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DU MEME AUTEUR Chez le même éditeur : La femme algérienne, (épuisé).

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les algériennes

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DU MEME AUTEUR Chez le même éditeur : La femme algérienne, 1964. (épuisé).

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fadéla m'rabet

les algériennes

FRANÇOIS MASPERO 1, place Paul Painlevé - V PARIS 1967

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« Sans la société des hommes, les femmes se fanent, sans la so- ciété des femmes, les hommes s'abêtissent. »

Tchekhov

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© 1967 Librairie François Maspero Tous droits de traduction réservés pour tous pays.

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« Chez nous, l'intellectuel est un sus- pect accusé d'être tendancieux ou héréti- que, dès qu'il quitte les sentiers battus. » M. El Husseini Trois ans ne suffisent pas (même s'il y a un cer- tain dégel, même si quelque chose semble devoir se faire) pour que se modifie, de façon sensible, la condition féminine : cinquante ans après la révo- lution d' Octobre, il arrive, en Ouzbekistan, qu'on découvre (et qu'on sanctionne, bien sûr !) un res- ponsable du parti, bigame... On peut donc se de- mander pourquoi un nouveau livre sur la femme al- gérienne.

A vrai dire, c'est la question inverse qui devrait se poser : après les remous que suscita le premier et les critiques sensées que, parmi beaucoup de délire, il souleva, on pouvait espérer que d'autres — sociologues, économistes, juristes... — s'efforce- raient de mieux saisir la réalité, et en donneraient une vision plus « scientifique ».

Force est de constater qu'il n'en est rien et que, comme le déplore l'écrivain palestinien Moussa El Husseini, « les intellectuels ne prennent pas une part effective à l'édification de notre présent. Il n' existe pas chez nous d'auteurs qui se consacrent à l' étude de nos différents problèmes, rédigent leurs opinions et les transmettent à ceux qui viennent après eux, de façon à constituer ainsi un héritage scientifique dans chacun des domaines de la vie...

Nous n' avons pas de congrès qui étudient des ty- pes bien définis de problèmes et invitent les gens d 'expérience et de science à en discuter. Il n'exis- 1 Fadéla M'Rabet, La femme algérienne, Maspero, 1964.

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te pas chez nous de sociétés de pensée qui illustrent une pensée déterminée et s'en fassent les apôtres ».

On ne discute pas rationnellement, on ne se place pas dans une perspective objective ; trop souvent, on refuse de discuter, on nie même qu'il y ait problème, et on le nie magiquement : de temps à autre, Le harem et les cousins, de G. Tillon, ou La femme algérienne disparaissent des librairies — on a épuisé... la question.

Ou bien on se contente de slogans (socialisme = émancipation de la femme), d'affirmations qu'on ne prend pas la peine d'expliquer, encore moins de démontrer (« La nouvelle société... ne peut se faire que dans le cadre de nos traditions arabo-islami- ques » on abuse de l'impératif et du futur (« La femme travailleuse doit avoir la place qui lui re- vient... Les femmes seront ainsi appelées dans le circuit économique... Elles ne doivent rencontrer aucune difficulté » on confond le réel et l'ima- ginaire (« La famille algérienne moderne... permet à la femme de concilier sa vie sociale et sa vie de mère de famille avec une harmonie toute nou- velle » — ou, faute de mieux, on donne dans l'in- vective (« sa grand-mère était-elle frigide ? »

Si bien que, depuis trois ans, il ne me semble pas qu'au niveau de la définition des concepts, de l'élu- cidation des objectifs à atteindre, et des moyens à employer, il y ait eu progrès.

Les notions d'évolution, d'émancipation fémi- nine restent toujours aussi confuses et passionnelles,

2 « La crise de la pensée arabe », cité in Anthologie de la littérature arabe contemporaine, Le Seuil, t. 2, p. 185.

3 Le Seuil, 1966.

Résolutions du 1 congrès de l'U.N.F.A. (Union Natio- nale des Femmes Algériennes), novembre 1966.

5 Id.

Révolution Africaine, 18 novembre 1966.

7 H. Tidjani, critique de La femme algérienne, in At Tahdhib al Islami, n° 9, 1966.

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à ras de terre ou de genou : mini-jupe ou double voile, cheveux longs ou cheveux courts, fumer ou ne pas fumer, l'Orient ou l'Occident — petits détails ineptes et grands mots creux mobilisent notre ré- flexion.

« De quoi discutons-nous ? demande J. E. Ben- cheikh, professeur à la Faculté des Lettres d'Alger.

Une fois par an, parfois deux, nous sommes con- viés à de passionnantes controverses autour d'une cigarette, d'un verre de vin, de la tenue des jeunes filles ou de l' inauguration d'une mosquée ».

Il n'y a pas longtemps, un enseignant a manqué

« s'évanouir », en voyant une élève fumer avec un garçon : et, les joues en feu, de rapporter la chose comme une grivoiserie — et un argument décisif contre la mixité ! Tout récemment encore, des femmes chargées de responsabilités ont réclamé — comme mesure progressiste, comme pour mieux in- sérer la travailleuse dans la production — 14 se- maines de congé de maternité, et des emplois à mi-temps !

