouverneur militaire de Paris; commandant des armées; entré vainqueur à Strasbourg; à vingt-huit ans, maître des Gaules, ayant refusé de renvoyer ses légions, et passant de préférence ses hivers à Paris, dans sa chère Lutèce, avec résidence générale à Cluny!

C'était bien lui : Flavius Claudius Julianus, l'Apostat!

Nous étions arrivés au lieu dit la Colonnade, où se trouve l'autel de la fille Cérès. Il consi- déra longuement Proserpine dans les bras de Pluton Ravisseur.

— Par Jupiter, dit-il, il n'en manque pas un; tous mes dieux sont ici.

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Il se prosterna. Pendant qu'il était en prière, je regardais autour de moi et vis un caillou blanc qui brillait sous la lune comme un morceau de phosphore. A peine l'eussé-je lancé sur le bassin gelé que Julien se releva.

La naïade avait ri, et il l'avait entendue. Il me rejoignit en courant au bord du parterre d'Eau.

— Enfin, chez qui sommes-nous? me de- manda-t-il. Qui donc les a ramenés? Qui a vaincu pour moi?

— Le Roi Très-Chrétien, répondis-je. Vous eûtes tort, Julien, de ne pas croire jusqu'au bout à la Résurrection. Vous le voyez, les dieux eux-mêmes sont ressuscités. Il n'était que d'attendre.

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LA TURQUOISE

Amants, heureux amants...

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau Toujours divers, toujours nouveau...

LA FONTAINE.

É

NIDE, femme de lord Thame, gouver- neur de Séringapatam, possédait une pierre bleue d'une grande valeur mo- rale; aussi ne la quittait-elle jamais, ni pour dormir, ni même pour aller au bain. C'était une pierre vraiment bleue, une turquoise vi- vante.

Énide l'avait acquise en Perse, où la cou- leur céleste est portée aux nues; on l'y trouve peinte sur les plus hautes tours, et dans les bassins où les poissons rouges nagent dans le bleu; c'est la couleur du temps qui ne change pas et de l'amour invariablement fidèle.

Chez les Persans, peuple superstitieux, une turquoise n'est estimée que tant qu'elle reste

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bleue, une femme tant qu'elle est jeune : aimer et estimer sont un même mot. Le pays n'en contient pas moins foule de houris sur le retour, voire revenues, et les marchands de pierres fines ont coutume d'exercer leur commerce dans des bazars plus noirs que des fours, aux lueurs menteuses des chandelles : la nuit, toutes les turquoises sont bleues.

Ceux qui vendent ces pierres changeantes ont l'habitude d'affirmer à ceux qui les achè- tent qu'elles sont tombées du ciel, et qu'en elles résident les chances d'amour des hom- mes, longues ou brèves.

Le rusé compère qui vendit à Énide sa part de bonheur lui avait dit : « Achète-la, si tu veux être toujours aimée. Elle est bleue comme l'œil du lièvre, bleue comme la langue du perroquet, bleue comme l'étoile du matin ! Elle ne changera de couleur que si l'amour de Médjoûn changeait pour Léïla. »

En Perse, on ne raconte aux enfants qu'une seule histoire d'amour, toujours la même : celle de Médjoûn et de Léïla. Ils sont les amants célèbres de l'Orient, parce qu'ils se sont aimés un jour, et puis toujours. A ces peuples infidèles, le miracle parut si

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grand, l'amour éternel une invention telle- ment admirable que, depuis, tout le monde en parle sans que personne l'ait jamais revu.

La veille du jour qui suivit son mariage, Enide avait dit à Lord Thame, son époux, en lui montrant sa pierre bleue : « Mon amour, ceci est un talisman. Si jamais vous cessiez de m'aimer, ou si je vous aimais moins, cette pierre, aussitôt, changerait de couleur : elle deviendrait verte et elle mour- rait. »

Or, son mari, en regardant attentivement le joyau, vit que la pierre n'était déjà plus tout à fait bleue. Mais il se garda bien de le dire...

Énide et son mari s'étaient épousés contre vents et marées, chacun pour soi, et Dieu pour tous ceux qui voulurent les en empêcher.

La première fois qu'ils s'étaient rencontrés, c'était dans un jardin de Téhéran, chez Sir John 0' Kelly, ministre d'Angleterre en Perse, oncle d'Énide. Tout devait les séparer et d'abord leurs itinéraires : Lord Thame reve-

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ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 12 SEPTEMBRE 1935 PAR L'IMPRIMERIE FLOCH A MAYENNE (FRANCE) SUR VÉLIN EDITA DES PAPETERIES PRIOUX

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