Ainsi, on parle à tort et à travers, on parle contre (la culture étrangère, la mode occidentale), on par- le pour (un « retour aux sources », la « fidélité au message des morts »), mais jamais on n'expli- cite ses propos, jamais on ne les fonde en raison et finalement, dans cette cacophonie, personne ne s'entend ni ne sait, au juste, ce qu'il dit :

« Nous sommes dans l'embarras, écrit El Hus- seini, ne sachant où nous diriger. Nous ressemblons à un homme qui quitte son domicile au matin, sans avoir la moindre idée de ce qu'il veut faire ; voyant plusieurs chemins s'offrir à lui, il se préci- pite dans l'un d'eux, sans bien savoir où cela le mènera... En d'autres termes : nous habitons des

Révolution Africaine, 18 décembre 1965.

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cités dont les rues ne portent pas de noms, ni les maisons, de numéros »

Il est donc urgent d'en donner — de revenir aux réalités telles qu'elles sont, pour nous y re- trouver et prendre la mesure, enfin, des vrais problèmes.

Mais les positions sont tellement faussées, si grande est la confusion idéologique, si épaisse la couche de pseudo-évidences qu'on répand à des- sein, qu'il faut d'abord crever les baudruches, et dé- noncer les mystificateurs.

Ces nuages dissipés, on sera mieux à même de préciser, en tenant compte des faits qu'ont révélés des avocats, des psychiatres, des médecins, la si- tuation de la femme algérienne ; et comme « il n'y a rien de définitif, d'absolu et que tout chan- ge », on dégagera, en terminant, les tendances vers un mieux : dans un domaine au moins, si fragiles soient-elles, elles existent.

Ainsi y verrons-nous peut-être plus clair — et c'est précisément l'objet de ce dossier : en s'ap- puyant sur des faits, des chiffres, des articles de journaux, en citant des réactions et des réflexions, il se propose de contribuer à élucider une situation, à poser ses problèmes en termes de raison, pour que, « ayant établi le plan de nos villes, il nous soit possible de connaître, avant de quitter nos logis, la rue et le bâtiment vers lesquels nous nous dirige- rons ».

9 Op. cité, p. 184.

10 El Husseini, op. cité, p. 184.

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I

« Je crains la façon dont vous répartirez le butin. »

Le Prophète

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En accord avec nos traditions..., dans le respect de la personnalité algérienne..., et dans un cadre arabo-islamique... : c'est dans cette perspective qu'on situe, de plus en plus souvent, l'évolution de la femme en Algérie.

Mais qu'est-ce que cela signifie ? Essayons de comprendre.

C'est, à vrai dire, moins simple qu'il n'y paraît : si l'on répète à l'envi que la femme algérienne doit évoluer conformément à nos traditions, on n'a ja- mais expliqué ce qu'on entend par là ; en vain ai-je cherché dans les discours, les textes officiels et officieux, les journaux, une recension de ces tra- ditions ; je n'ai trouvé que du... Molière (malgré lui) : à la façon d'Orgon (tradition coloniale, pour sûr ; on est en pleine tartufferie, et Tartuffe,

« c'est un homme... qui... ah !... un homme... un homme enfin »), un prêchi-prêcheur déclare,

dans Révolution Africaine 1bis :

« Nos problèmes sont compliqués, mais leurs données sont claires... la jeunesse algérienne de- meure attachée à la bonne tradition, tout en extir- pant les mauvaises coutumes, les mauvaises tra- ditions... Elle ne confond pas... le traditionnalisme traditionnel et le traditionnalisme colonial ».

1 8 septembre 1966.

1bis A l'intention d'éventuels lecteurs européens, je pré- cise qu'il y a une différence fondamentale entre l'arabo-isla- misme et l'arabisme : autant la première expression peut être employée dans une perspective réactionnaire, autant la seconde exprime la revendication de liberté et de di- gnité des peuples arabes, face au racisme et à l'impéria- lisme de l'Occident capitaliste.

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Elle a bien de la chance ; mais qui n'a pas sa perspicacité est bien obligé, pour comprendre ce que tradition veut dire, d'observer ce qui se fait, chez nous, d'arrière-grand-père en arrière-grand- père, d'arrière-arrière-grand-père en grand-père de grand-père en père, de père en fils — et en fille.

Il est de tradition, par exemple, de la marier très jeune : dès 2-3 ans, autrefois, elle était déjà pro- mise ; et « lorsqu'il a été question (dans les codes civils modernes) de fixer un âge au-dessous duquel le mariage ne serait pas permis, il n'a pas été pos- sible de trouver, dans la doctrine d'un rite (mu- sulman) quelconque une opinion suffisamment autorisée, pour qu'on puisse y appuyer une telle réforme. Tous les rites, en effet, autorisent le ma- riage des mineurs, même des nourrissons »

2 « A la fin du IX siècle..., quatre grandes écoles (musul- manes) de jurisprudence étaient constituées. Elles existent toujours :

— Les Malékites (au Maghreb et en Afrique noire) sui- vent Malik ben Anas, mort à Médine à la fin du VIII siè- cle...

— Les Hanéfites suivent l'Iranien Abou Hanifa, fixé en Irak et mort à la fin du VIII siècle. C'est l'école la plus

« ouverte »... Officielle sous l'empire ottoman, elle persiste en Turquie, au Pakistan et en Chine.

— Les Shâfi'ites (Egypte, Yémen, Inde, Indonésie) sui- vent l'Arabe Ash-Shâfi'i, mort en Egypte au début du IX siècle...

— Les Hanbalites (réduits à l'Arabie saoudienne) se ré- clament du grand Ibn Hanbal, Arabe mort à Bagdad au mi- lieu du IX siècle. Rigoristes, ils rejettent toute innova- tion et demandent l'application stricte de la loi...

Il est bien entendu que ces quatre écoles sont parfaitement orthodoxes, et qu'elles ne diffèrent que sur des points de détail d'interprétation jurisprudentielle du Coran et de la Sunna. Tradition... » (V. Monteil, L'Islam, Bloud et Gay, 1963, p. 67).

3 Y. Linant de Bellefonds, Immutabilité du droit musul- man et réformes législatives en Egypte, in Revue interna- tionale de droit comparé, 1965. Cité par M. Borrmans, Codes de statut personnel et évolution sociale en certains pays mu- sulmans, IBLA, Tunis, 1963.

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Mais il n'est pas rare qu'on s'y prenne avant : il n'est pas né, que les femmes se le marchandent ;

« si c'est une fille, tu me la réserves », disent-elles à la mère.

Hypothéquée, foetus — elle est, petite, livrée comptant : « en 1930, à Lafayette, canton de Guer- gour, une fillette de 9 ans avait été mariée à son cousin ; celui-ci, peu après, l'invitait avec sa mère à une fête donnée chez lui, éloignait cette dernière et consommait, malgré les résistances de l'intéres- sée... » ; en 1925, à El Kseur, « un garçonnet de 8 ans est marié à une petite fille de 11 ans »

Tradition « traditionnelle, coloniale », ou post- coloniale ? Au printemps 1965, dans le sud, j'ai vu une gamine de 12 ans déjà mariée — et mère : malingre, elle portait son gosse avec peine... Et comme je demandais au cadi de cette oasis à quel âge il mariait les filles : « Selon quelle loi ? », me répliqua-t-il. « Mais oui (car je ne saisissais pas), selon la loi coranique, ou la loi algérienne ? » ; et, très subtilement, il ajouta : « Dès 6 ans, on peut promettre une fille, et dresser le contrat ; mais... c'est à 16 ans, naturellement, que le mariage est consommé, et enregistré à la mairie. »

A 16 ans, vraiment ? En 1967, la nuptialité algé- rienne se caractérise toujours « par une grande pré- cocité et une grande intensité : à 15 ans, 10 % des filles et 1% des garçons sont mariés ; à 20 ans, 73 % des filles et 20 % des garçons ; à 45 ans, 98 % des femmes et 94,9 % des hommes »

Sur le statut légal de la musulmane, bien des indications m'ont été données par M. Borrmans ; qu'il veuille bien trou- ver ici l'expression de ma profonde gratitude.

4 J.P. Charnay, La vie musulmane en Algérie, d'après la jurisprudence de la première moitié du XX siècle, P.U.F., 1965, pp. 23-24.

5 Ces chiffres m'ont été communiqués — et je tiens, ici, à l'en remercier très vivement — par le docteur J. N. Biraben, chef de service à l'Institut National d'Etudes Démographi- ques, Paris.

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Précoces, bien des unions sont officialisées après coup, et c'est une autre tradition.

Ainsi, la loi du 2 mai 1930 — qui ne s'appliquait qu'aux Kabyles, et fixait l'âge nuptial à 15 ans pour les filles, 18 ans pour les garçons — incita

« un grand nombre à passer mariage selon les cou- tumes, quitte à camoufler les âges, ou à faire les déclarations prévues, une fois l'âge réglementaire atteint »

Bien avant la promulgation de la « loi Khemis- ti » la parade était prête ; et en 1965, comme en 1930, on y a volontiers recours : « B. Ahmed et Z. Saïd ont fait respectivement célébrer le maria- ge, l'un de sa fille (14 ans), l'autre de son fils (18 ans), à la fatiha (coutume musulmane), en atten- dant l'âge légal pour le déclarer. Le tribunal les a condamnés à 1 mois de prison avec sursis... » Arrangés par les familles, il est de tradition que ces mariages soient sans amour, qu'ils se fassent entre cousins et que la fiancée n'en soit infor- mée qu'au dernier moment : si le père n'exerce plus, théoriquement, le droit de contrainte (djabr).

si le consentement de l'épousée est nécessaire, il est de tradition que cet accord soit formulé par un mandataire mâle (le plus proche parent agnat, wali), et les bons usages veulent que la jeune fille ne refuse pas son accord.

« Malgré tout, dis-je au cadi, si l'une d'elles, âgée de 16 ans par exemple, venait, en larmes, vous supplier de ne pas l'unir à un fiancé de 70 ans, que feriez-vous ? » Il toussa, se racla la gorge, se gratta la tête — pareille insolence devait

6 J.P. Charnay, op. cit., p. 23.

7 Sur proposition de Mme Khemisti, député, l'Assemblée Nationale vota, en 1963, une loi fixant à 16 ans révolus pour les filles, et 18 ans pour les garçons, l'âge du mariage.

8 El Moudjahid, 17 octobre 1965.

9 Cf. G. Tillon, op. cit.

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être plutôt rare — puis : « Eh bien, je les con- voquerais, j'écouterais les arguments du père, les arguments de la fille, après quoi, je prendrais une décision »...

Il est encore de tradition — et pas seulement dans les campagnes, mais dans la proche banlieue d'Alger, et à Alger même — que la chemise de nuit de la mariée soit exposée après consomma- tion.

S'il n'y a rien à exhiber, il est classique que la malheureuse, éberluée, ne comprenant pas ce qui lui arrive (et pour cause : un tiers des femmes n'ont, par nature, pas d'hymen), soit renvoyée, par son rustre d'époux, à son « douar d'origine ».

Mais même lorsque la « marchandise » est bonne, la fête ne dure pas, et ces mariages ne sont pas toujours heureux : il arrive que le mari, in- satisfait, soupçonne sa femme de le tromper (la jalousie, chez nous, est, en effet, de tradition) ; pour un rien, pour rien, il la maltraite, la frappe et, s'il est parfois arrêté, la justice, par tradition, ne le sanctionne guère.

Ainsi, ce paysan algérois : du champ qu'il la- boure — à 1 km de sa maison —, il voit (sic) ses deux neveux sortir de chez lui ; convaincu que sa femme l'a bafoué, il accourt, lui rase la tête, lui coupe le nez : n'est-ce pas normal ?

« Cet homme, explique l'avocat, a vengé son honneur selon la coutume. Il n'a fait que lui raser la tête et la marquer au nez. De cette blessure, il ne reste qu'une égratignure. Je me félicite que cette femme ne soit pas morte... Aucun de nous n'ignore la manière dont est vengé le déshonneur à travers les divers pays du monde. Chaque con- trée a ses coutumes. Il pouvait la tuer. Il ne l'a pas fait. Cela plaide en sa faveur... L'honneur est très respecté dans les pays islamiques, l'homme est attaché à la coutume de son pays, de sa religion, de sa mechta... Il a des traditions d'honneur... Se

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sachant bafoué, il se vengea... Ce n'est pas un acte de sauvagerie »

Bien sûr que non — et les juges, après une demi-heure de délibération, condamnent ce tra- ditionaliste bon teint à cinq ans de prison... avec sursis.

L'honneur, décidément... : « Le nommé B. Aïs- sa, âgé de 47 ans, domicilié à Tifrit (3 km d'Ak- bou) a tué hier soir sa sœur âgée de 48 ans à coups de hache. Interrogé par la police, le meur- trier a déclaré qu'il a tué sa sœur pour défendre l'honneur de sa famille » Mais revenons au ma- ri. Traditionnellement mal marié, il n'est pas obli- gé de tuer sa femme, ni même de lui couper le nez ; il peut très bien l'abandonner, ou la répu- dier c'est moins risqué, et c'est une autre tradi- tion : « si le Coran a entendu mettre des condi- tions pour réglementer et réduire cette pratique arbitraire, il demeure que la répudiation dite « ir- régulière » est toujours demeurée en vigueur, et a été homologuée par le droit traditionnel comme par certaines situations modernes »

Tradition vivace, en effet : plus de trente cas d'abandons de famille jugés en une journée à Alger, en hiver 1966, cinquante au printemps 1967 sans parler des poursuites contre ces maris et ces pères qui, condamnés à verser une pension, se dépêchent d' « oublier », et de disparaître .

Mais tous ne s'éclipsent pas, car la tradition offre aux mécontents une autre solution : prendre une deuxième, une troisième, une quatrième épou- El Moudjahid, 17 février 1967. Toutes les expressions soulignées dans ce graphique le sont par nous. 12 M. Borrmans, op. cité. 13 Sur les abandons de famille, voir chapitre 2, p. 98 et Id., 24 février 1967.

suiv.

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se... La polygamie est assez courante dans les campa- gnes : je connais une bourgade des Aurès où pres- que tous les hommes ont au moins deux épouses.

Qu'en est-il à l'échelle nationale ? On ne dis- pose, actuellement, que d'approximations : « à la veille de la guerre de libération, les polygames, en Algérie, ne constituaient que 3 % des hommes de plus de 60 ans. Et pourtant, certains estiment que la polygamie a connu, au lendemain de l'in- dépendance, une légère recrudescence »

Quoi qu'il en soit, si peu d'Algériens ont quatre femmes en même temps, beaucoup en épousent une, divorcent, puis se remarient — et recommen- cent : la polygamie « successive » est des plus fréquentes. Et les divorcées — des plus nombreu- ses Mais admettons que le mariage, plus ou moins forcé, avec une cousine plus ou moins enfant, et qui a coûté plus ou moins cher (une dot de 5.000 D.A. n'a rien d'extraordinaire ne tourne pas à la catastrophe : l'homme ne quitte pas sa femme, ne lui adjoint pas de compagne, ne la bat pas, ne ferme pas les placards à clé quand il sort (comme le mari de ma voisine, qui va jusqu'à peser, chaque jour, sa petite réserve de pommes de terre !), il ne compte pas ses dépenses à un centime près : que va faire la femme, dans cette vie sans histoire ?

La tradition répond : des enfants. « Il y a en- viron, en 1967, 6,5 enfants par femme mariée ayant achevé sa famille » ; si l'on compte les fausses couches et les décès, cela fait, par femme, une dizaine de grossesses. Venir de ou s'apprêter à accoucher : c'est son occupation fondamentale

14 Révolution Africaine, 20 décembre 1964.

15 Sur le divorce, voir chapitre 2, p. 135 et suiv.

16 1 dinar algérien (DA) = 1 NF.

17 D'après le docteur J.N. Biraben.

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— et l'on sait que sa stérilité (qui est vécue comme une malédiction), ou son entêtement à donner des filles, constituent une raison largement suffi- sante de renvoi.

Ces maternités l'épuisent mais la tradition est impitoyable : la femme doit s'occuper, en outre, du ménage, de la cuisine : « il est dans l'ordre naturel des choses qu' (elle soit) surtout la gar- dienne du foyer », déclarent les étudiants dans leur message de salutation au 1 congrès de l'U.N.F.A.

El Moudjahid développe constamment ce thè- me ; ainsi, le 10 mars 1967, dans une lettre de lecteur publiée sur quatre colonnes, sous le ti- tre, en caractères gras, A la rencontre de deux ci- vilisations, il nous rappelle que « l'homme doit voir en la femme... une douce compagne, celle qui, après une longue journée laborieuse, le console de ses tourments et allège sa lassitude... Travailler à la maison..., c'est la tâche, de toutes, la plus no- ble, car elle s'accomplit dans l'intimité... Ainsi se- rait-il imprudent de conseiller systématiquement aux femmes d'aller s'occuper hors du foyer conju- gal... ». Mais sont-elles instruites (ce qui, du coup, n'a rien de traditionnel : on continue de mesurer l'ins- truction aux filles ; dès qu'elles ont pris formes, on se demande si on ne va pas les retirer de l'éco- le : ainsi, dans une petite ville, sur 17 gamines admises au certificat d'études, 2 passent en 6e, 1 en 5 veulent-elles sortir avec leur mari, que la

18 Sur la condition des mères, voir chapitre 2, pp. 77 - 92. 19 Révolution-Université (sic), n° 4, décembre 1966.

20 « Pour l'enseignement du 1 degré, le taux de fé- minité est relativement élevé dans les premières années d'étu- des (48 % en CP 1, zone urbaine) et diminue en valeur abso- lue à mesure que l'on s'élève vers les années supérieures », in Bulletin statistique de l'Education nationale, n° 16, p. 7

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tradition s'y oppose : rares sont encore les Algé- riennes qui « se montrent » et, aux réceptions of- ficielles, on cherche en vain les épouses de nos res- ponsables ; au besoin — comme l'ex-président, quand il reçut Mme et M. Sekou Touré — on emprunte pour la figuration une notabilité : une député, par exemple, ou une représentante de l'Union des femmes...

Ne pas connaître, ne pas fréquenter son fiancé, être mariée très jeune, et condamnée à reproduire, n'avoir aucune activité sociale, ne peser d'aucune façon dans la gestion des affaires publiques..., ce sont là quelques-unes de nos traditions, solides, bien antérieures à la colonisation, et survivant au-

d e l à d e l ' i n d é p e n d a n c e

S ' y c o n f o r m e r p o u r é v o l u e r ? M a i s q u i d i t é v o - l u t i o n d i t c h a n g e m e n t e t , d e c h a n g e m e n t e n c h a n - g e m e n t , r u p t u r e , p u i s é m e r g e n c e d ' u n e p e r s o n n e n o u v e l l e , e t a c c e s s i o n à u n n o u v e a u m o d e d ' e x i s - t e r . P a r l e r d ' u n e « é v o l u t i o n s e l o n n o s t r a d i - t i o n s », c ' e s t p r é t e n d r e q u ' o n p e u t c h a n g e r s a n s i n n o v e r , se t r a n s f o r m e r s a n s se m o d i f i e r , r e s t e r s o i - m ê m e e n n e l ' é t a n t p l u s , o u l ' ê t r e e n c o r e s a n s l e r e s t e r !

E n f a i t , i l n ' y a p a s d ' « é v o l u t i o n t r a d i t i o n n e l - l e » — l a f o r m u l e e s t v i d e d e s e n s : c ' e s t p r o b a - b l e m e n t p o u r q u o i o n se g a r d e b i e n d e l a d é f i n i r ; n e s e r a i t - e l l e a l o r s q u ' u n p a r a v e n t , u n p r é t e x t e ? A v a n t d e r é p o n d r e , il n o u s f a u t v o i r s i l e s a u t r e s a r g u m e n t s i n v o q u é s s o n t d e l a m ê m e s e m o u l e . . . e m p o i s o n n é e .

Si l ' é v o l u t i o n d o i t ê t r e « c o n f o r m e à n o s t r a - d i t i o n s », e l l e d o i t a u s s i , o u p a r l à m ê m e , s'ac- c o r d e r à l a « p e r s o n n a l i t é a l g é r i e n n e » ; l ' e x p r e s -

et, n° 3, p. 11 : « La fin du premier cycle marque le départ le plus massif en cours d'études des filles scolarisées dans les lycées. »

21 Cf. Annexe, Quelques traditions...

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sion est souvent employée ; si elle ne constitue qu'une variante de la précédente, elle a le mérite d'être un peu moins obscure — et de révéler plus aisément, du même coup, son sens latent.

Certes, on n'est pas allé jusqu'à développer cette thèse d'une évolution « spécifiquement algé- rienne », « en harmonie » avec notre « moi pro- fond » ; du moins, trouve-t-on ici et là, dans la presse, quelques indications assez nettes.

Ainsi, dans la revue Humanisme musulman (n°

d'août 1965), M. El Hachemi Tidjani — son fon- dateur, directeur, et principal collaborateur — s'ef- force-t-il de définir les composants de notre person- nalité.

C'est qu'ils ne sautent pas aux yeux : « La répon- se n'est pas aussi simple... Les noms et les épithè- tes qui nous qualifient ne sont pas toujours exempts d'équivoques... C'est ainsi que nous som- mes Algériens.., sans pour autant être très dif- férents des autres habitants du bassin méditerra- néen... Nous sommes en outre Arabes et arabisés, mais en même temps on nous qualifie de Musul- mans, d'Africains et de peuple de Bandoung. Et si nous sommes orientaux de par l'origine, la reli- gion, la langue, la culture et l'histoire, nous som- mes également occidentaux par la géographie, l'économie et l'histoire ».

Décidément, c'est trop, et il y a de quoi être ac- cablé ; hâtons-nous d'élaguer, d'épurer, de « lever les équivoques », bref de dégager l'essence algé- rienne des apparences (peu flatteuses ?) qui la maquillent ; et M. Tidjani, qui éprouve « un puissant besoin (de) fortifier le sens » de sa per- sonnalité, entreprend donc de la définir.

Regrette-t-il que les Algériens ne soient pas aus- si « spécifiques » que les Japonais, qui « diffè- rent des autres peuples tant par la taille, les traits du visage, que par le teint de l'épiderme et la

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forme des yeux » ? Toujours est-il que « la person- nalité algérienne » ne concerne pas notre « physi- que ».

Elle concerne donc notre « moral », et « se ré- sume à la volonté » Mais qu'est-ce que la vo- lonté ? Une idée claire (Spinoza), un désir (W.

James), un fiat (Descartes), un réflexe condition- né ? Et qu'y a-t-il, dans tout cela, de « spécifi- quement algérien » ? C'est encore très « équivo- que », et M. Tidjani doit bien s'en rendre comp- te : « à la lumière de ce qui précède », et après avoir, au passage, salué le Christ, honni « la bol- chevie athée », condamné à l'échec « le matéria- lisme européen et juif », il revient à son sujet et, cette fois, ne le lâche plus.

Les « composants de notre personnalité », préci- se-t-il, sont des « valeurs », et ces « valeurs » en- globent, outre « la conscience de notre continuité historique et de notre participation à la culture uni- verselle », « notre religion et notre langue » ; un peu plus loin, M. Tidjani ajoute : « La na- tionalité véritable ne se réduit pas à une simple carte d'identité complaisamment consacrée natio- nale. C'est au contraire un ensemble d'éléments constitutifs qui se composent obligatoirement de la confession musulmane, de la langue arabe ou d'un dialecte berbère, de la communauté d'épreuves subies, d'espoirs et d'intérêts économiques et en- fin, du désir de vivre ensemble. »

Ne chicanons pas M. Tidjani sur des « compo- sants » qu'il accepterait probablement de soumet- tre à discussion : notre « désir de vivre ensem- ble », par exemple, ou nos « espoirs » communs ; reste, par delà ces galanteries (inattendues), une caractéristique fondamentale, écrite en majuscu- les : la confession musulmane.

22 Il va soi que je cite le texte tel quel, sans modifier, ni... corriger.

(27)

La « personnalité algérienne » se définit donc dans une perspective strictement religieuse, et en termes exclusivement religieux. Ainsi, dans la re- vue de l'A.N.P, El Djeich (juillet 1966), parle-t-on de « renforcer la personnalité islamique » ; dans un sens voisin, M. Malek Bennabi, qui défendit — autrefois — des thèses (spécifiquement algérien- nes ?) sur la « colonisabilité » des Arabes, écrit :

« Toute politique, pour se définir algérienne, doit demeurer fidèle à ses sources spirituelles, au message des morts... Le message de nos morts et leur pacte sont la source où notre politique doit puiser sa mystique. Donc, en formulant sa poli- tique en trois mots : socialisme, arabisme, isla- misme, le président Ben Bella a fait un acte de fidélité » Ces propos sont, bien sûr, de 1964...

En 1966, Révolution Africaine parle, enfin, d'un

« retour aux sources » qui serait, pour l'Algérie,

« irréversible ».

Y voit-on plus clair ? Oui, dans la mesure où l'on sait maintenant que, par « personnalité algé- rienne », il faut entendre « personnalité islami- que » — une personnalité qui n'est pas à faire, mais à « reconquérir », pas à créer, mais à « res- susciter », en vertu de ce « pacte » qui lie M. Ben- nabi, et quelques autres, aux morts

23 Conférence donnée à Alger, salle Ibn Khaldoun, en février 1964. Citée in Le Peuple, n des 19-28 mars 1964.

24 Faut-il préciser que tous les Algériens, et que tous les intellectuels algériens, ne reprennent pas à leur compte ces inepties ? Par exemple, dans un entretien paru dans Le jour (quotidien de Beyrouth, n du 27 mai et du 3 juin 1966), Mouloud Mammeri déclare très justement :

«... En un siècle de civilisation planétaire, je trouve vain et dérisoire de s'accrocher à des particularités qui, au lieu de nous emmurer dans la prison de nos unicités, devraient être, au contraire, des instruments de notre mutuel enri- chissement... » Il convient de « réaliser la cité de notre union, plutôt que les clans de nos particularismes... ».

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Mais à quels morts ? Ils sont nombreux, de- puis treize siècles, les interprétateurs, docteurs, ju- ristes, réformateurs, gloseurs, théosophes et anony- mes ! A quelles sources remonter ? A la Risala d'Al Qayrawani (X siècle), par exemple, ou à l'Abrégé (Mokhtasar) de Khalil (XIV siècle) ?

Et peut-on, à la suite de Ghazali (XVII siècle) et d'Ibn Taymiyya (XIV siècle), distinguer « à l'in- térieur même de la Révélation coranique, entre ce qui est article de foi (aqidat) et prescriptions culturelles (ibadat), d'une part, et d'autre part, tout ce qui touche à la morale (akhlaq) et surtout à la vie sociale (moamalat ) », lesquelles dépendent

« des conditions de temps et de lieu » ? En at- tendant que les exégètes répondent, notre « per- sonnalité » reste bien imprécise.

Pas tout à fait quand même : si aucun de nos théoriciens n'a dévoilé son contenu, quelques-uns ont indiqué ce qu'il n'est pas ; et, retournant aux sources... spinozistes (« toute détermination est négation »), ils définissent la « personnalité al- gérienne » par une série d'exclusions.

Elle exclut, d'abord, toute imitation des modes occidentales. La presse critique, assez souvent,

« ces cheveux longs, ces pantalons à pattes d'élé- phants, ces mini-jupes que l'on voit » et pour mieux préparer, probablement, la célébration de la Journée internationale des femmes, El Moudja- hid a largement ouvert ses colonnes, en février- mars 1967, aux bigots obscènes — et obsédés :

« Je ne vois pas de quelle manière ces filles en mini-jupes peuvent faire apport de quoi que ce soit à notre pays. »

« S'il y a un frein qui empêche la pleine éman- cipation, c'est une faible minorité de filles... qui se permettent de porter la mini-jupe et la coiffure miniature » (?).

25 V. Monteil, op. cité, p. 67.

Révolution Africaine, septembre 1966.

(29)

« Notre socialisme repose sur les piliers de l'Is- lam et non sur l'émancipation de la femme avec son maquillage, coiffure, parures, d'où découlent les passions déchaînées et leurs effets, nuisibles à l'humanité (constater les discordes, les querel- les, les crimes qui ont pour cause les femmes ; je ne dis pas que l'homme est un saint, mais il se trouve embrouillé. »

« Si la femme algérienne se permet actuelle- ment de porter la mini-jupe, c'est parce qu'il n'y a plus d'honneur et de respect dans notre pays. Les femmes ont mal compris l'émancipation, ce n'est pas en faisant la miniature (sic) et la coiffure que le pays évoluera... » « Cette toilette est devenue aujourd'hui une gaine étriquée et serrée qui dessine les formes sug- gestives. Elle ne révèle plus le sens féminin, mais le sexe féminin. »

Pardi, c'est bien là qu'ils veulent en venir, et El Moudjahid a le bon goût de publier, au nom de « la défense de notre Islam sacré », le paragra- phe que voici : « ...Elles laissent voir, sans trop se gêner, une bonne partie de leurs cuisses, pour ne pas dire leur... (sauf votre respect) en pleine société, et même en présence et en face de leurs parents, sans prendre la peine de s'arranger. »

Vertueuse indignation ! « Arrangeons-nous », et puisque les hommes donnent l'exemple, on peut bien les citer dans un encadré à caractères gras : sous le titre : Un changement vestimentaire heu- reux, El Moudjahid publie, le 4 janvier 1967, la lettre suivante :

« Depuis une quinzaine... j'ai remarqué une tendance au port de certains vêtements tradition- nels : il n'est pas rare de rencontrer dans les rues d'Alger des jeunes hommes vêtus de burnous et de jellabas ; il est clair, je crois, que le mois de jeûne incite à un certain retour aux sources, qui se traduit par ces changements vestimentaires...

(30)

C'est à notre sens un changement heureux... Mais il faut regretter que cette évolution (sic)... ne dure, bien souvent, que le temps du ramadan. »

Evolution — ou mascarade ? « Je connais bien des dames, et des plus modernisées — écrit une Algérienne que la modernité effraie — qui, habi- tuellement dévoilées, ont recours au voile comme à une fantaisie vestimentaire, une coquetterie pure, pour se rendre à une noce. »

Robes, pantalons... : après l'habit, et puisque l'habit fait le moine, la « personnalité algérien- ne » bannit toute adoption des mœurs dites occi- dentales — qui ne peuvent être que perverses :

« les signes extérieurs de ces inadaptés s'accom- pagnent d'idées corrompues et d'une mentalité dé- gradante... Un verre d'alcool n'a jamais tué per- sonne ; soit... Il s'agit (pourtant) de dénoncer un relâchement évident » des conduites

Europe égale débauche : l'accusation traîne dans toute la presse maghrébine, c'est même, quand elle traite de l'évolution, son « plat de ré- sistance ».

Ainsi, dans le compte rendu — malhonnête — qu'il fit du Harem et les cousins, de G. Tillon, le rédacteur en chef de Jeune Afrique présente-t-il les « pseudo-libérées » d'Europe comme des obsé- dées du sexe : « La femme occidentale a conquis

27 Leïla Hacène, Jeune Afrique, 17 juillet 1966.

Dans le débat qu'a organisé ce journal sur le livre de G.

Tillon, ma jeune compatriote déclare que « la supériorité de l' homme... reste dans l'harmonie naturelle des choses », cite, comme exemple de « démocratie-témoin », où cette

« supériorité » est une « réalité politique » (les femmes ne vo- tant pas), le pays des banques et des hôtels-interdits-aux-Ita- liens, la Suisse, se réjouit, enfin, de pouvoir être cocue, sans qu il en coûte trop à son mari (un an de prison pour l'homme, deux ans pour la femme, en cas d'adultère, selon notre nou- veau code pénal). Leïla Hacène peut conclure, en toute lo- gique : « Je choisis la tradition ».

El Moudjahid, « Luxe et luxure », 7 décembre 1965.

(31)

le droit à l'adultère et au nomadisme sentimental...

Cette victoire... la (conduit) souvent chez le psy- chiatre..., l'incit (e) à poursuivre, à travers une filière d'amants, une stabilité morale et affective qui ne lui est presque plus accessible... »

Un esprit sain... : en gandoura, austère et sans complexes, la « personnalité algérienne » ne se nourrit pas, en outre, de culture étrangère ; si elle y goûte, que ce soit du bout des lèvres : « Les modernistes qui se veulent futuristes, écrit un pas- séiste, (manifestent) un entichement effréné de tout ce qui n'est pas algérien : langue et culture étrangères, histoire de France, d'U.R.S.S., de Chi- ne, de Yougoslavie, musique américaine, folklore guinéen » (Tidjani).

Puisque la culture étrangère est « dépersonnali- sante », on se gardera bien de trop fréquenter, entre autres, l'œuvre de... Frantz Fanon :

« Elle ne peut pas apporter l'hymne du combat et du travail du peuple algérien, estime M. Ben- nabi, parce qu'elle ne plonge pas aux racines de sa subjectivité... Ce ne sont pas les compagnons anglais de Ghandi qui ont composé le grand hym- ne qui a conduit les multitudes indiennes à la libé- ration... Ce n'est pas un Américain qui a composé l' Internationale ou la Marseillaise... Il manquait

Jeune Afrique, n° 288.

A la suite de ce « papier » (illustré d'une façon immon- de : pour représenter l'Occidentale « libérée », photo d 'une pauvre factrice ; et, pour l'Orientale « asservie », photo d'une... courtisane !), l'hebdomadaire international, comme il se nomme, a reçu de nombreuses protestations dont une, fort pertinente, de Ch. A. Julien. Irrité, le rédacteur en chef renvoya l'éminent historien à ses livres, motif : sujet in- terdit aux Européens.

A mon tour, je protestai contre ces inepties, qui sentent leur apartheid nouvelle formule. Réponse du rédacteur en chef : « Je vous promets que votre lettre, qui contribue à l'élargissement du débat, paraîtra en septembre prochain.» C'est-à-dire en 1966. Rendez-vous maghrébin, bien sûr.

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à Fanon la touche qui fait vibrer l'âme algérien- ne... Pour parler le langage d'un peuple, il faut partager ses convictions : Fanon était athée. » Il était même — comment M. Bennabi peut-il l'oublier ? — « martiniquais »...

Rejetant la mode, et la « morale » occidentales, se protégeant de tout « entichement » pour la culture étrangère, ou assimilée, la « personnalité algérienne » doit tenir à distance, enfin, tous ceux qui véhiculent, comme des virus, cette mode, cette « morale » et cette culture. Comment pour- rait-elle se retrouver, si ses représentants conti- nuaient, sans pudeur, de mêler leurs gènes à ceux de l'étranger ? La « personnalité algérienne » ne s'accommode pas du mariage mixte, elle le re- fuse absolument — c'est un impératif catégorique de notre essence.

Ainsi s'exprime, ou à peu près, une Algérienne, Z.O., dans un article qu'il serait désobligeant de ne pas reproduire largement

En guise d'introduction, quelques vers d'un poète, Lamoudi :

« Saluez le médecin, et n'oubliez pas sa compa- gne ;

« Lui, c'est Salomon et Madame Balkis.

« Il a un enfant — que Dieu allonge ses jours !

« En qui Arabes et Français se combattent,

In Conférence déjà citée.

Plonge dans les racines de sa subjectivité... Touche qui fait vibrer l'âme... : pour ceux qui s'imagineraient, à partir de ces citations, que M. Bennabi est quelque chose comme un scaphandrier, ou un raccordeur de pianos subjectifs, je doit préciser, en toute objectivité, et sans la moindre plai- santerie, qu'il a été directeur de l'enseignement supérieur.

El Djeich, édition arabe, n° de septembre 1965. Tra- duit et reproduit par la Revue de Presse, n° 99.

Je tiens à exprimer ici ma profonde reconnaissance aux responsables de la Revue de Presse, qui m'ont permis le plus large et le plus libre accès à leur bibliothèque.

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La situation de la femme algérienne d oit évoluer, mais com- ment ? Algérienne, musulmane née dans le Constantinois et élevée dans un milieu oulémiste dont son père, ami intime de Ben Badis, fut un brillant animateur, Fadéla M'Rabet répond à cette question. Elle analyse ce que recouvre l'idé d'évolution, d'abord suivant les traditions, puis conformément à la personnalité et au cadre arabo-islamiques. Fadéla M'Rabet rappelle aussi la réalité présente et ses conséquences : les mariages de force, les suicides et les abandons conjugaux, à l'heure du planning familial et de l'instauration du nouveau code de la famille.

Après avoir fait des études supérieures de sciences à Stras- bourg, Fadéla M'Rabet enseigne aujourd'hui avec son mari, algérien, dans un lycée, d'Alger.

DU MÊME AUTEUR : La femme algérienne.

: Frantz Fanon, Les Damnés de la terre.

Mostefa Lacheraf, L'Algérie : nation et société.

Mohamed C. Sahli, Décoloniser l'histoire.

Abdallah Laroui, L'idéologie arabe contemporaine.

Ariette Roth, Le théâtre algérien.

Yves Lacoste, Ibn Khaldoun.

François Maspero éditeur, 1, place Paul-Painlevé, Paris-V

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